--> Introduction du livre "L'écologie-politique à l'ère de l'information" (éditions è®e, 128 pages, 11 euros, dans toutes les bonnes librairies à partir du 20 janvier 2006!
Lu sur
Jean Zin :
"Un
spectre hante les cauchemars du monde marchand globalisé : le spectre de l'écologie. Toutes les puissances politiques, religieuses ou commerciales du vieux et du nouveau monde se sont groupées en une sainte alliance pour y faire allégeance, verbalement du moins, faisant étalage de sommets internationaux en conférences mondiales de leur souci constant des questions écologiques... tout en continuant, la plupart du temps, comme si de rien n'était !
Dans la plus grande
confusion se mêlent développement
durable, sauvegarde de la nature, crise de l'énergie et
altermondialisme pour réduire l'écologie à une
vague menace qui plane sur nos têtes tout en restant
complètement inconsistante et insaisissable, tiraillée
entre tendances contradictoires. Chacun semble persuadé de la
nécessité d'une alternative écologiste sans avoir
la moindre idée de la façon d'y parvenir, jusqu'à
dénier son caractère politique et social pour se
contenter d'un catastrophisme sans nuances, de bonnes intentions, de grandes
déclarations et de petits gestes...
Il en résulte deux choses :
- L'écologie est déjà reconnue comme une puissance par toutes les puissances de la planète.
- Il est grand temps que les écologistes
exposent à la face du monde entier leurs conceptions, leurs
buts, leurs tendances et qu'ils opposent au spectre de
l'écologie un véritable manifeste écologiste avec un programme concret d'alternative au productivisme.
C'est le but que se propose ce
petit livre qui rassemble des textes rédigés au cours de ces dix dernières
années de luttes et de controverses écologistes, tentatives de dissiper la confusion en donnant
un contenu au projet de l'écologie-politique et
un sens
à l'écologie comme
réponse aux ruptures de civilisation que nous connaissons.
Au-delà d'une vague prise de conscience de l'étendue
des destructions écologiques et des impasses du productivisme,
il s'agit de participer
à la construction d'une alternative politique écologiste
et de nouveaux rapports de productions plus conformes aux
nouvelles forces productives.
En effet, comme chacun peut le constater dans son existence quotidienne, nous vivons des bouleversements
considérables avec l'entrée dans l'ère de
l'information et du savoir, à laquelle
l'écologie-politique est
reliée intimement que ce soit par
l'exigence de formation et de développement humain aussi bien
que par la régulation de notre
environnement et la préservation des menaces écologiques.
La question de la maîtrise de l'information y est manifestement
centrale, prenant le pas sur les rapports de force. Les leçons
n'en ont pas été suffisamment tirées alors que
toutes les données ont changé en quelques
décennies : technique, production, consommation, médias,
finances... Les anciennes institutions sont
déconsidérées, le
productivisme est remis en cause, le salariat s'effrite en se
généralisant mais si
les urgences se font bien de plus en plus pressantes, nous n'avons
pas tellement à redouter cette révolution qui
s'annonce et pourrait
nous apporter une vie meilleure, une véritable libération
du travail et une plus grande solidarité avec la
réalisation de nos droits comme droit à l'existence :
passage de la marchandisation
du monde à la valorisation de la personne, de la croissance au
développement
humain, du salariat productiviste au revenu garanti.
On voit que l'écologie-politique n'a rien à voir avec d'anciennes
traditions, c'est bien plutôt la confrontation avec la réalité
la plus actuelle,
celle de la mondialisation achevée, des
changements climatiques, des accidents industriels et de
l'épuisement des ressources,
dans un monde dominé par la technique, monde unifié de
satellites, de réseaux, d'informations, de marchandises où nous
cherchons à retrouver qualité de vie et
convivialité perdue.
Pas de mystère, l'exigence écologiste naît des désastres
écologiques du productivisme, comme la sociologie et le
socialisme
étaient nés de la destruction de la société
par le capitalisme libéral individualiste et massifiant. C'est
l'exploitation
intensive des ressources naturelles qui a ébranlé les
rapports
de l'humanité à la nature, outrepassant les limites
vitales.
Notre souci va inévitablement vers ce qui nous menace et comme toujours on ne reconnaît
l'importance
des choses ou des gens qu'au moment où ils viennent à
nous manquer
!
- La modernité réflexive
Qu'est-ce donc que l'écologie-politique ? En mettant l'accent
sur les pollutions, l'épuisement des ressources, la
destruction des environnements et les risques technologiques,
c'est-à-dire sur le négatif de notre industrie et du progrès,
l'écologie nous amène à
relativiser le caractère bénéfique des innovations techniques et la légitimité de notre mode de
développement, ce qui pose la question à la fois du
principe de précaution et d'une alternative à notre
société de consommation. L'écologie naît d'une
réflexion sur la modernisation des sociétés, ce que Ulrich
Beck appelle la modernité réflexive (
La société du risque).
C'est un nouveau
stade cognitif,
conscience de soi collective qui est la négation de la
séparation de
l'économie avec la société et la nature, savoir
des limites, du possible et
du nécessaire, mais surtout de notre ignorance, voire de notre
folie (principe de précaution).
C'est pourtant l'opposée du scepticisme libéral car c'est
aussi le refus d'un laisser-faire aveugle, d'une évolution subie
passivement, au profit de l'investissement dans l'avenir et l'action
collective, exigence de réflexion sur les conséquences
de nos actes et de notre production (principe de responsabilité).
Bien sûr cette projection dans le futur peut se réduire
pour certains
à la conservation de nos avantages présents ou même
au retour des traditions du passé, mais se poser la question de
notre avenir commun nous oblige à
discuter de nos fondements, de ce qui nous importe dans la
société, des conditions qui font qu'une
société, pas seulement une
économie, est
soutenable.
Dès lors qu'on refuse de se laisser faire et de s'adapter
à des conditions de plus en plus "insoutenables" par la
médecine ou la génétique, c'est bien la
société qu'il faut changer au nom de nos
finalités
humaines et de notre être-ensemble, ce qu'on appelle la
convivialité. La préservation de notre avenir, c'est le
passage de l'histoire subie à l'histoire conçue, c'est
réaffirmer notre liberté collective et
notre responsabilité envers les générations
futures mais c'est surtout remettre les valeurs humaines avant les
intérêts privés, le qualitatif avant le quantitatif, avec toute la
difficulté du conflit des valeurs et des cultures...
L'écologie-politique en tant que
projet politique est loin de se réduire à l'environnement puisque
c'est un concept
dialectique
qui intègre les différentes contradictions et reconnaît
la séparation pour la dépasser, reliant ainsi campagne et
ville, nature et société, écologie et politique, local et global.
En particulier l’écologie-politique ne se réduit pas au
cosmopolitisme ni à la globalisation du monde mais doit rester
ancrée dans le local, exigeant même une relocalisation de
l’économie. C'est la seule réponse au totalitarisme
massifiant, aussi bien qu'aux désastres du productivisme,
grâce à une économie plurielle et des politiques
décentralisées, à l'articulation
de la totalité et de l'individu, à leurs
inter-dépendances et leur autonomie relative.
- L'alternative au productivisme
Le simple fait de poser la question de la société que
nous voulons est une contestation radicale de l'économisme
dominant, de l'économie comme négation de la société
et seul horizon de notre avenir. Sans tomber dans l'utopie ou la planification
autoritaire pour autant, c'est déjà une réfutation du
libéralisme et l'affirmation du politique comme projet, finalité, idéal, au-delà d'un marché désorienté. Face au
libéralisme qui triomphe sur la disparition du politique, seule l'écologie
peut construire un nouveau projet de société crédible
qui réponde aux limites planétaires comme aux leçons
de l'histoire : une société ouverte et coopérative
pour une planète limitée.
Pourtant l'expérience historique catastrophique des divers
totalitarismes et
volontarismes interdit encore à la plupart de soutenir cette
question de notre destin commun, la liberté humaine se reniant
pour ses fautes passées : c'est juré, on ne l'y reprendrait
plus ! Cette haine
de la pensée n'a produit qu'un post-modernisme sans consistance
dans sa négation de la totalité alors que la tempête
nous traite universellement, le climat nous totalise, que nous le voulions
ou non. Ce n'est pas la liberté du marché et des capitaux,
responsable de tant de destructions, que nous devrions défendre, mais les conditions d'une
véritable autonomie de la personne. Le totalitarisme qui nous
menace, c'est plutôt celui de la marchandise,
l'idéalisme qu'il faut combattre, c'est celui du
libéralisme et de la passivité spectaculaire.
L'écologie n'est pas une
utopie, c'est la poursuite du capitalisme
productiviste qui est complètement utopique. C'est notre système
de développement qui n'est pas durable. Il ne s'agit pas de prophéties
d'avenir, "la catastrophe a déjà eu lieu" ! On constate chaque
jour un peu plus l'étendue du désastre.
Au-delà de l'environnementalisme, et
dans la lignée de Illich, Gorz, Bookchin, l'écologie-politique est bien un projet de société
alternatif
au capitalisme productiviste, projet de relocalisation de
l'économie basé sur l'indivisible tryptique : revenu
garanti, coopératives municipales et monnaies locales.
L'écologie-politique comme développement
local et humain est la construction par le bas d'une réponse
globale au totalitarisme marchand qui menace nos conditions vitales. Il se pourrait
que notre époque non seulement rende possible ce qui
n'était qu'un rêve inaccessible, mais qu'elle l'impose même avec
l'autorité de l'urgence.
En effet, il ne faut pas seulement subordonner l'économie à la société
et aux cycles écologiques mais aussi tirer parti de la
révolution informationnelle exigeant de plus en plus d'autonomie et de formation, ce qui devrait se traduire
par la réorientation de l'économie vers le
développement humain, l'immatériel
et les services, vers la production de l'homme par l'homme plutôt
que les consommations matérielles, vers la coopération des
savoirs plutôt que la compétition marchande... Les
technologies
informationnelles se révèlent aussi indispensables dans
toutes les régulations
en multipliant les capacités de rétroaction,
d'évaluation des résultats et de correction ou
d'ajustement de l'action
publique. On verra que c'est un des enjeux décisifs pour l'avenir de
reconnaître à quel point l'écologie-politique est
liée à l'ère de l'information.
Dans un premier temps, il est absolument essentiel de
clarifier les
divers sens de l'écologie et
distinguer l'écologie-politique, comme alternative au productivisme
et politique de l'avenir, de tout ce qui peut se réclamer de
l'écologie
à différents titres, écologie de droite ou
libérale, gestionnaire ou catastrophiste ! Le premier texte date
de plus de 10 ans déjà mais n'a rien perdu de son
actualité.
Juin 2005