Lu sur
Indymédia Paris : "Enseignante en Droit à Paris X - Nanterre, j'ai à cœur, comme tant d'autres, de contribuer à maintenir le caractère pacifique du "blocage" de l'entrée du bâtiment auquel j'appartiens. Rôle gratifiant -l'ambiance est pacifique, sans dégradation ni violence et le dialogue s'avère payant - et néanmoins d'une complexité croissante. Les enseignements des bâtiments de la "barre" de A à E font l'objet de dysfonctionnements sévères depuis maintenant trois semaines. Le mouvement estudiantin a gagné depuis une semaine les bâtiments F (Droit, Sciences politiques et Langues) et G (Economie), réputés plus "durs" à l'égard des actions de "blocage". La fatigue physique et morale gagne appariteurs, vigiles, personnels administratifs, enseignants, étudiants bloquants et bloqués. Ces derniers craignent les conséquences administratives et pédagogiques de l'arrêt des cours qui leur est imposé. En vue de maintenir la sécurité sans pour autant prendre institutionnellement position en faveur des actions de blocage, la décision a donc été prise d'annuler ponctuellement et provisoirement les cours, prenant acte de l'impossibilité pour les étudiants d'accéder aux salles et amphithéâtres, chaque fois que les conditions l'imposeraient. Malgré cela, les tentatives d'entrée en force dans les bâtiments, isolément ou en masse, se font plus fréquentes et le dialogue entre les étudiants se durcit. Désespoir de voir leurs revendications ignorées et leur engagement dénigré, pour les uns, exaspération de ne pas voir leurs préoccupations universitaires conciliées avec les moyens du succès d'une revendication qu'ils partagent très majoritairement, pour les autres. Le dialogue est bien le centre névralgique de la "crise".
Une partie des enseignants, dont je suis, a donc décidé de rester sur place pour être à l'écoute des uns et des autres et contribuer à calmer les tensions par leur présence, l'écoute et le dialogue. Vendredi matin, nous étions entre le blocage et les étudiants venus suivre leurs cours. Un simple début d'averse a suffit à provoquer une montée de tension du côté de ces derniers. Une jeune fille, portant une atèle à la jambe, est entrée dans une exaspération confinant l'hystérie et a tenté de forcer le passage vers l'entrée du bâtiment. Nous avons bien essayé de la rassurer, en lui expliquant qu'il ne servait à rien de rentrer dans la mesure où les cours étaient annulés et que nous nous opposions à toute agressivité, de quelque côté qu'elle se manifeste. A l'avertissement que nous lui donnions à propos des risques que présentait un tel comportement pour la sécurité de tous, elle a simplement répondu : "je m'en fous, de toute façon je suis déjà handicapée, s'il m'arrive quelque chose, vous serez de toute façon responsables". Et a poursuivi sa montée des escaliers, bousculant les professeurs et se dirigeant vers les étudiants formant le "blocage". Avant même d'avoir atteint la première des marches sur lesquelles ils se situaient, elle est tombée, raide, en arrière. Bilan : un poignet foulé, une dépêche de l'AFP provenant d'un mystérieux "service de sécurité" de Nanterre qui serait vraisemblablement aussi responsable de la communication et notre Ministre de se farder d'une violente dénonciation à l'encontre d'étudiants qui "ont été jusqu'à précipiter une jeune handicapée dans les escaliers", et qui sait que "les étudiants fautifs auraient été identifiés".
En tant que témoin direct, je dénonce les manœuvres d'un gouvernement qui n'hésite pas à véhiculer des informations fallacieuses pour appuyer son déni d'un mouvement politique qu'il ferait mieux de reconnaître s'il souhaite réellement que cesse la montée de la violence. Je dénonce également l'AFP qui a refusé de prendre en compte mon témoignage, au motif que la publication de la version émanant de la porte parole de la mobilisation estudiantine qui n'a pas assisté à la scène constitue un "démenti" garantissant l'équilibre entre les "deux versions". En tout état de cause, le mal est fait : à Nanterre, des excités sans foi ni loi violentent des handicapés.
C'est pourquoi, en tant qu'enseignante, je m'élève contre l'irresponsabilité de ce Gouvernement. Bataille des chiffres des Universités en grève ou du nombre des manifestants de la journée d'action nationale, discrédit gratuit, inscrimination à tort et avant toute enquête policière...Messieurs, l'heure n'est pas au déni et n'est même plus à la question du soutien ou non aux revendications des étudiants. Il est l'heure de prendre acte de la tension et du désespoir qui peuvent mener au pire et au maintien de la sécurité de tous les jeunes qui participent ou se trouvent pris dans les actions menées dans toute la France. Comme nous l'avons bien compris, nous, personnels universitaires, l'heure est au dialogue sincère et à un débat loyal. L'heure est à la reconnaissance de jeunes adultes comme dignes membres de notre société, avec toute la considération y afférente.
J'exige en conséquence, en guise de premier pas, un démenti sérieux et des excuses de Monsieur le Ministre. Pour le reste, si j'ai bien compris, nous devrons nous charger nous-même de trouver le compromis nécessaire à une issue pacifique à la mobilisation dans les Universités. Nous n'avons pas le pouvoir d'entendre leurs revendications, mais nous nous donnons au moins celui de les écouter. Alors, Monsieur le Ministre, faute de mieux, laissez-nous au moins garder la confiance et le respect des étudiants que vous-même n'avez su gagner."
Aurianne Cothenet
à 16:20