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L'En Dehors


Quotidien anarchiste individualiste





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Ouvrier un mot en friche
Lu sur L'Interdit, webzine lillois : "Malgré la crise qui le frappe, le monde ouvrier reste bien présent dans la société française (le recensement de 1990 fixait ses effectifs aux environs de 6,5 millions de personnes).Pourtant, comme le constatent les sociologues Stéphane Béaud et Michel Pialoux, auteurs d’un livre intitulé Retour sur la condition ouvrière : « Au cours de ces quinze dernières années, la “question ouvrière” a été véritablement refoulée. » Les politiques, les syndicalistes, les intellectuels, si préoccupés autrefois par l’avenir de la classe ouvrière, semblent en effet passés à autre chose. Signe tangible de ce refoulement, le mot ouvrier a presque complètement disparu du langage commun. Qui parle encore aujourd’hui de mouvement ouvrier, de famille ouvrière ou de jardin ouvrier ? Parce que travailler sur le langage permet de révéler et de lutter contre le déni, l’association L’Entre-Tenir est allé à la rencontre des habitants de Saint-Dizier, une petite ville industrielle du nord-est de la France, et leur a proposé de se réapproprier collectivement ce mot. Dénètem, membre de l’association, donne un aperçu du travail en cours.

Tout commence par une étrange découverte. Celle-ci a lieu au pavillon Esquirol, un des bâtiments de l’hôpital psychiatrique de Saint-Dizier (Haute-Marne) qui accueille, depuis janvier 2002, l’association L’Entre-Tenir. Le porche de ce vieux bâtiment, tout en longueur, soutenu par de fines colonnes blanches de métal, donne au pavillon Esquirol l'apparence d'un quai de gare. Il y a là comme une sourde invitation au voyage, à la remontée du temps.

A l'automne dernier, par une matinée brumeuse, un des membres de L'Entre-Tenir se hasarde à explorer un réduit situé sous l'escalier principal du pavillon Esquirol. Il a la surprise d'y découvrir un amas chaotique de cartons éventrés : de vieux journaux, des dossiers, des livres, et parmi ceux-ci, des livres rouges qui aussitôt attirent son attention.





Sur le fond rouge de leurs couvertures de carton, se détache en grandes lettres blanches un titre mystérieux : Le livre unique . Il s’agit en fait d’un livre de Français destiné aux élèves des cours moyen et supérieur. Un livre imprimé en 1957, avec des pages jaunies par le temps, un livre qui dégage cette odeur de feuilles mortes propre au papier vieilli. Unique, ce livre l’est parce qu'il rassemble en un seul volume la grammaire, le vocabulaire, l'analyse, la conjugaison, au fil de chapitres thématiques tels que "La famille", "La mauvaise saison", "Le cirque" ou "les soldats".

Le chapitre 16, entièrement consacré aux “ ouvriers ”, attire particulièrement l’attention de l’association en raison de son lien intime avec l’histoire et l’identité de Saint-Dizier, ville ouvrière par excellence. Ce qui frappe dans ce texte qui mêle extraits de romans et de poésie, exercices de grammaire et d’orthographe, inventaires et définitions, c’est la précision du regard porté sur les lieux où s’activent les ouvriers, sur les outils qu’ils emploient, les machines qu’ils “servent“.

Effacement progressif

Le chapitre 16 du Livre unique montre comment on décrivait, dans les années cinquante, aux enfants le monde ouvrier… ce qui pose en retour une série de questions sur notre époque. Trouverait-on encore aujourd’hui dans un livre d’école un chapitre entier consacré aux ouvriers ? Quels mots emploierait-on ? Il y a un contraste entre la profusion de détails, d’images et de mots que recèle sur les ouvriers un livre d’école de 1957 et le silence qui entoure de nos jours l’existence de ces derniers.

Ce silence se traduit d’abord par l'effacement progressif du nom “ ouvrier ” au profit de toute une série de néologismes : “ opérateur ”, “ agent de maintenance ”, “ moniteur ”, “ pilote de production ”, des termes amnésiques. C'est une vraie dé-nomination, une privation de nom, que vivent aujourd'hui tous ces gens qui, quotidiennement, vont travailler dans les aciéries, les chantiers navals, les usines automobiles, les ateliers textiles, les centrales électriques ou les milliers de PME de la sous-traitance.

Pour apparaître dans l'espace public, pour pouvoir se représenter et se mobiliser, il faut pouvoir se nommer. Tel était le rôle du nom “ ouvrier ”, à la fois instrument de mobilisation, catégorie de représentation et réserve de mémoire pour les millions de travailleurs qui, il y a peu de temps encore, se reconnaissaient dans ce terme et en tiraient même de la fierté. L’ouvrier ou plutôt la “ classe ouvrière ” a longtemps joué le rôle d’un héros mythologique. Sur elle reposaient tous les espoirs de transformation de la société, ce devait être le “ moteur de l’histoire ", le fer de lance de la résistance... Que s'est-il passé ? Aujourd'hui, dans les médias, les ouvriers apparaissent le plus souvent comme les moteurs de la réaction, du vote "protestataire"...

Enquête créatrice

“ Au commencement était le Verbe… ”, nommer c’est appeler à l’existence. On ne voit et on ne se représente vraiment que ce que l’on sait nommer. La texture du monde est faite de mots qu’à travers nos pensées, nos paroles, nos écritures nous tramons ensemble. Qu’un mot vienne à nous manquer et c’est un peu de la réalité qu’il dénotait qui s’évapore. Il y a donc urgence, nécessité à réactiver les sens et correspondances du mot “ ouvrier ” ; un mot laissé à l’abandon, un mot en friche, un mot stigmatisé, dévalorisé, alors même qu’il continue à irriguer l’identité et l’histoire de villes comme Saint-Dizier, de régions comme la Haute-Marne. Peu importe les raisons, dans la société des “ nouvelles technologies ” et de la “ nouvelle économie ” , les ouvriers et leur travail sont devenus invisibles.

La nouvelle expérience de L’Entre-Tenir a pris la forme d’une véritable enquête. Retrouver l’Ouvrier suppose en effet d’adopter la démarche du détective, de l’ethnologue, de l’archéologue ; de traquer les traces, indices, empreintes laissées par ce personnage arlequin (ouvrier professionnel, intérimaire, habitant en ville ou à la campagne, homme ou femme, français ou immigré…), quitte à les ré-inventer. Enquête créatrice qui procède d’une écoute préalable, de paroles d’habitants suscitées par les vibrations d’un mot : “ouvrier”...

L’écrivain Michel Séonnet, qui anime des ateliers d’écriture dans l’un des quartiers de la ville, aimerait “ écouter, lire le paysage, entendre les histoires d’avant et d’aujourd’hui ”, dire “ tout le paysage d’un mot, aujourd’hui. Et le platane, aussi, qui au carrefour d’usine veille sur tout ce temps ”. L’un des objectifs du travail en cours (qui s’achèvera en janvier 2003) est d’esquisser à travers différents supports (vidéo, photo, écriture…) le “ paysage ouvrier ” de Saint-Dizier. Un paysage ?… Tout lieu peut devenir paysage, y compris les lieux les plus urbains ou les plus industriels, il suffit de s’inventer un autre regard, de décaler sa vision. Esquisser le "paysage ouvrier" de la ville de Saint-Dizier suppose de savoir jouir des plus petits détails, de la matérialité phénoménale de la ville : un panache de fumée, des toits en lame de scie, des plaques de rouille, des régiments de tracteurs rouges sur un parking de livraison, des cônes de ferraille, les ombres portées sur le macadam par des cheminées longilignes, le défilé depuis la fenêtre d’un “ corail ” des logos d’entreprise...

Dénètem ".
Ecrit par libertad, à 15:38 dans la rubrique "Pour comprendre".



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