Révolution ? Tentative de définition et de méthodologie...
Révolution ? Court énoncé mais vaste question. Que j'aborderais très humblement dans une "tentative" de définition et de construction méthodologique. De fait, je ne vais exposer que ma vision personnelle de la révolution et de la méthode envisagée pour y parvenir.
La première question à se poser est, selon moi : Pourquoi une
révolution ? Qu'est-ce qui fait qu'un mouvement révolutionnaire puisse
émerger à un moment T, et éventuellement obtenir un changement du
système d'organisation sociale et économique. Poser cette question,
c'est s'interroger sur la motivation révolutionnaire, sur les moyens et
les circonstances de son extension populaire. En somme, on y revient :
définition et méthodologie.
Afin de mettre mes propos en perspective, je vous propose de brièvement
nous attarder sur deux exemples de mouvements révolutionnaires : la
Révolution française de 1789 et la Commune de Paris. Si je n'aborde que
ces deux événements à l'exclusion des autres, c'est tout simplement que
je considère n'en pas savoir assez sur les autres pour pouvoir en faire
un analyse.
La révolution française de 1789 a eu lieu dans le cadre d'un système
monarchique, c'est-à-dire au sein d'un système social rigide et formel,
dans un contexte de pénurie alimentaire. Selon toutes analyses, c'est
ce contexte qui a "déclenché" primairement le mouvement
révolutionnaire. La présence d'un mouvement théorique important (Les
Lumières), pré-existant à la révolte proprement dite a permis un
changement de système politique et social en instaurant la République.
Instauration qui n'a fait qu'officialiser la confiscation bourgeoise
des fruits révolutionnaires. Ce qui s'est traduit, dans les faits, par
la substitution d'une noblesse d'argent à une noblesse de sang.
L'histoire de la Commune de 1871 est différente. Tout d'abord parce que
l'insurrection a ici un caractère profondément urbain. En effet,
celle-ci s'est concentré quasi-exclusivement sur Paris et quelques
autres grandes agglomérations (Grenoble, Lyon, Marseille entre autres).
Cela s'explique par les mutations en cours dans la société française en
cette fin de 19è siècle : industrialisation et exode rural. Le contexte
théorique (et notamment la présence vivace de la pensée anarchisante,
sinon anarchiste, au sein d'un secteur de la presse en pleine
effervescence) a ici joué un rôle important dans l'élaboration d'une
pensée critique tout d'abord, puis dans l'émergence et la conduite de
l'insurrection (cf. "Histoire de la Commune de 1871", Prosper-Olivier
Lissagaray). Le rôle de l'événement déclencheur est ici tenu par la
défaite de la 2è République face à la Prusse dans le cadre d'inégalités
grandissantes. Si cette insurrection n'a pas été "victorieuse", suite à
une répression sanglante, elle n'en fut pas moins riche
d'enseignements. Elle démontre tout d'abord que l'industrialisation, et
derrière elle l'idéologie du progrès technique comme solution miracle,
n'a rien changé et ne le fera jamais, un autre monde est possible.
D'autre part, la Commune a démontré, si besoin était, que la révolution
concerne l'ensemble de la société dans ses composantes individuelles.
Femmes et enfants compris. Plus une expérience pratique de la
révolution en milieu urbain inestimable.
De ces deux exemples, on peut essayer de déduire des points communs
décontextualisés. Cependant, les déductions qui vont suivre n'auront
qu'une valeur indicative, du fait du caractère extrêmement restreint de
l'échantillon envisagé. il s'agit plus ici de montrer comment tirer du
passé révolutionnaire des idées pratiques pour la révolution. Dans
cette perspective, on peut discerner trois éléments nécessaires, à des
niveaux différents, à une révolution : une menace collective des
conditions de la survie individuelle, un milieu intellectuel critique
et révolutionnaire, un événement déclencheur.
I. Une menace collective des conditions de la survie individuelle :
Par cet oxymore, j'entends parler d'une aggravation des conditions de
survie (on ne parlera pas de "vie", faut être réaliste) de chaque
individu. Cette aggravation a un caractère collectif en ce qu'elle
touche une large part de la population, en rendant flagrante la
discrimination sociale (ex : famine en 1789, situation d'occupation en
1871). Cela fournit un levier à n'importe quel volonté révolutionnaire.
En effet, l'individu au pied du mur, sans perspective d'avenir, n'a
rien à perdre. Il est alors prêt à agir, à s'investir dans tout ce qui
peut représenter une solution. Ainsi, une multitude d'individus devient
réceptive au message révolutionnaire du fait de la constatation,
consciente ou non, de l'échec de l'organisation politique, sociale et
économique du moment.
Le mécanisme qui rend cette réceptivité possible ne nous est pas
inconnu : il s'agit du premier des instincts, l'instinct de survie.
Toutefois, il ne s'agit pas de l'instinct de survie envisagé dans son
sens animal strict. En effet, dans le cadre qui nous intéresse, il ne
s'agit pas d'une menace directe et immédiate à la survie individuelle.
Cependant, l'être humain pouvant anticiper l'avenir, se projeter dans
celui-ci (conscience réflexive), il est apte à cerner les menaces, plus
ou moins distantes, qui pèsent sur sa survie parce qu'elles pèsent sur
l'ensemble de la société. On se retrouve face à un instinct collectif
de survie sociale (ICSS). L'émergence de cet ICSS permet la réalité
d'un mouvement révolutionnaire, en opérant une profonde mutation
d'ordre psychologique chez l'individu. Celui-ci passe d'un système
individualiste/égoïste (stade infantile) à un système
individualiste/altruiste (stade adulte). Pour essayer d'illustrer :
l'individu cesse de vivre SON monde dans LE monde pour vivre LE monde
dans SON monde. L'individu, libéré du carcan social et moral d'un
système qui l'a trahit, retrouve en ces circonstances exceptionnelles,
ses capacités d'empathie. Rendant par là-même possible l'instauration
de systèmes basés sur des principes différents.
Toutefois, l'ICSS n'est pas tout. La nécessité d'un milieu intellectuel critique et révolutionnaire reste indéniable.
II. La nécessité d'un milieu intellectuel critique et révolutionnaire :
Cette nécessité n'est pas ponctuelle, elle intervient en amont (A) et en aval (B) de la révolution.
A. En amont : développer l'ICSS et théoriser la révolution :
En premier, le rôle d'un milieu intellectuel critique et
révolutionnaire est de favoriser le développement d'une conscience
collective. Il peut procéder en se contentant de relater les faits de
nature à provoquer un réveil de l'ICSS. Toutefois, l'ICSS n'est qu'une
émanation d'urgence d'une conscience collective plus large. L'émergence
de cette dernière permet à l'individu d'envisager non seulement sa survie à un niveau strictement individuel, mais également sa survie
au travers de celle du groupe à un niveau collectif. La question étant
de savoir comment susciter la conscience collective chez une large
gamme d'individus ? En tout état de cause, il semble inévitable de
détruire les barrières mentales qui isolent l'individu de ses
congénères, lui faisant croire que sa survie n'est pas liée à celle des
autres. Quand je parle de barrières mentales, il ne s'agit pas
d'abstractions mais de concepts néfastes connus de tous : religion,
nationalisme, racisme, sexisme et une foultitude de -isme- ( et même
jusqu'à l'anarchisme...). On m'objectera que ces concepts permettent au
contraire le rassemblement d'individus sur une base collective. Certes,
mais ce rapprochement s'opère dans un cadre obligatoire (dogme) et en
opposition aux "autres" : celui qui adore un faux dieu, l'ennemi de la
patrie, l'être inférieur, le déviant, celui qui n'est pas d'accord,
etc... Je sais, détruire ces barrières semble être une tâche démesurée.
C'est pour cela que ce combat est l'affaire de tout être conscient de
ses responsabilités, et pas seulement celui d'une pseudo-élite. Il
s'agit certainement d'un combat sans fin, il reste cependant
indispensable.
Cette libération de l'individu permet à celui-ci de puiser librement
dans l'autre apport de l'intellectuel critique et révolutionnaire : la
théorisation révolutionnaire. En effet, l'individu libéré de ses
logiques exclusives pourra se servir rationnellement des théories (
économiques, éducatives, sociales, culturelles, environnementales,
psychologiques, ...) révolutionnaires pour servir son objectif. D'où
l'importance, même si cela peut sembler rébarbatif, de cette
théorisation. Pour faire dans la métaphore, elle est l'humus dans
lequel la graine de révolutionnaire grandit et s'affirme.
Nous l'avons vu, la place de l'intellectuel au sein du mécanisme
pré-révolutionnaire est primordial. Il a toutefois son rôle à jour
pendant et après la révolution.
B. En aval : le pendant et l'après révolutionnaire :
Pendant la révolution proprement dite, le rôle de l'intellectuel est
certes restreint. Toutefois, son rôle reste celui de n'importe quel
être au sein de la société en révolution. Il agira alors non plus en
tant qu'intellectuel mais en tant qu'individu révolutionnaire : d'où
son importance résiduelle.
Concernant les suites de la révolution, je pense que l'intellectuel ne
doit pas jouer un rôle de premier plan. J'entends par là qu'il ne doit
pas obérer les chances du nouveau système de redistribuer la
responsabilité politique au niveau individuel. Cependant, en tant
qu'expert, son appui et ses conseils ne pourront qu'être utiles.
Le rôle de l'intellectuel est donc central du point de vue
révolutionnaire (je tiens à préciser au passage qu'à mon sens, tout
révolutionnaire ne peut que participer à l'entreprise de théorisation,
ce qui fait de lui un intellectuel de facto). C'est lui qui permet
l'émergence d'une volonté révolutionnaire au sein d'un contexte social
adéquat. Il ne manque plus, dès lors, qu'un événement déclencheur.
III. Un événement déclencheur :
Quand je parle d'événement déclencheur, je parle d'un événement capable
de susciter un soulèvement populaire, apte à servir de base
révolutionnaire. L'éventail des possibles en ce domaine est large. Le
vocable commun est la "crise" : économique, politique,
environnementale, etc... Le problème étant qu'une "crise" ne peut pas
être définie objectivement. Le terme de "crise" ne signifie rien en
dehors de l'objet auquel il s'applique. Dans le cadre qui nous
intéresse, la "crise" recouvre une réalité bien particulière : celle
d'une inadéquation flagrante entre une structure humaine positive (ex :
Etat, politiques publiques diverses, système juridictionnel, etc...) et
la réalité. Ainsi, deux éléments fondent la crise : l'inadéquation et
la flagrance. Je ne m'attarderais pas sur l'inadéquation. Partant d'un
pré-supposé révolutionnaire, l'inadéquation du système avec la réalité
est acquise, quelle que soit la tendance. Ceci relève du domaine de la
théorisation révolutionnaire que nous avons déjà vu. il faut cependant
noter que cette inadéquation est inhérente au système remis en cause,
elle pré-existe à la crise. De fait, la flagrance de la crise ne sert
que de révélateur de l'inadéquation. la question est de savoir d'où
sort cette flagrance. Si elle vient de la nature de l'événement en
cause ou bien de la nature spécifique du public de cet événement. C'est
naturellement la nature du public qui crée la flagrance, puisque la
crise n'existe qu'en fonction de ce public. On en revient alors à la
conscience collective et à l'influence intellectuelle révolutionnaire
qui rendent évident ce qui n'était que diffus, sous-jacent, à la
périphérie. Il n'est dès lors pas question de "créer" une crise, mais
d'augmenter les probabilités de survenance de celle-ci.
-------------------------------------------------------------------------------------------------
Je pense que vous en conviendrez, le texte qui précède ne peut être
considéré, au mieux, que comme une analyse très superficielle de
problèmes éminemment complexes. Cependant, ce texte conserve son
intérêt à un niveau plus modeste, mais néanmoins fondamental. Il
s'agissait ici de donner un exemple d'approche rationnelle de la
révolution. Approche qui consiste assez simplement à définir un
objectif, à procéder à une analyse (causes, objectifs, moyens, etc...).
Même si celle-ci peut souffrir d'inexactitude, de légèreté, elle reste
de loin préférable à un des écueils majeurs de la révolution : le
romantisme et le mysticisme. Même si ces deux biais peuvent attirer un
large public, ils vident de leur contenu la révolution. Ces deux
écueils constituent, à mon sens, deux facteurs profondément
contre-révolutionnaire, car une révolution non rationnelle n'en est pas
une.
Lanarko
|
Anonyme
|
salut l'anarko,
tout cela est encore effectivement trop imprécis. Quelques pistes donc pour approfondir (si je peux)...
L'avant-garde : Tu parles d'une élite intellectuelle -les révolutionnaires dans leur ensemble- indispensable au changement. Ce qui me surprend, c'est que tu en viens à ce point à partir de cette question : où se trouve les forces révolutionnaires dans la société ? Et tu inventes des forces spéciales chargées de guider l'assaut : les théoriciens. Mais n'y a-t-il pas aujourd'hui déjà bon nombre de gens qui sont des forces négatives à l'oeuvre contre le vieux monde ? N'y a-t-il pas eu des émeutes ? Et qui a déjà essayé de les coordonées ou de les égarer, si ce n'est les mass-medias et leurs spécialistes du discours policé ? Est-ce le rôle de la théorie que de penser ce que font ces forces négatives afin de les aider à se coordonner ou alors de prétendre leur être indispensable ?
La provocation : Tu proposes à ton élite de renforcer les conflits inhérents à notre vieux monde afin d'opérer une "profonde mutation
d'ordre psychologique chez l'individu", bref que les gens prennent conscience du conflit, c'est-à-dire que le conflit devienne leur vie. Mais le conflit n'est-il pas déjà leur vie ? Il s'agit donc de prendre conscience des conflits qui traversent nos existences. Est-ce banal de dire que nos vies nous échappent, que nous sommes des pions sur un échiquier ? Que nos vies sont prisent dans un changement sans fin et sur lequel nous n'avons pas prise ? Bref, la crise psychologique n'est-elle pas déjà flagrante ? Les gens ne sont-ils pas déjà de plus en plus paumés ? Qu'aiment-ils regarder à la télé ? Pour qui votent-ils (quand ils daignent encore voter) ? Tu proposes sérieusement de les mettre au pied du mur ? Mais pour beaucoup, n'y sont-ils pas déjà ? Aucune autre époque historique n'a autant inciter les gens à faire ceci ou cela, jamais on n'a autant provoquer les réactions personnelles, les rassemblements collectifs ; bref on n'avait jamais renouvellé incessament les raisons que nous avons d'être ensemble. Est-il nécessaire d'ajouter encore d'autres prescriptions à nos coeurs déjà tant malades et si mal soignés ? S'il doit y avoir des provocations (et à mon avis il doit y en avoir), ne devraient-elles pas pointer les faiblesses de l'ennemi au regard collectif ? Mais si ces faiblesses sont le fait d'autres groupes déterminés à en finir avec ce vieux monde, allons nous leur rendre la vie plus difficile à eux aussi, les mettre eux aussi au pied du mur ? Ne devrions-nous pas chercher une union, contre l'ennemi mais aussi pour une vie meilleur ensemble ?
Bonne nuit.
Répondre à ce commentaire
|
|
Anonyme
|
1. L'instinct collectif de survie sociale peut conduire à toutes sortes de mouvements, qui ne sont pas forcèment d'inspiration libertaire.
2.Tous les révolutionnaires se doivent d'etre aussi des intellectuels et des théoriciens...mais pour théoriser quoi ? Théoriser la révolution pour permettre "l'émergence d'une volonté révolutionnaire" ? Les temps seraient peut-etre plutot pour les "révolutionnaires-intellectuels" à théoriser l'après révolution (le texte posant la révolution comme rupture avec un avant et un après, j'en adopte sans conviction l'idée).
3. Précipiter les crises ? Mais quelles crises ? Une crise, surtout précipitée, n'est en rien la garante de l'avènement d'un mouvement émancipateur. Sauf éventuellement si c'est ce mouvement qui précipite la crise en question.
L'En-Dehors est un site sur lequel les thèses primitivistes ont régulièrement droit de cité. Que l'on soit plutot pour ou plutot contre le primitivisme, tous les "révolutionnaires-intellectuels" anarchistes pourraient songer à mediter sur ces deux simples observations : 1. Le primitivisme (dans ses variantes) a , toutes proportions gardées, le vent en poupe depuis quelques temps et 2. Les primitivistes sont les seuls (parmi ceux se revendiquant de l'anarchisme) dont la "théorie" est centrée sur l'après (et non l'avant ou le pendant), ce sont les seuls qui ont radicalement enfreint l'interdit anarchiste qui empeche, du moins encore pour le moment, de penser éfficacement l'après.
Il y a beaucoup de gens -et certainement plus que l'on ne le croit ou l'on ne le dit souvent- qui ne sont pas hostiles à l'idée de révolution (voire meme qui en revent chaque matin) mais qui sont frileux avec l'aventurisme politique et qui apprecieraient peut-etre plus l'idée de faire la révolution (différent de penser/rever à la révolution) si la "révolution" n'avait pas souvent des aspects de laboratoire d'experience.
Mifa
Répondre à ce commentaire
|
à 01:09