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Lu sur Indymédia Paris : "McDonald's Le 24 octobre 2001, au McDonald's situé à l'angle des boulevards de Strasbourg et Saint-Denis, en plein centre de Paris, le gérant du restaurant annonce le licenciement de cinq salariés (des "managers") et, parallèlement, porte plainte contre X pour vol : 150.000 euros auraient disparu de la caisse. Comme par hasard, les licenciés étaient en train de mettre sur pied une section syndicale et avaient l'intention de se présenter aux élections professionnelles. Le même jour, les salariés du restaurant répondent en se mettant en grève. Le restaurant cesse ainsi toute activité[1] . En France, l'entreprise McDonald's est en forte croissance : fin 2001, elle compte plus de 900 restaurants en fonctionnement ; en 2000, elle emploie déjà 35.000 salariés et accueille quotidiennement 1.400 clients, pour un chiffre d'affaires de 17,5 millions d'euros. Le système dominant est celui de la franchise, qui permet à McDo, par le biais d'un contrat de quasi-exclusivité, de contrôler la marque, les prix, les fournitures, la qualité et de récupérer un pourcentage des bénéfices variant de 12 à 25 %, les investissements restant à la charge du gérant. Par ce moyen, McDo se décharge de tous les coûts de gestion et surtout du risque de conflit avec les salariés.
Le système est par ailleurs conçu de telle manière qu'il est difficile que des conflits puissent s'y développer. Ne sont embauchés pratiquement que des salariés jeunes, à temps partiel (87 heures pour 485 euros net par mois) et plus rarement à temps plein (790 euros), pour des restaurants ouverts sept jours sur sept ; un "swing manager" (un chef d'équipe, de fait) gagne entre 850 et 990 euros pour un temps plein, jusqu'à devenir "manager" à 1200-1300 euros par mois. Pas de 13e mois, bien sûr. Le turn-over est important, les rythmes et la flexibilité de fait des horaires interdisant à ceux qui suivent des cours de mener de front travail et études pendant plus de quelques mois - la majorité d'entre eux finissent par quitter le travail pour poursuivre leurs études, mais, vu le taux de chômage élevé, ceux qui font l'inverse et choisissent de grimper dans la hiérarchie de l'entreprise pour obtenir un salaire qui leur permette de vivre se font de plus en plus nombreux.
Le recrutement épouse en général les caractéristiques "ethniques" du quartier et les équipes jouissent d'une grande cohésion interne : on sort ensemble, les rapports sont faits à la fois d'amitié et de paternalisme, les emmerdeurs sont en général poussés vers la sortie avant même qu'ils ne créent des problèmes. La cohésion est un facteur important de la haute productivité exigée. Bref, c'est un système où l'organisation syndicale est perçue comme dérangeante et où les luttes se comptent sur les doigts de la main[2] .
Mais, dans notre cas, le sentiment de l'injustice subie vient renverser ce qui faisait précisément la force du patron, en la transformant en facteur déclenchant de la lutte. Les salariés sont des copains, ils se connaissent bien et savent que les accusations formulées sont des prétextes. Tous ou presque s'engagent dès la première minute dans une lutte qui durera 115 jours.
On ne peut comprendre comment la lutte a pu rompre l'isolement dont souffrent généralement celles de ce secteur peu syndicalisé si l'on ne tient pas compte de l'existence à ce moment précis de militants plutôt jeunes mais déjà aguerris. Le collectif de solidarité se constitue quand il existe déjà un petit réseau militant : le collectif CGT de la restauration rapide, né dans les luttes de l'année précédente, le réseau Stop Précarité et surtout un certain nombre de contacts informels, passant plus par le canal de l'amitié et des fréquentations communes que du militantisme au sein d'un même groupe politique, syndical ou associatif.
Quand il s'agit d'engager des énergies dans des secteurs ingrats comme celui de la restauration rapide - entreprises aux méthodes expéditives, qui détestent toute forme d'organisation des salariés, où la précarité, le turn-over encouragé et les bas salaires sont la règle, rendant la perspective d'une syndicalisation durable avec des cotisations substantielles très aléatoire - on sait que les syndicats dits "représentatifs" n'ont guère tendance à se précipiter. D'ailleurs, même quand les salariés entrent en lutte tout seuls et vont frapper à leur porte pour obtenir un soutien et une couverture, ils doivent la plupart du temps composer avec l'attitude distante et polie des responsables qui en clair signifie : mais qu'irions-nous faire dans cette galère ? Attitude qui explique la présence dominante dans ce secteur de délégués syndicaux à la botte du patron, élus (quand ils le sont) dans des conditions plus que discutables.
Au McDo de Strasbourg-St-Denis, les relations de travail étaient plus ou moins les mêmes que dans le reste du secteur : formes de surexploitation (temps partiel payé sur la base du SMIC, horaires flexibles permettant une intensité maximale du travail en permanence, conditions de travail souvent dangereuses), mais avec un potentiel de révolte émoussé par l'esprit d'équipe ("si tu traînes, ce sont tes copains qui en font les frais") et des rapports quasi familiaux entre salariés et responsables, favorisant l'arrangement individuel et rendant difficile la prise de distance psychologique nécessaire au salarié pour défendre ses intérêts.
Malgré cela, le miracle s'est produit "grâce" à l'arrogance d'un nouveau gérant : en prenant prétexte d'un trou dans la caisse pour licencier cinq "managers" (des chefs d'équipe au fond, considérés un peu comme des grands frères) trop encombrants, il a provoqué la révolte des salariés, déclenchant une grève de l'ensemble du personnel pour la réintégration de tous sans conditions. Comment, en d'autres termes, le sentiment d'injustice peut faire échec aux stratégies patronales les plus éprouvées.
Démarre alors un processus de syndicalisation. Les grévistes vont sonner à différentes portes pour obtenir une couverture et un soutien syndical, et finissent par trouver une oreille attentive à la fédération du commerce CGT[3] . Une section syndicale CGT est constituée et, grâce à certains militants CGT décidés et convaincus de l'importance symbolique de cette grève (eux-mêmes assez peu soutenus par l'appareil), elle trouve un relais. Trois ou quatre semaines après le début de la grève, un collectif de solidarité prend forme. Dans son noyau dur se retrouvent des militants de tendances diverses, dont une forte composante libertaire, mais aussi des membres de la CGT d'autres entreprises du commerce engagés dans les luttes en cours.
Le débat et les initiatives du collectif de solidarité (la traditionnelle longue liste d'organisations qui le composent ne doit pas induire en erreur : dans la pratique, c'est toujours un noyau relativement réduit de militants décidés qui font les choses) contribuent à garantir la continuité, à élargir et populariser la lutte. Parmi ces initiatives, la série d'occupations et de blocages de différents McDo parisiens organisés de samedi en samedi revêt une importance particulière. Ces actions hebdomadaires ont permis de mettre en lumière les tensions spécifiques à d'autres restaurants de la chaîne, tout en les associant à un objectif commun : le retrait des licenciements à Strasbourg-Saint-Denis. Pour les salariés des McDo de Saint-Germain, Rivoli, Bonne-Nouvelle, Opéra, Champs-Elysées... qui se sont mis en grève à leur tour, même plus épisodiquement, elles ont été l'occasion de commencer à se parler, à se connaître, à lutter ensemble. Un élargissement au-delà de l'enseigne McDo a même semblé possible quand une grève d'une semaine s'est déclenchée dans le restaurant Quick du boulevard Barbès, que le collectif de solidarité a bien évidemment soutenue.
Mais ces occupations ont permis aussi de faire connaître la lutte et ses raisons aux clients, à la population et aux médias, qui dans l'ensemble ont fait preuve de beaucoup de sympathie et de compréhension. Des tracts en anglais, allemand, espagnol, portugais, italien, arabe et russe ont contribué à expliquer les raisons de la grève aux immigrés et aux touristes. Evidemment il n'a pas manqué de frictions et d'altercations avec des clients agressifs, mais dans l'ensemble les gens avaient tendance à encourager les grévistes. L'idée qu'il fallait faire des choses à la hauteur de nos forces était un des points cardinaux des actions et plus d'une fois c'est la fantaisie et le jeu qui nous ont permis de nous sortir adroitement de situations qui auraient pu devenir pesantes. Les tracts en langue étrangère ont été précieux pour désamorcer l'agressivité de clients - perceptible surtout dans les lieux les plus touristiques et chers - dont nous ne parlions pas la langue : avec les Russes, qui, ne comprenant pas que l'on puisse se mettre en grève, prenaient ça quasiment comme une offense personnelle ; avec les Américains, qui n'acceptaient de ne pas forcer les piquets qu'après une longue explication ou la lecture du tract ; avec les jeunes Beurs, que le texte en arabe surprenait et amadouait singulièrement, comme si l'on reconnaissait par là leur existence.
Le soutien actif de certaines structures de la CGT, mais aussi le produit des collectes - faites au cours des blocages du samedi, sur les marchés, au cours des diffusions de tracts, voire sur les lieux de travail et, plus tard, une fois la campagne électorale engagée, à l'entrée de certains meetings politiques - ont permis de récolter de quoi assurer aux grévistes un apport de 150 à 250 euros chacun (avec majoration pour les chargés de famille) en décembre, et quasiment le double à partir de janvier. Ce qui représentait une belle bouteille d'oxygène pour des personnes vivant déjà en temps normal avec des bas salaires. L'approche des élections a bien sûr fourni certaines bonnes occasions de populariser la lutte : si les groupes trotskistes étaient contents d'afficher leur soutien, le PCF n'a pas perdu une occasion de se montrer ; Robert Hue, José Bové, Noël Mamère, suivis chacun de son cortège de caméras, ont fait acte de présence devant le restaurant en grève, et plus tard aussi devant d'autres magasins en lutte.
Dans le collectif de solidarité se sont retrouvées autour de la même table pour soutenir la lutte des personnes qui en général se détestent cordialement et n'ont guère l'habitude de faire des choses ensemble : la CGT en premier lieu, mais aussi SUD et certains militants de la CNT (laquelle n'a fait son apparition qu'au bout de quelques mois[4] ), des membres de groupes trotskistes, des libertaires de toute tendance, des membres de collectifs indépendants et des "électrons libres", jusqu'à, à un bout du spectre, les jeunes chevènementistes et, à l'autre bout, la coordination des sans-papiers, tous ont apporté leur soutien à la lutte.
En province, les actions de solidarité se sont multipliées dans différentes villes, mais nous avons eu aussi écho d'actions menées à l'étranger (Allemagne, Angleterre, Grèce). Plusieurs journaux militants de divers pays européens ont publié des informations et des analyses sur la lutte, et les grands médias eux-mêmes (jusqu'à CNN, au moment où la grève s'est propagée à l'avenue des Champs-Elysées, dans le plus grand McDo d'Europe) ont fait preuve de curiosité.
La question de l'information a bien sûr été cruciale. Information interne d'abord, permettant au collectif de se structurer et de se garantir une continuité : assurer avec constance la circulation des comptes rendus de réunion, des rendez-vous et des questions qui de temps à autre se posaient s'est avéré indispensable. Sans cela, nous n'aurions probablement pas eu de collectif dans les termes où nous l'avons connu. Aucun secrétariat formel n'a été institué, mais cette fonction a été assumée essentiellement par un camarade au départ, relayé ensuite par d'autres, avant de passer d'une main à l'autre. Cette circulation des comptes rendus - essentiellement par e-mail, mais aussi sous forme de photocopies pour ceux qui n'avaient pas d'accès Internet - a permis à tous les camarades de rester en contact, de ne pas perdre le fil des discussions et des activités communes : pas de démocratie formelle, donc, mais une attention à un problème réel. L'absence de polémiques sur le contenu de l'information mise en circulation n'était pas artificielle : c'était le reflet de l'activité du collectif, au sein duquel les différences d'opinion n'étaient pas exclues, mais étaient centrées sur la poursuite et le développement de la lutte, et non pas sur la vision du monde de ses membres.
Information de type interne-externe, ensuite : comptes rendus et tracts ont circulé, par voie d'e-mail essentiellement, bien au-delà du cercle des camarades qui fréquentaient le collectif, créant dans un vaste milieu de gens politisés un climat favorable à certaines initiatives plus larges. Ce type d'initiatives explique en bonne partie le succès des manifestations et des fêtes de soutien.
Information externe, enfin. C'est l'une des principales tâches auxquelles s'est consacré le collectif, à travers la distribution en quantité industrielle de tracts - ceux produits par les grévistes eux-mêmes ou les sections syndicales qui les soutenaient d'abord[5] ; ceux du collectif ensuite, qui, plus qu'à faire de l'agitation, visaient surtout à informer les gens avec qui un contact s'établissait, mais qui finissaient par un appel à la solidarité, un appel à la responsabilisation du lecteur. En général, ils ont été bien accueillis et ont souvent eu un résultat concret dans les collectes[6] . Les affiches du collectif, abondamment illustrées, détournant souvent les publicités des entreprises où l'action prenait place ou annonçant les fêtes de soutien, rendaient les occupations visibles de loin.
Le rapport avec les médias, enfin. Si certains camarades plus jeunes avaient parfois tendance à "vite rentrer à la maison pour se voir à la télé", le mélange de jeunes et moins jeunes a produit une forme d'intelligence politique collective que, schématiquement, nous pourrions résumer ainsi : nous savons que les médias sont comme les banques, elles ne prêtent qu'à ceux qui ne sont pas dans le besoin ; il faut donc nous montrer capables d'assurer nous-mêmes une information de base, et à cette base ajouter les rapports avec la presse et la télévision[7] . Certaines actions spectaculaires peuvent être utiles dans certains cas, mais en abuser nous rend dépendants des médias. Quand ça s'est avéré possible, nous avons "choisi" le contact avec un(e) journaliste précis(e) s'étant montré(e) sensible à ce que nous faisions ; quand c'était le journal qui l'envoyait, nous n'avons pas hésité à critiquer les positions défendues par le journal sur ce conflit, mais sans nous fermer. Bref, peu d'idéologie, beaucoup de pragmatisme et d'attention à ne pas nous faire utiliser. Le résultat d'ensemble porterait à croire que cette recherche d'équilibre n'a pas été infructueuse.
Quelle a été l'attitude du gérant (et de la direction de McDonald's France, qui n'était officiellement qu'observatrice, mais qui dans les faits dictait la musique) ? Au départ, certains salariés ont reçu des menaces ; puis, parallèlement aux négociations en cours avec les représentants syndicaux, il y a eu quelques tentatives de corruption individuelle. Les modalités des "négociations" qui formellement se poursuivaient, e où le mépris des dirigeants pour ce groupe de jeunes qui osait défier une multinationale transparaissait clairement, ont mis en évidence l'absence d'une culture de gestion des conflits chez McDo. Ils ont en effet proposé de réembaucher (sans prendre en compte l'ancienneté) les licenciés - admettant ainsi implicitement l'inconsistance de leurs accusations - mais ont pendant longtemps opposé un refus à la revendication principale des grévistes : la réintégration de tous les licenciés, dans le plein respect de leurs droits.
Entre-temps l'inspection du travail a annulé le premier licenciement et, une semaine plus tard, les prud'hommes en ont fait autant pour deux salariés qui avaient fait recours à eux, condamnant le patron à payer 153 euros par jour en cas de non-application. L'action menée sur le plan juridique a alimenté la discussion du collectif et des grévistes pendant toute la durée du conflit et fourni des éléments pour répondre coup pour coup aux initiatives de l'adversaire.
Il n'a par ailleurs pas manqué d'initiatives venues d'en bas, de pressions exercées par divers groupes politiques de gauche sur le gouvernement, sur le ministère du Travail, sur l'inspection du travail afin qu'ils interviennent en tant que médiateurs. Tout cela, bien qu'étant resté sans autre effet pratique que la poursuite formelle des négociations, a accentué la pression sur la maison mère. Celle-ci avait en effet décidé de laisser pourrir le conflit, pariant, à tort, sur la fatigue des grévistes et sur l'effritement du soutien. On peut parier qu'ils se mordent encore les doigts d'avoir ainsi non seulement permis à différents groupes de salariés de se former directement dans la lutte, mais aussi d'avoir provoqué une baisse, modeste mais constante, du chiffre d'affaires et surtout de s'être fait une image d'exploiteurs de la jeunesse, largement véhiculée par les médias.
Le 15 février, après 115 jours de grève, le gérant du restaurant a accepté la majeure partie des revendications des grévistes, à savoir :
l'annulation des licenciements et la réintégration des cinq licenciés, sans perte d'ancienneté et en maintenant leur qualification ;
le paiement des jours de grève à 33 % plus une indemnité de fin de grève de 380 euros, ce qui porte le paiement des jours de grève à environ 45 % ;
le paiement intégral des salaires pendant toute la durée des travaux de restructuration prévus dans le restaurant (travaux que les grévistes avaient réussi à bloquer) ;
l'engagement à ne pas exercer de représailles contre les grévistes.
Parmi les revendications non satisfaites, il y avait l'éloignement du gérant. Qui s'inscrira dans les faits quelques semaines après la reprise du travail...
L'interenseigne des Champs-Elysées
Plus la lutte durait et se consolidait, plus le collectif tendait à devenir un point de rencontre entre groupes de grévistes d'autres commerces cherchant à sortir de l'isolement, un carrefour où les salariés individuels pouvaient venir chercher de l'aide, faire circuler des informations sur ce qui se passait dans leurs entreprises, et en trouver sur les initiatives en cours. Il est donc normal qu'avec la fin de la grève à McDo, quand les participants au collectif ont commencé à se demander si l'expérience pouvait se prolonger, la réponse soit venu quasiment d'elle-même, portée par les initiatives en cours ou en préparation. [8]
C'est dans cette seconde phase de la vie du collectif (de la mi-février à la mi-mai) que prend forme "l'interenseigne des Champs-Elysées", ébauche de coordination entre militants des sections syndicales FNAC, Virgin, McDonald's... Il s'agit surtout de jeunes militants CGT, mais la lutte qui se déclenche à la FNAC et va durer presque un mois bénéficie de la participation d'une majorité de grévistes non syndiqués et du soutien d'autres sections syndicales de la même chaîne, SUD et CNT notamment. [9]
Le 6 mars, Jospin a prévu de venir présenter et signer le livre qu'il vient de publier au Virgin des Champs-Elysées. L'interenseigne, le collectif de solidarité, la CGT du commerce, SUD, etc. préparent une intervention surprise, mais Jospin, avisé, annule l'initiative. Les 300 militants qui se trouvent devant la FNAC organisent alors rapidement une manifestation sur "l'avenue la plus belle du monde" et, un quart d'heure après, sont bloqués par les CRS, la seule manifestation autorisée sur cette voie étant le défilé du 14 Juillet. Le cortège se replie sur le trottoir et se met à faire la navette entre les différents magasins en lutte. La presse se fera l'écho de cette initiative et c'est sans doute cela qui poussera l'intersyndicale de la FNAC - qui s'était engagée dans des négociations pour l'ensemble du groupe - à demander en préalable à l'ouverture des discussions le règlement du conflit à la FNAC des Champs-Elysées, qui semblait échapper au contrôle des structures officielles du syndicat [10] .
Le 9 mars, la grève en cours à la FNAC des Halles devient l'occasion d'organiser un cortège interne au Forum, avec surtout visite à Go Sport, qui connaît sa première grève et où des jeunes salariés découvrent qu'il est possible de lutter.
Mais si d'un côté la lutte de la FNAC des Champs-Elysées se conclut par une (quasi) victoire, celle qui s'ouvre dans l'ensemble du groupe auquel appartient ce magasin est beaucoup plus traditionnelle et bien mieux contrôlée par les organisations syndicales. Elle n'a pas besoin du collectif de solidarité et, après quelques visites aux magasins en grève, celui-ci se concentre sur d'autres initiatives où sa présence est sollicitée.
Peu après la FNAC - le 31 mars, le 6 et 7 avril (jour où le marathon de Paris termine sa course sur les Champs-Élysées) - c'est à Virgin de descendre dans l'arène. Là il y a une section syndicale CGT consistante, qui choisit de ne pas faire grève à outrance, mais de bloquer le magasin certains jours de particulière affluence et de récupérer une partie des pertes de salaire grâce au travail du dimanche, payé plus cher - ce qui devrait permettre de tenir sur le long terme. Le collectif de solidarité assure une présence "légère", avec un tract d'explication et de soutien, traduit en différentes langues, mais la plupart des militants préfèrent donner un coup de main aux grévistes de McDo qui, le même jour, ont des difficultés à mobiliser. La direction de Virgin demande l'intervention immédiate de la justice et la levée des piquets de grève, et dans le même temps négocie avec les syndicats du magasin, concédant une augmentation minime mais qui divise les grévistes. Les jours de grève qui suivent par à-coups remportent un succès modeste : une part seulement des vendeurs s'y engagent et le magasin reste ouvert. Certains clients expriment leur solidarité, mais rien n'est bloqué. Le collectif pourrait apporter une expérience précieuse, mais personne n'a envie d'imposer sa présence et sa façon d'agir à des camarades qui ont fait des choix différents.
Dans les jours qui suivent une intervention sur le site d'EuroDisney à Marne-la-Vallée est mise au point. L'entreprise prépare une fête pour les dix ans du parc et profite de l'occasion pour inaugurer un deuxième parc à thèmes. Par prudence, elle a cherché à diviser les syndicats et à jouer sur le registre à la fois de la corruption préventive et de la répression des dissidents. Malgré cela, une manifestation de salariés - convoquée par la CGT - a lieu le jour de l'inauguration. Quelques jours après, samedi 16 mars, le collectif intervient pour distribuer des tracts. De fait, c'est une seconde manifestation, mais de gens extérieurs à l'entreprise. Seuls trois délégués syndicaux y participeront avec nous, et tous les trois seront l'objet de représailles patronales. Un cordon de CRS - bien plus nombreux que nous - ceinture les entrées du parc et fait décor à notre distribution de tracts. Les photos montrent bien le climat de haute surveillance et de paranoïa qui règne sur le site.
Dans cette phase, le collectif continue à suivre les problèmes rencontrés par les membres du collectif sur leurs lieux de travail. Chaque fois qu'il y a un procès ou une grève, il cherche à assurer une présence en groupe pour montrer que les grévistes ne sont pas tout seuls et rompre ainsi publiquement l'isolement auquel les syndicats dont sont membres les divers camarades condamnent leurs militants les plus actifs et les plus dérangeants. Disney, Maxilivres, BHV, sont les entreprises où travaillent ces camarades et nous faisons notre possible pour ne pas les laisser seuls. Quelques membres d'un collectif d'emplois-jeunes commencent à fréquenter le collectif de solidarité et à prendre part à ses initiatives ; en retour, le collectif participe à la manifestation devant le ministère des Finances qu'ils organisent le 12 mars.
La dernière intervention de cette phase de la vie du collectif se fait le 20 avril à Gonesse, en banlieue nord, en soutien aux salariés en grève du McDonald's de Goussainville, venus demander une aide dans l'exportation locale de leur grève. Ce sera une action sans suite visible.
Le climat électoral a fortement pesé sur l'activité et le développement du collectif de solidarité. C'est vrai qu'un bon nombre de politiciens de gauche voulaient se faire photographier avec tel ou tel gréviste, que leurs journaux les interviewaient, que les membres de leurs partis signaient les pétitions de soutien aux luttes et parfois ouvraient leur porte-monnaie pour manifester concrètement leur solidarité. Mais il est vrai aussi que dans un climat de ce genre, la répression gouvernementale prenait des formes plutôt modérées : la police ne faisait certes rien pour nous aider, mais elle évitait d'intervenir brutalement contre les manifestations ou les blocages de restaurants ou de magasins. La "bienveillante neutralité" du gouvernement a donc pesé de façon non négligeable dans le développement de nos initiatives.
A l'approche du 21 avril - et du choc qui s'en est suivi - le climat change jusque dans le collectif. Bon nombre de camarades - outre ceux qui ressentent la fatigue ou s'apprêtent à partir en vacances - commencent à retourner à leurs activités traditionnelles (soutien à la lutte des Palestiniens, à celle des sans-papiers, antifascisme, initiatives de leurs groupes syndicaux ou politiques d'appartenance...). Les camarades du réseau Stop Précarité se retirent progressivement du collectif, soit en raison de tensions avec le secrétaire CGT du commerce - qu'ils n'arrivent pas à affronter ouvertement dans le cadre du collectif - soit convaincus que leur activité de propagande contre la précarité est un peu "la même chose" que celle du collectif. Il y aura donc quelques réunions de bilan - qui déboucheront sur la rédaction d'un tract de quatre pages distribué le 1er mai [11] - et qui, en l'absence de grèves en cours réclamant une présence de notre part, se concluront par une décision de "se mettre en sommeil", après recueil des coordonnées des uns et des autres dans l'idée de pouvoir se recontacter en cas de besoin. Si les motivations sont diverses, personne n'a envie de créer une structure bureaucratique de plus, personne ne veut d'un énième groupe ou intergroupe : le choix le plus logique est de s'arrêter.
Arcade [12]
Le sommeil du collectif ne durera pas longtemps. Dans la première moitié du mois de mai, des contacts s'établissent avec les femmes de ménage d'Arcade en grève depuis le 7 mars et les militants de SUD qui les soutiennent depuis le départ. La lutte dure alors depuis plus de deux mois mais souffre d'un certain isolement, malgré leur participation à toutes les manifestations possibles (en particulier après le 21 avril). Les survivants du collectif de solidarité pensent alors qu'il est possible de faire quelque chose pour les aider et une nouvelle aventure commence. Au moment où nous écrivons, elle est toujours en cours.
Arcade est une entreprise prestataire de services dans le secteur du gardiennage et du nettoyage, qui compte environ 3 500 salariés. Huit cent d'entre eux travaillent dans le secteur de l'hôtellerie et assurent notamment le nettoyage en sous-traitance de 86 hôtels du groupe ACCOR - lequel compte environ 3 700 hôtels à travers le monde, sous diverses enseignes. Les femmes de ménage d'Arcade sont quasiment toutes embauchées sous contrat à temps partiel (5 heures par jour généralement) et sont censées respecter la cadence arbitrairement fixée de 3,2 à 4 chambres à l'heure, en fonction du statut de l'hôtel : les heures payées sont comptées sur cette base, quel que soit le temps de travail effectif, le plus souvent bien supérieur, étant donné la pression constante des petits chefs. Le "temps partiel" cache en réalité une flexibilité maximale : dans les faits les travailleurs sont appelés à travailler n'importe quel jour de la semaine, en fonction des besoins (et si le nombre de chambres à nettoyer correspond à un nombre d'heures inférieur à celui prévu dans le contrat de travail, cela apparaît sous la forme "d'absences"). De plus, au bout de plusieurs années de ce travail très dur, les femmes de ménage commencent généralement à accumuler les problèmes de santé : arthroses, lombalgies, douleurs articulaires sont monnaie courante, mais ne sont pas reconnues comme maladies professionnelles. Dans les faits, lorsqu'elles n'en peuvent plus, elles sont éjectées. Cette situation insupportable, après avoir été subie en silence pendant des années, a fini, grâce à l'intervention d'une syndicaliste parlant la langue d'une partie des salariés puis au travail de SUD, par déclencher des réactions.
La grève a démarré avec 37 personnes travaillant dans des hôtels de la région parisienne et qui se connaissaient. La participation à la grève est restée relativement stationnaire au cours des trois mois qui ont suivi, puis a commencé à baisser. Neuf mois plus tard, elles sont encore 21 à se battre. Les chantages et les pressions de la direction d'un côté, les sérieuses difficultés financières de l'autre, expliquent cette tendance à la baisse. Un noyau a cependant réussi à résister, permettant la mise en place progressive d'un réseau de solidarité. Evidemment, le premier problème est celui du soutien financier : pendant les premiers mois, grâce à la solidarité interne au syndicat, SUD a réussi à assurer une compensation salariale au personnel en grève ; mais il a fallu bientôt se contenter du produit des collectes, organisées au moment des actions dans ou devant les hôtels, à travers des fêtes de soutien ou sur d'autres lieux de travail.
Leurs revendications portent essentiellement sur la question des cadences (dont elles demandent la réduction à 2,5 chambres par heure pour les 3 étoiles et 3 pour les 2 étoiles), des contrats (qu'elles veulent à temps complet) et sur l'annulation des sanctions prises contre les grévistes, et notamment des huit licenciements.
Au moment où le collectif est entré en contact avec les grévistes, la situation commençait à devenir particulièrement difficile. La lutte avait été organisée par SUD comme une lutte strictement syndicale, mais, dans l'impossibilité de l'étendre au sein de l'entreprise, il ne restait qu'à élargir au maximum le réseau de solidarité extérieur et à tenter de modifier le rapport de forces en jouant sur les points faibles du donneur d'ordres : le groupe ACCOR. Il faut malheureusement constater la difficulté - plus "culturelle" encore que politique - qu'a SUD (malgré tous ses mérites) à saisir la nécessité de sortir d'une logique de paroisse. Le collectif de solidarité a donc commencé à travailler dans cette direction, en élargissant le soutien au-delà des frontières syndicales et politiques.
Les élections passées, les partis et groupes ont cessé de s'intéresser aux luttes à des fins publicitaires : plus de soutien formel comme pour la lutte de McDo. La longue liste des signatures disparaît du bas des tracts, le collectif décidant que le soutien des uns et des autres doit se voir concrètement dans les actions. Les collectes de solidarité qu'il était possible de faire dans les meetings électoraux deviennent maintenant bien plus rares - aux universités d'été, elles s'avéreront assez maigres, mais la tenue d'un stand à la fête de l'Humanité en septembre donnera des résultats un peu plus satisfaisants. Avec l'arrivée de l'été se pose un problème de continuité des actions : la pression sur le groupe ACCOR ne doit pas se relâcher. Sur la base de l'expérience positive des mois précédents, il est décidé de maintenir le rythme hebdomadaire des réunions - des comptes rendus sont systématiquement envoyés sur la liste de discussion et relayés par AC Forum, z-pajol, a-infos, etc., tenant le milieu militant régulièrement informé - et de fixer un rendez-vous d'action régulier par semaine, permettant de regrouper les forces modestes disponibles.
Parallèlement, une intersyndicale SUD-CNT-sections dissidentes CGT se crée et des militants des trois organisations participent aux activités du collectif. Malheureusement, cette participation n'est pas à la hauteur des attentes, en raison aussi bien de la modestie des forces disponibles que des choix de priorité qui sont faits. Rapidement, on se rend compte que l'intersyndicale est de nature purement virtuelle.
Il faut savoir que, dans le secteur du nettoyage, le syndicat CGT est un peu particulier... Il est contrôlé par un petit chef africain qui le gère comme son fief personnel et entretient des rapports étroits avec les entreprises du secteur. De fait, il fonctionne comme un syndicat jaune. La confédération connaît le problème, mais ne fait rien pour le résoudre : son embarras semble en effet se dissoudre dans le financement de plusieurs publications confédérales que lui assurent les encarts publicitaires des entreprises de nettoyage. Si, en temps "normal", la chose peut être considérée comme un problème épiphénoménal de corruption interne à la CGT, quand une lutte comme celle d'Arcade se déclenche et se heurte à l'obstruction de la fédération du nettoyage - concrètement : le reste du personnel est activement dissuadé de se solidariser avec les grévistes, des menaces sont explicitement adressées aux syndicalistes les plus engagés dans le soutien - cela devient une question touchant l'ensemble du mouvement.
Pour plusieurs raisons, la lutte d'Arcade devrait avoir pour beaucoup de groupes d'extrême gauche un caractère symbolique : le personnel de cette entreprise est hyperexploité, composé surtout de femmes, provenant en général du tiers monde, souvent sans papiers, et en situation de particulière vulnérabilité car ne sachant souvent ni lire ni écrire et ayant de ce fait du mal à s'opposer aux abus de pouvoir des petits chefs. C'est pourquoi la première tentative de sensibilisation à la lutte s'est faite en direction des groupes militants qui s'occupent de ces problèmes. La réponse s'est souvent fait attendre ou est restée de l'ordre du virtuel.
La lutte a pris au départ des formes déjà "rodées", comme le blocage des hôtels, mais celles-ci ont dû être abandonnées quand le groupe ACCOR a fait recours à la justice en demandant la levée des blocages et en portant plainte contre les salariés qui y participaient. C'est là que la présence d'un comité de soutien a montré son utilité : ses membres pouvaient encore faire ce qui était désormais interdit aux grévistes. Désormais, les actions contre les hôtels sont diverses, se décidant en fonction du nombre et des conditions concrètes (de la simple diffusion de tracts à la discussion avec le personnel et les clients à l'heure où les restaurants sont pleins, jusqu'à l'interpellation bruyante et au fait de répandre papiers et poubelles quand les réactions sont agressives) et visent à faire comprendre aux dirigeants du groupe ACCOR que leur gestion du conflit - chercher à laisser pourrir la grève en évitant d'ouvrir des négociations sérieuses - mène à une impasse et, à long terme, peut porter sérieusement préjudice au groupe.
Dans cette perspective, la solidarité internationale et les initiatives d'information et de perturbation prises contre le groupe prennent une importance centrale : elles restent des piqûres d'insecte faites à un éléphant, mais si elles se multiplient et durent, elles peuvent finir par le convaincre de mettre fin au conflit.
Il faut enfin signaler un changement dans la composition du collectif : au moment des luttes de la restauration et du commerce, les détenteurs d'une carte syndicale étaient surtout membres de la CGT (et avaient des rapports avec les sections syndicales des grévistes) et le collectif comptait bon de nombre de militants de groupes politiques et d'associations diverses (qu'ils représentaient) à côté d'"électrons libres" se retrouvant dans un lieu carrefour ; dans la période du conflit Arcade en revanche, ce sont SUD et la CNT qui sont le mieux (bien que très faiblement) représentés, et les non-syndiqués viennent surtout de collectifs passés par le mouvement des chômeurs et des précaires de 1997-98 (et n'ayant guère de sympathies pour les syndicats) ou, plus épisodiquement, de Stop Précarité. La composition des grévistes elle-même a changé : les jeunes Français, en grande partie d'origine maghrébine, ayant souvent fait ou faisant encore des études, de McDo, puis les jeunes aux compétences de vendeur spécifiques (spécialisés en littérature, musique, informatique...) de Virgin et de la FNAC, ont cédé la place à des femmes immigrées, d'origine africaine, au pouvoir de négociation très faible - caractéristiques qui expliquent en bonne partie le désintérêt des médias pour la grève d'Arcade.
Début octobre, la situation se complique : le tribunal des prud'hommes - auprès duquel les grévistes avaient contesté la légalité des huit licenciements dont elles étaient victimes - déclare qu'il n'y a pas lieu de recourir au référé et les renvoie à la procédure ordinaire. L'employeur en profite et les convoque une à une et leur propose un retour au travail pour toutes, licenciées comprises, mais sans apporter de réponse à la revendication principale, qui porte sur les cadences de travail. "Nous avons perdu une bataille, mais nous n'avons pas perdu la guerre. Et nous n'avons pas fait sept mois de grève pour rien", ont simplement répondu les grévistes. SUD, qui pendant un mois avait cherché à temporiser en matière d'actions dans les hôtels, considérant qu'il ne fallait pas faire obstacle aux négociations en cours et braquer l'employeur, se voit à ce moment traversé de contradictions : certains militants continuent à soutenir la grève sans réserve, d'autres voudraient se désengager, voire parlent de "victoire annoncée" [13] : le poids financier et la durée excessive de la grève, l'approche des élections prud'hommales, la faiblesse des forces disponibles et probablement un certain pessimisme quant à la possibilité d'une véritable victoire expliquent sans doute ces tergiversations. Le fait est que ce syndicat, tout en mettant à disposition sa structure logistique, offre un soutien militant de plus en plus modeste. Et, pour ne rien arranger, nous sommes amenés à constater qu'un travail de désinformation s'opère concernant la poursuite de la grève dans des milieux dont on était plutôt en droit d'attendre une forme de soutien.
Suite aux difficultés de début octobre, le collectif décide qu'il faut faire un effort pour élargir l'audience de la grève : il lance un appel à une semaine nationale d'action contre le groupe ACCOR. Si les actions se feront en fait essentiellement à Paris - tout en s'intensifiant - une série de contacts sont noués sur toute la France et en Europe. La présence aux initiatives militantes, culturelles ou professionnelles du secteur de l'hôtellerie permet de diffuser plus largement l'information sur la lutte, des initiatives comme l'impression de cartes postales de protestation, de tracts adressés spécifiquement aux clients ou au personnel des hôtels, etc., renforcent la visibilité et l'écho de la grève. Les médias, qui avaient rayé celle-ci de leurs intérêts, semblent dans certains cas disposés à en reparler. Les rapports de force avec l'employeur (et la confiance dans la victoire des grévistes, comme des syndicats qui les soutiennent) semblent à ce stade pouvoir évoluer de façon plus satisfaisante.
Pour faire face aux défaillances et cafouillages qui ont émaillé la gestion du dossier juridique - et à leurs conséquences regrettables sur le moral des grévistes et sur la lutte elle-même - le collectif décide d'intervenir aussi sur ce terrain, en assurant une liaison constante avec les avocats et, à la demande explicite des grévistes, en essayant pour la première fois d'établir un contact direct avec la société ACCOR. Même si les éventuelles négociations à venir resteront du ressort des grévistes, le collectif fonctionne désormais comme un véritable « cabinet conseil ».
Une dernière remarque s'impose concernant les enjeux qui se cachent derrière cette grève et que beaucoup ont du mal à percevoir :
ce qui est mis en cause, de façon concrète et pas seulement en mots, ce sont les conditions de travail dans les secteurs dominés par la sous-traitance, et notamment dans celui du nettoyage, fer de lance de la course vers le bas qui s'est ouverte en matière de relations salariales. Faute de pouvoir exporter les hôtels, on importe les conditions de travail du tiers monde, créant ainsi un climat favorable à une dégradation progressive dans les secteurs voisins. Une victoire des grévistes porterait un coup d'arrêt à cette tendance et introduirait des éléments de jurisprudence pouvant servir de référence à des milliers de salariés.
Les possibilités de s'organiser dans ce secteur - où règnent les pressions patronales et un niveau de corruption syndicale inimaginable ailleurs - se trouveraient grandement élargies par une victoire. La conséquence immédiate la plus visible étant probablement une redéfinition du paysage (et des pratiques) syndical.
Quelques réflexions sur le sens et l'existence du collectif
La première constatation à faire porte sur les secteurs touchés par les luttes et l'activité du collectif : il s'agit presque exclusivement du secteur privé - commerce et restauration rapide dans un premier temps, nettoyage en sous-traitance dans une dernière phase. Les entreprises touchées sont les plus grandes et plus puissantes de leur secteur, presque toujours des multinationales. Dans quasiment tous les cas, le taux de syndicalisation est faible, comme d'ailleurs la conflictualité, et les rapports de force sont généralement très défavorables aux salariés. Sans un soutien extérieur, les luttes n'auraient pu durer et auraient probablement été écrasées.
Par rapport à l'expérience de soutien mutuel que nous avions connue il y a quelques années, à l'époque du mouvement des chômeurs, la différence saute aux yeux. A cette époque s'était formée la Coordination des travailleurs précaires, beaucoup plus effacée sur le plan médiatique que le mouvement en question et qui regroupait presque exclusivement des précaires de la fonction publique. Dans l'ensemble, elle avait obtenu des résultats très modestes, mais elle s'était posé une série de problèmes que le collectif de solidarité a dû affronter à son tour, avec des résultats sans doute plus probants.
En termes d'image publique - une image cultivée aussi par nombre de militants du collectif - il s'est agi de luttes de "précaires" ; mais il faut reconnaître que la précarisation du rapport de travail représente surtout la toile de fond sur laquelle ces luttes ont pris naissance. Dans celles-ci se trouvent en effet engagés des salariés le plus souvent sous contrat à durée indéterminée, où la précarité est plus le produit d'un turn-over élevé - lui-même s'expliquant par les très mauvaises conditions de travail - qu'une donnée inscrite dans le statut juridique. Dans les luttes que nous avons été amenés à soutenir, on trouvait impliqués autant de salariés à la situation relativement sûre que de précaires. Dans certains cas, c'étaient les "stables" qui conseillaient aux précaires de se tenir à distance, pour éviter de courir trop de risques face au patron.
Les luttes portaient sur des questions de licenciements, de salaires, de conditions et de rythmes de travail, et seulement marginalement de contrats précaires. La solidarité entre camarades de travail y jouait un grand rôle.
L'action directe est une constante des luttes que le collectif a soutenues, comme de sa propre pratique. Un fonctionnement "assembléaire" a garanti la solidité de toutes les décisions importantes, sans pour autant empêcher certains groupes ou individus de prendre des initiatives autonomes accompagnant celles du collectif. Un équilibre a été trouvé, parfois fragile, entre l'initiative personnelle, la discussion et l'intelligence collective, la recherche de la légitimité dans l'action, la volonté d'éviter de se faire criminaliser, la conscience de défendre une cause juste.
Nous avons toujours compté sur nos propres forces, ne nous engageant que dans des initiatives à la hauteur de nos moyens. Ce qu'on pouvait observer dans l'action, c'était une articulation étonnante entre faiblesse des moyens et force des convictions, l'imagination servant de levier pour modifier les rapports de force avec les adversaires. Le type de relations établi avec les médias allait lui aussi dans ce sens : sans jamais imaginer fonder sur eux notre action, nous n'avons pas hésité à les utiliser à certains moments des luttes, sachant qu'ils pouvaient constituer une force d'appoint pour dépasser une faiblesse temporaire ou servir d'amplificateur à notre travail d'information.
Dans l'ensemble - qu'elles aient été ou non à l'initiative plus ou moins exclusive d'une section syndicale - les luttes sont restées sous le contrôle de l'ensemble des grévistes. Les militants syndicaux avaient parfois plus de poids, plus d'expérience, jouaient un rôle de conseillers ou de grands frères, mais nulle part il n'y avait de confiance aveugle ou de forme de subordination.
Dans certains cas, le rapport qu'entretenaient les salariés avec le syndicat (et aussi, pourquoi ne pas le reconnaître ?, avec le collectif de solidarité) peut être qualifié de rapport de consommateur. Comment expliquer autrement, par exemple, le silence des grévistes du McDo de Strasbourg-Saint-Denis après le retour au travail, y compris quand, trois mois plus tard, les premières représailles ont commencé à arriver (les salariés se sont alors tournés exclusivement vers la CGT, qui leur fournissait l'assistance juridique, sans daigner informer quiconque au sein du collectif) ?
Malheureusement, la solidarité semble avoir été vécue par les salariés en grève comme à sens unique. Une fois la grève finie à Strasbourg-Saint-Denis, il a rarement été possible, par exemple, d'engager les McDo dans un soutien à d'autres grèves en cours. La réciprocité dans le soutien est une exigence que le collectif a réussi à exprimer, beaucoup moins à mettre en úuvre : si l'on exclut la brève période de l'interenseigne des Champs-Elysées, où l'entraide était fondée sur le fait que les militants des entreprises concernées se connaissaient personnellement, les autres tentatives sont restées limitées et sans avenir. La grève d'Arcade en a apporté une autre illustration : bien que les grévistes et le collectif aient essayé d'exploiter toutes les occasions qui se présentaient pour souligner la nécessité de l'entraide, les résultats en la matière sont restés très modestes.
Les grèves que nous avons tenté de soutenir présentaient certaines caractéristiques communes, sur lesquelles il vaut la peine de réfléchir.
La durée de ces grèves dépasse celle de la plupart des luttes de ces dernières années : plus de trois mois à McDo Strasbourg-Saint-Denis, presque un mois à la FNAC, plus de deux semaines au McDo Saint-Germain, neuf mois à Arcade (lutte encore en cours). C'est la durée qui a permis à la solidarité de se structurer et a favorisé le regroupement d'autres luttes plus brèves autour d'un pôle principal. Les énergies militantes réunies par ce biais se sont ensuite redistribuées sur des luttes qui sans cela seraient restées invisibles ou isolées. Les grèves ont représenté un fil conducteur fort autour duquel d'autres initiatives de solidarité se sont structurées, plus modestes, individuelles, mais pas pour autant moins utiles sur le plan de la conflictualité d'ensemble. Evidemment, un milieu militant restreint ne peut offrir un soutien efficace à toutes les luttes qui en auraient besoin : c'est donc la durée - couplée au hasard des rencontres, des affinités, des amitiés, du bouche-à-oreille - qui a permis ces jonctions et la focalisation du soutien sur un point précis de la lutte de classe. Dans les faits, le collectif de solidarité représente une sorte de prime à la combativité et à l'opiniâtreté pour celles et ceux qui choisissent de se battre avec détermination et résistent assez longtemps pour permettre à la solidarité de se mettre en place et de s'étendre.
La petite taille des grèves en cours est un autre élément qui a permis à un réseau relativement modeste de jouer un rôle utile dans la pratique. Le nombre relativement réduit des grévistes (30 à 40) a permis de leur assurer un soutien financier qui aurait été inenvisageable s'ils avaient été des milliers, les sommes disponibles pour des formes de solidarité ne pouvant suffire dans l'état actuel des rapports de force. C'est là un problème spécifique au mouvement ouvrier français, qui n'a pas de tradition de fonds de grève structurés et stables. Positive ou négative, c'est une réalité dont il faut tenir compte.
La petite dimension des grèves et l'existence d'un point d'application précis et limité ont permis de sortir de la logique de la propagande (contre la précarité, par exemple), des discours creux et des débats idéologiques (pour ou contre le syndicalisme, la CGT, le syndicalisme alternatif, l'unité, la radicalité, etc.) pour poser les problèmes de façon concrète ; de sortir de l'idéologie (antimondialiste, citoyenne ou anticapitaliste) pour se placer sur le terrain pratique de la lutte de classe. Sur ce terrain, chacun a pu appliquer ses propres clés d'analyse à l'action collective et apporter sa propre contribution, qui n'a pas été jugée à l'aune de sa radicalité abstraite ou de sa beauté théorique, mais de sa pertinence pratique pour le succès de la lutte - ce qui laisse peu de place à la démagogie et aux magouilles. Certes, la façon de lutter devenait un objet de débat, mais un élément restait stable, indispensable à la poursuite de la lutte : le fait que les décisions concernant leurs grèves restent sous le contrôle des grévistes eux-mêmes.
Dans un contexte où les "mouvements hors sol" - comme les a avec bonheur qualifiés René Riesel - tendent à polariser l'attention des forces politiques et sociales qui travaillent à un changement social (radical ?), l'expérience du collectif de solidarité donne au contraire corps à l'idée qu'il est nécessaire et concrètement possible de revenir sur le terrain de la lutte entre les classes en redonnant aux mouvements des racines sociales. Racines qui plongent dans le rapport salarial, au cúur, donc, des relations qui structurent notre société.
Au sein du collectif s'opère une inversion de logique : on ne cherche pas à drainer des militants engagés dans des luttes concrètes vers des activités de propagande générale (contre le fascisme, la répression, etc.), ni à occuper le terrain en faisant de la propagande sans point d'application précis (contre le manque de logements, la précarité, etc.), ni à nous spécialiser dans une activité de soutien individuel (aux sans-papiers, aux victimes de la répression, aux demandeurs de logement) - activité qui a son utilité mais est souvent bureaucratique - ni à grossir le flux des personnes qui se rendent à Seattle, Göteborg, Prague ou Gênes pour se retrouver finalement isolées et atomisées dans leur vie de tous les jours, et avec de beaucoup de mal à entrer en lutte. Sans renoncer aux groupes dont ils font partie, les militants du collectif se trouvent impliqués dans une lutte concrète ayant un point d'application précis sur le terrain social et enracinée dans le rapport salarial, même si les choix des grévistes, qui gardent en main le gouvernail de la lutte, sont toujours respectés. L'ancien positionnement des "avant-gardes" se trouve ainsi simplement renversé : ce que les militants ont à donner, ce ne sont pas des leçons, mais une expérience qui leur permet de se rendre utiles et, parfois, des réflexions à échanger. Ce qui ne veut pas dire que les rapports avec les grévistes (différents selon le secteur et l'entreprise) sont toujours simples : trouver une langue commune s'avère parfois problématique, les différences d'expérience et de formation peuvent être des barrières difficiles à franchir.
Mais il faut aussi reconnaître que l'action du collectif de solidarité a souffert des limites et contradictions inhérentes aux milieux militants proches ou présents en son sein. J'en relève quelques-unes à titre d'exemple.
Le poids des jalousies et suspicions entre syndicats, et plus généralement des logiques de boutique. Logiques qui ont amené certains à percevoir l'activité du collectif comme celle d'un dangereux concurrent et parfois à chercher, plus ou moins discrètement, à le discréditer.
La difficulté de certains syndicalistes ayant cultivé des habitudes syndicales dans des secteurs où règne une certaine culture de la concertation (le secteur public, notamment) à comprendre les exigences de luttes nées dans des secteurs beaucoup plus durs, où les grévistes doivent lutter contre l'isolement et l'intransigeance patronale en s'organisant pour tenir dans la durée. Le fait que les grévistes d'Arcade aient eu recours (quand elles l'ont pu) à des petits boulots de remplacement temporaires pour résister dans un contexte où le soutien financier n'était plus à la hauteur des besoins les plus élémentaires a par exemple donné lieu, au sein de SUD-Rail, à des interprétations qui n'ont guère aidé à maintenir la mobilisation sur le long terme...
Dans un autre registre : la générosité de milieux militants se vivant comme l'incarnation de la radicalité s'accompagne parfois d'un étonnant manque d'intelligence des situations concrètes et d'imagination dans l'affrontement. Je pense en particulier à l'intervention tentée par le collectif dans une rencontre publique entre le directeur financier du groupe ACCOR et ses actionnaires : la possibilité d'affronter publiquement nos adversaires par la discussion, en démontant leurs arguments, s'est de fait effondrée au profit d'une intervention confuse et bruyante du genre de celles que l'on a connues dans les diverses occupations d'ANPE, Assedic ou CAF de ces dernières années. L'idée que l'on peut gagner en « mettant la pression », indépendamment de la réalité des rapports de forces, amène ainsi parfois à renoncer à la seule arme dont on dispose face à un adversaire démesurément puissant : mettre à mal sa façade de respectabilité, en montrant au plus grand nombre la réalité des rapports de travail soigneusement dissimulée derrière les sourires, les protocoles et les chartes en tout genre. Un certain radicalisme de principe peut donc, dans des rapports de force difficiles, s'avérer plus dangereux que bénéfique, surtout lorsqu'il va jusqu'à mettre en jeu l'unité des grévistes, que l'on devrait au contraire protéger comme la prunelle de nos yeux.
Plus généralement, il est permis de penser que le milieu militant extrasyndical aujourd'hui disposé à mettre son énergie et sa révolte au service des luttes des salariés les plus exploités souffre de carences qui renvoient à la domination, pendant cette dernière décennie, d'une culture militante forgée dans des groupes comme le DAL, Droits devant ou AC ! Une culture qui, loin de produire capacité critique, intelligence collective, capacité à réfléchir ensemble sur et dans l'action, n'a fait que répandre un mode d'action standardisé et essentiellement bruyant, où des responsables autoproclamés estimant n'avoir de comptes à rendre à personne élaborent en comité restreint les stratégies politiques dont relèvent ces actions. Certes, ces pratiques n'ont pas manqué de soulever critiques et oppositions, mais elles n'ont trouvé en face d'elle le plus souvent qu'un vague radicalisme de principe, s'exprimant dans une culture du "refus de la revendication" qui, de toute évidence, n'a aucune pertinence dès lors que l'on entre dans le domaine des conflits du travail.
Le collectif de solidarité est né pour permettre à des luttes d'entreprise de sortir de leur isolement. Sa création s'explique par les insuffisances et les contradictions de l'action syndicale : un vide demandait à être rempli, des exigences cherchaient une réponse, que les syndicats seuls étaient incapables de fournir. L'existence même d'une structure de ce type met en évidence les faiblesses et les carences des syndicats, qu'ils soient traditionnels ou radicaux.
Avons-nous travaillé pour les syndicats ? Une chose est sûre : nous n'avons pas trouvé de solution permettant à ceux qui veulent lutter de s'en passer. Nos rapports avec eux sont ambigus car, dans l'état actuel des choses, les syndicats sont les seuls, dans les entreprises touchées par les luttes, à être en position de récupérer le travail fait et de faire de nouveaux adhérents ou militants dans des secteurs traditionnellement difficiles pour eux. Mais y réussiront-ils ?
A l'origine de ces luttes il y a souvent de jeunes militants en conflit avec leurs fédérations (et qui souvent n'ont pas les idées claires). L'expérience que nous avons faite ensemble peut leur fournir matière à réflexion. Il en restera sans doute un bagage d'expériences, susceptible de structurer une nouvelle génération de militants de situation. Une fois qu'on a découvert qu'on peut se passer de tuteur pour penser et agir, bien des choses deviennent possibles. C'est là probablement la part la plus féconde de l'action entreprise par le collectif.
Avec la fin de "l'empire du mal" à laquelle nous avons assisté cette dernière décennie, pas mal de théories de l'action et de la lutte de classe sont mortes. En fonder de nouvelles ou retrouver les racines d'expériences plus anciennes, et plus propres, du mouvement ouvrier est sans doute une nécessité, mais une chose reste indispensable : tenter dans la pratique d'ouvrir des voies nouvelles, voir sur le terrain ce qu'il est possible de faire à un moment donné des rapports de force entre les classes et de l'état des luttes. C'est probablement dans cette perspective qu'il faut lire l'expérience que nous avons faite.
G. Soriano
[1] La première partie de cet article reprend un texte publié par Le Monde libertaire n° 1267 du 7 février 2002. N'ayant pas eu le temps et la possibilité de discuter cet article avec les copains du collectif, je donne là ma lecture personnelle de notre expérience. Le choix d'analyser l'aventure du collectif, d'octobre dernier à aujourd'hui, comme une expérience marquée par la continuité se prête évidemment à discussion. J'ai sans doute laissé de côté des choses que d'autres ont vécues comme importantes ou trop insisté sur certains détails. J'espère toutefois avoir respecté globalement le sens de ce qui s'est fait.
Plusieurs articles ont été publiés sur la grève. Parmi les plus intéressants, citons : Jeff, "Résistance à la mac'dolisation", Courant Alternatif, janvier 2002, p. 5-8 ; Antoine, "Grèves à répétition dans le royaume de la précarité", Courant Alternatif, avril 2002, p. 11-12 ; Jànos Borovi, "La grève des McDo, lutte et espoir...", suivi d'une série de notes de Jeff, "Un bilan provisoire des McDo", Carré Rouge, n° 21, mars-avril 2002, p. 7-10 ; H.S., "Mac Do and Co", Echanges, n° 100, printemps 2002, p. 9-12. Ce dernier, très idéologique (contrairement aux trois premiers, très informatifs), a suscité une réponse de Nicole Thé : "McDo en lutte : éléments pour un bilan", Echanges, n°102, p. 40-46 (et Courant Alternatifn° 123, nov. 2002, p. 11-14).
Citons aussi le documentaire réalisé par Alima Arouali et Anne Galland, "On n'est pas des steaks hachés" (2002 - 54 min), très intéressant pour comprendre le climat de la lutte.
[2] Damien Cartron, qui a suivi de près l'expérience du comité de solidarité, a publié une série de travaux très intéressants sur l'organisation du travail dans cette chaîne de magasins. Pour les besoins de son enquête sociologique, il a travaillé chez McDonald's et fait directement l'expérience des mécanismes qu'il analyse. Son travail s'achevait sur une conclusion plutôt pessimiste, l'éventualité d'une lutte collective étant considérée comme très improbable. Ce que la grève est venue démentir, en le surprenant agréablement. On peut trouver ses textes sur son site : http://dcartron.free.fr/
[3] Il ne faut pas sous-estimer le rôle de soutien joué par certaines unions locales CGT : celles du Ier-IIe, du VIIIe et du Xe arrondissements dans la grève de McDonald's, celle du XIVe dans la grève d'Arcade.
[4] Cf. Le Combat syndicaliste n° 230, 24 janvier 2002, p. 8.
[5] Plus faible dans la première phase de vie du collectif, la diffusion de tracts est devenue importante ensuite, sur les Champs-Elysées puis avec le conflit Arcade.
[6] Si une grande partie des tracts ont été imprimés dans les structures de la CGT ou de SUD qui soutenaient la lutte, c'est sur ce terrain que le collectif a apporté la preuve concrète de son autonomie par rapport au grand frère syndical : quand la grève s'achève à Strasbourg-Saint-Denis, une "équivoque" provoque le retrait de la salle de la Bourse du travail où nous nous réunissions. La réunion suivante se fait alors dans un local associatif (CICP) et le collectif tire ses tracts par ses propres moyens, sans faire appel au syndicat, avant que le secrétaire de la fédération CGT du commerce ne présente formellement ses excuses et se dise disponible à continuer à fournir la salle de réunion.
[7] A vrai dire, seuls quelques individus ont été vraiment lucides sur cette question, alors que la majorité avait tendance à se comporter de façon plus "sportive". Mon impression est que l'influence de leur point de vue a marqué la pratique collective, mais je sais que je risque en disant cela de lire les choses comme il me plairait qu'elles soient. La question n'a en tout cas pas jamais l'objet d'une discussion sérieuse.
[8] Parmi les stupidités qui ont été écrites sur les activités et le débat du collectif, on peut en relever une particulièrement malveillante, contenue dans l'article non signé "Débat stratégique : un premier bilan de la lutte des précaires" (in Syndicaliste ! n° 17, juillet 2002, p. 10), où la disponibilité du collectif à donner un coup de main aux grévistes de la FNAC devenait : "Certains membres avaient proposé le comité clefs en main aux salariés de la FNAC qui prenaient le relais de leurs camarades de McDo." Inutile de dire que ce type de réflexion vient de gens hostiles à tout ce qui peut faire de l'ombre à leur syndicalisme.
[9] Sur le déroulement de cette grève on peut lire l'article de Gaëlle Créac'h, "La lutte des salarié(e)s de la FNAC", Carré Rouge, n°23, octobre 2002, p. 77-80.
[10] Les Echos du 8 avril 2002 faisaient part de la préoccupation des milieux patronaux face à des "mouvements très visibles", comme à Monoprix, FNAC, Virgin et McDonald's, se donnant des formes de "coordination géographique ou sectorielle", et surtout précisaient que la FNAC avait "dû accorder des augmentations collectives (et plus seulement individuelles), et les étendre à plusieurs de ses autres filiales".
L'Humanité du 15 mai citait de son côté un responsable patronal qui s'était exprimé dans Gestion sociale du 26 avril : "Cette radicalité nous inquiète tout à fait. Avec le syndicalisme classique, on sait faire. Mais pas avec ces opérations minoritaires, aux revendications fluctuantes et compliquées." Exégèse de Catherine Lafon dans L'Humanité : "fluctuantes" signifie refus de la flexibilité, "compliquées", augmentations de salaires - guère "minoritaires", à l'évidence.
La grève des McDo - et celles qui l'ont suivie - est aussi visiblement ce qui a inspiré à Jacques Trenteseaux son article "La montée des extrémistes" (paru dans Enjeux, supplément de novembre 2002 des Echos, p. 72-78), où, s'interrogeant sur les conflits en question, il tente de répondre aux préoccupations patronales, sans toutefois se montrer capable d'aller au-delà de la découverte du rôle des terribles extrémistes de SUD, ce qui l'amène à conseiller aux entreprises de valoriser le dialogue social avec des syndicats responsables pour éviter le développement du « radicalisme ».
[11] Son titre, "Lutter contre le fascisme, c'est d'abord lutter contre son propre patron" est explicite : l'idée défendue est que la croissance du FN est un problème à affronter sur le terrain des luttes sociales plus que sur le terrain électoral. A partir de quoi, nous y présentons ce qui a été notre contribution, en insistant sur le fait qu'il s'agit d'initiatives à la portée de tous. Ce tract est sans doute l'un des rares qui n'aient pas fait à cette occasion de l'électoralisme ou de l'anti-électoralisme mais aient cherché à mettre en lumière une voie possible, concrète, sans donner de leçons au bon peuple travailleur. Il s'achève sur un sourire optimiste : "Que cent, mille collectifs de solidarité fleurissent à travers le monde." Un second tirage en sera distribué le 19 mai à l'occasion de la fête de Lutte ouvrière.
[12] Une partie du chapitre qui suit a été envoyée à la presse militante pour satisfaire aux besoins d'information de la grève. On peut ainsi la trouver dans le numéro de décembre 2002 de Courant alternatif et de plusieurs autres journaux libertaires.
[13] Voir à ce sujet " Grève Arcade : chronique d'une victoire annoncée ! ", in Sud Rail, octobre 2002, p. 12 (sans doute écrit au mois de juillet) et " Arcade, victoire ! " publié dans Rouge n° 1985 du 26.9.02."