--> La propriété est contraire à la nature.
L'homme a des puissances, des vertus, des capacités ; elles lui ont été confiées par la nature pour vivre, connaître, aimer ; il n'en a pas le domaine absolu, il n'en est que l'usufruitier ; et cet usufruit, il ne peut l'exercer qu'en se conformant aux prescriptions de la nature. S'il était maître souverain de ses facultés, il s'empêcherait d'avoir faim et froid; il mangerait sans mesure et marcherait dans les flammes ; il soulèverait des montagnes, ferait cent lieues en une minute, guérirait sans remède et par la seule force de sa volonté, et se ferait immortel. Il dirait : je veux produire, et ses ouvrages, égaux à son idéal, seraient parfaits ; il dirait : je veux savoir, et il saurait ; j'aime, et il jouirait. Quoi donc ! l'homme n'est point maître de lui-même, et il le serait de ce qui n'est pas à lui ! Qu'il use des choses de la nature, puisqu'il ne vit qu'à la condition d'en user : mais qu'il perde ses prétentions de propriétaire, et qu'il se souvienne que ce nom ne lui est donné que par métaphore.
(Propriété, p. 172.)
La propriété est un droit en dehors de la société : car il
est évident que si les biens de chacun étaient biens sociaux, les conditions
seraient égales pour tous, et il impliquerait contradiction de dire :
La propriété est le droit qu'a un homme de disposer de la manière la plus
absolue d'une propriété sociale . Donc, si nous sommes associés pour la liberté,
l'égalité, la sûreté, nous ne le sommes pas pour la propriété; donc si la
propriété est un droit naturel, ce droit naturel n'est point social,
mais antisocial. Propriété et société sont choses qui répugnent
invinciblement l'une à l'autre : il est aussi impossible d'associer deux
propriétaires que de faire joindre deux aimants par leurs pôles semblables. Il
faut ou que la société périsse, ou qu'elle tue la propriété. (Propriété, p.
165.)