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L'En Dehors


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Déviance en société libertaire
--> Avant propos et présentationde la brochure d'ACL
AVANT-PROPOS
D'abord, peut-être, rappeler une évidence: l'organisation sociale actuelle n'est pas juste. Outre qu'elle contraint à la famine ou à la misère une bonne partie de l'humanité, elle fait, dans les pays "développés", de la consommation de biens en partie inutiles, la preuve de l'existence. En excluant de cette consommation une grande partie de ceux devant qui elle est exposée, elle fait naître, ou entretient, l'envie, qui est le plus sûr soutien du pouvoir établi et de la pérennisation de l'ordre en place.
Voyez toutes ces marchandises dans nos vitrines! Voyez tous ces diplômes présentés dans nos écoles! Sans eux vous n'êtes rien. Rien d'autre que des non-êtres que seule leur non-existence peut faire remarquer. Qu'importent vos pensées, vos désirs, vos possibilités créatrices. Ce qui compte, ce sont ces biens qui seuls vous permettront de paraître et d'être reconnus. Ces biens, ils sont là, tout près, à votre portée. Presque. Il suffit d'un peu de patience, de soumission, de beaucoup de travail, de mérite.


Ce n'est pas vrai! Chacun sait bien, même s'il fait semblant de l'ignorer, que la logique et la construction même du système exigent que tous n'aient pas accès à ces biens, et que certains en soient même carrément exclus, et réduits à une bienveillante prise en charge qu'ils paient d'une humiliante soumission.

Quelques-uns "dévient". Certains n'ont pas compris la règle du jeu,et ce qui est là, juste exposé au désir de consommation, ils décident de le consommer tout de suite. D'autres ont trop bien compris la règle et ont décidé de façon brutale et pour leur propre compte, sans attendre et sans passer par les canaux policés, de se saisir du bien ou de la vie d'autrui. Ce n'est pas que ces biens ou ces vies aient une valeur particulière mais, pour trafiquer avec, il y a des lieux prévus, qui s'appellent commerce, finance, guerre, etc. D'autres enfin n'avaient pas le choix, ils avaient faim.

Il importe alors qu'il y ait des prisons. Non pour leur valeur dissuasive, personne n 'y croit plus, non plus qu'à l'éventuelle réparation d'un dommage. Mais pour signifier qu'il y a un ordre, que l'on ne peut impunément transgresser. Et pour réintégrer d'une manière symbolique le déviant dans cet ordre. "En considérant (...) que la peine contient son droit, on honore le criminel comme un être rationnel", écrit Hegel (Principes de la Philosophie du Droit), qui dit aussi, en substance, que ce qui est toujours ce qu'il y a de mieux. Ainsi le "criminel" se retrouve enfermé ; et, rétabli dans sa dignité d'homme, il peut bénéficier des brimades et humiliations qui caractérisent la prison.



Pourtant...

Aucune organisation sociale, si perverse soit elle, ne peut à elle seule faire naître en l'homme une pulsion ou une tendance qui ne s'y trouverait pas, du moins comme possibilité. Du reste, toute organisation sociale est création humaine. Enfin, la déviance économique, évoquée jusqu'ici, n'est pas la seule. Il y a, par exemple le viol, le crime passionnel, etc. Un point commun, pourtant, à toutes ces formes dedéviance: le désir de posséder, de dominer. Possession et domination qui sont peut-être les deux valeurs qui structurent notre organisation sociale actuelle, et que certains ont pris à la lettre au lieu de passer par leurs expressions policées.

Il existe aussi d'autres déviants dont la destination naturelle n'est pas forcément la prison. Ce sont ceux pour qui ces valeurs n'ont aucun sens et qui se retrouvent, par exemple, à l'asile psychiatrique. D'autres enfin, dont certains sont parmi nous, revendiquent cette déviance et son sens.

Tout ça pour dire que la déviance ne se conçoit pas sans la normne et que celle-ci résulte d'un consensus plus ou moins passif autour de valeurs qui, à une période donnée, dans une société donnée, structurent notre façon d'agir et de penser. Je veux dire que la déviance, comme manière d'être ou de penser n'est pas créée par la société, mais que sa définition en tant que déviance est donnée par une forme déterminée de celle-ci.

Une société anarchiste s'appuierait (s'appuiera?) sur d'autres valeurs que celles qui dominent aujourd'hui. Ces valeurs qu'on peut regrouper à peu près autour de la solidarité, de l'ouverture à autrui, de la liberté individuelle, gages et conditions de la liberté de tous, existent dès à présent. Mais elles sont en quelque sorte clandestines, réservées au domaine des relations privées. Les anarchistes proposent d'en faire des valeurs publiques, qui régissent et structurent les relations entre les êtres humains et l'organisation sociale. Ils croient que le bonheur de tous exige le bonheur de chacun, et que la liberté de chacun est indissociable de la liberté de tous. Ils croient que ce sont là des buts que l'humanité en général et chacun en particulier auraient tout intérêt à se proposer.

Mais les anarchistes n'ont aucune certitude quant à une échéance. Ils savent que cette voie est souhaitable et possible, mais non si elle est souhaitée et considérée comme possible par la majorité de leurs "frères en humanité" (ainsi qu'écrirait Godwin). Ils n'ont que leur raison et leur conviction pour s 'adresser à ceux-ci. Et ni l'une ni l'autre ne peut affirmer que la tendance à la domination puisse un jour disparaître à tout jamais. Elles ne peuvent pas même affirmer que demain je ne frapperai pas ou n'humilierai pas celui qui se trouvera en face de moi pour la simple raison que sa tête ne me revient pas.

Peut-être, l'anarchie ce n'est pas le bonheur et l'harmonie tout entiers et tout de suite, mais leur revendication absolue et la certitude de sa possibilité. Peut-être, en 2009, ne serons-nous pas en société anarchiste mais, espérons-le et tendons nos efforts vers ce but, dans une société qui offrira plus de possibilités qu'aujourd'hui à la réalisation des virtualités anarchistes.

Une société sans lois? Ce n'est pas sûr. Et ce n'est peut-être même pas souhaitable, si du moins on redonne au terme de lois sa signification originelle de lien, et non de règle absolue, voire arbitraire, comme c'est le cas aujourd'hui. Des lois donc, constamment remises en question et rediscutées par ceux qui les constituent. A chaque moment de leur histoire, les humains qui vivent en communauté conviennent, le plus souvent implicitement (et c'est sans doute alors que le danger est le plus grand) de certaines conventions dont le but premier devrait être de rendre les rapports entre eux plus faciles et plus enrichissants et de permettre que les conflits trouvent une solution nouvelle. En société anarchiste, il restera sans doute difficile de convaincre certains que le choix du bonheur est préférable à celui du malheur. Quelques-uns, par leurs actes ou par leurs paroles, déclareront ne pas accepter ces conventions et préférer, par exemple, un monde où la domination reste la loi. Ce choix ne fait pas d'eux l'incarnation du mal absolu. Ils disent ainsi aux membres de la communauté que l'accord implicite qu'ils avaient passé n'a pas de valeur absolue, qu'il n'est pas de nature divine. Le criminel ou le violeur, même en société anarchiste, me rappellent que le viol et le crime sont pour moi aussi des choix humains possibles. Ils affirment ainsi ma liberté.

Pourquoi ne pas souhaiter, même, qu'une société anarchiste engendre d'autres formes de déviance, jusque-là inconnues, et qui témoignent ainsi des possibilités infinies de l'être humain de liberté et de créativité,dans une société qui serait, enfin, sans cesse en question et en mouvement.

Peut-être ne pouvons-nous faire autrement que de mettre l'autre (celui que nous appellerons "déviant" à l'écart lorsqu'il menace une cohésion encore fragile et risque de peser à l'encontre d'une évolution que, raisonnablement, nous jugeons souhaitable. Peut-être, lorsque la liberté et le respect d'autrui ne sont pas suffisamment affermis, devons-nous éloigner ceux qui rappellent que la servitude est un choix toujours possible. Peut-être même pouvons-nous choisir de l'éliminer. Nous ne pouvons en tout cas faire l'économie d'entendre sa parole et de l'entendre comme une parole d'homme.

Alain Thévenet (A.C.L)

PRESENTATION

Nous avons choisi volontairement de situer ce débat dans un cadre précis, celui d'une réflexion assez peu abordée aussi bien aujourd'hui que jadis: les formes de la déviance et ses traitements en société libertaire. Ce débat se place délibérément en parallèle avec les luttes qui sont menées au quotidien par de nombreux prisonniers.

Reprenons, à cet égard, l'appel à cette rencontre paru dans le numéro de l'été 1991 du Monde libertaire ayant pour titre « La prison en société anarchiste, mythe ou réalité » ?

Pour avoir tâté aussi bien de la paille humide des cachots d'antan quede l'univers électronique et informatisé d'aujourd'hui, les anarchistes n'ont jamais été en reste dans la dénonciation de l'univers carcéral. S'ils ont une idée précise et juste de la prison, il faut reconnaître qu'en matière de propositions alternatives, ils n'ont jamais fait preuve d'un grand esprit d'initiative... Mais, après tout, était-ce leur rôle?

"La question de la prison en société anarchiste reste posée. Là, comme ailleurs, l'angélisme n'est pas de mise. Il ne sert à rien de chercher à éluder des questions (qui nous sont posées dès aujourd'hui) en espérant que, en société libertaire, tout ira pour le mieux dans le meilleur des mondes...

Au-delà de la condamnation (par principe) de toutes les formes

d'enfermement, il nous faut réfléchir à la gestion de la déviance (concept plus large que celui de délinquance et de crime) dans le contexte d'une société sans classes ni Etat, une société fondée sur des principes d'égalité, de liberté et... d'entraide, où toutes formes de domination, d'exploitation de l'homme par l'homme auront disparu.

"Nous partons du principe que toute société sécrète sa propre déviance et qu'une société plus libre et plus juste n'échappera pas à cette règle. De plus, nous pensons qu'une caractéristique de la société libertaire sera sa faculté à admettre cette déviance puis sa capacité à en faire un des éléments moteur d'une évolution permanente.

"Alors? Alors, nous devons nous poser en cascades toutes sortes de questions et tenter d'y répondre tout en sachant que nous sommes encore, malgré toutes les prises de conscience politiques et toutes les connaissances sur la psychologie de l'homme, au début d'une vaste réflexion qui engage sur bien des points la crédibilité de ce que d'aucuns nomment l'utopie.

"Existe-t-il une éthique de l'homme qui puisse prétendre à une adhésion suffisante pour que ses transgressions soient minimes et supportables par la collectivité, le groupe, l'individu? L'éthique anarchiste faite de contrats libres et de solidarités peut-elle être celle-là?

"A partir de quel moment, celui qui refuse tout, ou partie des règles de vie, devient-il une menace pour la collectivité qui l'accepte en son sein? Quels types de traitement, au sens large, peut mettre en place une société basée sur des principes libertaires sans se renier elle-même ? Et,malgré tout, quelles délinquances, quels crimes, quels délits engendrera la société libertaire chez ceux qui la composeront?

"Ces questions et toutes celles qui en découlent, les anarchistes doivent se les poser dès aujourd'hui, sans hypocrisie ou faux-fuyants,sous peine de rester aux marges du monde de demain..."

Nous souhaiterions donner des éléments de réponse à ces questions dans nos interventions, mais nous comptons aussi, bien évidemment,sur votre concours tout au long de cet après-midi.

L'ordre du jour s'organise de la manière suivante: nous avons séparé le débat en deux parties. La première pourrait s'intituler Nature et formes de la déviance. Nous essaierons d'analyser les spécificités en société anarchiste.

La seconde se focalisera sur nos propositions en matière de traitement des déviances.

Le premier point sera introduit par Gaetano Manfredonia, avec les analyses théoriques des penseurs libertaires qui se sont penchés sur ce sujet. Nous passerons ensuite à une étude un peu plus large de la notion même de déviance en société anarchiste. Là, nous ferons appel à Miguel Benasayag.

Enfin, le deuxième point sera impulsé par les deux compères, Serge Livrozet et Jacques Lesage de La Haye, qui apporteront différents types de réponse que la société libertaire pourrait imaginer et la question de sa déviance spécifique.

J'espère que tout le monde en tirera profit. Nous saluons, quant à nous,les auditeurs de Radio libertaire et, en particulier, tous ceux qui,prisonniers, n'ont pas pu être parmi nous cet après-midi. Ils peuvent suivre ce débat par l'intermédiaire des ondes de Radio libertaire.

Dernière précision, nous avons reçu une lettre d'Yves Lovicani. Pour ceux qui écoutent l'émission Ras-les-Murs depuis quelques mois,voire depuis plusieurs années l'ancienne émission Prisons, c'est un nom de détenu qui leur rappellera des souvenirs. Yves Lovicani a fait partie des militants de l'Association syndicale des prisonniers de France, en 1985, et des mutins de Saint-Maur, en 1987. Sa lettre était Adressée à l'AGECA, où a lieu cette rencontre. Ils participent donc par écrit au débat.

Pour commander la brochure cliquer ici

Ecrit par , à 11:46 dans la rubrique "Pour comprendre".

Commentaires :

  Rakshasa
23-02-07
à 15:34

Le problème de la « déviance » en société libertaire

Trouvé ici pour amener de l'eau au moulin: http://lille.cybertaria.org/article264.html


Le problème de la « déviance », de la « criminalité » dans une société libertaire, ainsi que les moyens d’y faire face, est central. À travers cette question il s’agit de répondre à un certain nombre d’objections, mais aussi plus généralement de montrer la viabilité du projet anarchiste tout entier : une organisation sociétaire sans État ni loi ni aucune autre contrainte économique ou morale.

Une société anarchiste ne pourrait tolérer en son sein ni institution ni organisme de contrainte (à caractère juridique ou non) sans se nier elle-même. Contrairement aux autoritaires, nous considérons l’exercice de la plus grande liberté individuelle possible non seulement comme étant compatible avec les impératifs ou exigences de la vie en société, mais encore comme étant souhaitable et imprescriptible. Il serait cependant erroné de nous en tenir à ce constat.

La criminalité, problème social

Le discours anarchiste sur la déviance est à la fois riche en perspectives de convivialité, mais relativement "pauvre" par rapport aux solutions pratiques qu’il fournit. Schématiquement, on peut dire que les libertaires se sont essentiellement efforcé-e-s de montrer d’un côté le caractère social de la criminalité, et de l’autre l’aspect inefficace, nuisible et contraignant de tout système coercitif pénal ou juridique. Aujourd’hui l’existence de mécanismes de répression ne fait que codifier-organiser la vengeance de l’individu-e ou de la collectivité, mais elle est incapable de prévenir le crime ou de le supprimer. La punition que la société inflige aux déviant-e-s n’éduque personne et se révèle socialement nuisible. Pour nous, il ne saurait y avoir de meilleur remède contre la « criminalité » que de s’attaquer aux causes qui l’ont engendrée. L’exploitation et l’État n’existant plus dans une société libertaire, la plupart des motifs actuels générateurs de crimes viendraient à dépérir d’eux-mêmes. Par contre, il se créerait à la place une société qui saurait trouver et développer des sentiments d’entraide et de coopération réciproques rendant ainsi superflue, par la pratique de la solidarité, toute forme de contrainte institutionnelle. Alors se pose inévitablement la question de savoir comment seront gérés les conflits inter-individuels aujourd’hui pris en charge entre autres par l’institution judiciaire. Se pose également la question de savoir comment une telle société réagira aux comportements de déviance.

Qui est fou ?

Qu’est-ce qu’un-e déviant-e, un-e criminel-le dans une société sans classe ni État ? Déviant-e et criminel-le par rapport à quoi ?

Un acte ou un comportement est « déviant » dans la mesure où il porte atteinte à des valeurs communes. Les anarchistes devraient-ils sanctionner ceux ou celles qui refusent l’égalité économique et sociale en attendant que la pression de la majorité libertaire les fasse changer d’avis ? Faut-il considérer comme seuls répréhensibles les actes « antisociaux », c’est à dire ceux qui s’attaquent directement aux conditions mêmes de la vie collective ? En cherchant à définir l’acte antisocial, on court le risque de généraliser et de nuire à la liberté individuelle. Il existe une sorte de niveau minimal d’atteinte portée aux membres d’une collectivité (comme l’assassinat ou le viol, actes antisociaux par définition) au-delà duquel les intérêts de celle-ci sont en jeu et qui donc nécessite une réponse « appropriée » de sa part. Mais ce seuil de violence primaire peut être plus ou moins extensible. Il n’y a pas d’acte antisocial en soi, et croire pouvoir circonscrire les comportements déviants (et la juste riposte de la société) au simple exercice direct et injustifié de la violence sur des êtres vivants ou sur des biens collectifs, n’est pas forcément un critère opérationnel (quand commence la violence ?).

Le traitement de la déviance

Cela dit, la question du « traitement » du transgresseur ne doit pas être abordée sous un angle juridique ni moral, mais tout au plus en termes de défense du corps social et de réparation de l’éventuel dommage infligé à autrui. Il ne s’agirait ni de punir ni de venger la société, mais seulement de faire en sorte que cessent les atteintes portées contre elle, c’est-à-dire assurer le maintien des conditions permettant l’existence de la société libertaire. Les libertaires qui se sont penché-e-s sur la question ont souvent mis l’accent sur des modalités de traitement de la déviance à partir de mécanismes de contrôle informel, visant à remplacer la peine ou le jugement par une sorte de pression morale exercée par les membres de la communauté. En bref, une gestion collective du contrôle de la transgression qui permet sa réabsorption ou sa prévention sans faire recours à aucune forme de coercition matérielle. Cependant, s’en remettre dans ce domaine à tou-te-s et à personne, ou « à l’esprit d’initiative » des masses, n’est pas une solution satisfaisante et s’avère soit impraticable, soit ambigu (non seulement cette pression est une forme de coercition, mais qu’est-ce qui garantit sa rationalité ?). Qui s’en charge, à partir de quels critères ? Des solutions concrètes peuvent et doivent être élaborées.

Le développement de la société libertaire implique non seulement de supprimer les institutions juridiques actuelles (police, prison, magistrature, asile) mais d’empêcher qu’elles se reconstruisent sous une forme déguisée. Nous ne pouvons promouvoir le maintien ou la constitution d’organismes spécialisés et stables auxquels seraient dévolus par la collectivité le rôle d’établir ou de rétablir l’ordre. De même, hors de question de maintenir des formes de fichage, même limitées et temporaires. À plus forte raison, une société anarchiste ne saurait tolérer l’exclusion ou la « ségrégation » de déviant-e-s jugé-e-s irrécupérables. Il semble toutefois nécessaire qu’existe un espace collectif égalitaire de résolution des conflits, non pas fondé sur la spécialisation ni sur des lois, mais au coup par coup en fonction des circonstances et visant à préserver la collectivité comme l’individu-e.

Il s’agit surtout d’éviter la mise en place de tout mécanisme de ségrégation ou d’enfermement, même sous forme de traitement « en douceur » ou de rééducation des déviant-e-s. En effet, toute idée de « thérapie sociale » systématisée présente des risques de manipulation de l’individu-e et ne peut donc être retenue, au risque de dériver vers un nouvel ordre moral. Le soin psychologique des « déviant-e-s » peut s’avérer utile, en excluant toute idée de stigmatisation et d’enfermement (comme la camisole chimique) et en prenant en compte l’environnement social, matériel, de l’individu-e.

Le pari de la liberté

Toute société a ses déviant-e-s, ses luttes, ses violences et la société anarchiste aura aussi son lot à elle. La déviance n’est pas un simple résidu des contradictions actuelles, un « déchet » qu’il serait possible de résorber petit à petit. Le conflit, l’antagonisme, ne sont pas forcément destinés à disparaître, la déviance ne doit pas être forcément considérée comme allant à l’encontre de rapports sociaux libertaires et égalitaires. En effet, deux types de déviance doivent être distingués : l’une contraire aux fondements de la société libertaire et à la liberté de l’individu-e, et une déviance salutaire.

Une société anarchiste peut être envisagée comme une société de « déviant-e-s », c’est-à-dire qui s’appuie non pas sur l’adhésion passive de ses membres à un corpus de normes dites libertaires, mais qui fait de la transgression, de la valorisation de la diversité, à la fois le moteur et le ressort essentiel de toute la dynamique sociale libertaire.

Cela signifie pas qu’il n’y aurait aucune garantie et que chacun-e serait à la merci de l’autre. Mais le droit d’autodéfense de la société, la réaction légitime du corps social, ne pourrait se concevoir que si circonscrite, si possible, aux seuls domaines où il y aurait eu manquement à des engagements librement contractés. Loin de toute abstraction, la résolution des conflits en société libertaire ne devrait concerner que des questions pour lesquelles des individu-e-s ont consenti des engagements directs.

Concrètement, chaque membre de la collectivité devrait par exemple consentir à ne jamais exercer de contrainte physique sur autrui, et le cas échéant s’engager à quitter la collectivité selon un principe de pacte fédératif.

De toute façon la seule force autorégulatrice de la société ne saurait être que la liberté elle-même.

Une telle approche est loin d’épuiser la question. Pour autant, occulter la question de la déviance en société libertaire en prétextant que la révolution sociale détruira la cause de tous les crimes, c’est mettre en péril la survie de cette révolution. La société future doit prévoir des modalités de défense contre les atteintes internes ou externes portées contre elle.

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  beria
23-02-07
à 19:23

Re: Le problème de la « déviance » en société libertaire

"La question de la prison en société anarchiste reste posée. Là, comme ailleurs, l'angélisme n'est pas de mise. Il ne sert à rien de chercher à éluder des questions (qui nous sont posées dès aujourd'hui) en espérant que, en société libertaire, tout ira pour le mieux dans le meilleur des mondes..."

"Ces questions et toutes celles qui en découlent, les anarchistes doivent se les poser dès aujourd'hui, sans hypocrisie ou faux-fuyants,sous peine de rester aux marges du monde de demain..."

J'espère que le contenu de la brochure est à la hauteur de ces déclarations d'intention, car c'est une question absolument fondamentale, et je salue le courage de l'ACL de publier pareille brochure.


Le texte des camarades Lillois que Rakshasa a posté pour alimenter montre la grande difficulté a aborder bille en tête le problème.  En effet au milieu de toutes les formulations d'usage emerge comme seule proposition concrète le bien connu départ du (mauvais) déviant, qui plus est présenté ici comme volontaire (?), ce qui globalement repose sur une vision assez "provinciale" du fédéralisme, celle ou il y aurait toujours un ailleurs, le déviant (à la mauvaise déviance ou à la déviance "non constuctive") serait comme une sorte de paquet cadeau que les communautés se refileraient mutuellement, il circulerait dans des interstices "non fédérés", cela ne fait pas grand sens, même s'il est vrai que pourvu d'échapper à l'idée de ségrégation ou d'enfermement, on est tentés d'aller très loin.

Il me parait tout à fait irréaliste de considérer que la (mauvaise) déviance puisse se regler en dehors de la communauté, irréaliste, dangereux, et aussi, en fait, inhumain.

Une fois tous les principes posés, les valeurs libertaires affirmées et réaffirmées, la question de pose de savoir ce que l'on fait de notre tueur récidiviste ou de notre tabasseur à répétition,  il y en aura bien,  sur 6 ou 10 miliards d'individus, au moins 1 ou 2 :-) , il faut donc y penser sans (lui) indiquer une porte - du village d'Asterix -qui ne mène nulle part, qui n'existe pas.

La meilleure facon de se prémunir contre des prisons libertaires, c'est de penser AVANT par quoi les remplacer, APRES il sera peut-être trop tard.     

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  Vladimiryapadchef
24-02-07
à 00:10

Re: Le problème de la « déviance » en société libertaire

Donc, pour commencer, merci d'avoir publier cet article. Et merci à Rakshasa d'avoir enchérit avec son lien.

beria , je ne sais pas si la brochure sera à la hauteur de ce que ces extraits t'ont suggérés, mais elle vaut vraiment le coup d'être lue. Je suis d'accord avec toi : "La meilleure facon de se prémunir contre des prisons libertaires, c'est de penser AVANT par quoi les remplacer, APRES il sera peut-être trop tard."

Après ? La brochure en évoque un exemple tres concret, racontée par Aristide Lapeyre, et se déroulant pendant la révolution espagnole. Pour résumer, un milicien viole une femme. Que faire puisque les anarchistes venaient de détruire les prisons ? Pas le mettre en prison, pas le laisser en liberté non plus... Et 3 mois plus tard, lorsqu'Aristide Lapeyre revint sur les lieux de ce drame et qu'il demanda ce qu'ils avaient fait du violeur, on lui répondit : "oh! on l'a lynché !"

Y'avait bien d'autres choses à penser à cette époque hin... Toutefois, cet exemple me semble trop radical ( ou pas assez selon le sens qu'on donne au mot radical ).

Y réflechir AVANT donc. Oui, c'est bien l'objectif de cette brochure. C'est aussi ce qui me semble distinguer les anarchismes des théories marxistes, prévoir, anticiper un maximum sans enfermer, toutefois, les personnes qui seront vraiment confrontés aux problèmes dans des dogmes dont il serait hors de question de les remettre en cause. Les situations pouvant effectivement être différentes de tout ce qu'on avait prévu.

Pour ce qui concerne les déviances et leurs propositions de solutions dans une société libertaire, une première objection me vient à l'esprit. On la trouve formulée par Catherine Baker par exempe. "Se demander :"que faire des criminels ?" est une question criminelle !" Je m'suis toujours demandé si cela voulait dire que je n'devais pas me la poser, parce que bien entendu, j'ai pas envie d'être un criminel. Mais bon, finalement, je n'parviens pas à cesser de me la poser. L'exemple de la révolution espagnole me parle.

Les propos de Proudhon aussi, particulièrement ceux m'exposant tout le contrat social [ idée générale de la révolution sociale au 19ème siècle, reproduit dans ni dieu, ni maitre, p106 du 1er tome, collection maspero // c'est juste pour faciliter la vérification des sources hin ;-) ]

""Si tu refuses, tu fais partie de la société des sauvages. Sorti de la communion du genre humain, tu deviens suspect. Rien ne te protège. A la moindre insulte, le premier venu peut te frapper, sans encourir d'autre accusation que celle de sévices inutilement exercés contre une brute"

Pas vraiment une révélation, et je n'me vois pas accompagner une révolution posant ce principe.

Pour continuer sur les citations, les propos de James Guillaume aussi me parlent. J'vais les résumer puisqu'ils sont dans la brochure ( page 33 ). Cette fois, le meurtrier ou bien l'auteur d'actes violents, il faudra le priver de sa liberté, dans une maison spéciale, le temps qu'il puisse être rendu à la société sans danger.

Là non plus, le principe ne me convient absolument pas. On pourrait multiplier les citations sur la pression exercée par tous les membres comme l'évoque le lien des "camarades lillois". Je citerai donc seulement ces derniers :

""Loin de toute abstraction, la résolution des conflits en société libertaire ne devrait concerner que des questions pour lesquelles des individu-e-s ont consenti des engagements directs.

Concrètement, chaque membre de la collectivité devrait par exemple consentir à ne jamais exercer de contrainte physique sur autrui, et le cas échéant s’engager à quitter la collectivité selon un principe de pacte fédératif.""

Comme dit beria, ça fait un peu paquet cadeau que se refilent les communautés. En termes plus clairs, c'est ni plus ni moins que l'exclusion qui est proposée comme solution.

Bref, peine de mort, sévices inutiles, privation de liberté, exclusion systématique : y'a t-il vraiment quelque chose là-dedans respectant les "fondements d'une société libertaire" ?? Si oui, quoi ?

Déviances salutaires, déviances contraires, oui, ok... Deux personnes se battent, une tombe et meurt : qu'est-ce qu'on fait ? Un groupe de copains de cette victime veut la venger : qu'est-ce qu'on fait ? On est dans quel type de déviance là ? Où commence la violence ? Et où commence le viol alors aussi ( tant qu'on y est ) ? Une femme s'est fait violer mais ne sait pas par qui. Donc qui cherche ? Qu'est-ce qu'on fait ?? On veut ficher personne : un militant bourgeois qui avait accepté le pacte fédératif crament plusieurs batiments d'une même ville, il serait exclu nous dit-on. Et dans la ville où il ira, il faudrait pas qu'ils soient au courant ? C'est le bouche à oreille qui remplacerait les fichiers d'aujourd'hui ? Pas de fichiers, mais il faudra bien prévenir les copains de l'autre cité.

Le pari de la liberté, de la réparation. Oui, c'est aussi celui de Jacques Lesage de La Haye. Il rajoute d'autres notions, en particulier celle du droit libertaire, celle de l'accompagnement ( qu'il différencie des thérapies sociales évoquée dans le lien de Rakshasa. ). Mais aussi la conciliation, la négociation, la réparation dont l'animateur de l'emission sur les prisons Ras Les Murs pensent pouvoir tirer de nombreux exemples auprès d'un pénologue hollandais, nommé Louk Hullsman. Sans oublier un élément incontournable des pistes qu'il propose : les maisons de la cité, lieu ouvert qui permettrait d'accompagner le déviant donc. Ce lieu me parait une alternative plus concrète que l'exclusion systématique. L'exclusion pouvant également être retenue comme piste. Il y aura bien une ou deux cités libertaires ( sur les centaines de milliers ;-)  ) qui ne voudront compter aucun violeur parmi leurs membres et, parallèlement d'autres cités qui se batiront à l'écart de toute notion de culpabilité, et où un violeur bien accompagné pourrait comprendre les souffrances qu'il a occasionnées et en venir à ne plus vouloir recommencer. A moins qu'on ne m'apprenne que la récidive est ici inéluctable.

Voilà, j'ai assez vidé mon sac pour le moment. J'espère seulement ne pas vous avoir écarté l'envie de lire cette brochure. A+ Et encore merci pour l'acceuil de l'équipe! 

  


Répondre à ce commentaire

  Vladimiryapadchef
24-02-07
à 04:23

Pour info...

J'ai pris contact avec les Ateliers de Création Libertaire qui m'ont confirmé qu'ils allaient bientot rendre disponible en téléchargement sur leur site la brochure "déviance en société libertaire". Toutes les autres brochures en téléchargement, c'est ici donc.

Répondre à ce commentaire

  Anonyme
24-02-07
à 13:46

Pour info... bis.

Il semble que le lien de rakshasa trouve son origine ici. Le texte est plus long, ne vient pas de camarades lillois, mais parisiens et je pourrai en avoir besoin pour la suite.

Répondre à ce commentaire

  Vladimiryapadchef
24-02-07
à 14:19

Re: Pour info... bis.

C'est moi l'auteur du commentaire plus haut.

Citation du groupe anarchiste paris 15è :

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Au contraire, nous pensons même que dans une certaine mesure une société anarchiste peut-être envisagée comme une société de "déviants"; c'est-à-dire qui s'appuie non pas sur l'adhésion passive de ses membres à un corpus de normes dites libertaires, mais qui fait de la transgression, de la valorisation de la diversité, à la fois le moteur et le ressort essentiel de toute la dynamique sociale libertaire. Une société qui au lieu d'exclure ou de marginaliser celui qui est en-dehors des normes, vit avec. Mieux encore, on pourrait dire qu'elle est fondée sur un état de déviance généralisée. De ce point de vue, nous pensons que l'on puisse parler de normalité de la transgression en société anarchiste et non pas d'anomalie.

Cela ne veut pas dire, bien entendu, qu'il n'y aurait de garantie d'aucune sorte et que chacun serait à la merci de l'autre. Mais le droit d'autodéfense de la société, la réaction légitime du corps social, ne pourrait se concevoir que si circonscrite, si possible, aux seuls domaines où il y aurait eu manquement à des engagements librement contractés.

Débarrassées de leur approche abstraite, ne devraient concerner à la limite que des questions pour lesquelles des individus ont contracté des engagement directs.

Il s'agirait de préconiser une sorte de modus vivendi sur des bases contractuelles et fédératives qui fixeraient ou délimiteraient les droits et devoirs de chacun. Pacte ou contrat desquels seraient exclus tout jugement moral et autour desquels il serait possible de réaliser un embryon de droit contractuel substituant le principe de la punition par celui de la restitution réparation des dommages provoqués.

De toute façon la seule force autorégulatrice de la société ne saurait être que la liberté elle-même.

Nous autres, anarchistes, prenons le risque de la liberté.

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J'me disais bien qu'Alternative libertaire de Lille ne pouvait pas autant pomper que ça... C'est tres différent du paquet cadeau qu'on se refile à chaque rupture "grave" de pacte, n'est-ce pas ? Dans le lien que j'ai mis au commentaire précédent, il y a plusieurs notions qui sont évoquées dans la brochure également.

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  Vladimiryapadchef
25-02-07
à 01:45

Re: Pour info...

Voilà, la version librement téléchargeable de la brochure "déviance en société libertaire" est disponible sur le site d'ACL

Bonne lecture ;-)

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