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Lu sur Risal : "La discussion autour de la production d’énergie propre et renouvelable n’est pas nouvelle, mais elle a acquis un caractère d’urgence ces derniers temps, principalement après la divulgation, au début du mois de février, du rapport sur le réchauffement global du Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat (GIEC ou IPCC en Anglais). Face à l’alarme provoquée, le monde semble se rendre compte du besoin de changer sa matrice énergétique, en commençant à adopter des formes alternatives de production de l’énergie qu’il consomme.
Réuni en France, un groupe de
scientifiques a annoncé que la température sur Terre pourrait augmenter
jusqu’à quatre degrés au cours de ce siècle, en raison de
l’augmentation de la concentration de dioxyde de carbone (CO2) dans
l’atmosphère, principalement à cause de l’utilisation de combustibles
fossiles.
Actuellement, la matrice énergétique mondiale compte 80% de sources de
carbone fossile, soit 36% de pétrole, 23% de charbon et 21% de gaz
naturel.
Ces derniers temps, un nom s’est distingué : le biocombustible. La production d’énergie pour son utilisation dans le transport, à partir de la canne à sucre ou de graines oléagineuses, telles que le soja, apparaît, littéralement, comme le salut de l’agriculture. Et le probable héros est le Brésil, avec environ 200 millions d’hectares cultivables, selon le Plan National d’Agroénergie, lancé en 2006 par le gouvernement fédéral.
L’argument principal utilisé pour parier sur les biocombustibles est qu’ils sont des sources renouvelables d’énergie, c’est-à-dire, qu’ils ne se trouvent pas en quantité limitée sur la planète comme le pétrole par exemple. Mais, dans ce scénario, représentent-ils vraiment une issue à l’effondrement environnemental de la planète et une alternative pour l’agriculture paysanne, ou constituent-ils un moyen de survie pour l’agrobusiness, qui va produire des impacts environnementaux aussi dévastateurs que ceux engendrés par les combustibles fossiles ? C’est un débat pour lequel il y a peu d’espace - et peu de voix.
« Entreprises et gouvernements mènent une campagne intensive pour présenter les biocombustibles comme des alternatives pour combattre les changements climatiques, en substituant une partie de la consommation de pétrole. Mais la logique de fond n’est pas d’abandonner le pétrole ni de changer les modèles de consommation qui produisent le réchauffement global mais de profiter de la conjoncture pour créer de nouvelles sources de commerce, en promouvant et en subsidiant la production industrielle de cultures dans ce but », écrit Silvia Ribeiro, chercheuse du groupe ETC [1], dans un article du journal mexicain, La Jornada. Elle rappelle que toutes les entreprises qui produisent des semences transgéniques, comme Syngenta, Monsanto, Dupont, Dow, Bayer et Basf possèdent des investissements dans la production de biocombustibles, comme l’éthanol et le biodiesel.
Logique capitaliste
Les signes montrant que le capitalisme mondial a un projet stratégique pour gagner la bataille de l’agroénergie sont de plus en plus évidents. Le 31 janvier dernier, dans son discours sur l’ « Etat de la Nation » au Congrès des Etats-Unis, le président George W. Bush a annoncé son objectif de réduire la consommation d’essence de 20% jusqu’en 2017, en produisant 132,4 milliards de litres de combustibles alternatifs, principalement l’éthanol, à partir du maïs. Le thème des biocombustibles a également été l’un des principaux sujets discutés au Forum économique mondial, qui s’est déroulé en janvier, dans la ville de Davos (Suisse).
L’affairement des pays riches et des grandes multinationales autour du thème portent les analystes et les mouvements sociaux paysans à voir avec réticence l’entrée de pays en développement dans la production de biocombustibles. Les impacts environnementaux produits par l’augmentation des monocultures, l’exploitation des paysans et des travailleurs ruraux et la menace à la production d’aliments sont au centre des préoccupations. Au Brésil, le pari de l’agrobusiness se fait sur la canne à sucre et le soja, transgéniques bien sûr.
« Il n’existe pas de programme du gouvernement avec des lignes, des critères et des directives établis sur l’aspect productif, qui aillent en direction d’un nouveau modèle agricole. En outre, le programme du Biodiesel est livré à un groupe de sociétés privées qui veulent acheter le grain à l’agriculteur sans aucun ajout de valeur dans les communautés agricoles. Et ils sont en train de stimuler la monoculture de nouveau », critique Frei Sérgio Görgen, dirigeant de la Via Campesina au Brésil, organisation qui regroupe des mouvements sociaux du monde entier, comme le Mouvement des Sans Terre (MST) et le Mouvement des Petits Agriculteurs (MPA).
Conformément au Programme national de production et d’utilisation du biodiesel du gouvernement fédéral, le Brésil va rendre obligatoire, à partir de 2008, l’addition de 2% d’huile diesel végétale dans l’huile diesel de pétrole, pourcentage qui passera à 5% en 2013. Si le marché du biodiesel, avec 2%, est de 1 milliard de litres par an, avec 5%, cette demande augmentera jusqu’à 2,7 milliards de litres par an. Les stars du gouvernement brésilien sont le soja, qui est vu comme une planche de salut par les grands producteurs de semences transgéniques et le ricin qui, théoriquement, sera bénéfique à l’agriculture familiale.
En ce qui concerne l’éthanol, le Brésil va donner la priorité, une fois de plus, à la production de la canne à sucre. Il est prévu que la production augmente de 50% par rapport aux actuelles 460 tonnes de canne à sucre, selon l’Union de l’Agro-industrie Canavieira de São Paulo (Unica).
Un nouveau programme Pro-Alcool ?
En résumé, face à une réelle possibilité de changer le modèle de production agricole, le Brésil entre dans la production de biocombustibles, renforce des pratiques insoutenables d’un point de vue environnemental et social, ce qui profite aux grandes entreprises, et nuit aux petits agriculteurs, outre le fait de porter préjudice à la production d’aliments pour la consommation nationale.
« Il y a un risque à imiter le Pro-Alcool du Brésil. Vous avez un combustible propre, produit de manière sale et dont le processus de production est insoutenable d’un point de vue environnemental et socialement pervers dans la manière dont il utilise la main d’œuvre et traite les travailleurs », évalue Frei Sergio. Créé dans la décennie de 1970, le Programme national de l’alcool (Pro-Alcool) incitait les petits et moyens producteurs à installer des distilleries d’alcool. Pour des raisons politiques, comme l’interdiction de l’autoconsommation d’alcool comme combustible, le Pro-Alcool a seulement bénéficié aux grands fabricants, avec leurs pratiques de travail esclavagiste dans les champs de canne et des impacts environnementaux considérables.
Près de trente ans plus tard, les mêmes risques sont posés.
L’industrie de la canne à sucre s’enthousiasme avec la possibilité d’ouverture de marché pour l’éthanol brésilien aux Etats-Unis. Pour sa part, le président Luis Inácio Lula da Silva annonce que « nous mangerons le bon soja et nous ferons du biodiesel avec le soja transgénique », signalant ainsi la priorité donnée aux grands producteurs et multinationales du grain. Même la création du H-Bio, un dérivé d’huile végétale et de pétrole, développé par Petrobras, est vue comme une manière de favoriser l’agrobusiness mondial et l’industrie pétrolifère.
Pourtant, dans l’évaluation faite par le gouvernement fédéral, la création du Label du Combustible Social constituera une espèce de sauvegarde de l’agriculture familiale. Le programme prévoit des aides aux industries qui acquérront des graines oléagineuses produites par des petits agriculteurs. « Nous comprenons les agriculteurs intéressés par la reprise de la culture du coton, du tournesol, de l’arachide, du sésame et autres oléagineuses. Ainsi, les agriculteurs ne tomberont pas dans le piège de la monoculture. Si le gouvernement avait lancé un programme de biodiesel sans cet encouragement à l’agriculture familiale, il ne serait certainement produit qu’à base de soja, qui est la principale oléagineuse brésilienne », constate le gérant exécutif du Développement énergétique de Petrobras, Mozart Schmitt de Queiroz.
Néanmoins, même les projets alignés sur le programme Combustible social présentent des problèmes, principalement parce qu’ils misent sur la monoculture de ricin dans les régions sud et nord-est du pays et sur l’achat direct de grains aux agriculteurs en les plaçant dans un système d’intégration avec des grandes entreprises. Tout comme dans les industries du tabac et du lait, où les cas d’exploitation économique à laquelle sont soumis les petits agriculteurs sont fréquents.
Diversifier la production
Pendant ce temps, les organisations d’agriculteurs paysans voient l’entrée dans les biocombustibles avec une grande méfiance mais aussi avec la certitude que c’est dans ce domaine que se jouera une bataille stratégique entre deux modèles de productions opposés. Pour les organisations comme la Via Campesina, il existe certains pré requis de base pour que les paysans entrent dans la production de biocombustibles sans tomber dans les pièges tendus : donner la priorité à la production d’aliments, joindre la production d’énergie à d’autres cultures et éviter les systèmes d’intégration avec des grandes entreprises, en participant au plus grand nombre d’étapes possible dans la chaîne de production.
« La petite propriété de l”économie familiale ne peut maintenir sa subsistance avec le modèle de monoculture. La viabilité des petites propriétés est basée sur le système de production diversifiée, qui passe par un modèle agro écologique. Il est fondamental de construire des systèmes qui puissent produire du biocombustible et des aliments. D’où l’importance du bon usage des résidus de l’extraction des huiles. Avec cela, les petites propriétés pourront augmenter la production d’œufs, de lait, de viande, en viabilisant davantage les systèmes de production dans les économies familiales », explique l’ingénieur agronome Alexandre Borscheid, qui travaille à la Cooperbio [2], une coopérative de biodiesel formée d’agriculteurs liés à la Via Campesina dans l’Etat du Rio Grande do SuL.
C’est dans ce sens que s’acheminent certains des projets constitués par les organisations de la Via Campesina au Brésil. Le biodiesel pourra être produit à partir de multiples graines, comme le tournesol, l’arachide et le colza, dont les résidus seront utilisés dans l’alimentation animale ou dans la fertilisation organique. Des coopératives de petits agriculteurs pourront construire leurs propres unités de pressage pour vendre l’huile aux entreprises, tout en gardant les résidus des oléagineuses. « La conclusion à laquelle nous arrivons est que la locomotive de l’agriculteur paysan doit être l’oléagineuse pérenne. Sur une petite zone, il aura une grande production », explique Fréi Sergio, citant l’utilisation d’arbres comme le pinhão-manso et le tungue [3] dans la région sud et l’huile de palme dans la région nord. Dans le cas de l’alcool combustible, la canne à sucre peut être accompagnée de manioc et de patate douce par exemple. De la même manière que dans la production de biodiesel, l’intention est de la combiner à la production d’aliments et de vendre le produit aux industries avec une valeur ajoutée.
Transnationales versus paysans
« Les systèmes paysans de production sont les plus adéquats, parce qu’ils réussiraient à garantir une très bonne combinaison entre la production d’aliments et d’énergie, outre le fait de garantir des systèmes de polycultures avec des produits à valeur ajoutée qui garantiraient un développement durable pour les unités de production paysannes. Les grandes monocultures ne seront pas efficaces avec le tournesol, le ricin, l’arachide, le pinhão-manso, autrement dit, elles ne pourront être aussi efficaces avec les oléagineuses ayant un pourcentage d’huile plus élevé. Elles s’adaptent mieux aux systèmes des paysans. Et l’agriculture paysanne a de meilleures conditions pour résoudre l’équation entre la production d’énergie et la production d’aliments », analyse Frei Sergio. Dans l’opinion du dirigeant de la Via Campesina, Petrobras est l’un des rares canaux au sein du gouvernement fédéral qui ouvre la voie à l’insertion souveraine de l’agriculture paysanne dans la production du biodiesel.
Mozart Queiroz, de Petrobras, explique que l’entreprise s’est fixée d’acquérir l’huile des agriculteurs et non les graines. « Ainsi, elle incite les coopératives à à monter leur propre pressoir. Grâce à cela, l’agriculture familiale pourra bénéficier d’un produit supplémentaire et donner plus de valeur à sa structure, en gérant ce produit qui pourra être transformé en lait, œufs ou viande. Nous travaillons pour partager le bénéfice de l’industrialisation, pour que l’agriculteur participe à la chaîne productive, dans l’étape de l’industrialisation, au moins dans la phase du pressage. En même temps, nous stimulons la culture de plusieurs oléagineuses, pour éviter la monoculture », rapporte ce dernier.
Pour l’agronome Alexandre Borscheid, la bataille pour le marché et pour le modèle de production des biocombustibles a déjà commencé et, vu la situation, la voie est libre pour l’avancée des transnationales de l’agrobusiness.
« S’il n’y a pas une intervention de l’État pour donner la priorité aux politiques en faveur de l’agriculture paysanne, la tendance sera à l’occupation du marché par les transnationales, marché qui est économiquement très prometteur. Elles vont avancer sur des terres agricoles et cela mettra l’agriculture familiale en danger. Les agriculteurs doivent produire de façon autonome, avec des projets propres, dans lesquels la production d’énergie liquide puisse être garantie, tout en préservant les systèmes de production d’aliments », évalue t-il.
Le gérant exécutif de Petrobras reconnaît les risques de la course effrénée à la production de biocombustibles, que ce soit dans les impacts environnementaux engendrés par les monocultures, dans le préjudice à la souveraineté alimentaire, ou dans l’augmentation de l’exploitation économique sur les petits agriculteurs. Pour lui, cependant, avant de discuter de ces questions, l’humanité a besoin de revoir son système de consommation énergétique. « Même si toute la surface de la Terre était utilisée pour produire des biocombustibles, cela ne suffirait pas, aujourd’hui, à maintenir la consommation de la planète en combustibles fossiles dans les mêmes proportions. Il est clair qu’il est urgent de reconsidérer la matrice énergétique mondiale », conclut-il.
Bio(agro)combustibles
Au Forum de la Souveraineté alimentaire, qui s’est déroulé fin février au Mali, la Via Campesina International a décidé que le terme « biocombustible » devait être substitué par celui d’ « agrocombustible ». Ceci parce qu’elle estime que l’incitation à ce type de combustible a favorisé des politiques de croissance des monocultures (et non de la petite production diversifiée), menaçant les paysans et la souveraineté alimentaire. Comme « bio » signifie « vie » - le contraire de ce qui se vérifie aujourd’hui dans la pratique, l’organisation a commencé à adopter le terme « agrocombustíble ». (...)
[1] Groupe ETC : Groupe international qui travaille avec des organisations sociales, en leur fournissant des analyses et des informations sur les technologies de développement durable.
[2] COOPERBIO : La coopérative regroupe près de 25 mille familles réparties sur 62 municipalités de la région nord-ouest de l’État du Rio Grande do Sul, produisant 400 mille litres de biocombustibles par jour.
[3] [NDLR] Variété d’aleurite donnant l’huile de bois de Chine.
RISAL - Réseau d'information et de solidarité avec l'Amérique latine
URL: http://risal.collectifs.net/
Source : revue Sem Terra (http://www.mst.org.br/), n° 38, mars-avril 2007.
Traduction : Véronique Phelut, pour Autres Brésils (http://www.autresbresils.net/). Traduction revue par l’équipe du RISAL.