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Lu sur Indymédia Paris : "Le billet d'avion pour le week-end en Tunisie était bon marché. C'était l'occasion de revoir mon ami Khaled. J'étais arrivé la veille à Tunis, et ce samedi-là, dans l'après-midi, Khaled et moi quittions la maison d'un ami. Les trois hommes en civil nous ont barré la route. Tout a été très vite. Moi, on m'a mis une carte de police sous le nez.
Khaled, on lui a mis un poing dans la figure. Ils nous ont emmenés dans une camionnette banalisée. Ils nous suivaient depuis ce café de l'avenue Bourguiba où Khaled et moi nous étions retrouvés. Dénoncés ? Pour eux, nous étions homosexuels et avions fait l'amour dans cette maison. Ils nous ont séparés, chacun dans un bureau vide sans fenêtre. J'étais inquiet pour Khaled, pas pour moi. J'étais français, bien blanc, touriste, je ne risquais pas grand-chose, n'est-ce pas ? Vers le soir, on m'a apporté un papier. Incompréhensible, en arabe. C'était des aveux, il suffisait de les signer pour être relâchés. En résumé, reconnaissez que vous avez eu une relation sexuelle et vous sortez. Au maximum, ce sera une amende. Et si je ne signais pas ? Ils regretteraient alors de devoir nous garder. J'ai signé. Vingt minutes plus tard, j'étais menotté, poussé dans un fourgon. Direction la prison centrale de Tunis.
Le mur du mépris
« Fouille au corps, complètement nu, jambes écartées. Mes vêtements dont on arrache les coutures, mes chaussures dont on défonce la semelle, à la recherche du moindre métal. Khaled et moi sommes séparés. Je suis poussé dans la cellule F4. La F4, c'est quatre-vingts détenus dans quelques mètres carrés, à deux par matelas. Aucune séparation, seule la toilette est entourée d'une cloison basse d'un peu plus d'un mètre. Une lumière violente qui ne s'éteint jamais traverse une brume bleue de fumée de cigarettes. Le vacarme est constant. La cellule F4, c'est celle des non-Tunisiens : Algériens et Libyens principalement, plus quelques Marocains, quelques Nigériens. Aucun autre Européen. Je veux parler, mais les visages se détournent. On leur a dit pourquoi je suis là, personne ne veut être vu parlant à un homo.
« Le lendemain, je découvre que la cellule F4 est celle de la faim. Dans toutes les autres cellules, chaque prisonnier tunisien reçoit sa nourriture de sa propre famille : c'est le "couffin". Il y a celui du lundi, du mercredi et du vendredi. Mais dans la F4 personne n'a le moindre parent à Tunis. On ne mange que ce que donne la prison : un pain par jour, des pâtes, et l'eau du robinet. Une seule douche par semaine, le mercredi, par groupe de vingt-cinq. La prison vend le savon
Plusieurs ne sont plus que des ombres
[...]Les yeux sont baissés, plusieurs ne sont plus que des ombres. Ceux des autres cellules me parlent. Il y a là des prisonniers politiques condamnés à quarante, cinquante ans, dont certains ont même reçu avec le temps un numéro d'identification de la Croix-Rouge. Plusieurs me montrent leurs brûlures aux jambes, et d'autres traces de torture qui ne laissent guère de doute. [...] Il y a également plusieurs journalistes. Tous m'expliquent à peu près la même chose, pourquoi ils sont "tombés" quelques mois après un article qui avait déplu, comment ils ont pris dix ans de taule pour un simple papier administratif mal rempli. [...]
L'assistante sociale viendra trois fois
« Ce matin, l'ambassade de France est là. Ni ambassadeur, ni attaché, ni secrétaire. C'est une assistante sociale. Khaled ? Elle ne sait pas où il se trouve, ne peut rien faire. Elle m'explique que l'ambassade s'interdit de défendre les délinquants avant tout jugement. Mais, madame, je ne suis pas un délinquant, en France, la loi nous protège. Vous avez raison, réfléchit-elle, je vais en parler à l'ambassade. Et elle l'écrit dans son grand cahier. Je n'en entendrai plus jamais parler. Personne n'interviendra. L'assistante sociale viendra trois fois.
Au bout d'un mois, on annonce le procès pour le lendemain. Ma soeur est venue de France, elle pleure derrière le grillage du parloir. L'avocat est mal à l'aise : un touriste en taule, ça arrive parfois, mais là, pour homosexualité, il ne comprend pas bien. J'ai la malchance d'être dans la même affaire qu'un Tunisien. Mais mon dossier est farci de graves irrégularités, jusqu'à cette deuxième signature grossièrement falsifiée par la police avec mon nom mal orthographié. Et la loi, inspirée de la charia, exige un témoin visuel du délit. Demain, m'assure l'avocat, vous sortez. Je comprends que le cauchemar est terminé.
A tombeau ouvert vers le tribunal
« Le lendemain, je retrouve un Khaled amaigri, couvert de gale. Il est dans une autre prison, à trente kilomètres de Tunis. Et avec ses codétenus ? Il se tait. Jugements à la chaîne. En quelques minutes, au mépris des énormités du dossier, un juge nous assène six mois ferme, sans nous avoir regardés une seule fois. Pendant quelques heures, c'est le vide sous mes pieds, je n'arrive plus à respirer. Le lendemain, l'avocat est au parloir. Six mois est une peine standard, explique-t-il, d'ailleurs, sur les dix-neuf inculpés de mon groupe, seize ont pris six mois. Le vrai procès, m'assure-t-il, c'est toujours l'appel, et la peine y est toujours réduite. Puis il disparaît à nouveau. A quand l'appel ? Les semaines passent, interminables, sans visites ni courrier. Après un nouveau mois, revoici l'avocat, l'appel est pour le lendemain. Ma famille est revenue. Demain soir, jure l'avocat, vous serez avec elle dans l'avion. A nouveau j'en suis sûr, moi aussi.
Le lendemain matin, aucun maton ne vient me chercher dans la cellule. Vers le milieu de l'après-midi, deux policiers font irruption, m'emmènent à tombeau ouvert vers le tribunal. J'apprendrai plus tard que nous avions été "oubliés", que c'est fréquent. Mais une famille venue de France ayant protesté, cela devenait gênant. Contrarié, un juge nous expédie : six mois confirmés. Les policiers nous attrapent par le cou, nous repassent les menottes. Je suis hagard, je sens que la folie est là. Je n'ai plus jamais revu l'avocat.
On a prévenu l'ambassade. Elle ne viendra jamais. Les jours sont passés.
« A presque quatre mois de détention, peu après minuit, on est soudain venu. Fourgon de nuit jusqu'à l'aéroport. Le lendemain, douché, rasé, un civil m'a accompagné à la passerelle de l'avion d'Air France, et discrètement placé dans la file des passagers. Khaled a fait ses six mois jusqu'au bout. Il a été relâché il y a quelques jours. »"
Commentaires :
Stef |
Qu'en pense Bertrand DELANOE, le maire de Paris, grand défenseur du régime tunisien ?
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gaadjou 05-01-06
à 21:10 |
Re: ????Est-ce de Delanoé en tant qu'élu socialiste dont tu parles, ou de Delanoé gay? En quoi cela le concerne plus que toute autre personnalité politique? Faut-il être femme pour être interpellée sur le sexisme? Faut-il être noir-e pour être interpellé-e sur le racisme? Faut-il être parent pour être interpellé-e sur l'exploitation d'enfants?
Tout-e-s nous devons nous sentir concerné par ce récit, et tout-e-s politique doit être interpellé-e sur son soutient au régime de Ben Ali, sans distinction d'aucune sorte. Personne n'est responsable de la discrimination subie, alors pourquoi y aurait-il une obligation de solidarité victimaire? Répondre à ce commentaire
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Stef 05-01-06
à 21:24 |
Re: Re: ????Je pense à DELANOE gay, plus que socialiste pour une simple raison c'est que je pense qu'il doit être plus qu'un autre à même de s'interroger sur cette réalité justement parce qu'il est gay... je ne pense pas comme toi qu'il y ai indifférence dans les réactions. Ce que nous sommes en particulier nous sensibilise plus que d'autre, ce qui ne veut pas dire que les autres doivent être indifférents. Je n'appelle pas à une solidarité victimaire, mais à une simple réflexion.
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greg 24-11-06
à 01:36 |
choquéBonjour ! Je rentre de Tunisie ou apparement ils sont tous un peu Bi !!! Je me suis fait chopper sur la plage avec un copain et fort heureusement nous avions fini ! On m'a dit que cette loi ne s'appliquait qu'aux résidents ? Quand je lis ton récit je me dit que j'ai eu beaucoup de chance de ne pas avouer !!! Bisous
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à 14:07