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Femmes de mauvaise vie ou femmes perdues ? ( 3 )
--> Panique morale et crise de frontières
Panique morale et crise de frontières
Dans ce chapitre, j'examinerai quelques unes des significations profondes sous-tendues par les thématiques identifiées dans le chapitre 2. Je me concentrerai en particulier sur la façon dont les discours sur « la traite des blanches» et le « trafic de femmes » expriment des peurs et anxiétés bien plus profondes quant à la sexualité et l'indépendance des femmes, ainsi que des peurs de l »'autre » racistes et nationalistes. Il y a d'autre peurs et anxiétés importantes mais elles sont hors de propos de notre article, incluant le lien entre les discours sur le « trafic de femmes » et une morale de plus en plus répressive, particulièrement concernant la sexualité des enfants, et les croisements entre les discours sur la maladie (syphilis et SIDA), la « traite des blanches » et le « trafic de femmes ».

derrière le mythe

Le déclic qui a déclenché la panique de la « traite des blanches » fut l'augmentation massive de migrants entre 1860 et le début de la première guerre mondiale, à laquelle les femmes ont largement participé.
La campagne contre « la traite des blanches» a coïncidé avec la migration en masse de milliers de femmes venues d'Europe et de Russie vers l'Amérique, l'Afrique du sud, d'autre parties de l'Europe, et l'Asie (Bristow 1982, Guy 1992). Cette augmentation fut facilitée par le colonialisme de la « pax britania » qui a rendu possible le voyage de millions d'ouvriers du centre vers la périphérie. Ce fut aussi facilité par les nouvelles technologies, spécialement le bateau à vapeur et le télégraphe (Bristow 1977: 177). Un autre facteur a contribué à l'expansion de la panique : l'usage calculé des émotions générées par les images d' »esclaves blanches » a alimenté les fondations de la répression de la prostitution (Walkowitz 1980, Gibson 1986, Corbin 1990, Grittner 1990). La nature lubrique et à sensations de « la traite des blanches » lui ont permis de gagner plus d'encouragement que l'abolitionnisme ne l'a jamais fait :
La transformation d'un problème individuel en question sociale dans un agenda politique n'est jamais simple, mais la capacité à lier un problème à sa traduction en language symbolique peut améliorer ses chances de succès (Grittner 1990: 7).
Mais derrière ces réalités matérielles/politiques, d'autres peurs plus profondes soulignent la panique liée à la « traite des blanches». Grittner, dans son analyse du mythe américain de la traite des blanches, le décrit comme une « panique morale », ainsi que définie par Stan Cohen :
Les sociétés ont de tous temps été sujettes à des moments de panique morale. Une raison, un épisode, une personne ou un groupe de personnes émergent et devient la menace contre les valeurs et les intérêts sociaux; leur nature est présentée dans un style stylisé et stéréo typique par les médias; les barrières morales sont ignorées par les éditeurs, évêques, les politiques et autres personnages bien-pensant; des experts socialement reconnus font un diagnostic et proposent des solutions; parfois, la panique est dépassée et oubliée, sauf dans le folklore populaire et la mémoire collective; d'autres fois, elle a des répercussions plus longues et sérieuses et produisent de tels changements que les conséquences touchent aux lois ou aux politiques sociales, ou même à la façon qu'a la société de se penser.(Cohen cited in Grittner 1990: 64).
Bien que le discours sur la traite des blanches soit centré sur la protection des femmes contre la violence (mâle),dans un large mesure, le bien-être des esclaves du sexe est périphérique du discours. La menace supposée peser sur la sécurité des femmes sert à la fois de marqueur et de métaphore d'autres peurs, notamment celles générées par l'indépendance croissante des femmes, le démantèlement de la famille, et la perte de l'identité nationale liée à l'afflux d'immigrants.

Les migrations des femmes et le danger sexuel

Comme dans les campagnes contre « la traite des blanches », les «déclics» des campagnes « anti-trafic » est une migration féminine, spécialement quand il s'agit de prostituées. Un rapport de l'IOM daté de 1996 mentionnait la « féminisation » des migrations internationales pour cause de travail (cité dans Kempadoo, 1998a: 15), et quasiment la moitié des immigrant du monde sont des femmes (Weijers and Lap-Chew 1997: 44). de récentes études indiquent que les travailleuses du sexe sont incroyablement mobiles (Skrobanek 1997; Watenabe 1998; Brockett and Murray 1994, Brussa 1998).
Que cache cette nouvelle vague de migrations féminines? Dans une analyse contemporaine du « trafic », les changements économiques intervenus dans les vies des femmes de l'ancien bloc communiste ou du tiers-monde sont un facteur « moteur » du « trafic », puisque les politiques occidentales du « développement » et les économies chaotiques des pays post-économiques sont considérées comme laissant peu d'autres choix aux femmes que d'accepter les offres d'emploi malhonnêtes à l'étranger (GSN 1997, HRW 1995).
Chaque jour, des milliers de femmes et de filles sont attirées sur le marché international du sexe, par des promesses de travail lucratif et de vie meilleure au-delà des frontières. Ces fausses promesses sont particulièrement attractives pour nombre de femmes sous-employées ou sans emploi qui luttent pour survivre dans des régions en voie d'appauvrissement et des sociétés en phase de transition post-comunistes (GSN 1997: III).

La migration féminine est vue exclusivement en négatif, un voyage désespéré loin de conditions de vie intolérables, sans organisation ressources pour les femmes. Eijers oppose ceci aux conceptions de la migration mâle :
Bien que les hommes (migrants) ont tendance à être vus comme actifs, aventureux, courageux et dignes d'admiration, les femmes, pour le même comportement, sont dépeintes comme passives, bêtes et naïves, ne méritant qu'aide ou punition (1998: 12).

D'autres, comme la GAATW, insistent sur le fait que l'augmentation de la migration féminine, y compris les migrantes travailleuses du sexe, est en partie due à la recherche croissante d'autonomie et d'indépendance économique (Weijers and Lap-Chew 1997: 43). Watenabe, se basant sur des interviews de travailleuses du sexe thai au japon, écrit que « selon Lak, Sai et Meow, le travail du sexe leur assure la liberté vis-àvis des hommes et du mariage » (1998: 120). Bien que des motifs économiques prédominent, pour beaucoup, le travail du sexe est vu comme un moyen d'amasser des économies ou d'assurer leur future indépendance économique, plutôt que d'une échappatoire à la pauvreté. Anarfi (1998) a découvert que les travailleuses du sexe ghanéennes ayant migré vers la côte d'ivoire, espérait gagner assez pour acheter des maisons ou s'installer en tant que commerçantes. Kempadoo observe que, en ce qui concerne les caribéennes :
Il n'est pas tout à fait clair que les femmes se tournent vers ces activités particulièrement lucratives pour des motifs liés à la pauvreté extrême ou à un manque d'autres talents ou opportunités (1998b: 128).

Il semblerait plutôt que le travail du sexe soit l'une des nombreuses « sources de revenus » utilisées par les femmes (Kempadoo 1998b: 128).
Pendant la période de « la traite des blanches », la « panique morale » fut provoquée en partie par le désir d'émancipation croissant des femmes. Les histoires d'esclavage blanc, présentées comme « des récits édifiants» pour femmes et filles (Guy 1991: 6),avec le péril de perdition sexuelle comme promesse aux femmes qui quittent leurs familles. Ainsi que Guy l'observe :
A Buenos Aires, la peur de la traite des blanches était directement liée à la désapprobation européenne de la migration féminine. Le racisme, le nationalisme, et la bigoterie religieuse ont alimenté les angoisses. Les hommes pouvait voyager hors des frontières en tout sécurité, alors que les femmes non-escortées s'exposaient à des agressions sexuelles.(1991: 7)
Cette désapprobation était liée aux insécurités liées à l'urbanisation et à l'appel de la vie citadine ressentie par les femmes en recherche d'indépendance, et au sentiment de désintégration de la famille, exacerbées par les rapide processus d'industrialisation (Bristow 1982, Grittner 1990).
L'indépendance des femmes était, et est encore, vue comme une menace à la stabilité de la famille, et donc de la nation. Les efforts contemporains pour stopper le trafic sous-tendent des valeurs morales liées à la dépendance féminine et à une certaine idée du rôle de la femme dans la famille. C'est quelquefois exprimé explicitement, comme dans le rapport de l'IMADR pour le groupe de travail de l'ONU sur les formes contemporaines d'esclavage. Le rapport, se référant aux politiques des états qui soutiennent l'émigration des travailleuses, indique :
Les États qui accompagnent la migration du travail vers des contrées étrangères, mettent un nombre croissant de femmes en danger d'exploitation sexuelle. D'autres aspects négatifs … sont liés à l'érosion de la famille. Une séparation prolongée des maris et des femmes peut mener au divorce. Les enfants laissés sans soins ni attentions peuvent tomber dans la délinquance juvénile ou être victimes de trafiquants ou de pédophiles (IMADR 1998 : 15).
La plupart du temps, quoiqu'il en soit, c'est implicite. La plupart des campagnes anti-trafic prennent les politiques de développement occidentales comme une des causes du « trafic », relevant que ce sont les femmes qui font le plus les frais de la pauvreté des pays du tiers-monde et des états post-communistes.. Ils relèvent aussi la nécessité de développer davantage d'opportunité économiques pour les femmes du tiers-monde et des anciens pays communistes. NGOs dans les pays d'origine du trafic accuse les gouvernements de ne pas avoir dirigé leurs efforts de développement vers les zones rurales, forçant ainsi les femmes à migrer vers les villes ou l'étranger pour chercher du travail (India Abroad 06-06-97). mais ces buts si louables soient-ils font trop facilement le lien avec les peurs liées aux femmes, et à la sexualité des femmes, laissée à libre cours loin du regard de la famille.
Pendant la panique de «la traite des blanches», des flyers et des affiches dans les gares ont été publiées pour empêcher les filles de partir à l'étranger ou vers la ville (Coote 1910). Aujourd'hui, les efforts de prévention se concentrent sur la prévention envers les femmes des dangers sexuels de la vie loin de la patrie. Les organisations anti-trafic produisent de nombreuses vidéos et pamphlets en direction des jeunes femmes « vulnérables ». Même quelques organisations féministes tentent de convaincre les femmes qu'elles sont plus en sécurité chez elles. La Strada, une organisation anti-trafic polonaise en relation avec GAATW, a récemment produit une vidéo qui montre les horreurs qui attendent les jeunes filles attirées involontairement à l'ouest dans les moindres détails.(La Strada Poland, 1998).

Maintenir les frontières

La perception de la menace portant sur les femmes qui voyagent à l'étranger est liée au rôle des femmes en tant que responsables de leurs familles, et de l'honneur de la nation. Grittner analyse la « panique morale » autour de «la traite des blanches» à l'aide du concept de Kai Ericson de «crise des frontières» : en des temps de stress culturel, une communauté « dessine un ensemble symbolique de parenthèses » autour de certains comportements humains, limitant ainsi le rayon d'action acceptable (Ericson cited in Grittner 1990: 7). Si l'on en croit Grittner, l'esclavage blanc représentait une partie d'une grande crise des limites américaine impliquant « les femmes, la sexualité et la famille « (1990: 8).

La notion de « crise des frontières» est particulièrement pertinente quand on considère le rôle des femmes dans la comunauté. Nira Yuval-Davis (1997) analyse les intersections entre les discours de la nation et du genre à 4 niveaux : les femmes en tant que reproductrices biologiques de la nation; le rôle des femmes dans la construction culturelle des nations, les relations de genre, citoyenneté et différence, et le caractère genré des militaires et des guerres. C'est au second niveau, celui du rôle des femmes dans la construction culturelle des nations, que peut être fait le lien entre l'utilisation par Grittner du concept de « crise des frontières» et les constructions de genre et d'état dans les discours sur « la traite des blanches et le « trafic de femmes ». Si l'on en croit Yuval-Davis :
Les femmes en particulier sont souvent sollicitées afin de porter le «fardeau des représentations », puisqu'elles sont construites en tant que responsables symboliques de l'identité et de l'honneur des collectivités, à la fois en tant qu'individu et que collectif... les femmes, par leur comportement « propre », leur habillement « propre », incarnent la ligne qui marque les frontières de la collectivité (1997: 45-46).

Donna Guy (1991), dessinant les conceptions genre/état dans Anthias et Yuval-Davis (1989), signale aussi ce lien :
La question centrale qui unissait les campagnes anti-esclavage blanc en Europe et Argentine était la façon dont les conduites sexuelles féminine définissent le comportement de la famille, les bons citoyens, et enfin l'honneur national et religieux...plutôt que de refléter une réalité complètement vérifiable, la traite des blanches était la construction d'un ensemble de discours concernant la réforme de la famille, le rôle du travail des femmes dans les sociétés modernes, et la construction genrée des politiques (1991: 35).
Aujourd'hui, les lois et la pratique font le lien entre l'honneur et la sexualité féminine, particulièrement dans les soi-disant « pays d'origine ». la « third city mission », qui agit contre le trafic des femmes nigérianes et ouest-africaine, revendique le retour aux valeurs traditionnelles de la fierté de la virginité féminine.[13]. En Roumanie, les officiers de police ont commencé à viser les travailleuses du sexe suspectes en réponse aux rapports sur les femmes roumaines victimes de trafic :
On dit aux femmes que, pour la protection de la réputation internationale de la Roumanie, on leur refusera leurs documents de voyage, et qu'elles doivent rendre leurs passeports ou être préparées à être emprisonnées ou arrêtées pour n'importe quelle raison liée à la prostitution domestique. [14]
Puisque l'honneur national dépend de la pureté sexuelle des femmes, les femmes « impures » perdent le droit d'être protégées par l'État. Depuis des siècles, les prostituées sont soumises à des lois qui leur donnent moins de droits que les femmes « pures » les moins dotées (Walkowitz 1980, Guy 1991, 1992). On attend des femmes émigrantes qu'elles emmènent l'honneur de la nation hors des frontières : quand les femmes « impures » voyagent, elles ne doivent avoir aucune illusion quand à leur protection. Ce n'est pas une surprise, alors de constater que la « vertu des femmes est au cœur des lois et actions contre le « trafic ». En Allemagne, les charges pour « trafic » sont réduites quand les femmes savent qu'elles allaient se prostituer ou qu'elles sont jugées « quasi-prostituées ». D'autres pays, comme par exemple la Colombie, L'Ouganda, le Canada, le Japon et le Brésil ont des dispositions similaires (Weijers and Lap-Chew 1997: 128-130). Quand des cas de trafic sont jugés, les avocats de la défense tentent de discréditer les victimes en mettant l'accent sur leur histoire sexuelle :
Le fait que les allégations sur le personnage et l'histoire sexuelle de la femme influent sur sa considération en tant que victime montre combien est ancrée et étendue l'idée que seules les femmes « décentes », c'est à dire « innocentes » ou « chastes » peuvent demander protection en cas de violence, viol ou abus.(Weijers 1998 :11).
Les politiques de soit-disant « pays de destination du trafic » reflètent un autre aspect des «frontières» : la peur de l' »autre » racial et culturel. Pendant la panique de la traite des blanches, le peuple des États-Unis s'est senti menacé par les vagues d'immigrants (Grittner : 1990). En Europe, la menace représentée par le socialisme et le prolétariat portait atteinte à l'hégémonie culturelle de la classe moyenne (Walkowitz 1980). Aujourd'hui, en Europe de l'ouest et aux États-Unis, se développe le sentiment que « la communauté » pourrait être menacée par l'importation de nouvelles normes culturelles par l'immigration. La situation économique, empirant dans de nombreux pays, alors que la polarité entre les pays pauvres et les pays riches augmentent, a laissé les habitants des pays riches penser qu'ils sont l'objet de la menace de hordes de « migrants économiques » prêts à leur soutirer tout ce qu'ils peuvent.
Yuval-Davis analyse le retour vers le « multiculturalisme » à l'ouest en terme de désir de rétablissement d'une identité culturelle perçue comme étant menacée( 1997: 55-64). Grittner (1990) et Stoler (1987) démontrent que c'est précisément en ces temps de crise, quand les identités communautaires sont menacées, que les politiques des frontières deviennent souveraines. Ces frontières se dessinent sur les lignes de la classe, de la race et du genre, avec le comportement sexuel comme marqueur fondamental de l'inclusion ou de l'exclusion. Stoler analyse comment les préoccupations relatives à la protection des femmes blanches augmentent dans les périodes où se perçoit une crise du contrôle colonial, et argue que le « contrôle sexuel … était... un marqueur social et racial fondamental impliqué dans un ensemble plus large de relations de pouvoir » (1987: 366). [15]
Pendant la période de « la traite des blanches » le contrôle de l'immigration passait pour être une solution au problème :
En blâmant les vilains étrangers, les américains de naissance affirmaient la pureté de base de la nation et simplifiait la solution au vice et à la traite des blanches : l'immigration devait être contrôlée et les aliens indésirables déportés (Grittner 1990:130).

Les politiques actuelles diffèrent légèrement dans la forme et l'intention. Un article récent sur la législation européenne anti-trafic est titrée, en tout ironie, « gardez vos femmes à la maison » (Weijers 1998). Une fois de plus, les mesures de protection des femmes « innocentes » sont utilisées pour dénombrer les supposées menaces faites à la société par les « mauvaises » femmes et les « autres » culturels et raciaux. Les mesures de répression de l'immigration mise en œuvre pour stopper le « trafic » incluent la limitation de l'attribution de visas aux femmes des pays « d'origine », le renforcement des politiques de contrôle aux frontières, et de lourdes amendes pour les migrants illégaux et ceux qui facilitent leur entrée ou séjour (Weijers 1998). Par exemple, à Macao, le gouvernement a décidé de combattre le « trafic » en refusant de délivrer des visas aux femmes russes (GSN: 7) en Australie, 67 travailleuses du sexe illégales ont été déportées entre juillet 1997 et février 1998 (The Australian, 23-02-98).

Derrière le « trafic »

Comme avec leurs opinions sur les travailleuses du sexe, GAATW a tenté d'altérer le paradigme des « victimes du trafic ». Comme mentionné ci-dessus, ils relèvent que la majorité des femmes qui se retrouvent en situation de « trafic » sont ou savent qu'elles seront des travailleuses du sexe. (Weijers and Lap-Chew 1990: 99). Ils élargissent aussi le concept de « trafic de femmes » afin d'inclure le travail domestique et le mariage, et le lier à des problématiques plus larges de migration économique et de défaut de ressources d'information quant à la législation du travail.
La réalité de la migration économique des femmes en direction de l'industrie du sexe et d'autres industries est complexe, embrouillée, et échappe aux explications et solutions trop simples. Cela a certainement peu de rapport avec l'interprétation stéréotypée du « trafic de femmes ». D'un autre coté, le mythe persiste précisément parce qu'il réduit un phénomène complexe à des solutions simples et des solutions simplistes : la victime et le méchant.
Dans le même temps, le mythe du trafic crée et limite l'espace discursif dans lequel ces problématiques peuvent être pensées. Le terme « trafic de femmes « est chargé de résonances mythiques, et quand une organisation telle que GAATW utilise ce terme, ce n'est pas la complexité de la migration et du travail des femmes qui se dessine dans l'esprit de l'auditeur/lecteur, mais l'esclave sexuelle « érotique-pathétique » (Murray 1998: 60). La stratégie consistant à continuer à utiliser le terme de « trafic de femmes » pour se faire de la publicité et récolter des fonds, une défense souvent utilisée par les organisations féministes qui reconnaissent l'inexactitude et les effets dommageables du stéréotype [16] utilise l'espace discursif crée par le mythe du trafic. Quoiqu'il en soit, les tentatives pour combattre le mythe en utilisant la terminologie du trafic sont de fait limités à l'espace discursif imposé par le mythe. Chaque répétition de la mention selon laquelle le « trafic de femmes » est un problème d'importance renforce notoirement les mythe que les militants essaient de détruire, réduisant ainsi en poussière tous leurs efforts.
Les conséquences dommageables de la persistance à considérer les migrations économiques féminines vers l'industrie du sexe à travers la lunette du « trafic de femmes » ont été reconnues par les militants des droits des travailleuses du sexe (Doezema 1998, Murray 1998, PROS et al 1995), et par quelques militants anti-trafic, tels que Marjan Weijers, du GAATW. Ainsi :
De plus, si l'on considère l'histoire de l'utilisation des mesures anti-trafic pour contrôler et punir les migrantes et les travailleuses du sexe, et pour restreindre leur liberté de mouvement, au lieu de les protéger de la violence et des abus, de sérieux doutes peuvent être émis quant au caractère approprié des structures anti-trafic existantes (Weijers 1998: 26).
Par conséquence, il faut focaliser les recherches sur la découverte d'une nouvelle structure pour couvrir les droits de l'homme et du travail dans la migration féminine, à la fois à l'intérieur et entre les pays, en ce qui concerne le travail dans l'industrie du sexe comme dans d'autres secteurs de l'économie (Leigh and Weijers 1998).
Un des éléments essentiels de ces nouvelles structures est l'amélioration de la situation légale et sociale des travailleuses du sexe. Vers la protection des droits des hommes et des femmes qui travaillent dans l'industrie du sexe.[17]. Les stigmates sociaux et les restrictions légales qui entourent la prostitution signifient que les travailleur-ses du sexe se voient refuser la protection légale accordés aux autres en tant que citoyen-nes et en tant que travailleur-ses la plupart des problèmes décrits par les campagnes anti-trafic, tel que les dettes, l'enfermement, la migration forcée, la déception et l'extorsion sont en fait couverts par les législations nationales et internationales existantes en matière de droits du travail et de droits de l'homme, mais ne sont pas appliquées dans le cas de l'industrie du sexe.(Bindman and Doezema 1997).

Au-delà des nouvelles lois qui focalisent sur les femmes « coupables »au dépens des « innocentes », qui restreignent les possibilités d'émigration des femmes et sont plus basées sur les intérêts des états à contrôler l'immigration et la sexualité des femmes, les politiques concernant le trafic doivent être basées sur les intérêts des femmes :
sur les droits des femmes à contrôler leurs propres corps, leurs vies, leur travail, et plus spécifiquement à migrer, décider pour elles-mêmes de travailler ou pas dans le milieu de la prostitution, et dans quelles conditions, et d'être libres de toute violence ou contrainte.(Weijers and Lap-Chew 1997: 208).

CONCLUSION

La répétition des éléments centraux du mythe de « la traite des blanches » dans les sujets relatifs aux « trafic de femmes »': innocence déçue, jeunesse et virginité spoliée, les thèmes de la maladie et de la mort, les trafiquants étrangers /noirs/juifs dépravés, montrent la direction d'une réécriture du mythe ancien. Le « trafic de femmes » est la ré-écriture du mythe de la « traite des blanches » dans une forme moderne, une nouvelle «panique morale », qui affleure dans le contexte de la «crise des frontières», et qui comprend des peurs liées à la perte de l'identité communautaire. En occident, les communautés se sentent menacées par l'immigration et le multiculturalisme; dans le tiers-monde, les communautés s'inquiètent de la menace à la tradition représentées par l'arrivée des valeurs occidentales; tandis que dans les anciens pays de l'est, c'est le passage du communisme à l'économie de marché. Partout dans le monde, les communautés sont prises dans des crises identitaires en face des déplacements, de l'immigration de masse et de la globalisation. Le mythe du « trafic de femmes « est une manifestation des tentatives de rétablissement de l'identité communautaire, dans laquelle la race, la sexualité et l'autonomie des femmes sont utilisées en tant que marqueurs et métaphores de frontières cruciales. Quoique, bien que les faits rapportés au sujet du « trafic » puissent être « vrais », ils sont en même temps mythiques, tant que les évènements sont (re)construit de façon à se conformer à la structure établie par le mythe.

En face des rapports souvent horriblement violents concernant les femmes ayant migré pour travailler dans l'industrie du sexe, il pourrait paraître un peu présomptueux de faire un pas de côté pour examiner le « trafic de femmes » en tant que discours, plutôt que de militer pour le stopper. Pourtant, les conséquences de l'ignorance des peurs et anxiétés qui sous-tendent le « trafic » sont sévères. Une des conséquences les plus graves est l'effet produit sur les femmes qui migrent pour travailler dans l'industrie du sexe. Cette migration sexuelle est, pour nombre de femmes venues des pays du tiers-monde ou non-occidentaux, une façon de développer des choix et stratégies de vie. Regarder ces femmes exclusivement en tant que victimes leur dénie le droit d'avoir prise sur leur propre vie. Au mythe de l'innocence des esclaves blanches s'est rajouté la « différence tiers-mondiste », supposée être constituée d'ignorance, de respect de la tradition, et de réactionnisme sexuel (Mohanty 1988: 22).

Le mythe de la « traite des blanches »/ » du trafic de femmes » se prévaut ostensiblement de la protection des femmes, bien que les préoccupations morales sous-jacentes tiennent plutôt à leur contrôle. Les politiques utilisées pour « stopper le trafic », et qui se basent sur la notion mythique de « coercition des innocents » et de « diaboliques trafiquants étrangers » , servent à renforcer les constructions des relations genre/état qui déterminent que la pureté et la dépendance des femmes sont essentielles au bien-être de la famille et de l'honneur national. Une fois admis que les dettes et autres pratiques liées à la traite, quand elles adviennent, sont en fait des problèmes de femmes travaillant déjà en tant que travailleuses du sexe, ou qui prévoient de le faire, on ne peut dénier que ces pratiques contreviennent à leurs droits de travailleuses du sexe.
Quoiqu'il en soit, c'est inconcevable pour beaucoup de militants anti-trafic et de gouvernements : c'est une chose de sauver « d'innocentes victimes du trafic » ; c'en est une autre de reconnaître que les travailleuses du sexe « fautives » méritent le respect de leurs droits en tant que travailleuses, femmes et migrantes.
Les femmes qui migrent pour les besoins de l'industrie du sexe peuvent être libérées des violations de leurs droits humains seulement si elles sont d'abord libérées de leurs contraintes mythiques.
Elles ne peuvent plus être considérées seulement comme le canevas sur lesquelles la société projette ses peurs et ses anxiétés ; elles ne peuvent plus être définies comme innocentes, a-sexuelles, « mineures », ou en tant que sexe dominé de pays arriérés ; mais comme des agents acteurs doté de la capacité de penser, d'agir et de résister.

Jo Doezema
Institute of Development Studies
University of Sussex, Brighton, UK

International Studies Convention
Washington, DC, February 16 - 20, 1999

Gender Issues, Vol. 18, no. 1, Winter 2000, pp. 23-50.


Traduction par Gast d'un texte en anglais publié sur cette page :

http://www.walnet.org/csis/papers/doezema-loose.html

Première partie : Femmes de mauvaise vie ou femmes perdues ? ( 1 )
Deuxième partie : Femmes de mauvaise vie ou femmes perdues ? ( 2 )

Abréviations
CATW - Coalition Against Trafficking in Women
CD Acts - Contagious Diseases Acts
COIN - Centro de Orientacion Integral
GAATW - Global Alliance Against Trafficking in Women
GSN - Global Survival Network
HRW - Human Rights Watch
IMADR - International Movement against All Forms of Discrimination and Racism
IOM - International Organization for Migration
NIS - Newly Independent States
NVA - National Vigilance Association
SAP - Structural Adjustment Programme

Ecrit par libertad, à 22:50 dans la rubrique "Le privé est politique".



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