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DANS SON LIVRE, retraçant la longue et âpre lutte pour l'abolition de la peine de mort en France (1), Robert Badiner rapporte cette formule qu'il utilisait dans ses pamphlets, alors qu'il était avocat et fervent abolitionniste, pour frapper les esprits : « Couper un homme en deux.» La locution dévoilait d'un coup l'épouvantable raffinement de cruauté qui se cachait derrière l'image d'efficacité quasi médicale de la mécanique mise au point par le docteur Guillotin.
Accusé d'enlèvement et de meurtre, Lucien Léger, en 1966, risquait la peine de mort. Le bénéfice des circonstances atténuantes lui valut la réclusion criminelle à perpétuité. La justice française lui laissait la vie sauve, entre quatre murs certes, mais c'était la vie quand même, et Lucien Léger conservait l'espoir de recouvrer la liberté, passées les quinze premières années de sa détention. Liberté conditionnelle, certes, mais c'eût été la liberté quand même et, sans doute, la possibilité de prouver son innocence qu'il criait depuis 1965.
Lucien Léger ne sera pas « coupé en deux ». Car ce n'est pas couper un homme en deux que de lacérer la vie d'un individu, réduire à néant ses espoirs, ses désirs, le devenir des promesses portées en lui. Au moment de son arrestation, Lucien Léger avait 27 ans. C'était un jeune homme qui aimait la vie, assez pour devenir secouriste pour la Croix-Rouge, bien davantage pour animer depuis 1962 un Comité d'action des sans-logis et mal-logés, à Paris, très profondément enfin, pour faire de la médecine son métier. Où l'aurait mené cet élan humaniste, irrésistiblement porté vers les autres, qu'aurait été cette vie singulière qu'un sens aigu de la détresse humaine destinait manifestement à la rencontre, à l'action, à l'échange, au soutien, etc. Quarante années de prison ont tranché.
Mais non, ce n'est pas couper un homme en deux que de réduire sa sexualité à sa plus pauvre expression, arracher à un être toute perspective de vivre une liaison, qu'elle soit conjugale ou libre, qu'elle devienne ou non le fondement d'une famille. Lucien Léger avait une femme. La condamnation à perpétuité ne brisa pas le couple. Ils s'épaulaient dans leur lourde épreuve. Hélas, Solange Léger décéda en 1970. Cynisme carcéral ou imbécillité administrative, peut-être les deux tares de ce système pourri se sont-elles alliées pour interdire à Lucien d'assister à l'enterrement de son épouse. Il avait alors 33 ans et toujours, malgré tout, l'amour de la vie. Éprouva-t-il jamais le désir d'être à nouveau amant, mari, père peut-être. Quarante années de prison ont tranché.
Certes non, ce n'est pas couper un homme en deux que de le séparer de sa famille, tailler les visites au parloir et les échanges d'affection au gré des stricts règlements du régime pénitentiaire, en effiler la durée, la fréquence. Laisser toutefois au condamné le temps de voir vieillir puis mourir ses proches. Lucien Léger avait un frère. Ils éprouvaient l'un pour l'autre estime et affection que la peine de Léger n'altéra jamais. Jean-Claude Léger anima une association de défense pour soutenir la révision du procès de Lucien. Si Lucien Léger n'eut droit d'assister à l'enterrement de sa femme en 1970, ni à celui de son père en 1982, ni à celui de mère en 1987, il put - insigne faveur autorités - se rendre aux obsèques de son frère, en 2001. Qu'aurait été cette fraternité hors les murs de la taule... Quarante années prison ont tranché.
Lucien Léger est toujours derrière les barreaux. La guillotine ne l'a pas « coupé en deux », oh non ! Ce que la justice française lui a fait est pire encore. Elle l'a moralement, humainement, intimement déchiqueté. Cette « justice » qui aujourd'hui ne le regarde plus dans les yeux comme à l'heure du verdict, qui reste sourde à ses cris... Car l'homme palpite encore! Son calvaire n'a rien ôté à la force de sa voix ni à l'énergie de son espoir. Pour le meilleur ou pour le pire, sa lucidité demeure intacte, et ses 67 ans n'ont pas fait de lui vieillard impotent. Au contraire. Gens de justice, entendez-le ! « Innocence ! » c'est le mot qu'il vous lance depuis trente-neuf ans.
« Liberté! », c'est l'appel qu'il vous adresse depuis 1978, amplifié par la durée d'une peine que rien ne justifie plus, qui relève simplement du plus pur sadisme.
En 1757, l'écartèlement de Damiens, condamné pour avoir frappé le roi d'un coup de canif, fut l'occasion d'une débauche de cruauté sans pareille et l'on sait que la foule parisienne, massée sur la place de' Grève pour assister à l'exécution, ne parvenant plus à contenir son dégoût, implora le bourreau de ce cri : « Assez ! » Le peuple français, au nom de qui l'on prétend rendre la justice dans certains palais du même nom, ignore à peu près tout du sort de Lucien Léger. Quel scandale naîtra si le cas du plus ancien détenu de France (et sans doute de l'Europe dite démocratique) est porté sur la place publique? Il faudra enfin admettre qu'à vouloir faire des exemples à coups de longues peines, on finit par produire des martyrs. Et reconnaître l'antique qu'à l'antique guillotine abolie, survit un supplice non moins ignoble: la peine de mort lente:
André Sulfide
1. Robert Badiner, l'Abolition, Fayard 2001
Le Monde libertaire #1367 du 16 au 22 septembre 2004
Lire également :
Lucien Léger affronte l'Etat
Lucien Léger : la lucarne et les barreaux
Lucien Léger : la construction d'un coupable
Quel est son crime ?
Commentaires :
Anonyme |
http://etoilerouge.chez.tiscali.fr/docrevinter/allemagne1.html
http://www.courrierinternational.com/insolites/insolite.asp?obj_id=6416&provenance=hebdo http://www.baader-meinhof.com/who/terrorists/bmgang/baaderandreas.html Répondre à ce commentaire
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Marc Gueudin 27-04-05
à 23:55 |
Je viens de decouvrir l'existance de Lucien Leger par rapport a sa demande de remise en libertée. J'ai donc taper son nom sur google pour en savoir plus, bon apparament ce type a tué un gosse de 11 ans en 1964, est-ce qu'il y a un doute la dessus? Car lorsque je lit les article sur l'en dehors j'ai l'impression qu'il est innocent ! J'entend par là que, s'il est coupable s'il a vraiment tué ce petit, je ne comprend meme pas que l'on puisse s'appitoyer sur un homme capable de ça. Je suis père aujourd'hui, et je me met a la place des parents qui perdent un enfant de cette façon, je pense évidament que le fait de le voir derriere les barreaux ou condanner a la peine de mort ne m'appaiserait pas, mais une seule chose m'obsederait, ce serait de le tuer de mes mains . Je dis donc que, s'il n'y a aucun doute sur sa culpabilitée concernant le meurtre du petit Luc, il n'y a pas matiere à parler de methode innhumaine concernant son sort. Lucien Leger est enfermé dans sa cellule depuis 41 ans, le petit luc est enfermé dans son cerceuil depuis 41 ans; M. Leger n'a pu assister aux obseques de ces proches, le petit Luc n'a pu voir les naissances de ses cadets. S'il est prouvé que M. Leger a tué Luc, il ne mérite que l'oubli....Vous souvenez vous de LUC ?
GLOBAL JUSTICE NOT WAR NOT KILLER'S Répondre à ce commentaire
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RaphaelZachariedeIzarra 28-04-05
à 14:20 |
- Lucien Léger : poids lourd du crime -- Lucien Léger : poids lourd du crime - Relâcher Lucien Léger dans la nature, cest courir le risque irréparable d'un nouvel assassinat. Lucien Léger est en prison non surtout pour expier mais pour protéger la société. Impensable qu'il soit libéré ! Le destin de Léger depuis son arrestation en 1964 est de mourir derrière les barreaux et non de retourner vivre un jour parmi les hommes libres. Je suis loin d'être un adepte de l'emprisonnement perpétuel, mais dans le cas de Léger la remise en liberté est inconcevable. Cet homme ne doit pas être réhabilité. Jamais. Le danger est réel pour la société. Chez ce genre de personnage, infernal et vicieux, la possibilité d'une récidive ne peut être exclue. A 68 ans cet homme a encore la force de rompre des petits cous pour nourrir abominablement ses romans.Avantage pour la société du maintien en détention de Léger : risque zéro de récidive. Inconvénient de sa libération : nous serions de manière certaine de pauvres naïfs manipulés par un étrangleur d'enfant. Je suis un idéaliste : je suis persuadé que Léger à de mauvaises idées de nouveaux romans derrière la tête. Un vrai idéaliste fait plus confiance aux murs des prisons qu'aux coeurs corrompus des étouffeurs d'innocents. Certes en refusant à Léger tout espoir de sortie notre patrimoine littéraire en pâtira, lui qui il y a quarante ans commit son crime pour donner de la matière à sa plume en mal d'inspiration.... Quel trou affreux dans les rayons de la Pléiade ! Quelle perte pour les bibliothèques ! L'humanité privée de la plume immortelle de ce sinistre auteur ne s'en remettra peut-être jamais... J'en pleure de rage ! Plus sérieusement, n'a-t-on pas suffisamment compris avec l'exemple de Patrick Henry ? Il n'a certes pas tué une seconde fois mais il a failli gravement. Peut-être qu'à force de nouvelles malfaisances le goût de l'assassinat serait-il revenu chez ce pervers manipulateur... Qui sait ? Malhonnête dans l'âme, Henry a trompé son monde lors de sa libération. Alors que l'on attendait de lui une existence irréprochable, après 25 ans d'expiation pour un assassinat odieux, il s'est adonné au trafic de drogue. Irrécupérable ! Le crime de Léger est pire que celui de Henry. Ne faisons plus jamais confiance aux étrangleurs d'enfants. Machiavélique, sordide, répugnant fut le crime de Léger. Sans haine ni soif de vengeance, laissons mourir Lucien Léger en prison. Protégeons la société, et en même temps protégeons Léger de lui-même. Si le poids du remords n'a pas encore écrasé ce Satan, si pendant quarante ans de réclusion Léger a survécu à l'étreinte insupportable de la honte, si cette honte rédemptrice ne l'a pas jour après jour étouffé, étranglé dans la prison de sa conscience malmenée, c'est qu'il ne s'est jamais vraiment repenti. Raphaël Zacharie de Izarra Répondre à ce commentaire
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Anonyme 28-04-05
à 16:34 |
Re: - Lucien Léger : poids lourd du crime -Il est toujours bon de savoir ce que les gens qui nous rabâche ce genre d'arguments à prétention naturaliste pensent par ailleurs d'eux-même.
Raphaël Zacharie de Izarra par lui même :http://www.histoire-en-ligne.com/article.php3?id_article=895Quelques joyeusetés parmi d'autres : "Je suis l’ennemi de la populace, l’ennemi du vulgaire, l’ennemi de la bassesse. Cependant je protège et défends indifféremment les faibles..." "Oui, dans l’existence ma plus chère occupation consiste à pratiquer l’oisiveté aristocratique. En effet, je suis un rentier, un désoeuvré. Quelques paysans besognent sur mes terres héritées. Je gère tout cela de loin, avec détachement, voire négligence. J’occupe mes jours libres à observer mes humbles semblables défavorisés par le sort, pour mieux porter sur eux mon regard hautement critique." "J’évite tout commerce, de près ou de loin, avec la gent grossière. Toutefois je daigne me frotter au peuple, de temps à autre. Et puis je lui trouve quelque attrait, par-dessous sa face visible, épaisse et misérable. Je le taquine avec charité, et lui porte attention avec condescendance. Je lui parle également, choisissant bien mes mots et mon vocabulaire à chaque fois, de crainte de le blesser ou de ne pas parvenir à me faire comprendre de lui. Il convient d’être prudent avec le peuple : ses réactions peuvent être vives, crues, irréfléchies. Il faut un minimum de psychologie, afin de bien le dompter. Bref, mes rapports avec la masse sont enrichissants et amusants pour moi. La populace m’offre le spectacle gratuit et plaisant de ce que je ne saurais être, moi." Je vous laisse juger... Répondre à ce commentaire
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RaphaelZachariedeIzarra 28-04-05
à 19:36 |
Réponse au courageux anonyme- L'eau tiède qui tue - Comment pourrais-je aimer les pluies vives d'avril qui font chanter vos toits ? Les villes semblent mourir sous l'onde vernale. L'arc-en-ciel m'afflige avec ses éclats humides. Je hais la clarté mêlée à la nue, le soleil trempé et l'averse qui rayonne ! Les flaques légères m'inspirent un mortel ennui. J'ai en horreur les reflets de l'astre sur les carreaux en pleurs. Diamants d'éther ou perles d'argent pour certains, cette eau qui ruisselle n'est pour moi que postillons d'âmes en peine et "mouillades" de dieux insignifiants. La tempête est douce à mon coeur car elle déracine, ravage, fais voler en éclats vitres et certitudes. La neige est belle et poétique car elle est molle et met un peu de lumière dans l'obscurité. La pluie âpre sous les nuées tombe comme une délivrance. Mais la pluie tiède sous le soleil est une misère fluide, une désolation sans fracas, un malheur sans bris, un deuil à quatorze heure ! Comprendrai-je la douce folie de ceux qu'une pluie sucrée enchante ? L'eau qui s'illumine dans l'atmosphère forme une auréole bête et insipide au-dessus des cités. L'arc-en-ciel est la tombe des âmes mortes à côté de leurs funèbres pompes. Au diable les couleurs de ce faux paradis ! Poètes qui célébrez les couleurs de la pluie, soyez maudits ! Avril est le pire ennemi des mortels. Car les coeurs sensibles des mortels en cette foutue saison des arcs-en-ciel meurent de profond, meurent de long, de lent, de mortel ennui. Raphaël Zacharie de Izarra Répondre à ce commentaire
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Anonyme 28-04-05
à 21:46 |
Re: Charité
Cher ami,
Je me permets de vous conseiller la lecteur d'un homme de votre rang : Donatien Alphonse François de Sade. Vous y trouverez peut-être quelques utiles moyens de confondre votre ennui dans de délicieuses voluptés que vos possessions vous permettent mais que votre amour courtois occulte. http://desade.free.fr/ Votre dévoué serviteur. Répondre à ce commentaire
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libertad 28-04-05
à 22:18 |
Re: Re: CharitéL'En Dehors soutien bien sur la campagne pour la libération de Lucien Léger et pour réponse aux commentaires qui s'y opposent je renvois à la lecture des textes signalés en dessous de l'article.
Répondre à ce commentaire
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RaphaelZachariedeIzarra 29-04-05
à 09:01 |
Brûlons Sade !Sade n'a rien de divin et tout de démoniaque, au moins à mes yeux. Sa pensée malade à l'extrême relève de la psychiatrie la plus lourde, et même d'une authentique psychiatrie d'exception. Un cas monstrueux comme il n'en existe nulle part dans le monde. Sa littérature sent la pourriture, l'excrément, la honte et les Ténèbres. Cette littérature, c'est le dépotoir de l'Enfer, la fosse du Diable, la Gueule ouverte de tous les démons de la géhenne. Répondre à ce commentaire
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RaphaelZachariedeIzarra 29-04-05
à 09:04 |
-L'essentiel pour vivre- L'essentiel pour vivre - Sur terre je porte un fardeau qui m'est cher : j'ai l'amour à éprouver, les anges à conquérir, les hommes à convaincre. Ma vie est une épreuve joyeuse. La mort est un horizon éblouissant et terrible qui se rapproche de jour en jour et que, effrayé et fasciné, je regarde en face. Un adversaire invincible mais bienveillant devant qui je devrai déposer les armes avec une héroïque résignation. L'ivresse des Hauteurs laisse un goût d'infini en moi, c'est pourquoi jamais je ne m'occupe de ce que mangerai demain. Vous qui vous souciez de votre garde-manger, de votre confort, de votre retraite, comme je vous plains ! Vides comme des cloches, vous buvez le vin de la vigne pendant que je m'enivre de quelques nuages. Le ciel est mon tonneau : intarissable est ma joie ! Vous vous ennuyez devant vos télévisions, vous les ânes riches de tondeuses à gazon, de pizzas et de certitudes matérielles dures comme des euros... Pour vivre, vous avez besoin de montagnes de foin. L'idéal me suffit. Vos mets sucrés vous empoisonnent exquisément, vos assurances vous rassurent, vos journaux vous informent sur les soldes des magasins... Et vous n'êtes jamais contents, vous qui poussez des braiments devant vos écrans. Vous mourez de tout, je vis de rien. Le superflu vous rend l'existence fade. Vos carottes sont vos seules sources de bonheur, vous les ânes. Moi je suis nu, je ne possède rien mais n'ai rien à perdre. On peut mourir le ventre plein savez-vous, on peut mourir le ventre plein lorsque pour battre le coeur puise ses forces dans les glucides plus que dans l'amour. Raphaël Zacharie de Izarra Répondre à ce commentaire
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Anonyme 29-04-05
à 16:07 |
Re: Brûlons Sade !Sont-ce là les paroles d'un insensé ?
"La certitude où nous devons être qu'aucun dieu ne s'est mêlé de nous et que, créatures nécessitées de la nature, comme les plantes et les animaux, nous sommes ici parce qu'il était impossible que nous n'y fussions pas, cette certitude sans doute anéantit, comme on le voit, tout d'un coup la première partie de ces devoirs, je veux dire ceux dont nous nous croyons faussement responsables envers la divinité ; avec eux disparaissent tous les délits religieux, tous ceux connus sous les noms vagues et indéfinis d'impiété, de sacrilège, de blasphème, d'athéisme, etc., tous ceux, en un mot, qu'Athènes punit avec tant d'injustice dans Alcibiade et la France dans l'infortuné La Barre. S'il y a quelque chose d'extravagant dans le monde, c'est de voir des hommes, qui ne connaissent leur dieu et ce que peut exiger ce dieu que d'après leurs idées bornées, vouloir néanmoins décider sur la nature de ce qui contente ou de ce qui fâche ce ridicule fantôme de leur imagination. Ce ne serait donc point à permettre indifféremment tous les cultes que je voudrais qu'on se bornât ; je désirerais qu'on fût libre de se rire ou de se moquer de tous ; que des hommes, réunis dans un temple quelconque pour invoquer l'Éternel à leur guise, fussent vus comme des comédiens sur un théâtre, au jeu desquels il est permis à chacun d'aller rire. Si vous ne voyez pas les religions sous ce rapport, elles reprendront le sérieux qui les rend importantes, elles protégeront bientôt les opinions, et l'on ne se sera pas plus tôt disputé sur les religions que l'on se rebattra pour les religions[5] ; l'égalité détruite par la préférence ou la protection accordée à l'une d'elles disparaîtra bientôt du gouvernement, et de la théocratie réédifiée renaîtra bientôt l'aristocratie. Je ne saurais donc trop le répéter : plus de dieux, Français, plus de dieux, si vous ne voulez pas que leur funeste empire vous replonge bientôt dans toutes les horreurs du despotisme ; mais ce n'est qu'en vous en moquant que vous les détruirez ; tous les dangers qu'ils traînent à leur suite renaîtront aussitôt en foule si vous y mettez de l'humeur ou de l'importance. Ne renversez point leurs idoles en colère : pulvérisez-les en jouant, et l'opinion tombera d'elle-même. En voilà suffisamment, je l'espère, pour démontrer qu'il ne doit être promulgué aucune loi contre les délits religieux, parce que qui offense une chimère n'offense rien, et qu'il serait de la dernière inconséquence de punir ceux qui outragent ou qui méprisent un culte dont rien ne vous démontre avec évidence la priorité sur les autres ; ce serait nécessairement adopter un parti et influencer dès lors la balance de l'égalité, première loi de votre nouveau gouvernement. Passons aux seconds devoirs de l'homme, ceux qui le lient avec ses semblables ; cette classe est la plus étendue sans doute. La morale chrétienne, trop vague sur les rapports de l'homme avec ses semblables, pose des bases si pleines de sophismes qu'il nous est impossible de les admettre, parce que, lorsqu'on veut édifier des principes, il faut bien se garder de leur donner des sophismes pour bases. Elle nous dit, cette absurde morale, d'aimer notre prochain comme nous-même. Rien ne serait assurément plus sublime s'il était possible que ce qui est faux pût jamais porter les caractères de la beauté. Il ne s'agit pas d'aimer ses semblables comme soi-même, puisque cela est contre toutes les lois de la nature, et que son seul organe doit diriger toutes les actions de notre vie ; il n'est question que d'aimer nos semblables comme des frères, comme des amis que la nature nous donne, et avec lesquels nous devons vivre d'autant mieux dans un État républicain que la disparition des distances doit nécessairement resserrer les liens. Que l'humanité, la fraternité, la bienfaisance nous prescrivent d'après cela nos devoirs réciproques, et remplissons-les individuellement avec le simple degré d'énergie que nous a sur ce point donné la nature, sans blâmer et surtout sans punir ceux qui, plus froids ou plus atrabilaires, n'éprouvent pas dans ces liens, néanmoins si touchants, toutes les douceurs que d'autres y rencontrent ; car, on en conviendra, ce serait ici une absurdité palpable que de vouloir prescrire des lois universelles ; ce procédé serait aussi ridicule que celui d'un général d'armée qui voudrait que tous ses soldats fussent vêtus d'un habit fait sur la même mesure ; c'est une injustice effrayante que d'exiger que des hommes de caractères inégaux se plient à des lois égales : ce qui va à l'un ne va point à l'autre. Je conviens que l'on ne peut pas faire autant de lois qu'il y a d'hommes ; mais les lois peuvent être si douces, en si petit nombre, que tous les hommes, de quelque caractère qu'ils soient, puissent facilement s'y plier. Encore exigerais-je que ce petit nombre de lois fût d'espèce à pouvoir s'adapter facilement à tous les différents caractères ; l'esprit de celui qui les dirigerait serait de frapper plus ou moins, en raison de l'individu qu'il faudrait atteindre. Il est démontré qu'il y a telle vertu dont la pratique est impossible à certains hommes, comme il y a tel remède qui ne saurait convenir à tel tempérament. Or, quel sera le comble de votre injustice si vous frappez de la loi celui auquel il est impossible de se plier à la loi ! L'iniquité que vous commettriez en cela ne serait-elle pas égale à celle dont vous vous rendriez coupable si vous vouliez forcer un aveugle à discerner les couleurs ? De ces premiers principes il découle, on le sent, la nécessité de faire des lois douces, et surtout d'anéantir pour jamais l'atrocité de la peine de mort, parce que la loi qui attente à la vie d'un homme est impraticable, injuste, inadmissible. Ce n'est pas, ainsi que je le dirai tout à l'heure, qu'il n'y ait une infinité de cas où, sans outrager la nature (et c'est ce que je démontrerai), les hommes n'aient reçu de cette mère commune l'entière liberté d'attenter à la vie les uns des autres, mais c'est qu'il est impossible que la loi puisse obtenir le même privilège, parce que la loi, froide par elle-même, ne saurait être accessible aux passions qui peuvent légitimer dans l'homme la cruelle action du meurtre ; l'homme reçoit de la nature les impressions qui peuvent lui faire pardonner cette action, et la loi, au contraire, toujours en opposition à la nature et ne recevant rien d'elle, ne peut être autorisée à se permettre les mêmes écarts : n'ayant pas les mêmes motifs, il est impossible qu'elle ait les mêmes droits. Voilà de ces distinctions savantes et délicates qui échappent à beaucoup de gens, parce que fort peu de gens réfléchissent ; mais elles seront accueillies des gens instruits à qui je les adresse, et elles influeront, je l'espère, sur le nouveau Code que l'on nous prépare. La seconde raison pour laquelle on doit anéantir la peine de mort, c'est qu'elle n'a jamais réprimé le crime, puisqu'on le commet chaque jour aux pieds de l'échafaud. On doit supprimer cette peine, en un mot, parce qu'il n'y a point de plus mauvais calcul que celui de faire mourir un homme pour en avoir tué un autre, puisqu'il résulte évidemment de ce procédé qu'au lieu d'un homme de moins, en voilà tout d'un coup deux, et qu'il n'y a que des bourreaux ou des imbéciles auxquels une telle arithmétique puisse être familière. Quoi qu'il en soit enfin, les forfaits que nous pouvons commettre envers nos frères se réduisent à quatre principaux : la calomnie, le vol, les délits qui, causés par l'impureté, peuvent atteindre désagréablement les autres, et le meurtre. Toutes ces actions, considérées comme capitales dans un gouvernement monarchique, sont-elles aussi graves dans un État républicain ? C'est ce que nous allons analyser avec le flambeau de la philosophie, car c'est à sa seule lumière qu'un tel examen doit s'entreprendre. Qu'on ne me taxe point d'être un novateur dangereux ; qu'on ne dise pas qu'il y a du risque à émousser, comme le feront peut-être ces écrits, le remords dans l'âme des malfaiteurs ; qu'il y a le plus grand mal à augmenter par la douceur de ma morale le penchant que ces mêmes malfaiteurs ont aux crimes : j'atteste ici formellement n'avoir aucune de ces vues perverses ; j'expose les idées qui depuis l'âge de raison se sont identifiées avec moi et au jet desquelles l'infâme despotisme des tyrans s'était opposé tant de siècles. Tant pis pour ceux que ces grandes idées corrompraient, tant pis pour ceux qui ne savent saisir que le mal dans des opinions philosophiques, susceptibles de se corrompre à tout ! Qui sait s'ils ne se gangrèneraient peut-être pas aux lectures de Sénèque et de Charron ? Ce n'est point à eux que je parle : je ne m'adresse qu'à des gens capables de m'entendre, et ceux-là me liront sans danger. J'avoue avec la plus extrême franchise que je n'ai jamais cru que la calomnie fût un mal, et surtout dans un gouvernement comme le nôtre, où tous les hommes, plus liés, plus rapprochés, ont évidemment un plus grand intérêt à se bien connaître. De deux choses l'une : ou la calomnie porte sur un homme véritablement pervers, ou elle tombe sur un être vertueux. On conviendra que dans le premier cas il devient à peu près indifférent que l'on dise un peu plus de mal d'un homme connu pour en faire beaucoup ; peut-être même alors le mal qui n'existe pas éclairera-t-il sur celui qui est, et voilà le malfaiteur mieux connu. S'il règne, je suppose, une influence malsaine à Hanovre, mais que je ne doive courir d'autres risques, en m'exposant à cette inclémence de l'air, que de gagner un accès de fièvre, pourrai-je savoir mauvais gré à l'homme qui, pour m'empêcher d'y aller, m'aurait dit qu'on y mourait dès en arrivant ? Non, sans doute ; car, en m'effrayant par un grand mal, il m'a empêché d'en éprouver un petit. La calomnie porte-t-elle au contraire sur un homme vertueux ? qu'il ne s'en alarme pas : qu'il se montre, et tout le venin du calomniateur retombera bientôt sur lui-même. La calomnie, pour de telles gens, n'est qu'un scrutin épuratoire dont leur vertu ne sortira que plus brillante. Il y a même ici du profit pour la masse des vertus de la république ; car cet homme vertueux et sensible, piqué de l'injustice qu'il vient d'éprouver, s'appliquera à mieux faire encore ; il voudra surmonter cette calomnie dont il se croyait à l'abri, et ses belles actions n'acquerront qu'un degré d'énergie de plus. Ainsi, dans le premier cas, le calomniateur aura produit d'assez bons effets, en grossissant les vices de l'homme dangereux ; dans le second, il en aura produit d'excellents, en contraignant la vertu à s'offrir à nous tout entière. Or, je demande maintenant sous quel rapport le calomniateur pourra vous paraître à craindre, dans un gouvernement surtout où il est si essentiel de connaître les méchants et d'augmenter l'énergie des bons ? Que l'on se garde donc bien de prononcer aucune peine contre la calomnie ; considérons-la sous le double rapport d'un fanal et d'un stimulant, et dans tous les cas comme quelque chose de très utile. Le législateur, dont toutes les idées doivent être grandes comme l'ouvrage auquel il s'applique, ne doit jamais étudier l'effet du délit qui ne frappe qu'individuellement ; c'est son effet en masse qu'il doit examiner ; et quand il observera de cette manière les effets qui résultent de la calomnie, je le défie d'y trouver rien de punissable ; je défie qu'il puisse placer quelque ombre de .justice à la loi qui la punirait ; il devient au contraire l'homme le plus juste et le plus intègre, s'il la favorise ou la récompense. Le vol est le second des délits moraux dont nous nous sommes proposé l'examen. Si nous parcourons l'antiquité, nous verrons le vol permis, récompensé dans toutes les républiques de la Grèce ; Sparte ou Lacédémone le favorisait ouvertement ; quelques autres peuples l'ont regardé comme une vertu guerrière ; il est certain qu'il entretient le courage, la force, l'adresse, toutes les vertus, en un mot, utiles à un gouvernement républicain, et par conséquent au nôtre. J'oserai demander, sans partialité maintenant, si le vol, dont l'effet est d'égaliser les richesses, est un grand mal dans un gouvernement dont le but est l'égalité. Non, sans doute ; car, s'il entretient l'égalité d'un côté, de l'autre il rend plus exact à conserver son bien. Il y avait un peuple qui punissait non pas le voleur, mais celui qui s'était laissé voler, afin de lui apprendre à soigner ses propriétés. Ceci nous amène à des réflexions plus étendues. A Dieu ne plaise que je veuille attaquer ou détruire ici le serment du respect des propriétés, que vient de prononcer la nation ; mais me permettra-t-on quelques idées sur l'injustice de ce serment ? Quel est l'esprit d'un serment prononcé par tous les individus d'une nation ? N'est-il pas de maintenir une parfaite égalité parmi les citoyens, de les soumettre tous également à la loi protectrice des propriétés de tous ? Or, je vous demande maintenant si elle est bien juste, la loi qui ordonne à celui qui n'a rien de respecter celui qui a tout. Quels sont les éléments du pacte social ? Ne consiste-t-il pas à céder un peu de sa liberté et de ses propriétés pour assurer et maintenir ce que l'on conserve de l'un et de l'autre ? Toutes les lois sont assises sur ces bases ; elles sont les motifs des punitions infligées à celui qui abuse de sa liberté. Elles autorisent de même les impositions ; ce qui fait qu'un citoyen ne se récrie pas lorsqu'on les exige de lui, c'est qu'il sait qu'au moyen de ce qu'il donne, on lui conserve ce qui lui reste ; mais, encore une fois, de quel droit celui qui n'a rien s'enchaînera-t-il sous un pacte qui ne protège que celui qui a tout ? Si vous faites un acte d'équité en conservant, par votre serment, les propriétés du riche, ne faites-vous pas une injustice en exigeant ce serment du " conservateur " qui n'a rien ? Quel intérêt celui-ci a-t-il à votre serment ? Et pourquoi voulez-vous qu'il promette une chose uniquement favorable à celui qui diffère autant de lui par ses richesses ? Il n'est assurément rien de plus injuste : un serment doit avoir un effet égal sur tous les individus qui le prononcent ; il est impossible qu'il puisse enchaîner celui qui n'a aucun intérêt à son maintien, parce qu'il ne serait plus alors le pacte d'un peuple libre : il serait l'arme du fort sur le faible, contre lequel celui-ci devrait se révolter sans cesse ; or c'est ce qui arrive dans le serment du respect des propriétés que vient d'exiger la nation ; le riche seul y enchaîne le pauvre, le riche seul a intérêt au serment que prononce le pauvre avec tant d'inconsidération qu'il ne voit pas qu'au moyen de ce serment, extorqué à sa bonne foi, il s'engage à faire une chose qu'on ne peut pas faire vis-à-vis de lui. Convaincus, ainsi que vous devez l'être, de cette barbare inégalité, n'aggravez donc pas votre injustice en punissant celui qui n'a rien d'avoir osé dérober quelque chose à celui qui a tout : votre inéquitable serment lui en donne plus de droit que jamais. En le contraignant au parjure par ce serment absurde pour lui, vous légitimez tous les crimes où le portera ce parjure ; il ne vous appartient donc plus de punir ce dont vous avez été la cause. Je n'en dirai pas davantage pour faire sentir la cruauté horrible qu'il y a à punir les voleurs. Imitez la loi sage du peuple dont je viens de parler ; punissez l'homme assez négligent pour se laisser voler, mais ne prononcez aucune espèce de peine contre celui qui vole ; songez que votre serment l'autorise à cette action et qu'il n'a fait, en s'y livrant, que suivre le premier et le plus sage des mouvements de la nature, celui de conserver sa propre existence, n'importe aux dépens de qui." D.A.F. de Sade Votre dévoué serviteur. Répondre à ce commentaire
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RaphaelZachariedeIzarra 29-04-05
à 16:09 |
Re: Re: Brûlons Sade !Oisiveté, or, plaisirs : tels furent mes maîtres. J'ai dépouillé la Vertu, vidé leurs poches aux mortelles dépouilles, volé bourses et vies pour tuer le temps, fais mourir l'innocent pour nourrir le vice. Plus de granulés à fabriquer dans nos usines pour vous nourrir, chiens que vous êtes ! J'ai le courage de porter haut mon épée, ma particule, mon mépris. Je méprise avec beaucoup de conviction tout ce qui ne vole pas haut : les sensibilités populaires, la religion du matérialisme, le culte du plaisir immédiat, toutes ces quêtes temporelles, alimentaires, horizontales (tels que confort matériel, sécurité de l'emploi, assurances en tous genres). Vous pouvez tous aller au diable maintenant ! Cela est votre intime liberté. C'est la mienne également que de me mieux plaire loin de votre univers malséant. Les dentelles et la soie siéent mieux à ma vie que vos petites vérités temporelles et prosaïques. Fuyez mon foyer, allez extorquer chez le voisin votre pitance indue. Certes, je suis fier. Est-ce donc péché que de s'aimer, de se sourire à soi-même avec satisfaction ? Ces affaires domestiques chères à mes contemporains ne sont qu'hérésies, bassesses, insignifiances. Mes plus chers lauriers. C'est certes leur droit et je ne leur ôterai nullement cette piètre liberté. Mais les ânes ne savent pas chanter, et le bel oiseau que je suis est bien obligé de le faire à leur place. Retournez aux enfers et n'en ressortez plus, maudites bêtes ! Du plus petit au plus gros, du plus attendrissant au plus laid, je vous ôterais la peau du dos, je vous désosserais si je le pouvais ! Ennemi de la société, le crime est mon pain quotidien, la tentation du gain facile étant chez moi une soif impossible à étancher... Eux sont des créatures bénies des dieux, eux sont des gens propres, eux sont des personnes subtiles. Eux sont mes vrais amis. J'ignore modestie, docilité, bassesse. J'allègerais volontiers la planète en bannissant vos quatre pattes de sa surface, sales clébards ! Impossible d'éviter ces crânes, éclatants de vérité ! Depuis les ténèbres de ma cellule, j'y vois mieux que sous le soleil du crime. La mise au ban, l'injure, la honte, voilà mon héritage. Vos traits mélancoliques, nébuleuse enfant, évoquent le chant triste de l’automne : ils m’inspirent une profonde, authentique langueur. Il n'y en aurait que pour les chats. Si la dignité de mon front vous offense, si la hauteur de mes vues vous dérange, si la majesté de ma tête vous indispose, bref si ma personne entière vous est chose peu aimable, je ne manquerai pas de croiser avec vous tous la plume pour mieux rehausser mes couleurs et faire briller et mon nom et ma particule. Je ne suis pas d'un commerce facile. Je ne flatte pas ceux qui m'écoutent. Je ne défends pas vos causes pitoyables. Cerbère est votre vrai maître. Vous vous tromperiez de porte. On vous a abandonné sur les routes des vacances ? Soit. Vous pouvez crever maintenant ! Là n'est point mon rôle. Ma véritable affaire en ce monde consiste à éclairer les esprits et enrichir les coeurs. Dont les vôtres, tristes paltoquets. Parasites de nos rues, cessez de souiller les caniveaux, allez plutôt crever dedans, et promptement encore ! Les chats, enfants du Ciel, tout proches des anges... Plein d'idéal, je donne des leçons à mes semblables moins fortunés, moins titrés, moins valeureux que moi. Je me débarrasserais de vous sans aucun scrupule si je le pouvais ! Sales cabots ! Je n'ai pas pitié de vous. Plutôt de vos maîtres dénaturés. Imbu de ma personne pensez-vous ? Je mésestime ces manières infâmes que vous avez de me considérer, propres à la plèbe. Qui, si je ne me faisais l'apôtre de la légèreté, de l'esprit, de la cause poétique prendrait la parole à ma place pour dénoncer la lourdeur, le prosaïsme du monde ? Vous évoquez avec une canaille éloquence le nom de celui qui n'a pas eu l'heur de vous plaire... Je ne suis point de ce monde. Dans le coeur, dans l'esprit, je suis plein de noblesse. Mais pas chez moi. Comment des humains normalement constitués peuvent-ils aimer des chiens ? Mais vous les chiens, votre nom même est une injure, vils agresseurs de postiers, traînards des poubelles, renifleurs d'excréments ! Pas la peine de venir chez moi. Votre chevelure est un foin ardent qui se consume bien vite : c’est que ses mèches trop sèches et trop strictes n’alimentent pas longtemps les rêves. Il est vrai que je n'ai guère d'indulgence pour la gent déchue qu'est la populace. Vous avez bien profité de la bêtise de vos maîtres qui vous ont hébergés, nourris, soignés, allant -les insensés ! - jusqu'à vous céder leur fauteuil, jusqu'à vous mettre des morceaux de repas dans la gueule en plein dîner familial ? J'incarne noblesse, poésie, rêve. Mais encore aristocratie oisive et pédante. Je prétends faire partie d'une élite : l'espèce française. Je suis froid, hautain, arrogant. Je suis né sous le signe de la corruption, j'ai du sang sur les mains et dans mes veines coule le Mal. Mais aujourd'hui je suis entre quatre murs, aux fers : la Justice a mis fin à mes progrès sur le chemin du vice. Mademoiselle, vous êtes une vivante pièce de musée, une durable oeuvre d’art animée, le trophée favori de mon âme collectionneuse. Je suis un de ces dieux cruels et esthètes qui vous contemplent d’en haut. Je fais partie de l’Olympe des beaux esprits aimant misère et douleur pourvu qu’elles soient esthétiques, académiques, remarquables. Moi je parle des dentelles mais surtout des richesses subtiles de l'âme. Créatures au ventre répugnant, au pelage puant, aux moeurs plébéiennes, je vous hais ! Vous les chiens, que vous soyez bâtards ou racés, que vous soyez princes des salons ou gueux des taudis, vous êtes des insultes sur pattes, des offenses vivantes, les déchets de nos villes. Je ne vous interdis nullement de vous ébaudir en ignoble société, ni de ripailler comme des romains ou bien d'accoucher de la pensée la plus basse qui soit. Vous les gueules aboyantes, vous les haleines fétides, vous qui naissez avec la salive au bord des babines, vous m'inspirez dégoût, répulsion, horreur. Votre place n'est pas ailleurs que dans la fange. Votre souffrance exclusivement agrée aux dieux. Comme lorsque le pissenlit se pare de l’épine pour donner une grimace belle à regarder, ainsi que les gargouilles et les calvaires. Cependant dans ce désert aride vos pupilles sont comme deux saphirs. Mais sachez que les véritables perles de ce trésor maudit, ce sont vos larmes. Elles seules brillent. C’est votre tristesse qui vous confère beauté, émotion, prestige et vous donne finalement un prix infini. Je ne ris plus, non je ne ris plus du tout de mes coups, rongé par le remords. Votre beauté est de pierre, et votre charme a l’extrême rudesse du roc. Vous êtes un silex et sur ce silex j’élèverai mes plus doux sentiments. Votre visage est une poignée de sable. Votre front une grave, âpre, puritaine façade hellène : des lois sévères y sont gravées. L'homme sans foi ni loi doit répondre de ses méfaits devant le Ciel et la Terre. Je suis un bandit, un vaurien, un vendu. Vos lèvres sont une indélébile tache de sang et les mots qui en sortent sont des ronces qui écorchent les coeurs. Trop tard pour se repentir ! La Justice est passé, je ne ris plus. Non, vraiment je ne ris plus... Leurs orbites sont profondes de reproches et leurs dents blanches en disent long sur mes noirceurs... Vos yeux d’azur ont la grâce des vénus de glace, et votre regard de statue est plus austère que le marbre. Elle seule compte. De mon cachot, leurs cris de vengeance me tiennent éveillé. Les pauvres que dans le dos j'ai égorgés, les riches que par derrière j'ai occis, les barreaux de ma prison ne les ont pas empêchés d'entrer. Quelle compagnie ! L'heure est venue de payer une vie vouée à la débauche. Je suis un gredin, un brigand, un misérable. Que Dieu ait pitié de mon âme car je suis un bandit, un vaurien, un vendu. Demain à la première heure je serai un pendu. J'implore le pardon de mes victimes. Je suis une fripouille. J'ai bien joui de l'existence, j'ai assassiné sans compter, dormi du sommeil du scélérat dans les lits de mes victimes. Las ! Pourquoi n'ai-je pas préféré un chemin plus clair ? Ricanent-ils ? Menacent-ils ? Les deux à la fois : ils crânent. Je vous aime, chandelle de misère. Vous vous êtes bien gobergés sous nos toits ? Les nécessités temporelles tels que le boire et le manger que mes semblables prennent tellement au pied de la lettre ne me touchent guère, tant il importe avant tout de donner la parole à la poésie. Je n'ignore pas que les gens ordinaires sont assoiffés de prosaïsme. Ne mettez pas la patte chez moi, maudits chiens ! Raphaël Zacharie de Izarra Répondre à ce commentaire
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libertad 29-04-05
à 16:13 |
Re: Re: Brûlons Sade !Bon les gars, désolé là mais votre conversation n'a aucun rapport avec le sujet de la page, c'est à dire la libération de Léger, je vous invite à poursuivre cette discussion à deux par mail.
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à 00:29