« Le mot même de travailleur ne suppose-t-il pas qu’il y a ceux qui ne travaillent pas? »
T-Bone Slim
L’éditorial : Il y a 2007 ans, nul ne pouvait encore se douter qu’il allait se produire dans les jours qui suivaient un événement à partir duquel plus rien ne serait comme avant. Un événement pourtant des plus naturels qui fera référence dans l’histoire de l’humanité. Il y aura désormais un avant et un après. Cet événement est la naissance d’un enfant, le dénommé Jésus, né au milieu des chèvres sur de la paille souillée. Jusque-là, on se demande bien ce que cet événement peut avoir de si particulier. Et bien, voyez-vous, ce qu’il faut savoir, c’est que sa mère prénommée Marie l’a mis bas alors qu’elle était encore vierge. Bon, je vous entends déjà douter, bien sûr que cela est «impossible » et que l’acte de procréation qui a eu lieu était sans doute trop ignoble pour qu’elle ose le raconter. La femme, de tout temps, n’a pu vivre sa sexualité en dehors de la volonté de l’homme à qui elle doit s’abandonner et dont elle doit satisfaire toutes les envies ; que de tout temps, elle a subi des violences ignobles de la part des hommes et que toujours il a été difficile pour elle d’en parler, car c’est la femme qui est toujours jugée par l’opinion publique. Et puis, de tout temps, dans bien des sociétés, la femme vierge a toujours été l’objet de nombreux fantasmes.
Finalement, dans cette histoire, son vrai silence et sa « virginité » arrangeaient bien tout le monde, de Joseph aux fous de dieu. Ceux-ci y ont vu, comme ils l’ont toujours fait, un silence honteux ou de la misère humaine à exploiter à leurs fins et, encore une fois, cela n’était pas pour déplaire ni à Joseph ni aux autres.
Ainsi, dans quelques jours, c’est Noël, c’est la nouvelle année, c’est des bonnes résolutions, bref, l’espace de quelques jours on oublie les promesses non tenues de l’année d’avant et on recommence. C’est des cadeaux, c’est de l’argent jeté par la cheminée et finalement la même misère dès le matin de la Saint-Sylvestre, où rien n’aura changé.
Alors, bien sûr, que vive la fête, mais comme rien n’a changé, il y aura toujours les mêmes qui mangeront du caviar et les mêmes qui passeront la nuit sous un pont.
L’équipe du Monde libertaire profite tout de même de ce non-événement pour prendre ses congés. La semaine prochaine, vous trouverez le hors-série de votre journal, qui restera dans les kiosques pour trois semaines.
Et comme rien ne change, on se retrouvera le jeudi 11 janvier pour un nouveau numéro.
Le sommaire :
La croissance contre l’emploi, par M. Lhourson, page 3
Lettre à un juge, par J.-M. Raynaud, page 5
L’autruche dans toute sa splendeur, par F. Ladrisse, page 5
Brèves de combat, page 6
Kessler le gros porc, par P. Schindler, page 7
RESF, par J.-P. Fournier, page 9
Le chavisme, par C. Reeve, page 11
Oaxaca en lutte, par Fred, page 14
Lâches intellectuels, par J.-P. Tertrais, page 15
Un cadre de rêve, par C. Cetti, page 18
Merci au Pentagone, par Nestor Potkine, page 20
Les amis de Radio libertaire, page 21
Radio libertaire, page 22
Agenda, page 23
Et en prime un article :
La croissance contre l’emploi
SI JE VOUS DIS: « Dieu est amour », vous me rirez au nez. Vous objecterez, avec quelque raison, que, pour commencer, Dieu n’existe pas. Que, quand bien même son existence pouvait être acceptée (et, ajouterez-vous, ce n’est pas le cas), rien en l’état actuel de la science ne vient corroborer une affirmation selon laquelle il serait amour, haine, soupe à l’oignon ou n’importe quoi d’autre. Vous citerez Bakounine, certainement, au passage.
Vous m’accuserez ensuite d’avoir voulu, par la juxtaposition (injustifiée, selon vous!) d’un mot chargé d’affect positif, et la répétition d’une formule lustrée par la patine des siècles, passer en contrebande mon Dieu infect. Puis vous me sommerez de me rétracter, en me laissant entendre sans équivoque qu’un recours aux voies de fait est tout à fait envisageable.
Maintenant je vous déclare: « La croissance crée l’emploi. » Je vous abuse, bien sûr, tout pareil. Pourtant, vous ne dites pas grand-chose. L’économie, c’est compliqué.
Et puis on nous le répète matin, midi et soir à la télé. Si tous les politiques, tous les économistes, tous les journalistes le disent… À la limite, c’est plutôt ça qui vous foutrait un doute: si tous les politiques, tous les économistes, tous les journalistes le disent, c’est sûrement une arnaque. Oui, vous avez raison, c’en est une.
Une première remarque, de bon sens. Le produit intérieur brut (PIB) est un instrument de mesure de la production. Il nous informe sur un « résultat », celui des heures passées à l’atelier ou au bureau, celui du travail. Si nous travaillons plus, ou plus nombreux, ou plus intensément, ou de manière plus efficace, le PIB augmente; dans le cas inverse, il diminue.
Autrement dit, la croissance est la résultante de l’emploi, corrigée par la productivité, et non l’inverse. Si ce résultat peut devenir une cause, ce n’est que dans l’usage qu’il peut être fait du produit supplémentaire dégagé par le travail, chacun, par exemple, travaillant moins pour une même rémunération.
Mais c’est oublier que le capitalisme n’est pas seulement un mode de production. C’est aussi un régime d’exploitation. En haut de l’échelle, le patronat s’empare pour son usage de la part du lion – nous verrons ce qu’il en fait; en bas, il est difficilement concevable de se contenter de « la même » rémunération, puisque celle-ci suffit à grand-peine à satisfaire les besoins de base. Les « fruits de la croissance » n’échappent pas – par quel miracle? – à la lutte des classes: se les approprie qui est assez fort pour les prendre.
Les capitalistes en jouissent à leur aise, en ces temps d’hiver prolétarien. Et, donc, ils capitalisent, ils investissent, ils modernisent, ils restructurent… et ils licencient (1). La croissance, par le mécanisme de la concurrence et la recherche de productivité, porte en elle les mutations techniques qui détruisent l’emploi humain. Les bras ainsi désoeuvrés sont supposés trouver à s’employer, et venir accroître encore la production.
En second lieu, l’instrument ne nous renseigne pas du tout sur la « qualité » du résultat, c’est-à-dire la capacité de ce qui est produit à répondre de manière efficiente à un besoin. Produire des milliers de tonnes d’acier et les transformer, mettons, en un porte-avions dont l’utilité est douteuse, compte tout autant que créer la même valeur en logements, vêtements, nourriture ou objets de plaisir. Mieux: quand le funeste instrument donné des preuves de son efficacité, la reconstruction des routes, ponts, bâtiments et autres sera, de nouveau, comptée dans le PIB.
Cette question de qualité a des implications plus quotidiennes. Permettez-moi, en guise d’exemple, d’emprunter un détour. J’ai chez moi quatre chaises. J’en tiens deux de ma grand-mère, quelques morceaux de bois emboîtés et collés. Celles-là servent depuis un demi-siècle, et je n’hésite jamais à monter dessus pour changer une ampoule. Les deux autres me viennent de mes parents, qui les ont achetées à la fin des années soixante: tube d’acier et formica, elles ne tiennent qu’à un fil et nul ne se hasarderait dessus autrement que sagement assis. Elles n’ont que trente ans et vont vers leur trépas. Ces meubles correspondent tous à la catégorie de ce qu’un ménage sans grands moyens pouvait se payer à l’époque où ils furent achetés. L’équivalent moderne se trouve dans les grandes surfaces parfois scandinaves. Leur valeur marchande est en gros identique, leur valeur d’usage nettement inférieure de génération en génération. Ils durent infiniment moins et cela ne doit rien au hasard.
L’ennemi de la production de masse, c’est la saturation du marché qu’elle porte en elle. La diffusion de biens durables, dont l’usage se perpétue dans le temps, cesse d’être envisageable à mesure que les investissements nécessaires à la production augmentent. Si une usine peut produire un million de chaises, alors il faut vendre un million de chaises. Si une chaise dure cinq ans au lieu de vingt, alors on en vendra quatre fois plus. Et l’usine sera rentabilisée quatre fois plus vite. La logique de croissance impose, paradoxalement, de satisfaire de moins en moins bien les besoins à mesure qu’on est capable d’en satisfaire plus.
La formule « la croissance crée l’emploi » est vicieuse à plus d’un titre. Non contente d’être une insulte à la raison et à la statistique, elle passe, en contrebande comme le Dieu malpropre du début, l’idée que la production vaut pour elle-même, indépendamment de sa capacité à satisfaire les besoins humains. Elle affirme que l’emploi tel qu’il est, aussi inutile, aussi nuisible ou aussi pénible soit-il, est désirable.
Une société sainement construite s’inquiéterait de répondre aux besoins des individus qui la composent, en fonction non seulement des capacités techniques et des limites naturelles, mais aussi de la bonne volonté des intéressés à se soumettre au travail. Rompre avec la croissance, c’est remettre l’économie à l’endroit, au service des êtres humains, c’est choisir de consacrer moins de temps au labeur. Produire moins et vivre mieux. Les possédants mènent la Terre à sa ruine et l’humanité à sa perte. Ils nous usent dans une course sans fin et sans raison. Nous pouvons leur arracher les moyens de production, reprendre le monde à notre compte.
Max Lhourson
1. Une part de l’investissement file aussi vers les pays dits « émergents », où elle sert à bâtir et faire tourner des bagnes sans nom. On pourrait croire que l’emploi perdu « chez nous » se retrouve là bas, peut-être multiplié. C’est oublier que le phénomène s’accompagne des mêmes transformations que celles qui ont bouleversé l’Europe: destruction des structures sociales rurales traditionnelles, prolétarisation massive et paupérisation en conséquence. Si l’on admet même que ces pays connaîtront un développement comparable à celui de l’Occident – ce qui est peu probable étant donné la finitude des réserves énergétiques et minérales de la planète – rien ne laisse imaginer que les restructurations que nous avons connues ici leur seront épargnées. Déplacer les problèmes n’a jamais été les régler.
Le PIB
Quand on parle de croissance, c’est à l’évolution du Produit intérieur brut, qu’on s’intéresse. Ledit PIB est, selon le Dictionnaire d’économie de C.-D. Échaudemaison, l’« agrégat de la comptablilité nationale fournissant une mesure de la production; il est égal à la somme des valeurs ajoutées, augmentée de la TVA grevant les produits et des droits de douane nets des subventions à l’importation ».
Selon le même ouvrage: « La valeur ajoutée brute (VAB) est égale à la valeur de la production moins la valeur des consommations intermédiaires. » Sous ce dernier vocable se cache « la valeur des biens et services totalement transformés (planches pour une table) ou détruits (électricité) au cours du processus de production. »
Merci, Claude-Danièle!
La loi du nombre
Voyons ce que disent les chiffres, des statistiques tout à fait récentes (source Insee). En 1998, le PIB s’élevait à 1324,6 milliards d’euros, et la population active occupée à 23491700 personnes. En 2003, à 1585,2 milliards d’euros pour 25146500 actifs. Le PIB a crû de 19,67 %; l’emploi de 7,04 %. L’écart s’est creusé de 12,5 points en quelques années.
Déjà, le lien entre croissance et emploi paraît plus ténu: si la première « crée » le second, ce n’est pas, dans les faits, à un rythme identique. Dans la statistique récente, il n’existe aucun cas où l’emploi ait progressé plus vite, ou même aussi vite que le PIB. Si on se penche sur les évolutions annuelles, il n’y a qu’en 1993, année de récession, qu’on observe une baisse un peu plusrapide du PIB que de l’emploi: - 0,9 % contre - 0,6 %. Retour à la « normale » en 1994, où le PIB a augmenté de 2,1 % par rapport à l’année précédente, tandis que l’emploi reculait de 0,8 %. Même chose en 1997: + 1,9 % pour le PIB, - 1,2 % pour l’emploi. Et pourtant personne n’allait alors clamant « La croissance détruit l’emploi! » Au contraire. L’industrie automobile a connu ces dernières années une croissance remarquable: on a produit en France en 1990 3295000 véhicules. En 2004, 5168000 (données CCFA et Insee). Dans le même temps, 22400 emplois disparaissaient (de 253200 à 230800). Production en hausse de 56,84 %, emploi en baisse de 9,9 %.
Et pour finir l’agenda du Monde libertaire :
Jeudi 14 décembre
Rouen
Diffusion du documentaire Putain d’usine, d’après le livre de Jean-Pierre Levaray, à 20h30, au cinéma Le Melville,
75, rue du Général-Leclerc.
Ivry-sur-Seine (94)
Récital de Gaston Couté par Bruno Daraquy accompagné au piano par Philippe Mira, au forum Léo-Ferré, spectacle à 20h30, ouverture des portes à 19 heures, au 11, rue Barbès, en face du vieux moulin. Petite restauration possible sur place.
Nîmes
Constitution d’un collectif de soutien aux opposants au fichage ADN au Centre P. Néruda, rue du Cirque-Romain, à 20 heures.
Vendredi 15 décembre
Paris 20e
Lecture mise en musique d’extraits du livre de Jean-Pierre Levaray Putain d’usine (éd. L’Insomniaque, Agone) par la compagnie Action discrète, Valérie Lavollé, (lecture, chant) Alain Brühl (saxophone, chant, percussions ménagères, instruments divers…) à 20h30, chez Pascaline, 49, rue Pixéricourt, métro Télégraphe, Renseignements, réservations: 0144622280. Libre participation aux frais.
Avignon
Présentation de l’autobiographie de l’Ennemi public n° 1 (Jacques Mesrine), par l’équipe du journal CQFD qui vient de rééditer ce texte (édition Le Chien rouge, novembre 2006), à 18h30 à la Maison IV de Chiffre (26, rue des Teinturiers). Rencontre organisée par l’Infokiosk d’Avignon.
Samedi 16 décembre
Sagy (71)
Manifestation contre « le bruit infernal du circuit de Bresse » de 8 heures à 12 heures, au rond point du Miroir, sortie A39.
Orléans
Départ à 15 heures devant la cathédrale d’Orléans, une manifestation départementale avec pour mots d’ordre: des papiers, des logements, des écoles pour tous! Le groupe Gaston-Couté (FA Loiret) est signataire et partie prenante de l’organisation de cette manifestation.
Dimanche 17 décembre
Cuisery (71)
Exposition-vernissage de peintures et de dessins de David Thevenet, suivi d’une lecture de L’Image de Samuel Beckett par Laurent Patry, à 15 heures, à la librairie Les Chats noirs, 19, rue du Pavé.
Lundi 18 décembre
Nîmes
Retour sur le Vaaag, Village autogéré anti-autoritaire et antiguerre. À la suite de la soirée sur l’autogestion, projection du film À l’épreuve du réel retraçant l’expérience du Vaaag qui s’est tenu à l’occasion du G8 à Évian en 2003. Le film sera suivi de témoignages de personnes ayant fait vivre ce village (si vous y étiez, venez nous raconter votre Vaaag) et d’un débat autour de cet
événement, à 20 heures, au Mille-Feuilles, 12, rue Saint-Mathieu.
Jeudi 21 décembre
Nîmes
Soirée concert de soutien à la CNT, No pasaran, et à la Fédération anarchiste avec Fred, Dr Benway, Marc Simon, Viva Espana, Assass’Swing. Table de presse, buvette, restauration. PAF: 5 euros. Théâtre du Périscope, 6, rue de Bourgogne, à partir de 19h30..
Jeudi 18 janvier
Merlieux (02)
Rencontre-débat autour du thème « Réalités et informations face aux pouvoirs et aux médias » en présence de Florence Aubenas et Mimouna Hadjam, de 18 heures à 21 heures, à la bibliothèque Sociale, 8, rue de Fouquerolles. Tél./Fax: 0323801709.
Nîmes (30)
Rencontre-débat avec Ronald Creagh sur le thème: « Être libertaire aujourd’hui » au Centre P. Néruda, rue du Cirque-Romain, à 20 heures. Table de presse, entrée libre. Organisée par le groupe Gard Vaucluse de la Fédération anarchiste.
Samedi 20 janvier
Paris 18e
Anne Steiner et Loïc Debray présenteront leur ouvrage sur la R.A.F. Guérilla urbaine en Europe occidentale, à la bibliothèque La Rue, 10, rue Robert-Planquette. Métro Blanche ou Abbesses.
Samedi 3 février
Paris 18e
Maurice Rajsfus nous parle de ses mémoires à la bibliothèque La Rue, 10, rue Robert-Planquette. Métro Blanche ou Abbesses.
Jeudi 15 février
Merlieux (02)
Rencontre avec un écrivain de polar que nous apprécions beaucoup, Patrick Pecherot, auteur de Belleville-Barcelone (2003), Boulevard des Branques (2005), de 18 heures à 21 heures, à la bibliothèque Sociale, 8, rue de Fouquerolles. Tél./Fax: 0323801709.
Samedi 3 mars
Paris 18e
Thierry Maricourt nous parlera de son dernier ouvrage, à la bibliothèque La Rue, 10, rue Robert-Planquette. Métro Blanche ou Abbesses.
Le Monde libertaire, hebdomadaire de la Fédération anarchiste, adhérente à l’Internationale des Fédérations Anarchistes (IFA)
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