Joueb.com
Envie de créer un weblog ?
Soutenez le Secours populaire
ViaBloga
Le nec plus ultra pour créer un site web.
Débarrassez vous de cette publicité : participez ! :O)

L'En Dehors


Quotidien anarchiste individualiste





Crée le 18 mai 2002

Pour nous contacter : endehors(a)no-log.org



D'où venons-nous ?


Nos références
( archives par thèmes )


Vous pouvez nous soutenir en commandant nos brochures :

Les éditions de L'En Dehors



Index des rubriques

Les collaborateurs et collaboratrices de l'En Dehors

Liens

A noter

Recherche

Archive : tous les articles

Session
Nom d'utilisateur
Mot de passe

Mot de passe oublié ?

Quinze ans de Living
Le Living Théâtre, c'est un point de repère. Théâtre anarchiste. Théâtre non violent. Théâtre errant depuis une douzaine d'années. Mais aussi théâtre pratiquant la vie en communauté depuis plus de quinze ans.
En France, le Living s'est surtout fait connaître à Avignon en juin 68 avec la pièce « Paradise now ». Nous avons demandé à Judith Malina, qui a fondé avec Julian Beck ce théâtre pour le moins particulier, de nous dire quel est ce «paradis»qu'ils vivent «maintenant ». La cinquantaine, petite, un peu voûtée, elle sort d'elle-même une de ces voix étonnantes, une voix amicale, chaleureuse, chaude, brûlante. A y penser pendant trois jours...

 

Sexpol : Il y a deux questions que je voudrais te poser, à toi, et à travers toi au « Living Theatre ». La première serait : « Qu'est-ce que vous rêvez comme sexualité ? Qu'est-ce que vous proposez pour l'avenir ? Est-ce qu'on s'oriente vers un couple parfait, ou est-ce qu'on cherche dans d'autres directions ? » et ma seconde question serait : « Et aujourd'hui, qu'est-ce que vous arrivez à faire ? ».

- Judith Malina : C'est bien de diviser les questions de cette manière car c'est montrer que ce que nous voulons, nous n'arrivons pas à le faire immédiatement. Nos rêves sont plus clairs que la réalité immédiate. Nous sommes d'accord avec le mouvement général pour la libération sexuelle, pour la destruction de la forme nucléaire de la famille, de l'ancienne forme du couple, de la hiérarchie familiale, de la phallocratie et, comme anarchistes, c'est pour nous une option de base.

Dans nos spectacles, nous cherchons un monde où la relation de couple n'est pas nécessaire économiquement ni psychologiquement, et c'est sans doute sur le plan psychologique que c'est le plus difficile. La première chose à voir est à quel point tout dans notre vie est calqué sur le modèle de notre relation sexuelle, à quel point notre vie économique, politique, l'éducation des enfants, l'organisation du travail reproduisent ce modèle où l'homme domine la femme, où les parents dominent les enfants, où les enfants se dominent l'un l'autre selon l'âge ou la force. Et briser avec ce type de relation est bien certainement le plus difficile car, en échange de ce système de domination, l'individu est payé de quelque chose qui s'appelle la sécurité sécurité économique, sécurité psychologique, sécurité affective, etc. Voilà ce que nous propose l'État « Je te protège et tu m'obéis ». Esclavage contre sécurité.

La communauté, d'ailleurs, peut jouer ce rôle de protection maternante vis-à-vis de l'individu. Aux Mats-Unis, cela représente un mouvement très important, mais la plupart des communautés ne durent que 1, 2 ou 3 ans. Et pour les enfants, par exemple, qui ont vécu dans ces communautés et qui se retrouvent du jour au lendemain seuls avec leur mère, c'est un vide terrible. C'est peut-être la chose la plus difficile que de trouver les enclaves de la liberté dans notre société.

On pourrait examiner le rôle de la sexualité dans l'échec de beaucoup de communautés. Souvent, c'est des couples qui démarraient ; avec le brassement de la communauté naissent des désirs nouveaux, en général pas ou mal assumés car chacun reste souvent crispé jalousement dans son rapport de possession, et très vite l'ambiance peut devenir détonnante, tout étant interprété par rapport à ces problèmes de jalousie ou de désirs refoulés. C'est sans doute une des causes les plus fréquentes d'échec de communautés.

- C'est certainement vrai aussi au Living Theatre. C'est le meilleur exemple de la distance entre ce que nous voulons et ce que nous trouvons possible. Mais de penser toujours aux obstacles est aussi un obstacle. Nous sommes une communauté anarchiste mais nous ne sommes pas parfaits dans notre anarchisme. Nous connaissons tous les problèmes de compétition, d'âge, de lutte des désirs. Nous voulons être une communauté nonviolente mais nous ne sommes pas non-violents car nous restons imprégnés de notre conditionnement violent. Mais nous voulons être conscients à tout moment de cet écart qui sépare ce que nous rêvons de ce que nous sommes et, à la fois, ce que nous arrivons à être est un chemin vers ce que nous rêvons.

Mais c'est différent d'être « optimaliste » et d'être optimiste. L'optimiste est celui qui dit : « Tout ce que je rêve est possible ». L'optimaliste dit : « Je vais essayer d'avoir tout ce que je veux > , il voit clairement tous les obstacles et cherche à les détruire sans faire de compromis avec ce qu'il veut. C'est un peu notre philosophie. Nous sommes maintenant en communauté depuis 15 ans et nous avons eu beaucoup d'expériences différentes. Nous avons eu une phase de sexualité de groupe, une autre phase d'amour par petits groupes, une où nous étions tous par couples et, la plupart du temps, coexistaient des gens qui avaient une sexualité commune, d'autres qui pratiquaient l'échange de partenaires, d'autres en couple exclusif, d'autres qui préféraient vivre d'amours d'un soir au hasard des tournées.

Comme tu le dis, dans notre société, une sexualité très généralisée devient vite explosive, à cause des problèmes de jalousie et de rejet. Nous avons souvent arrêté des expériences à cause des souffrances que cela générait. Parce que nous sommes permissifs par philosophie, nous sommes sexuellement pluralistes. Si je pense que tu as fait un choix qui est mauvais pour toi, qui te dégrade, je pense que je peux te le dire, mais je pense aussi que je n'ai pas le droit de limiter ton aventure. Si tu es membre de notre communauté et si tu choisis une amante avec qui nous sommes certains que tu développeras de terribles problèmes, nous ne pouvons pas te limiter dans ta vie. C'est à nous d'accepter ce problème comme notre problème.

Pour parler de moi personnellement, à un moment j'ai eu une expérience traumatisante dans l'amour et, pour me consoler, j'ai été attirée par le sadomasochisme : j'ai trouvé une amante qui était très cruelle, personnellement et sexuellement, qui voulait me détruire et j'étais d'accord pour cette action. Nous avons eu un amour sado-masochiste assez extrême et le reste du groupe a vu sa persmissivité mise à l'épreuve. Que faire alors que j'étais en danger réel d'être blessée grièvement, tuée peut-être, et sûrement traumatisée de manière importante ? Ce fut l'occasion d'un véritable conflit au sein du groupe et finalement c'est mon amante qui, au bout d'un moment, quitta la troupe.

Je pense qu'au niveau sexuel, la critique est déjà une forme d'interdiction. Si nous ne voyons pas toute possibilité avec enthousiasme, avec un soutien total à celui qui la vit, je pense que c'est une forme d'oppression. Et pourtant je connais plusieurs personnes qui sont mortes à la suite de leurs relations sado-masochistes.

Physiquement mortes ?

- Physiquement mortes. Tuées dans les jeux d'amour. Si on a envie d'avoir des rapports dans un costume de policier et avec un bâton dans les mains, ou encore des costumes de cuir noir et toute la brutalité dont on est capable, moi qui me considère pourtant comme pacifiste, je ne peux qu'accepter cela. Et c'est difficile d'accepter cela comme une forme de libération. Daniel Guérin me disait la même chose hier soir : « Moi qui suis libertaire, j'aime les femmes avec lesquelles j'entretiens un rapport sexuel où je ne suis pas libre ». Il y a là une contradiction qui, je pense, est naturelle dans une société comme la nôtre. Nous voulons la liberté, nous voulons la permissivité totale et, au nom de cela, nous devons apprendre à mettre toute notre énergie pour soutenir un choix qui est celui de l'autre, même si nous ne l'aimons pas.

L'homosexualité a-tille été un problème au Living Theatre ? Y a-t-il eu un blocage ? Y a-t-il eu déblocage ? Est-ce que des pratiques sexuelles de groupe ont pu avoir leur rôle dans un déblocage ?

- Je ne sais pas ce que c'est que l'homosexualité. Nous sommes tous capables de faire l'amour avec tout le monde et la seule loi est celle du choix. Si on n'aime faire l'amour qu'avec un chat; je n'ai rien à redire à cela ; si on n'aime que les blondes ou les brunes ou les gens très jeunes, c'est parfait aussi. Le goût existe et c'est à prendre en compte. Le problème de l'homosexualité n'est qu'un problème social : c'est, celui de - la loi, de la tradition, de l'incompréhension et des préjugés. Dans des situations de sexualité de groupe, nous n'avons jamais pris en compte de telles limitations. Tous nos corps sont beaux, désirables; seules les préférences peuvent jouer, mais sans doute moins que dans un rapport plus intime.

Amour de groupe et intimité, voilà un problème important. C'est facile, je pense, d'avoir beaucoup de relations sexuelles superficielles ; ça ne fait pas de marque profonde sur la personne ; ça ne peut gêner beaucoup le partenaire habituel. Par contre, si ces relations incluent la vie quotidienne, la vie créative, alors elles peuvent laisser une empreinte plus profonde, et c'est plus difficile à supporter. Si quelqu'un découvre un jour une méthode thérapeutique contre la jalousie, je demande à connaître...

Et voir, dans une situation d'amour de groupe, une femme qu'on aime recevoir du plaisir d'un autre homme, sentir son plaisir monter et en être heureux soi-même, n'est-ce pas excellent pour guérir de la jalousie ?

-Bien sûr, mais, si tu vis dans un petit appartement, que tu as un enfant avec cette femme, que, pendant plusieurs mois, tu ne peux plus voir cette femme parce qu'elle est avec un autre homme et qu'elle n'a plus envie de rester avec toi, que tu es seul et que tu as besoin de chercher une autre femme, et que, si tu la rencontres, tu n'arrives pas à trouver la relation que tu cherches, alors tu retrouves la jalousie que tu croyais avoir perdue. Si ton partenaire a beaucoup de plaisir avec un autre, tu peux en être content ;mais si cela fait que toi, tu ne peux plus trouver ton plaisir avec lui, alors tu as l'impression d'être volé, qu'on te dérobe ce dont tu as besoin. Là tu es jaloux.

C'est plutôt l'angoisse de la solitude, l'angoisse devant la mort, ici la mort d'une relation...

- C'est ça la jalousie, c'est la peur de perdre ce dont tuas besoin. C'est sûr que, dans une situation idéale, cela ne se passerait pas mais, à mon avis, on en a encore pour cent ans pour y arriver.

Il y a deux choses qui sont plus importantes que toutes les évolutions psychologiques et les mouvements pour la libération sexuelle, c'est le contrôle des naissances et le contrôle des maladies vénériennes. C'est ces deux mouvements très concrets qui peuvent rayer nos mythologies basées sur le pouvoir, la phallocratie, la sécurité, la cellule familiale. De même, pour nous, le problème du logement a une forte influence sur notre type de sexualité. Nous sommes une communauté qui vit les trois quarts du temps à l'hôtel. Chaque soir se pose donc la question : «qui dort avec qui ? ». Notre sexualité est une sexualité basée sur les arrangements domestiques. Avec qui dort-on ? Avec qui va-t-on se promener ? Avec qui voyage-t-on en voiture ? C'est cela qui détermine la jalousie, en tenant compte bien sûr des particularités des individus. Julian* est un très bon exemple de non jalousie. Moi pas.

Il y a des gens qui pensent qu'une communauté ne commence que lorsque tout le monde dort dans la même pièce et baise avec tout le monde. Qu'en penses-tu ?

- Il en est du sexe comme du travail ! On a parfois besoin de s'isoler. Je ne peux pas écrire si un autre fait de la musique ou si d'autres font l'amour. Nous avons fait l'expérience de vivre à vingt dans une même pièce, pendant assez longtemps. Ça allait très bien, mais, au bout d'un moment, chacun se reconstituait des barrières. N'avoir ma vie sexuelle qu'en présence des autres me paraît aussi une limitation à ma liberté. Si j'ai envie d'écrire de la poésie et qu'à côté, six personnes font l'amour, j'ai vite envie de voir, peut-être de participer, et c'est dommage pour ma poésie... Je pense que vingt personnes vivant dans une chambre, ça ne peut conduire qu'à un certain conformisme des désirs et c'est dommage. Certains dorment beaucoup ;moi, cinq heures me suffisent mais j'ai besoin d'avoir deux heures de silence par jour. Le problème est d'avoir les possibilités architecturales d'équilibrer vie collective et vie individuelle.

Tu parlais de différence d'attitude entre Julian et toi quant à la jalousie. Penses-tu que les hommes et les femmes peuvent réagir différemment à la sexualité de groupe ? Comment peut se reproduire la phallocratie dans ce genre de rapport ?

- Julian et moi n'avons pas d'attitude différente sur la sexualité de groupe, nous avons seulement une différence dans notre jalousie : il est permissif et moi beaucoup moins. Je pense que, en général, les femmes sont beaucoup plus possessives, parce que socialement elles ont plus à perdre. Même les relations homosexuelles de femmes sont possessives, reproduisant ainsi les formes de relations hétérosexuelles. Au contraire, quand une relation est basée sur la confiance totale, il est possible d'être très ouvert. Julian et moi, nous avons une telle relation et c'est pour cela que nous pouvons vivre avec d'autres personnes sans avoir les souffrances de la jalousie. A cela se rajoute un problème très souvent occulté, c'est celui de l'âge. Daniel Guérin me parlait hier soir de la difficulté pour un homme de 72 ans de vivre une sexualité épanouie. Moi je me trouve comme une femme de 50 ans pour qui ce problème est chaque jour plus présent. Dans notre société, tous les médias distillent les mythes de la beauté et de la jeunesse. Je pense au moment où je ne serai plus considérée comme un animal sexuel. Et pourtant j'ai absolument besoin d'amour pour vivre. D'autres personnes vivent à peu près bien le rejet des autres, moi pas : j'ai une dépendance affective qui n'est pas près de disparaître.

Est-ce que la communauté et les rapports affectifs et sexuels pluralistes qu'elle peut comporter ne sont pas un moyen de mieux supporter d'être rejeté, de remplacer inconsciemment une relation quand une autre a tendance à s'effriter ?

- Malheureusement, nos relations sont basées sur un modèle qu'il n'est pas possible de briser totalement. Si nous développons un rapport oedipien et que ta mère te rejette, ce n'est pas possible de dire à une autre femme : « Ma tante, ne me rejette pas ! » . Car la tante n'est pas la mère. Si six personnes t'aiment beaucoup et que ton amour ne t'aime pas, ça ne compense rien du tout. Bien sûr, ça procure un certain soutien dans la souffrance, ça peut aider à faire le voyage du chagrin d'amour mais pas plus. Il est difficile de faire l'amour avec un autre quand on est en mal de quelqu'un. Il est même horrible de sentir un corps quand tes mains en cherchent un autre. Là je pense que la communauté ne peut rien pour toi, sinon un certain soutien. Tout n'est pas résolu, loin de là...

Recueilli par Jean-François GERVET

Sexpol #14 avril-mai 1977

Lire aussi Le Living Theatre, utopie communautaire et théâtrale anarchiste dès 1947

Lire aussi le dossier sur les origines de mai 1968

Ecrit par libertad, à 14:35 dans la rubrique "colonies et communautés anarchistes".



Modèle de mise en page par Milouse - Version  XML   atom