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L'En Dehors


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Une alternative à la grande distribution

Les Nouveaux Robinson sont une chaîne de supermarchés biologiques en pleine expansion. Participant au Réseau d'échanges et de pratiques alternatives et solidaires, cette entreprise originale soulève la question de la compatibilité entre alternatives au système dominant et stratégie de croissance.

La Terre notre île à tous", une île désertée par les préoccupations écologiques et sociales, une île dont la durabilité est remise en cause, une île dont l'avenir dépend de la capacité de chacun à devenir un Robinson, pour construire l'utopie. Etre un Robinson c'est devenir responsable, donner un sens à sa vie, faire des choix de subsistance dans un environnement nouveau, réinventer des liens sociaux et inventer un nouveau rapport au travail. La Société coopérative biologique parisienne les Nouveaux Robinson a été fondée en juin 1993 dans un esprit alternatif reposant sur l'écologie et l'expérimentation de liens sociaux différents. Elle regroupe aujourd'hui trois supermarchés et plusieurs boutiques spécialisées dans lesquels travaillent 120 salariés et elle compte bien poursuivre sa croissance. Pourra-t-elle rester une véritable alternative, fidèle à ses valeurs fondatrices, tout en s'inscrivant dans une ambitieuse stratégie de croissance ?


L'écologie au coeur d'une expérimentation sociale


Au début des années 90, Didier Legat, un cadre commercial de l'informatique au chômage, réfléchit à la création d'une entreprise qui pourrait participer à l'expérimentation de liens sociaux différents. Militant, se sentant proche de Greenpeace (1) et de Nature dz Progrès (2), il souhaite inscrire l'écologie au centre de sa démarche entrepreneuriale sociale et éthique.

Didier constate, d'une part, qu'il n'y a pas de supermarchés biologiques en région parisienne et d'autre part, qu'il n'existe pas, dans les circuits de distribution existants, d'offre suffisamment large de produits biologiques ou écologiques qui pourrait satisfaire les militants. Partant de l'hypothèse d'une société coopérative de consommateurs parisienne qui pourrait pallier ce manque, il lance une étude de marché qui durera un an. Cette étude, qui se déroule sur les marchés biologiques, en particulier sur le marché Raspail, est aussi l'occasion de prospecter les futurs sociétaires de la coopérative.

Une recherche de locaux bon marché l'amène début 1993 à Montreuil, petite ville de l'est parisien dans laquelle il y a beaucoup de friches industrielles, mais aussi beaucoup d'habitants ceuvrant dans le domaine culturel. La souscription réalisée, ainsi qu'un emprunt contracté auprès du Crédit Coopératif, permettent aux Nouveaux Robinson d'ouvrir un premier magasin dont les premiers clients sont des militants écologistes de longue date.

Cette coopérative de consommateurs prend la-forme d'une société anonyme au statut coopératif. Elle est dirigée par un conseil de surveillance, élu parmi les coopérateurs, qui nomme le directoire, c'est-à-dire l'équipe de direction opérationnelle. Les coopérateurs, aujourd'hui au nombre de 676, sont des consommateurs ainsi que quelques producteurs.

Se sentant proches de l'idéologie des Biocoop (3), les Nouveaux Robinson adhèrent au réseau et bénéficient de sa centrale d'achat, mais font d'emblée le choix d'élargir l'offre proposée. Ils proposent ainsi, dès le début, 5000 références alors qu'il n'y en avait que 2000 à Biocoop.


Des liens directs avec les producteurs

Cet élargissement de l'offre (7000 références aujourd'hui) a pour principale motivation d'établir des échanges directs avec les producteurs et les transformateurs. Aujourd'hui, les Nouveaux Robinson ne s'approvisionnent plus auprès de la centrale d'achat Biocoop : 60% des produits distribués sont obtenus auprès d'une dizaine de grossistes différents. Quant aux 40% de références restantes, elles sont issues de 500 fournisseurs gérés en direct.

Les Nouveaux Robinson veillent à ne pas mettre les fournisseurs en situation de dépendance, en les incitant à ne pas dépendre d'eux pour plus de 10% de leur chiffre d'affaires. Leur délai de règlement moyen, qui est inférieur à un mois, se démarque très nettement des 90 jours traditionnellement pratiqués par la grande distribution classique. Un autre aspect qui les distingue de leurs concurrents est l'absence de pratiques promotionnelles, qui sont normalement financées par les fournisseurs.

Bien qu'ils ne le demandent pas à leurs fournisseurs, ils acceptent néanmoins les marges arrières (4) versées par certains fournisseurs habitués à travailler avec les centrales d'achats de la grande distribution.


Rester attentifs à la concurrence


S'ils souhaitent privilégier des pratiques alternatives avec leurs fournisseurs, les Nouveaux Robinson doivent néanmoins rester attentifs à la concurrence. Les produits sur lesquels ils sont le plus vulnérables face à la grande distribution sont le lait et les produits transformés, comme les biscuits, les produits pour bébés... °Sur ce type de produits, ils sont obligés de s'aligner en termes de prix. C'est pourquoi ils mettent l'accent sur les produits frais, qui représentent aujourd'hui plus de 50% de leur chiffre d'affaires et pour lesquels ils font face à peu de concurrence. Jean Mata, l'actuel président du directoire des Nouveaux Robinson, admet que les Biocoops sont positionnées sur le même type de produits, mais qu'il reste encore beaucoup de place en Ile-de-France pour satisfaire la demande.

Les produits biologiques de consommation courante sont souvent plus chers lents proposés par les grandes surfaces traditionnelles. C'est pourquoi, afin de "permettre au plus grand nombre d'acheter des produits biologiques", les Nouveaux Robinson proposent le "panier Robinson", qui offre en permanence une gamme de 74 produits de base sur lesquels "la coopérative et les producteurs ont volontairement appliqué une marge réduite".

Les marchés biologiques, quant à eux, ne sont pas considérés comme des concurrents. C'est même le contraire, les personnes allant faire leur marché vont souvent compléter leurs achats aux Nouveaux Robinson par des produits d'épicerie ou des produits non alimentaires.


Logique de croissance

Le marché des produits biologiques connais depuis dix ans une croissance annuelle à deux chiffres, mais constitue toujours une très faible part des produits vendus en France. C'est pourquoi Jean Mata considère 'que "la marge de croissance pour les Nouveaux Robinson est quasiment infinie".

Depuis 1993, année d'ouverture du premier magasin à Montreuil, ce fort potentiel de croissance n'a effectivement pas été démenti. La coopérative ouvre deux magasins à Neuilly et Boulogne en 1996, puis des boutiques spécialisées à Montreuil en 2001 et 2002 : librairie, écoproduits, cosmétiques et compléments alimentaires, literie, linge de maison. En septembre 2004, elle ouvre un restaurant-bar salon de thé à Montreuil : la place de la République de Montreuil est littéralement ceinturée par l'enseigne aux petits pois. Cette dernière aventure ne sera d'ailleurs pas un succès comme les autres initiatives des Nouveaux Robinson. Souhaitant donner aux employés du restaurant les mêmes conditions de travail qu'aux autres employés du groupe, ils ne parviennent pas à rester compétitifs face aux conditions d'emploi très particulières habituellement proposées dans la restauration. Le restaurant ferme au bout de six mois.

Certains petits concurrents locaux, comme par exemple un magasin La vie claire de Montreuil, ne survivent pas à la position solide que les Nouveaux Robinson se sont construite en une dizaine d'années. Mais l'ambition des Nouveaux Robinson ne s'arrête pas là, ils souhaitent "gagner une place prépondérante en Ile-de-France".

Les dividendes versés aux sociétaires des Nouveaux Robinson sont plafonnés par la loi à 4% d'intérêts. 50% des profits sont ainsi versés aux salariés et 50% sont mis en réserve, c'est-à-dire qu'il ne sont pas redistribuables et qu'il doivent être réinvestis. Cette forme d'actionnariat devrait donc logiquement éviter l'habituelle course aux profits à l'origine de la logique de prédation et de croissance infinie représentative de l'économie capitaliste. Si ce n'est pas cela, quel est donc le moteur de la croissance des Nouveaux Robinson ?

"Notre stratégie de croissance est liée à. une de croissance de la bio en France", nous répond jean Mata. II souhaite ainsi que cette croissance se poursuive, mais il se trouve confronté au

problème d'une agriculture biologique locale qui ne suit pas la demande croissante. En effet, les conversions à l'agriculture biologique sont, d'après jean Mata, en diminution car les agrobiologistes reçoivent moins de subventions que les agriculteurs conventionnels. Par ailleurs, les grands groupes industriels, dont la logique domine actuellement les marchés, n'ont pas intérêt à ce que l'agriculture biologique paysanne, c'est-à-dire locale et non productiviste, se développe. Beaucoup d'importations sont donc nécessaires pour satisfaire une demande croissante. Il faudrait selon lui, parvenir à une meilleure organisation de la production. Répondant à notre souci de savoir ce que son entreprise fait pour favoriser l'émergence d'une agriculture biologique locale, jean Mata admet qu'une implication dans des associations militant pour cette cause serait souhaitable, mais estime que son entreprise n'en a malheureusement pas les moyens.


Éthique et croissance


Cette vocation à devenir un acteur prépondérant en Ile-de-France et même peut-être au delà, est si présente qu'elle semble pousser les Nouveaux Robinson à continuer de croître, même si l'agriculture biologique locale ne suit pas. Plus globalement, nous nous demandons si la logique de croissance ne risque pas également de nuire à certains fondements écologiques que cette entreprise revendique.

Selon jean Mata, il y a, au sein des Nouveaux Robinson, une remise en question permanente sur les questions écologiques. Ils doivent `faire des choix difficiles". Ainsi, le choix de ne pas vendre que des fruits de saison locaux a été fait pour satisfaire la moitié de leur clientèle qui achète biologique pour des raisons de santé et qui "veut donc du bio à tout prix, contrairement au client écolo, qui tient compte de la saison et de la provenance".

C'est pourquoi le supermarché de Montreuil vend des tomates toute l'année, ainsi que beaucoup de fruits et légumes importés parfois de très loin. Et, plus généralement, même si les choix écologiques sont flagrants (épicerie sèche en vrac, boucherie et boulangerie artisanales, présence importante des labels Demeter et Nature fr Progrès ...), ceux-ci côtoient des choix moins écologiques (nombreux produits importés, produits biologiques issus de l'industrie et donc suremballés, compléments alimentaires...).

Cette stratégie de croissance peut-elle également avoir un impact sur le choix initial de créer "une entreprise avec un lien social différent" ? Cette éthique sociale occupe en effet une place aussi prépondérante que l'éthique écologique dans la culture d'entreprise des Nouveaux Robinson et les principes de fonctionnement interne de cette structure alternative les démarquent très nettement des acteurs habituels de la grande distribution.

Ainsi, même s'ils n'y sont pas incités car "l'implication doit être volontaire", 25% des 120 salariés des Nouveaux Robinson sont également sociétaires. De même, un tiers des salariés participe à l'assemblée générale du personnel, qui débat de nombreux sujets et élit le représentant du personnel au conseil de surveillance. Ces proportions, qui montrent une implication du personnel très forte par rapport aux entreprises classiques, pourraient néanmoins être plus importantes. Mais, du fait de la récente croissance, la moitié des salariés a moins de deux ans d'ancienneté et "tous n'ont pas forcément la conscience de faire partie d'une entreprise différente". Jean Mata pense que la direction aura à faire des efforts "pour cultiver cette différence". Le nombre désormais important de salariés et la nouvelle organisation du travail, due à l'ouverture entre midi et deux heures, y sont pour beaucoup. "C'est, selon lui, un des travers de la croissance, qui fait que certains employés ne se croisent jamais".

Les Nouveaux Robinson avaient également fait des choix alternatifs au niveau de leur politique de rémunération : les plus bas salaires sont équivalents au Smic +30% et le coefficient entre le plus bas et le plus haut salaire n'est que de 2,4 ce qui est une fourchette de rémunération très écrasée et sans commune mesure avec celles que l'on constate habituellement dans la grande distribution. De même, l'intéressement aux profits de l'entreprise est réparti de façon égalitaire entre les salariés proportionnellement à leur temps de travail. "Mais avec la croissance, la fourchette des salaires va s'élargir, pour permettre 1e recrutement de managers". Même si les salaires de ces nouveaux managers, dont le recrutement est rendu indispensable par la stratégie de croissance choisie, resteront plus bas que ceux proposés par la concurrence, il est nécessaire de "mieux rémunérer les salariés qui font de l'encadrement, car ils ont plus de soucis et sont plus impliqués, notamment juridiquement". Jean Mata admet que cette augmentation des salaires les plus élevés est aussi rendue nécessaire par "la pression du marché".


Rester alternatifs


La coopérative les Nouveaux Robinson constitue une véritable alternative à la grande distribution, aussi bien par son organisation, son statut juridique, son approche du commerce, que par son éthique et sa culture d'entreprise. La forte croissance qu'elle a connue en dix ans et le choix de poursuivre dans cette stratégie d'expansion amènent néanmoins à se poser des questions. Ses dirigeants admettent en effet que certains principes sociaux ont déjà connu, ou connaîtront une inflexion. Le choix d'une telle stratégie transparaîtra forcément dans la culture de l'entreprise. "Les choix difficiles" à faire sur les questions écologiques risqueront alors fortement d'être guidés par des considérations commerciales et non pas écologiques.

Si la vocation des Nouveaux Robinson est vraiment de favoriser l'émergence d'une agriculture biologique locale en France, afin de mettre "les produits biologiques et écologiques à la portée du plus grand nombre", pourquoi ne pas opter pour une stratégie d'essaimage ? Celle-ci pourrait aboutir sur la création de structures décentralisées et autonomes, à une échelle où il est plus facile d'appliquer les principes sociaux revendiqués. Sur la base d'une charte commune, l'essaimage pourrait aussi favoriser la distribution de produits biologiques de saison en circuits courts. Ainsi, les Nouveaux Robinson éviteraient une regrettable dérive de l'idéal social et écologique qui a motivé leur fondation. "Pourquoi pas, nous répond Jean Mata, les Nouveaux Robinson pourraient faire cadeau de leur expérience dans le cadre d'une stratégie d'essaimage, mais à condition que cela soit auprès de coopératives". La Terre n'est-elle pas notre île à tous ?


Alban Labouret et Aymeric Mercier


Les Nouveaux Robinson, 49, rue Raspail, 93100 Montreuil, tel : 01 49 88 25 10,

http://www.nouveauxrobinson.fr



(1) Greenpeace France, 22, rue des Rasselins, 75020 Paris, tel : 0144 64 02 02, http://www.greenpeace.fr,

(2) Nature 6t Progrès, 68, boulevard Gambetta, 30700 Uzès, tél : 04 66 03 23 40, http://www.natureetprogres.org,

  1. Biocoop, 157, rue des Blains, 92220 Bagneux, tel 0145 36 17 17, http://www.biocoop.fr

  2. Ristourne obligatoire que les distributeurs sont obligés d'accorder en fin d'année dans la grande distribution.

S!lence #327 septembre 2005
Ecrit par libertad, à 23:08 dans la rubrique "Projets alternatifs".



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