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L'En Dehors


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Louis Lecoin arrache le statut des objecteurs - 1962
Lu sur Increvables anarchistes : "Je ne saurais m'abstenir de parler également d'un autre événement qui n'allait pas manquer de me bouleverser et m'appeler a intervenir.Voici : fin mai 1962, je reçus un mot de Lecoin qui avait perdu quelques années auparavant sa compagne me convoquant d'urgence pour une affaire importante. M'étant rendu rue Alibert, siège du journal "Liberté", qu'il avait fondé, en 1957 et que je connaissais bien pour y avoir parfois collaboré et m'y être souvent rendu.
Là, en présence d'une vingtaine d'autres amis qui, comme moi, avaient répondu à son invitation, Lecoin nous tînt les propos suivants (je cite de mémoire, mais j'en affirme l'authenticité) :
Je vous ai appelé parce que j'en ai assez de jouer les Don Quichotte. Comme vous le savez, depuis plusieurs années je lutte, tant par mon journal que par les réunions et autres manifestations publiques, contre la répression qui s'abat sur les objecteurs de conscience, dont certains, ayant renouvelé leur refus du métier de tuer, après une première fois, sont de nouveau sanctionnes par les tribunaux militaires et croupissent dans les prisons, certains depuis neuf ans.
Or, déjà les interventions de notre Comité, de secours aux objecteurs, parrainé par des personnalités comme l'abbé Pierre, Albert Camus, Jean Giono, Alfred Kastler, prix Nobel, André Breton, etc., ont permis que leur détention, jusque-là illimitée, ne dépasse pas le maximum de cinq ans. Ce qui a permis la libération d'une dizaine d'entre eux.
Mais tous les autres restent emprisonnés, y compris, alors que la guerre d'Algérie est terminée, ceux qui avaient refuse d'y participer. C'est pourquoi, ayant épuisé tous les autres moyens d'obtenir dans ce pays, après de vaines promesses prodiguées en haut lieu, la reconnaissance de l'objection de conscience qui es appliquées dans nombre de pays occidentaux. notamment en Allemagne, ce qui les espérerait aussitôt, j ai pris la décision irrévocable, je dis bien irrévocable, de mettre ma personne en jeu.
Je vous informe, en conséquence, qu'à dater du 1er juin, je commencerai à faire la grève de la faim, et de la faire seul, ne voulant entraîner personne dans une action que je suis décidé à mener jusqu' à son terme afin que les promesses soient tenues".

A cette déclaration, les réactions se firent nombreuses, lui laissant entendre qu'à son âge (il avait alors 74 ans) une nouvelle grève de la faim pouvait lui être fatale à bref délai, et, au surplus, sans une ample préparation de l'opinion, soumise en général à l'idole patrie d'un chef d'État militaire, c'était aller au suicide. Mais, toutes nos pressantes objurgations furent vaines.
"Si vous n'êtes pas d'accord, nous dit-il, j'agirai seul. Par contre, si vous acceptez de me soutenir, avec tout l'effort de propagande nécessaire auprès de nos nombreux amis et des groupements pacifistes, libertaires, syndicalistes, nous pouvons gagner la partie. De toute façon, quelle que soit votre attitude, c'est mon dernier mot : ou j'obtiendrai le statut pour les objecteurs ou j'y laisserai ma peau".

Que pouvions-nous faire d'autre, malgré, nos craintes, que nous rallier ?
Le 1er juin, tout se passa donc comme prévu. L'annonce de cette action par son journal Liberté avait alerté tous les militants de Paris et de province.
Pourtant, le démarrage fut laborieux.
Les consignes de silence avaient été données au sommet gouvernemental et la presse aux ordres obéissait servilement en mettant nos communiqués au panier. Seuls quelques rares journaux osaient enfreindre les instructions. Mutisme également à peu près total du côté du P.C. et de son organe "l'Humanité" où, selon une coutume qui ne se dément pas, on ignore ou on boycotte toute initiative qui échappe à l'obédience du parti (à plus forte raison en ce qui concerne l'objection de conscience sévèrement réprimée en Russie).
Au local du journal, qui était aussi son domicile, Lecoin poursuivait son jeûne , assisté, de quelques fidèles dont un homme jeune, Pierre Martin, militant pacifiste actif de l'Internationale des Résistants à la Guerre et objecteur de conscience que Lecoin avait tiré des geôles républicaines, et qui, dès qu'il apprît la ferme détermination de son vieux camarade, revint précipitamment de Dakar, où il dirigeait une équipe du Service civil international, pour se mettre a sa disposition.

Continuant le combat de l'homme alors couché, et assisté de quelques camarades, il veillait sur son courageux ami avec une sollicitude de tous les instants.
En même temps, il animait à la fois la propagande, recevait les amis connus et inconnus venus s'informer et proposer leur aide. Il recevait les journalistes en quête d'interviews et répondait au téléphone qui sonnait sans arrêt. Tout cela sans un moment de répit, tandis que d'autres s'affairaient dans tous les coins du petit local, classant la correspondance, les télégrammes reçus de partout, y répondant et expédient le matériel de propagande pour satisfaire les nombreuses demandes.
Car, du dehors, arrivaient les informations sur l'action des militants tant à Paris qu'en province.
On apprenait que les lettres, les télégrammes affluaient aussi à l'Élysée et dans les ministères intéressés, émanant de particuliers ou de groupements divers, syndicats, etc.

Je m'étais, bien sûr, proposé pour me rendre au siège des syndicats en vue d'un soutien éventuel.. Accompagné de Raymond Guilloré animateur de "La Révolution prolétarienne".
Notre première visite fut pour la C.G.T. où l'un des secrétaires du Bureau confédérale après une déclaration favorable, devenait plus réticent, plus ferme, au fur et à mesure qu'il allait au bureau voisin prendre des directives, nous devinions de qui. Finalement l'entretien se termina a peu près par une fin de non-recevoir. Ce qui n'était pas pour nous surprendre, même si le syndicat des correcteurs de cette même C.G.T. Lecoin était l'un des membres les plus anciens et en fut l'un des plus actifs- menait campagne en sa faveur. tout comme le Comité intersyndical du Livre parisien, la Fédération du Livre C.G.T. et nombre de sections de province.
Fort heureusement, tout autre fut la réception qu'on nous fit ailleurs, là où le sentiment de solidarité n'était pas obnubilé par des considérations de politique partisane.
Sans pour autant adopter des conceptions identiques sur le problème de l'objection de conscience, c'est une adhésion spontanée qui nous fut donné à la Fédération de l'Education nationale, suivie d'une discussion aux fins d'une action efficace pour aider Lecoin et les objecteurs emprisonnés. Même attitude sympathique à Force Ouvrière où le secrétaire général Bergeron rédigea devant nous un télégramme pour l'Élysée et intervint par la suite utilement. La C.F.T.C., fut elle, en flèche durant toute la campagne, Son secrétaire général, Eugène Descamp, qui nous avait promis son entier concours, tint parole et fit, lui aussi des démarches personnelles jusqu'à la Présidence de la République.
Il faut dire qu'entre autres arguments pour les amener à nous donner leur appui et à faire pression sur l'Élysée, nous en avions un de poids en leur rappelant que, peu. auparavant, De Gaulle. au cours d'une intervention de l'abbé Pierre, lui avait déclare "Qu'il était absurde et indigne de traiter les objecteurs en délinquants".

Cependant, l'effervescence grandissait autour du défi lancé par le vieux lutteur.
Une affiche "Sauvez Lecoin !", opposée sur les murs de Paris, interpellait le grand public, tandis qu'une autre sur la porte de l'immeuble où il poursuivait son jeûne avait mis le quartier en ébullition. Cela d'autant plus que, le 13 juin, une manifestation de soutien au même endroit avait réuni beaucoup de monde.
La grande presse elle-même, devant l'ampleur de la protestation, avait dû rompre son silence.
Déjà Combat "Le Monde "Le Canard enchaîné", qui n'étaient pas gênés aux entournures, avaient alertés leurs lecteurs D'autres avaient suivi. certains pour ne pas faire un "ratage". En province, des journaux locaux, harcelés par les militants, s'étaient eux aussi emparés de la question. Quant aux publications amies "Le Monde Libertaire", "La Révolution prolétarienne", "L'Union pacifistes " "Le Nouvel Observateur", il va de soi qu'ils ne marchandaient pas leur concours.
Mais, parmi ceux-ci, on doit rendre hommage au "Canard enchaîné" dont chaque numéro durant cette épreuve tenait ses lecteurs en haleine.
Entre autres, le 13 juin, un article retentissant d'Henri Jeanson, intitule "Holà ! Les Grandes Gueules !" interpellait Malraux, Giono, Max-Pol Fouchet, Jean Galtier-Boissière, Jean-Paul Sartre "Faites-vous entendre. Laisserez-vous mourir Lecoin ?"

La radio française, Radio-Luxembourg, Europe 1, après les radios et télévisions étrangères, avaient évoqué l'affaire Lecoin à plusieurs reprises. Sur le plan international, des groupements, des personnalités importantes comme Bertrand Russell, le vétéran pacifiste anglais, Pietro Nenni, ancien ministre, au nom des socialistes italiens, témoignaient par télégramme leur solidarité.
Bref, le mouvement prenait de jour en jour plus d'étendue.
Pour calmer les esprits, le ministre des Armées finit par d déclarer qu'un statut sur la reconnaissance de l'objection de conscience était à l'étude et qu'en attendant tous les objecteurs ayant accompli trois années d'emprisonnement seraient immédiatement libérés.
Ce qui rendait encore à la liberté vingt-huit d'entre eux.
Cela ne suffisait pourtant pas à Lecoin dont l'action commençait à être payante, mais qui s'affaiblissait. Quoi qu'il en soit, il devenait gênant pour l'orgueil et limage de marque de sa majesté le général-Président qui n'entendait pas qu'on lui fasse la leçon.
Aussi, le 15 juin, un juge d'instruction commis par le Premier ministre lançait. une information contre X. sous l'accusation absurde, envers les amis présents aux côtés de Lecoin, de non-assistance à personne en danger.
Fallacieux prétexte qui permettait aux policiers, assistés d'un médecin-légiste, de l'enlever pour le conduire à l'hôpital Bichat où ils pensaient peut-être en avoir raison par tous les moyens appropries . Devant. ce kidnapping, et par solidarité avec Lecoin, cinq des compagnons qui l'avaient assisté tout au long de son jeûne, dont sa fille, faisaient savoir qu'ils commençaient à leur tour la grève de la faim. C'est dans ces conditions que nous arrivâmes au 21è jour de cette mémorable entreprise.

Lecoin, qui continuait à résister à toutes les pressions, commençait alors à tomber dans une certaine torpeur ; lorsqu'un des membres de son Comité de secours aux objecteurs, le professeur Kastler, vint lui transmettre la promesse écrite du Premier ministre Pompidou qu'un projet de loi portant statut des objecteurs de conscience allait être soumis à l'Assemblée nationale et l'engageait alors à cesser son jeûne. Surpris tout d'abord du refus de Lecoin, lui objectant que cette soumission n'offrait aucune garantie, car il n'était pas assuré que le Parlement suivrait le Premier ministre, Kastler se rendit à ses raisons.
Ce n'est que le lendemain soir, après que d'autres personnalités à qui Lecoin avait répété qu'il en avait assez des promesses trompeuses et qu'il ne consentirait à s'alimenter que s'il pouvait lire un acte officiel lui donnant des assurances valables, et après de longs pourparlers à la Présidence du Conseil, où ses amis défendaient farouchement sa cause, que Lecoin, ayant pris connaissance de la déclaration du Premier ministre, selon lequel le projet de statut des objecteurs serait adopté par le Conseil des ministres du 4 juillet pour être voté à la session parlementaire, cessait son jeûne, ayant eu en outre l'assurance qu'en vertu de cette mesure, la centaine d'objecteurs encore emprisonnes seraient libérés.

Il était temps. Lecoin, au bord du coma, n'était plus qu'un grand malade aux mains des médecins dont il acceptait maintenant les soins avec reconnaissance et reprenait lentement goût à la vie.
Et l'infirmière, sous la dictée du professeur, pouvait noter :
"Aujourd'hui et les jours suivants, alimentation par perfusion".

Célébrant cette victoire dans "La Révolution prolétarienne", j'avais intitulé mon article "Réabilitation de l'acte individuel" par allusion à la "propagande par le fait" (attentats terroristes anarchistes) des années 90 du siècle dernier dont les anarcho-syndicalistes avaient reconnu la vanité, malgré le courage et l'abnégation de leurs auteurs.
Je soulignais qu'il s'agissait cette fois d'un acte non-violent de la part d'un homme qui, mettant en jeu son existence contre l'arbitraire et la répression au service de son idéal pacifiste, avait forcé le barrage qui s'opposait à l'examen du cas des objecteurs de conscience et emporte la décision mieux que n'aurait pu le faire à elle seule une campagne de presse et de meetings pour remuer et sensibiliser l'opinion.
Pourtant, ce qu'il advint par la suite allait nous rappeler une fois de plus qu'avec les politiciens on n'est jamais sûr de rien et qu'en l'occurrence, cette première satisfaction obtenue, la partie n'était pas entièrement gagnée. En effet, le débat sur le statut à l'Assemblée Nationale avait bien eu lieu le 27 juillet suivant, mais dans une confusion telle, entretenue par ses adversaires, que rien n'en était sorti et que les députés, presses de partir en vacances, avaient renvoyé la discussion à une session ultérieure. Ce qui ne faisait pas l'affaire de notre rescapé, qui parti se remettre de sa dernière épreuve chez un ami à la campagne, rongeait son frein en constatant qu'au surplus, les objecteurs pour qui il s'était battu jusqu'au bout, restaient en prison.

Rentré à Paris, il allait rencontrer de nouvelles difficultés.
Dans la coulisse, le ministre Debré, champion de la politique nataliste et ses complices de la clericaille, associés au clan militaro-industriel pour une France forte, manoeuvraient pour empêcher la reprise des débats. Contre ce sabotage délibéré, il faudra encore plus d'une année d'interventions de toutes sortes, de pétitions, de relance des parlementaires et des personnalités acquises à la cause des objecteurs, et qu'en désespoir de cause Lecoin mette dans la balance la menace de reprendre une nouvelle grève de la faim pour qu'enfin la loi accordant le bénéfice du statut aux objecteurs soit définitivement votée et promulguée le 22 décembre 1963 et que, le 24, la veille de Noël, tous les objecteurs sans exception soient libérés.
Certes, tel qu'il était, ce statut ne répondait pas entièrement a ce qu en attendaient ses inspirateurs, mais l'essentiel était qu'il permettrait à tous ceux qui pour des impératifs moraux philosophiques ou religieux, refuseraient désormais le service militaire d'accepter un service civil de remplacement.
Il s'agirait ensuite d'en poursuivre l'amélioration

Nicolas Faucier (Dans la mêlée sociale. Edition la Digitale)

Nicolas Faucier naît en 1900,
il va vivre en militant anarchosyndicaliste toutes les luttes, les espérances du 20è siècle.
Engagé comme matelos en 1918, il participe aux mutineries en Mer Noire.
Il milite à la CGT chez Renault, puis devient permanent au Libertaire.
Devenu correcteur de presse, il participe activement aux grèves de 36 et
au soutien à la révolution libertaire espagnole.
Entre 1938 et 1945, il menera une double lutte contre le fascisme et
contre la guerre qui le ménera en prison.
A la libération, il participera à la revue la Révolution prolétarienne et
aux combats pacisfistes au côté de Louis Lecoin.
Ecrit par libertad, à 22:10 dans la rubrique "Pour comprendre".

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