Cette stratégie doit d’abord se fonder sur une déconstruction de notre conception de l’Histoire et par voie de conséquence de ce qui constitue les luttes sociales et l’action politique. C’est une action difficile car elle remet en question tout ce que nous sommes en tant qu’acteurs politiques et sociaux et qui a été édifié par plus d’un siècle d’engagement et d’action politique.
Nous
avons une puissance d’anticipation et d’imagination de ce que nous souhaiterions être qui dépasse largement
ce dont nous sommes capables d’être.
Notre être social, dans son devenir
est très en deçà de nos projections intellectuelles. C’est le vivre social qui nous détermine dans
notre devenir, pas, magiquement, nos désirs.
REPENSER
LES LUTTES
La
répétition mécanique de formes de luttes, qui ont été efficaces à la fin du 19e
siècle et une bonne partie du 20e siècle, pour améliorer les
conditions sociales, dans des conditions où le rapport de force était favorable
aux salariés et où le capital pouvait se « payer la paix sociale »,
conduit aujourd’hui au fiasco.
Qu’il
s’agisse de la grève, de la manifestation ou autre forme de lutte,
il n’est plus possible d’en user et d’en abuser inconsidérément – comme c’est
le cas actuellement - sachant que l’on
n’obtient plus rien. Or, bureaucraties syndicales et politiques ne savent pas
faire autre chose et nous maintiennent dans cette impasse.
« Lutter », « se mobiliser », sont des termes
qui ont perdu en grande partie tout leur sens. Ce sont des mots devenus magiques,
à forte charge affective, utilisés à profusion dans les déclarations enflammées
qui donnent l’illusion de ….
Adapter
ces formes de luttes aux nouvelles conditions d’existence du système marchand,
et aux marges de manœuvres et possibilités qu’il nous offre, est indispensable
pour ne pas sombrer dans la lassitude et la démobilisation. Par exemple
développer la lutte pour la gratuité, généraliser la désobéissance
civique, transformer des occupations en reprise de l’entreprise par les
salariés,…
Il
ne s’agit pas de nier toutes les formes de luttes existantes mais d’en repenser
la forme, la portée et les intégrer dans une stratégie globale.
Ces
nouvelles formes de luttes sont évidemment hors de portée et de pensée des
organisations traditionnelles encroûtées dans la routine bureaucratique.
Mais
ça, quoique important, n’est pas le plus déterminant.
La
résistance au système dominant n’a de sens que si elle prend une forme
offensive, alternative et constructive,… pas seulement défensive, autrement dit
si elle forge une stratégie qui aujourd’hui n’existe pas.
REPENSER
LA TRANSFORMATION SOCIALE
D’abord
et surtout repenser le rapport au Pouvoir.
Aussi
paradoxal que cela puisse paraître, nous savons désormais que ce qui fonde
la transformation ce n’est pas la possession du Pouvoir. – qu’il ait
été pris par l’insurrection ou par les urnes.
Ce
qui fait la crédibilité, la validité, la viabilité d’un système nouveau c’est l’alternative qu’il offre au système dominant
décadent.
Ce
qui fait la décadence du système dominant, c'est-à-dire sa faiblesse et la
possibilité de son dépassement, c’est non seulement le développement de ses
contradictions, mais aussi et surtout le fait qu’il existe une alternative
viable et crédible.
C’est
cette problématique qui doit fonder notre pratique politique, c’est elle qui
niée, a conduit à tous les échecs du 20e siècle.
Cette
problématique, totalement étrangère, aux soit disantes stratégies – aujourd’hui
purement électorales - de changement des organisations « révolutionnaires »
ou assimilées, ne peut prendre son véritable sens, et son opérationnalité que
dans une pratique concrète, un
engagement de chacun et progressivement de toutes et tous dans la construction
de structures alternatives.
L’ALTERNATIVE
COMME PRATIQUE SOCIALE
Il
faut que la pratique – la praxis - que nous mettons en place réponde à
deux impératifs :
- c’est une
manière de vivre socialement qui entraîne – par sa qualité - l’adhésion, progressivement,
du plus grand nombre,
- face aux
contradictions et aux aberrations du système marchand, ce nouveau mode doit
devenir peu à peu incontournable.
Ces
deux impératifs correspondent en fait à une double action indispensable à tous
les changements :
- un évolution de
l’esprit, de la conscience, un apprentissage de nouvelles relations sociales, d’une nouvelle éthique
au travers du faire collectif ;
- la création d’un
rapport de force progressif face au système marchand dominant décadent.
Ainsi
l’alternative n’est alors plus un simplement un mot à la mode, un
argument de tribune,… bref un concept
vide – ce qu’il est aujourd’hui -, mais une réalité qui prend tout son sens
dans la vie quotidienne et dans les perspectives concrètes qui s’ouvrent.
Ainsi
l’alternative devient l’outil concret, ayant une réalité sociale qui
permet de jeter les bases de nouveaux rapports de production et de distribution
des richesses.
UNE
STRATEGIE METHODIQUE
Par
où commencer ?
La
réponse est simple : partout où c’est possible, partout où le besoin s’en
fait sentir, partout où il y a des hommes et des femmes motivé-e-s qui en
ressentent le besoin, l’urgence, la nécessité. La mise en place de structures
de « circuits courts », de réseaux, n’est pas un luxe d’intellectuel
progressiste mais une nécessité vitale pour assurer la qualité de la vie et la
survie de la planète.
Ne
posons pas le problème en terme global : faire tout, tout de suite et avec tout le monde à la fois. Cela
n’est pas possible.
Il
n’y a pas de hiérarchie, de plans préétablis, il y a des possibilités, des
opportunités. On démarre là où c’est possible, avec celles et ceux qui veulent,
qui peuvent, qui souhaitent, dans toutes les branches de l’activité économique,
à l’occasion de décisions collectives, d’évènements particulier (conflits,
luttes, occupations d’entreprises,…).
Ca
a déjà commencé !
Nous
ne partons pas de zéro. Déjà, en France et dans d’innombrables pays développés
et moins développés, des structures alternatives, plus ou moins formelles existent,
dans l’agriculture, dans l’industrie (en Argentine par exemple).
Produits
de la décomposition du système marchand, avec des hommes et des femmes qui
cherchent de nouvelles manières de vivre (Système d’Echanges Locaux,
Associations pour le Maintien de l’Agriculture Paysanne,…), ou redécouverte de
vieilles structures solidaires comme la structure de la coopérative (par exemple les Coopératives
d’Utilisation du Matériel Agricole),…Toutes ces initiatives doivent être
considérées comme des éléments de la constitution de la nouvelle stratégie.
Toutes
ces structures doivent se fédérer – et non se centraliser- pour constituer un
nouveau tissu social et économique alternatif au système marchand.
Le
système dominant réagira, c’est une évidence, mais alors un rapport de force
pourra s’établir sur des bases identiques au siennes : l’organisation sociale… Chose qui
n’existe pas aujourd’hui, le « rapport de force » nous étant
systématiquement défavorable… la preuve ? il suffit de voir le résultat de
nos luttes.
Bien
sûr, ce n’est pas un « renversement radical » du capitalisme comme
l’ont rêvé mythiquement, à tort, plusieurs générations de nos prédécesseurs,
mais c’est par contre à n’en pas douter certainement plus réaliste quant à ce
qu’est l’Histoire pour sortir du marécage politique, social et écologique dans
lequel nous nous enfonçons
Il
n’y a pas et n’y aura pas de « Grand Soir de la Révolution », mais
nous vivons aujourd’hui le Crépuscule du Système marchand.
Patrick
MIGNARD
avril 2008
Voir également :
« MANIFESTE POUR UNE
ALTERNATIVE »