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L'Interdit, webzine lillois : "C’est dans les Fonderies de Saint-Dizier que furent coulées en 1889 les entrées du métro de Paris conçues par Hector Guimard, le grand maître de l’Art nouveau.
Aujourd’hui, l’entreprise est spécialisée dans les fontes de voirie et de bâtiment : tuyau de visite avec clapet de retenue, siphon à panier cloche, avaloir vertical rond, siphon de cour, regard de citerne, regard de trottoir, grille ventouse… Un vrai inventaire à la Prévert.Vue de la cour, l’usine dégage une impression d'abandon : les lieux paraissent déserts, quelques blocs, de simples hangars, des murs de briques noircies, des toitures en bois, des structures et poutres métalliques.C’est seulement en se rapprochant des installations qu’on commence à percevoir la rumeur d'une activité industrieuse.
La première chose qu’on découvre, à l'entrée du premier hangar, c’est un étrange amoncellement : un cône de ferraille, des chutes de fontes et d'acier. Les autochtones l'appellent le “parc à matière”. Une fonderie fonctionne selon le principe du recyclage ; elle réintroduit dans le cycle de la production ses propres déchets et ceux des autres usines, ainsi que des pièces usagées. De ce hall de stockage, on peut accéder à la “plate-forme” de fusion où un “opérateur”, depuis une cabine équipée d'un moniteur vidéo et de manettes de commandes, actionne un électro-aimant, fixé sur un pont roulant, avec lequel il transfère les déchets métalliques vers une benne. Une fois le poids de cinq tonnes atteint, la ferraille est déversée au fur et à mesure du processus de fusion dans un four à induction électrique, un “creuset”, où la température est portée à 1500°. Il faut compter environ une heure pour fondre le tout.
Une chose qu'il faut absolument raconter, c'est la lutte de l'ouvrier avec le métal en fusion, l'énergie avec laquelle il tourne une sorte d’énorme cuillère dans la cuve du four. De temps à autre, Il y jette une matière sableuse qui fait remonter les impuretés à la surface du feu liquide, où elles durcissent aussitôt. Alors, d'un geste sûr et rapide, dessinant dans l'espace une large courbe lumineuse, il extrait de la lave métallique d'imposants blocs d'impuretés encore rougeoyants ; tout cela dans une nuée d’étincelles jaune-orangées. Quand l’alliage fondu atteint la température et la qualité voulues, le four bascule lentement et déverse son contenu, en contre-bas, dans une “ poche de coulée ” (un creuset) portée par un chariot élévateur. Un ouvrier y ajoute une certaine quantité de magnésium, ce qui déclenche aussitôt un énorme flash accompagné d’un nuage de fumée blanche. Ce pourrait être le produit de l’accouplement d’un chaudron de sorcière avec un daguerréotype.
Après cette opération alchimique, le cariste transporte la fonte liquide jusqu’à la “ligne de moulage” : une longue chaîne de production où des moules (des modèles de grilles, de plaques et autres pièces de voirie ou de bâtiment) impriment leurs formes au sable condensé. C’est dans ces empreintes que le métal en fusion sera coulé. Au bout de la ligne de moulage, après avoir refroidi et durci, les pièces de fonte sont soumises à une série de fortes vibrations et séparées de la sorte de leur enveloppe de béton. La finition des pièces s’opère grâce à une machine de grenaillage : un nettoyage par bombardement de billes d’acier. A la sortie de cette machine des ouvriers récupèrent les pièces et opèrent les derniers ajustement avec des marteaux et d’autres outils. Si la pièce moulée est défectueuse, elle retourne dans le cycle infernal des réincarnations : on la fond de nouveau. La dernière étape c’est le revêtement, la chaîne de peinture : les grilles sont trempées dans le goudron ou des peintures à base de solvant, puis sèchent tant bien que mal, à l'air libre, suspendues à des crochets comme des quartiers de viande.
Dénètem".