ON A BEAU ne pas se faire d’illusion à propos des élections, on a beau ne pas vouloir choisir avec un bulletin de vote celui ou celle qui sera notre maître ou notre bourreau, lorsque le soir du 6 mai, on apprend le résultat et qu’on voit s’afficher la tronche de notre Berlusconi local, on a les boules. « Pays de merde! » dirait quelqu’un. Ils ont voté parce qu’ils avaient peur et la copie de Le Pen est passée.
On éteint la télé avec la colère au ventre et on se retrouve au coeur des villes dans des rassemblements spontanés ou presque (parfois à l’appel de ces fameux « anarcho-autonomes » chers aux flics et aux journalistes).
Ces rassemblements spontanés se font dans toutes les grandes villes de France, comptant de 200 à 2000 manifestants (Rennes, Caen, Nantes, Rouen, Lyon, Marseille, Bordeaux, Paris…) avec partout cette volonté de faire éclater plus ou moins violemment sa colère. Les manifestants sont, pour la plupart, jeunes et étudiants, mais pas seulement. Il y quelques « jeunes des cités », comme on dit, mais pas tant que ça. Des slogans qu’on n’entendait plus reviennent comme « Sarko, facho, le peuple aura ta peau».
Lorsque les cortèges s’ébranlent, une volonté de faire descendre la population dans les rues est omniprésente. À Rennes, la manif traverse les quartiers populaires. Si des poubelles sont renversées, voire brûlées, cela n’est rien par rapport à la présence policière qui pratique le harcèlement, chargeant systématiquement et violemment et voulant couper court aux manifestations. C’est là que quelques voitures brûlent et que des vitrines tombent. Les charges policières, les lacrymo… Tout y passe, et des flashballs sont même utilisés. Les arrestations sont nombreuses: dans la nuit du dimanche 6 mai, la Direction générale de la police nationale annonce 592 interpellations.
Les comparutions immédiates donnent lieu à des peines sévères pour les jeunes interpellés: de un à trois mois fermes pour les uns et des heures de Travaux d’intérêts généraux, lorsque les tribunaux sont un peu plus « pédagogues ».
Les jours qui suivent voient les manifestations se tarir, mais la police est toujours omniprésente et répressive: la manifestation antifasciste parisienne du 9 mai est interdite et une centaine de manifestants est interpellée alors que les fascistes manifestent cagoulés et tiennent le haut du pavé; à Rouen, le 10, ce sont une dizaine de manifestants qui sont arrêtés…
Évidemment, le Parti socialiste appelle au calme et à voter aux législatives, l’Unef appelle les étudiants en AG à Tolbiac à se mettre en action seulement à la rentrée… Bref, rien de neuf.
Reste que ce mouvement fait suite à celui de l’an dernier contre le CPE. Une frange de la jeunesse s’est radicalisée et, suite aux émeutes des banlieues de la fin 2005, un tabou est tombé, celui de l’utilisation de la violence lors des manifestations.
Quoi qu’il faille relativiser: on est surtout dans la symbolique, car envoyer une canette vide, ou un oeuf, n’est qu’une pâle copie d’envoi d’un cocktail Molotov ou d’un pavé. On est loin des manifestations qui ont lieu en Amérique latine et ici, dans notre société où tout doit être soft, renverser ou brûler une poubelle passe pour un acte éminemment violent.
Il est évident que dans les mois à venir, face aux attaques de Sarkozy et consorts, il ne faudra plus se contenter de manifestations « responsables » faites à l’appel de syndicats qui voudront passer pour des interlocuteurs privilégiés du pouvoir en place…
« Nous sommes le cauchemar de Sarkozy. – pouvait-on lire sur des affichettes photocopiées collées dans les rues de Rouen – Dans toutes les villes, dans tous les quartiers, des manifs, des affrontements. Et la guerre est à peine commencée.
Nous ne sommes pas sa France, et nous allons le lui faire comprendre. »
Jean-Pierre Levaray
Le Monde libertaire # 1478 du 16 au 23 mai 2007