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Anonyme |
Une rafle de premier maiNous sommes le 11 mai 2004, il y a dix jours, tu as assisté à une opération policière, pourrais-tu expliquer ce que tu as pu observer.
J’étais à la brocante du premier mai, sur le campus de la VUB et ses alentours. J’avais arpenté toute l’étendue de celle-ci et j’étais au niveau du boulevard Général Jacques. A un moment donné, en levant le nez des vieux livres, je me suis rendu compte que des policiers étaient occupés à embarquer un groupe d’indigènes équatoriens. Et j’ai cru, ou j’ai voulu croire, que c’était des gens qui avaient une amende parce qu’ils n’avaient pas payé un espace. J’ai tout de même regardé un peu plus. Finalement je me demandais un peu ce qui se passait. Et j’ai vu que d’autres policiers arrivaient avec d’autres équatoriens. Ils ont téléphoné et une voiture est arrivée, toutes sirènes hurlantes. Et ensuite une camionnette de police blanche. J’ai alors compris qu’ils étaient occupé à faire une rafle. Ils ont eu du mal à faire entrer tout le monde, mais ils les ont entassés dans un seul véhicule. Il y avait une policière dont je n’aimais pas la façon de parler aux gens. Un équatorien essayait d’expliquer quelque chose, du genre : « je dois prendre ça, là... » et elle lui disait : « Monte ! Monte ! », d’un air salement impératif. Il n’essayait pas de s’échapper, il essayait juste de lui dire quelque chose, et elle ne voulait pas communiquer. Ces gens sont théoriquement à l’écoute du citoyen. Ce sont des fonctionnaires qui sont censés aider à la bonne gestion de la ville. Ils sont payés par l’argent public. On n’arrête pas de nous dire qu’on veut une police de proximité, qui soit à l’écoute du citoyen et qu’est-ce qu’on voit ? Des policiers qui ont une attitude méprisante vis-à-vis des gens. Il y avait par exemple un policier en civil qui s’est exclamé, lorsqu’ils rassemblaient les personnes : « Ah dis donc, il y en a beaucoup plus depuis ce matin, ils se sont multipliés comme des petits pains ! » Moi, j’appelle ça du racisme. Voyant ça, j’hésitais encore, j’avais une attitude lâche, je me disais que je ne voulais pas d’ennuis et je m’éloignais. Mais en même temps je n’arrivais pas à m’éloigner, je me retournais, je regardais ce qui se passait subrepticement. Et à un moment donné, une dame s’est énervée. Elle disait : « qu’est-ce que vous êtes en train de faire, ils n’ont rien fait de mal. Ces gens ne font rien de mal, pourquoi est-ce que vous les prenez... » J’ai alors rejoint le groupe en disant à cette dame qu’il existe des collectifs qui travaillent contre les expulsions. Elle ne savait pas. Puis j’ai essayé de l’expliquer aux équatoriens. Mais bien sûr comme je n’avais pas du tout prévu ce qui allait arriver, je n’avais aucun numéro sur moi. Pas moyen de me souvenir du numéro de l’un ou l’autre du collectif pour appeler, ne fut-ce que pour demander ce que je devais faire. Parce qu’en fait je ne savais pas ce que je devais faire. Est-ce que je devais monter avec eux dans la fourgonnette ? Est-ce que je devais m’opposer à cette rafle ? Est-ce que je devais faire un scandale... ? Tout ce que j’ai pu faire, c’est dire à ces gens qu’il existe un collectif et son nom. Je leur ai dit que, malheureusement, je n’avais pas le numéro et il y a une indigène qui m’a donné le numéro de sa mère. Il y avait donc moyen de s’échanger des choses. Oui, mais c’était pas évident parce qu’ils devaient presque courir. Ils devaient être embarqués rapidement, quoi. Un policier est alors venu demander : « vous leur avez donné des adresses ? » Je n’ai pas nié mais j’ai fait semblant que j’estimais que ces gens n’avaient pas compris ce que je leur disais. Il y avait combien d’équatoriens et combien de policiers ? Une dizaine d’équatoriens, dont des enfants. Des policiers, une dizaine également, en uniforme, et puis quatre ou cinq en civils. Une petite fille s’est mise à pleurer. Je ne veux pas faire dans le misérabilisme mais la gamine, elle était impressionnée, elle voyait sa mère se faire embarquer comme une malpropre. Elle devait avoir environ cinq ans, elle ne comprenait pas ce qui arrivait, elle pleurait. Il y avait aussi une dame avec un bébé, qu’elle portait avec un tissu sur son dos. C’était vraiment le drame et ce qui est fou, à y réfléchir, c’est qu’il y avait tellement de gens et si peu qui ont réagi. Déjà moi, j’ai mis du temps à réagir alors que je suis quand même un peu au courant de ce qui se passe envers les sans-papiers, mais il y a plein de gens qui regardaient de loin, qui ne faisaient rien. Et je tire mon chapeau à ces dames qui sont venues en s’énervant. Un policier leur disait : « on va rien leur faire, vous savez... » Il me parlait à moi aussi, car il voyait que je m’approchais. C’est un policier qui parlait particulièrement aux gens qui réagissaient ? Oui, un policier en civil. Il me dit : « vous savez, dans ce pays il y a des lois, on ne va pas leur faire de mal. De toutes façons, ils seront informés des endroits où ils pourront téléphoner ». Manifestement, il ne faisait pas partie de la brigade qui a arrêté les gens mais c’est quelqu’un qui est censé bien connaître la loi. Il intervient avec de grands principes en disant que la Belgique est un pays démocratique, ce genre d’arguments. Je lui ai répondu que, justement, puisque c’est une démocratie, moi j’ai le droit de dire à ces gens qu’il existe un collectif qui peut les aider. Puis je me retourne et je vois quelqu’un que je connais expliquer à une équatorienne ce qu’elle peut faire. Lui parle parfaitement l’espagnol, il pouvait donc mieux expliquer les choses. A lui, les policiers ont demandé sa carte d’identité. C’est quand même bizarre, on ne fait rien de mal et on nous demande la carte d’identité, uniquement parce qu’on informe les gens sur leurs droits. Pour en revenir au policier en civil, je ne sais pas si ça se passe toujours comme ça mais apparemment ce gars sait ce qu’il faut dire aux gens pour les rassurer. Et c’est vrai qu’honnêtement, j’ai du mal à argumenter face à un gars pareil parce qu’il est, comment dire, pas vraiment agressif mais il pose une théorie face à laquelle on se sent un peu déstabilisé car il a l’air de bien connaître la chose. Il a l’air de savoir mieux que moi de quoi il retourne. Il a l’air d’être capable de m’opposer des arguments juridiques alors que moi je ne connais strictement rien là-dedans. Tu veux dire qu’il s’agit d’éteindre la contestation par la connaissance, pendant qu’en même temps l’embarquement continue... C’est rassurer les gens en affirmant que ce pays est une démocratie. C’est ça qui est dingue. Un gars occupé à faire une rafle prétend qu’il travaille pour un pays démocratique. Evidemment j’avais envie de lui dire que quand la police française a fait la rafle du Vel’ d’Hiv dans les années 40, ils avaient obéi aux ordres. Parce que c’est toujours comme ça, ces gens ne sont démocratiques qu’à partir du moment où ils sont dans une démocratie. Ces gens sont, par leur formation, déjà tellement conditionnés à obéir aux ordres qu’ils le feront, ici ou ailleurs. Mais ça me fait un peu rire quand ils viennent me dire « c’est une démocratie », parce que je sais très bien que si ce pays n’était plus une démocratie, il y a de fortes chances pour qu’eux soient toujours là, qu’ils obéissent aux ordres et puis qu’après, le jour où ils seront jugés, ils pourront sortir leur joker : « oui, mais j’ai obéi aux ordres ». Donc, en quelque sorte, la « théorie démocratique » que tu évoques, sert de rempart à tout ce qui se passe derrière eux. Oui, c’est ça. C’est ça qui est dingue. Et exactement au même moment, sur la place Rouppe à la fête du premier mai des syndicats, il y avait Freddy Thielemans, bourgmestre socialiste de Bruxelles, qui disait, le poing levé : « Belges ou Etrangers, vous êtes tous les bienvenus ici, Bruxelles est à vous. Solidarité. » Qu’est-ce qu’il me dégoûte. Justement, c’est bien que tu parles de ça. J’étais déjà dérangé parce que dans la brocante, il y avait des distributions de tracts électoraux. On est en pleine campagne électorale, alors il y avait des gens des partis politiques, j’ai vu des gens du CDH et du PS qui donnaient leurs tracts. Quand j’ai vu la rafle, je me suis retourné, énervé, pour essayer d’en choper un : il n’y en avait plus un seul. Ils avaient tous disparu comme par enchantement. J’aurais tellement voulu en prendre un de chaque parti par le bras et les planter devant cette scène : « qu’est-ce que t’en penses, toi ? Et ton parti ? Dis-le devant tous les gens, là ! Cette brocante est pleine de monde, il y a plein de gens qui sont témoins de ça, qu’est-ce que ton parti va faire par rapport à ça ? » Eh bien il n’y avait personne, ils avaient disparus, il n’y avait plus que les tracts, qui jonchaient le sol. Après ça, je vais à la place Rouppe, justement, et je vois qu’à côté des stands des partis et groupes politiques, il y avait des équatoriens qui vendaient leurs trucs. J’en avais le souffle coupé. Je venais de voir des gens comme eux se faire rafler et que vois-je ? D’autres qu’on n’embête pas, je me suis demandé pourquoi. Mais c’est logique : ici, il y a deux choses, il y a les stands des partis et en train de se la jouer premier mai : « c’est nous qui sommes les héritiers de la révolution, c’est nous qui allons tout changer, ô peuple, fais-nous confiance, nous sommes... De gôche ». Et il y avait autre chose : les gens. Et je pense que si là, il y avait une rafle comme ce que j’ai vu à la brocante, je pense que les policiers auraient tout de même eu quelques problèmes. J’ai vu les deux faces et j’ai vu l’hypocrisie. Pour moi c’est aussi une bonne leçon de voir que l’immense majorité des gens ne bougent pas. Moi aussi, c’est vrai qu’honnêtement j’ai eu peur, j’ai été lâche. J’ai peur de ces gens avec leur uniforme, leur attirail, leur talkie-walkie, leurs armes et leur camionnette. Mais je crois qu’il y a deux sortes de gens dans cette situation : ceux qui de toutes façons n’en ont rien à cirer et puis d’autres qui sans doute ont été choqué par ça mais n’ont pas osé bouger. Moi je l’ai fait, je n’ai pas fait grand chose mais je l’ai fait, je suis content. Parce que je leur ai dit que moi, en tant que citoyen libre, je suis habilité à avoir un avis sur leurs actes et à réagir. Plus que par l’intermédiaire d’un parti qui serait soi-disant mon porte-parole vis-à-vis du pouvoir. Puisque je vois très bien ce qui se passe. Les gens vont aller voter à gauche en leur faisant confiance et comme tu dis, ce gars lève le poing, à chaque premier mai il lève le poing, heureusement qu’il y a un premier mai sinon il ne le lèverait pas souvent. Les gens vont aller voter à gauche en faisant confiance à ces énergumènes alors que pendant qu’ils sont occupés à se faire passer pour des hommes de gauche, la police fait sa sale besogne. Alors l’épilogue de cette histoire, c’est que maintenant j’ai bien encodé tous les numéros de téléphone utiles et la prochaine fois que j’assiste à ça, je crois que je réagirai. Donc je suis déterminé. Et quand la camionnette est partie, il y a eu des débats entre les gens ? Oooh, non, non, non. Tout est rentré dans l’ordre... La dame qui s’était révoltée, quand elle a appris qu’il y avait un collectif, elle était satisfaite et elle est partie. Elle ne m’a pas demandé l’adresse ni où les joindre. Mais j’aime bien aussi les gens comme elle parce que ça veut dire que dans la population il y a des gens qui sont prêts. Ils ne veulent pas aller dans des groupes, des choses comme ça, mais s’ils voient quelque chose, ils y vont. Interview réalisé par Gérald Hanotiaux sur : http://www.universal-embassy.be/article.php3?id_article=121 Répondre à ce commentaire
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à 00:44