Lu sur
Anarced : "Il se dessine en Grèce aujourd'hui un mouvement révolutionnaire qui, comme la plupart des mouvements de révolte contemporains, est initié par les lycées et les universités occupées. Certes les lycéens et les étudiants ne sont pas les seuls à porter cette aspiration de révolution, certes d'autres bâtiments sont occupés, notamment celui de la Confédération Générale des Travailleurs en Grèce (GSEE) par les travailleurs insurgés (1) mais le monde de l'éducation apparaît comme le terreau des mouvements de révolte et du processus révolutionnaire. C'est un constat qui pouvait déjà être fait en 1968 et même avant, il se vérifie chaque jour un peu plus depuis. Il apparaît clairement aujourd'hui, et pas seulement en Grèce, que les mouvements lycéens sont bien plus amples, bien plus audibles et bien plus efficaces que les mouvements des travailleurs. Le recul (très rapide mais très partiel) de Darcos sur son projet de nouvelles plaquettes pour les classes de lycée en est une nouvelle illustration même si la question, essentielle, des suppressions de poste reste soigneusement éludée par le ministre pour le moment.
A
partir de ce constat et comme on tire une vieille ficelle, il est
facile de réduire la question révolutionnaire à celle du système
éducatif puis, en poussant un peu plus loin la logique, affirmer que la
solution du problème social réside simplement dans une réforme des
universités, des lycées, des collèges, des écoles élémentaires ou
maternelles. Il faut dire que beaucoup ont eu cette illusion que
l'École pouvait être un moteur du changement social alors que si on
observe les sociétés, on s'aperçoit au contraire que l'école évolue
beaucoup plus lentement que la société, qu'elle traîne les vestiges du
passé et qu'elle ne suit que lentement et avec résistance les conquêtes
sociales. C'est ce qu'expliquait Célestin Freinet :
«L'École
du peuple ne saurait être sans la société populaire. Notre insistance à
relier l'œuvre de demain à un passé que nous savons condamné ne saurait
pourtant être interprété comme un tendance au statisme politique et
économique. Nous dénonçons au contraire l'illusion des timides qui
espèrent faire fleurir dans le chaos social une pédagogie et une école
susceptibles de servir de modèle pour les réalisations sociales à venir.
L'expérience nous contraint à une plus grande humilité. Elle nous
montre que, sauf quelques rares exceptions, l'École n'est jamais à
l'avant garde du progrès social. Elle peut l'être en théorie – ce qui
n'est jamais suffisant – mais dans la pratique, son épanouissement est
trop directement conditionné par le milieu familial, social et
politique, pour qu'on la voie jamais s'en dégager pour une hypothétique
libération autonome.»
C'est pourtant exactement le contraire que les politiciens de tout bord
nous assènent depuis des décennies avec le mythe d'une École et d'une
université publique qui serait capable d'intégrer le projet de justice
sociale en prétendant l'égalité des chances et en promettant
l'ascension sociale, même pour les plus pauvres. Dans les faits,
l'ascenseur social n'a fonctionné qu'exceptionnellement et l'égalité
des chances est toujours restée un mensonge. Les différentes réformes
mises en place depuis plus de dix ans dans le cadre du processus de
Bologne (2) n'ont eu de cesse de renforcer la sélection des étudiants
par l'argent.
Défendu à la fois par les capitalistes pour améliorer la qualité de
leur main d'œuvre et par les socialistes pour se livrer à la
«démocratisation de l'enseignement», le mythe du progrès social par
l'École s'est imposé et le nombre d'étudiants diplômés a augmenté
rapidement. Le résultat est qu'aujourd'hui, malgré des règles du jeu
pipées dès le départ, de plus en plus de RMIstes sont diplômés à Bac+3
voire Bac+5 alors qu'il y a toujours autant de patrons (sinon plus) qui
n'ont même pas le bac.
Pour ces derniers, une telle situation est idéale. En effet, peu leur
importe d'être légitimés ou non par l'École puisque l'État leur
garantit leur situation et leurs avantages! D'autre part, ils auraient
tort d'être rancunier contre celle qui leur offre cent ingénieurs quand
il ne leur en faut que dix, livrés sur un plateau, dociles et
corvéables à merci, du fait de leur abondance. Certes, cette formation
a un coût mais elle leur fournit en échange une main d'œuvre à la fois
qualifiée et bon marché.
Les coupures de budget dans l'éducation auxquelles se livrent les
politiques depuis la dernière décennie sont mues, quant à elles, par
une logique à court terme, c'est à dire qu'ils se laissent complètement
aller à leurs instincts de destructions, de pillages et de meurtres
sans aucune réflexion sur les conséquences à long terme. En effet, si à
force de sélections toujours plus drastiques, leur système éducatif ne
fournissait à l'avenir plus que cinq ingénieurs lorsqu'il en faudrait
toujours dix au patronat (n'ayant pas repris ses études entre temps)
ces cinq ingénieurs ne seront ni dociles ni corvéables, du fait de leur
rareté, et il en manquera cinq. Bref, pour quelques économies
immédiates, c'est l'avenir à long terme de leurs propres entreprises
qu'ils compromettent!
En résumé, si l'augmentation du budget de
l'éducation permettrait peut-être au système de se maintenir encore
quelques temps, grâce à la production d'une abondante main d'œuvre
qualifiée et docile, la restriction de ce budget, dont il est douteux
qu'une quelconque compensation puisse venir du patronat, ne peut que
mener l'économie à la banqueroute et ce n'est pas l'actualité de la
crise économique qui contredira cette analyse. Dans les deux cas, le
problème social n'est pas résolu et la conclusion fondamentale est:
Il n'y a pas de solution au problème social dans une quelconque réforme du système éducatif.
Que
les lieux d'enseignement soient le terrain des révoltes et des
révolutions trouvent facilement d'autres explications puisque ce sont
des lieux abondamment fréquentés par les jeunes et qui étaient,
jusqu'aux récentes escalades dans la barbarie observées ces dernières
années, relativement protégés des bavures policières, des charges de
CRS, de leurs gaz et de leurs matraques. Ces temps sont révolus, les
brigades spéciales fouillent les classes et leurs élèves avec des chiens ;">dès
le collège (3), les CRS et la BAC occupent universités et lycées
n'hésitant pas à charger les jeunes sur leurs lieux d'étude ou à les
dresser à coups de barre de fer (4) mais ces agressions, ces
brutalités, ces bavures policières ne parviennent pas à étouffer les
révoltes de ces derniers, bien déterminés à poursuivre leurs luttes.
A suivre...
(1) voir la DECLARATION DE
L’ASSEMBLEE GENERALE DES TRAVAILLEURS INSURGES DE ATHENES
(2) voir l'article L’université sauce Bologne
(3) Le 19 novembre 2008, la gendarmerie intervient au collège de Marciac avec des chiens dans les classes. (vidéo)
(4) Novembre et décembre 2007, les CRS chargent les étudiants dans plusieurs universités : à Grenoble avec gaz, chiens et coups de barre de fer
(vidéo), à Paris Nanterre
(vidéo), à Paris Sorbonne
(vidéo), à
Lyon II Bron
(vidéo) , à Lille III (vidéo), à Pau (vidéo), à Montpellier (vidéo), etc.