L'incapacité de la CNT (vignoles)
--> L’expérience des collectifs de solidarité parisiens. Une nouvelle étape : Considérations sur les grèves de Pizza Hut, de McDonald’s et des Frog Pubs
Lorsqu’en octobre 2001 une première grève est déclenchée au restaurant McDonald’s de Strasbourg-St. Denis, un collectif de solidarité se met en place, qui va permettre à la lutte de déboucher, cent quinze jours plus tard, sur une victoire, mais qui va aussi apporter un soutien à d’autres grèves, à la FNAC, à Virgin, à Eurodisney [1]... La dynamique qui naît à cette occasion ne s’épuise pas avec la fin de la grève des McDo et un collectif recoupant partiellement le premier se reconstitue autour de la grève des femmes de ménage d’Arcade.
Le 4 mars 2003, celles-ci reprennent le travail, au bout d’une grève
d’un an qui s’est conclue par une victoire [2]. Le collectif se
rencontre une dernière fois pour rédiger un court bilan de son action
avant de se disperser, tout le monde étant épuisé par l’activité
militante soutenue des derniers mois. Entre-temps une grève a éclaté au
restaurant Pizza Hut situé au métro Bonne-Nouvelle et quelques-uns de
ses membres sont allés rencontrer les grévistes.
Pizza Hut de Bonne-Nouvelle
La grève a démarré le 28 février, avec l’aide des salariés du
McDonald’s de Strasbourg-St. Denis, situé à une centaine de mètres. Les
grévistes sont très jeunes (nettement plus que ces derniers) et très
inexpérimentés, l’aide apportée par les McDo leur est donc précieuse.
L’UL CGT du Xe arrondissement leur fournit elle aussi une aide
logistique, mais le soutien militant est faible. Le collectif qui, deux
ans plus tôt, avait soutenu la grève du McDo-SSD peine à se
reconstituer. Le comportement peu clair de la CGT y est pour quelque
chose : veut-on notre aide ou pas ? Les quelques copains venus prendre
contact ne sont certes pas les groupies de la CGT, mais ils aimeraient
pouvoir donner un coup de main aux grévistes. Ainsi se constitue un
petit noyau, formé de membres des collectifs qui ont soutenu les grèves
de McDo en 2001 et d’Arcade ensuite.
Ce qui motive la grève, c’est d’abord le manque de respect de la
hiérarchie envers les salariés (un des chefs a des comportements qui
frisent le harcèlement et respirent le mépris), mais aussi des
revendications portant sur le salaire, les conditions de travail et le
retrait de toutes les sanctions prises contre le personnel [3].
La grève ne touche qu’une partie des salariés (une vingtaine tout au
plus), mais amène rapidement le gérant à fermer le restaurant. Celui-ci
sera occupé à plusieurs reprises, pendant des périodes assez courtes
mais suffisantes pour mettre le patron sous pression et pour faire
remonter le moral des grévistes, qui se relaient du matin au soir
devant le restaurant et que la présence des soutiens et le concours des
McDo d’à côté aident à ne pas lâcher. La presse - titillée par la série
de grèves des deux années antérieures - parle de leur mouvement et par
moments la direction fait semblant de négocier.
La grève se prolonge mais ne se délite pas, car un noyau dur tient bon
et permet à la majorité des grévistes de résister aux pressions que
l’employeur exerce par le biais des familles ou des copains.
Le 11 mars, les salariés du McDo-SSD entrent en grève à leur tour et,
d’emblée, occupent leur restaurant, qui va rapidement devenir le lieu
de ralliement de militants ayant connu la grève précédente. Rapidement
des actions sont menées en commun contre des restaurants des deux
chaînes, telle l’occupation du Pizza Hut et du McDo d’Opéra - dont les
salariés manifestent une solidarité toute relative.
Plus d’une fois la direction de Pizza Hut tente de rouvrir le
restaurant en faisant appel à des vigiles ou à la police, mais sans
venir à bout de la détermination des grévistes. Ceux-ci profitent en
effet de l’ouverture pour rentrer en force dans le restaurant et s’y
maintenir seuls, dans un face-à-face avec huissier et vigiles.
La direction finit par ouvrir une négociation, non sans essayer à
plusieurs reprises d’en écarter Abdel Mabrouki, que les grévistes ont
choisi pour les représenter [4]. Le 28 mars 2003, un protocole de fin
de conflit est signé entre la direction du restaurant et le
représentant des grévistes. Ceux-ci ont obtenu : une prime de
chaussures de 30 euros par an ; le remboursement du taxi (pour rentrer
du travail la nuit) à hauteur de 15,24 euros ; les collants à
disposition ; la construction dans le restaurant d’une douche et d’une
salle de repos ; l’abandon de toutes les sanctions prises depuis
l’arrivée, le 9 janvier précédent, du nouveau manager ; le gel des
mutations pendant un an ; le paiement des jours de grève à hauteur de
50 % (le manque à gagner sera comblé par les collectes organisées par
les soutiens).
L’accord, il faut le reconnaître, est loin de satisfaire toutes les
revendications avancées, ce qui s’explique avant tout par le manque
d’unité des salariés. Pourtant, dans l’ensemble, les grévistes semblent
s’en contenter, même si certains se disent prêts à continuer pour
obtenir plus, notamment sur le plan du salaire. Le fait d’avoir soutiré
quelques concessions, même limitées, à la direction dans ce qui est
leur première grève les autorise en effet à rentrer la tête haute.
Une partie des grévistes continuera à entretenir des liens et à se montrer solidaires des McDo en grève.
McDonald’s de Strasbourg-Saint-Denis
La grève, qui débute le 11 mars 2003, durera un an. Nous n’en ferons donc qu’une reconstitution schématique.
Pourquoi cette nouvelle grève treize mois après la fin victorieuse de
la première ? Les salariés ont acquis la conviction que McDonald’s
France veut fermer leur restaurant et a pour cela installé un “
nettoyeur ” en tant que franchisé : celui-ci a fait le nécessaire pour
réduire le nombre de salariés (passés d’une cinquantaine deux ans plus
tôt à une trentaine au mois de mars), a trafiqué les comptes pour
prouver que le restaurant n’est pas rentable et justifier ainsi sa
fermeture pour raisons économiques. Mais la goutte qui fait déborder le
vase, c’est la disparition de denrées et de fournitures, rapidement
suivie du licenciement de Tino, vice-directeur du restaurant et délégué
syndical CGC, qui a choisi de s’opposer aux manigances du franchisé et
de dénoncer officiellement la chose. Ainsi commence la grève avec
occupation.
Une fois le restaurant occupé, le franchisé introduit un référé en
justice pour obtenir l’évacuation des locaux, mais - fait rarissime,
dont le mérite revient aux conseillers juridiques de la CGT - les
grévistes obtiennent de pouvoir poursuivre l’occupation. Le patron
essaiera à plusieurs reprises de répondre par la force (présence
imposée de vigiles, coupure de l’arrivée d’eau et tentative de faire
couper l’électricité), ce qui n’aura pour résultat que de renforcer
chaque fois la détermination des occupants et d’amplifier le soutien.
Cette occupation va avoir un effet décisif sur toute la conduite de la
grève. Au départ, elle est indiscutablement un élément de force, que ce
soit sur le plan de l’action concrète - les salariés ne sont plus
condamnés à se geler dehors des mois durant, comme ce fut le cas deux
ans auparavant - ou sur le plan symbolique - la décision du tribunal
est une façon de reconnaître la légitimité de leur action. Il serait
possible de transformer ces locaux occupés en lieu de rencontre de
toutes les luttes et initiatives en cours sur Paris et sa région, mais
les grévistes semblent guidés par une grande prudence : cette
suggestion faite par le collectif de solidarité ne sera acceptée que du
bout des lèvres, sans grand enthousiasme, et finira par tomber dans
l’oubli, faute de volonté du côté des occupants.
Ces derniers savent qu’ils doivent s’attendre à une grève longue et
dure : la direction de McDonald’s a la mémoire longue et a décidé de se
débarrasser de ce restaurant qui fait obstacle à sa stratégie. Ils
investissent donc beaucoup d’énergie dans la tenue de l’occupation.
Mais c’est là qu’apparaît le revers de la médaille. Ceux qui étaient
autrefois les plus actifs passent leurs nuits dans les locaux et se
retrouvent épuisés dans la journée. Cette difficulté, ajoutée au fait
que plusieurs grévistes se voient contraints de chercher des petits
boulots pour résister financièrement, restreint les énergies
disponibles pour d’autres types d’actions, pourtant nécessaires pour
éviter que la grève ne perde en visibilité. Or c’est sa visibilité qui
avait fait la force de la grève précédente, en s’en prenant à l’image
de McDonald’s en plein centre d’une grande ville touristique : chaque
touriste devenait un vecteur de diffusion internationale par le seul
fait de faire connaître la grève autour de lui.
Un autre élément de faiblesse apparaîtra assez rapidement : la
difficulté à élargir le mouvement aux salariés d’autres restaurants de
la chaîne. Lors de la grève précédente, l’une des activités qui avaient
le plus déplu à la direction de McDonald’s avait été l’agitation portée
dans les autres restaurants de la chaîne, où les problèmes ne
manquaient pas. Cette tactique avait en effet permis d’associer
l’expression de la solidarité vis-à-vis des grévistes de McDo-SSD à des
revendications portant sur des problèmes spécifiques à chaque
restaurant, et fini par pousser les différents franchisés (majoritaires
dans la chaîne) à faire pression sur la direction de McDonald’s France
pour qu’elle règle le problème. Or, cette fois, la tâche se révèle
nettement plus difficile - du moins les grévistes le perçoivent-ils
ainsi. Les contacts établis dans les premiers mois avec les salariés
d’autres restaurants qui s’étaient adressés à eux pour obtenir du
soutien - ceux de l’avenue Parmentier (qui appartient au même
franchisé), mais aussi de Montreuil, Saint-Cloud et Boulogne - n’ont
pas porté beaucoup de fruits : la volonté de lutte y est vite retombée,
suscitant l’amertume des grévistes de McDo-SSD. Dans d’autres
restaurants qui autrefois avaient été la cible d’actions communes, les
salariés les plus actifs sont partis d’eux-mêmes ou ont été licenciés
en raison de leur attitude remuante. Résultat : les grévistes se
sentent isolés, face à un mur, ce qui les conduit à se replier sur
eux-mêmes, convaincus qu’ils ne pourront faire seuls le boulot que leur
syndicat ne fait pas.
En revanche, ils croient pouvoir faire plier McDo France avec quelques
coups d’éclat bien orchestrés, comme le blocage répété de la
plate-forme LR Services, qui fournit les restaurants de toute
l’Île-de-France, ou l’occupation du McDo des Champs-Élysées, le plus
grand d’Europe. Mais ils ne se rendent pas compte qu’ils deviennent
ainsi dépendants du bon vouloir et de la disponibilité du SO de la CGT,
le seul à pouvoir leur fournir l’infrastructure et le nombre
nécessaires à ces blocages nocturnes - alors que, dans la grève
précédente, c’était bien la “ concurrence ” d’autres soutiens qui avait
obligé la CGT à s’activer et à faire preuve d’une ouverture dont elle
n’est pas coutumière.
Si la fédération du Commerce CGT ne refuse pas son soutien financier,
l’aide de la Confédération semble cette fois plus modeste, conséquence
de la moindre visibilité médiatique de la grève. Les collectes
effectuées devant le restaurant occupé continuent, ainsi que les ventes
de T-shirts à toutes les manifs qui ponctuent le printemps 2003, mais
la faiblesse des actions de blocage des restaurants parisiens enclenche
une spirale descendante : les rendez-vous du samedi, point de
ralliement des militants, se font plus rares et les actions sont
repoussées d’une fois sur l’autre. Du coup, la dynamique
d’élargissement observée en 2001-2002 ne peut fonctionner, et le petit
collectif de solidarité a bien du mal à mener une action efficace de
popularisation du conflit. D’ailleurs, les structures locales de la CGT
qui, dans les premiers mois, assurent une certaine présence - laissant
espérer aux grévistes que cette aide va durer jusqu’au bout, ce qui
bien sûr ne se vérifiera pas, ces structures étant incapables d’une
action militante de longue haleine - ne semblent pas souffrir de sa
concurrence. Les avocats du syndicat poursuivent leur stratégie
juridico-politique dans leur coin, en en informant certains des
grévistes, mais sans quasiment faire le lien avec les actions menées
sur le terrain. Les grévistes seront donc plus d’une fois mis dans
l’embarras, obligés de jongler entre des instances (avocats, structures
CGT et collectif de solidarité) qui travaillent chacune de leur côté
dans une remarquable absence de communication, mettant en œuvre des
stratégies différentes et parfois contradictoires. Tout le contraire,
là aussi, de ce qui s’était produit pendant la grève précédente, où
tous se retrouvaient régulièrement autour de la même table, ce qui
neutralisait les tendances centrifuges. Les grévistes ont en outre du
mal à se réunir et discuter entre eux, ce qui rend certaines décisions
collectives peu transparentes et alimente les tensions internes. Au
point que plusieurs membres du collectif se demanderont ouvertement
plus d’une fois si la faible participation des grévistes n’engendre pas
une forme de substitution dans la prise en charge de la grève.
Néanmoins, un noyau dur de grévistes résiste, maintient les contacts
avec les différents soutiens, cherche parfois à faire le lien avec les
luttes d’autres secteurs. C’est ainsi que les intermittents du
spectacle seront associés à des actions coups de poing exigeant de
nombreux participants.
L’occupation des locaux, compte tenu du fait que McDonald’s France a
les épaules assez solides pour se permettre de laisser pourrir la
grève, a un autre effet négatif : les derniers résistants sont enfermés
dans leur petit village gaulois bardé de tracts, affiches et
banderoles, mais restent incapables de porter atteinte à l’image de
l’entreprise et surtout aux bénéfices qu’elle continue
imperturbablement d’engranger.
Mais reprenons le fil des événements. Dans la première quinzaine, la
grève se développe de façon très active : le soutien apporté aux
grévistes de Pizza Hut a non seulement mis en jambes les McDo-SSD avant
même le déclenchement de leur grève, mais s’est traduit en retour par
le soutien des premiers et a permis que se reconstitue le noyau dur du
collectif autour de quelques militants ayant soutenu les conflits
précédents. Cette dynamique perdure tout au long des mois d’avril et
mai. Les UL IIe et Xe et l’UD parisienne de la CGT apportent un soutien
logistique et financier précieux. Entre-temps, le mouvement des
enseignants et contre la réforme des retraites commence à prendre de
l’ampleur et les manifestations se multiplient. Ce seront autant
d’occasions pour les grévistes de faire appel à la solidarité
financière d’un mouvement qui, composé essentiellement de salariés du
public, voient avec sympathie la présence dans les manifestations d’une
lutte du secteur privé aussi symbolique que celle de McDo. La faiblesse
de ces liens reste cependant manifeste à un observateur attentif : les
contacts se bornent aux manifs, à travers des collectes et des ventes
de soutien, mais sans engagement solidaire dans l’action concrète, ce
qui donne le sentiment, assez largement partagé, que les grévistes de
McDo sont des “ consommateurs de solidarité ”, incapables d’établir des
liens de réciprocité.
Le 23 avril, des grévistes des Frog Pubs participent à la réunion du
collectif de solidarité accompagnés de membres de leur comité de
soutien, pour faire connaître leur grève qui vient de commencer et
tenter d’en élargir le soutien. Ils sont très dynamiques et souhaitent
mener des actions communes, d’autant qu’ils relèvent du même secteur
d’activité. Le fait que leur appartenance syndicale (CNT [VIGNOLES])
soit différente de celle des McDo ne pose de problème à personne. Dès
la semaine suivante, la collaboration se concrétise par une
participation groupée aux manifestations du mouvement du printemps,
même si l’appel à soutien financier se fait de façon séparée. Cette
collaboration se poursuivra, avant l’été, par des actions menées en
commun par les deux groupes de grévistes et leurs comités de soutien
respectifs, qui se recoupent en partie, puis par l’organisation de
quelques concerts de soutien communs, dont les recettes seront
équitablement partagées. Ces actions communes, qui prennent pour cibles
les restaurants des deux chaînes, très proches géographiquement
parfois, ne plairont pas à tout le monde [5].
L’arrestation de Ryad pour outrage à agent et rébellion à la suite de
l’occupation, le 30 mai, du McDo de Boulogne, faite à la demande des
salariés du lieu qui s’étaient mis en grève, portera un coup au moral
des grévistes. Ryad sera libéré après trente heures de garde à vue et
sera condamné le 2 juillet, au terme de son procès, à une amende.
Entre l’été et l’automne 2003, la retombée des mouvements de lutte ne
fait qu’accentuer le sentiment de lassitude et de difficulté à faire
preuve de combativité. Les actions seront de plus en plus espacées,
remplacées par quelques blocages surprise de LR Services, où les
intermittents en lutte prendront le relais d’un SO de la CGT pas
toujours disponible.
Au mois de novembre, la tenue en région parisienne du Forum social
européen permet de rassembler des forces suffisantes pour refaire
pression sur McDonald’s France (en allant notamment bloquer le
restaurant des Champs-Élysées) et pour lancer une journée
internationale de solidarité avec la grève de SSD. Le succès de
celle-ci sera tout relatif, mais cela fera naître l’idée, plus tard,
d’activer les contacts internationaux disponibles pour obtenir des
actions de soutien dans d’autres pays - ce qui sera suivi d’effets dans
les derniers mois de grève, en Colombie, en Allemagne et en Italie.
Vers la fin de l’année, les actions de blocage des restaurants du
centre-ville reprennent, mettant fin à une longue période de
découragement des grévistes. Cette reprise s’inscrit dans une période -
celle des fêtes d’abord, des soldes ensuite - favorable à une
modification des rapports de forces dans le secteur du commerce, mais
aussi dans un contexte de regain de combativité dans ce même secteur.
Plusieurs grèves ont ainsi éclaté au mois de décembre, dont certaines
ont gagné [6] : à la librairie Flammarion du Centre Pompidou, les
salariées réclament un 13e mois et l’obtiennent au bout d’un mois de
grève (par répercussion, bien que dépendant d’un autre employeur, les
employés des vestiaires du Centre se mobilisent sur la question du
travail du dimanche et des augmentations de salaire) ; à Planète
Hollywood, la grève déclenchée pour des augmentations de salaire semble
pouvoir profiter du rapport de forces favorable que crée l’approche des
fêtes ; à Chicago Pizza Paille, les salariés obtiennent des
augmentations d’environ 10 % pour les salaires les plus bas et de 5 %
pour les salaires moyens, ainsi que des améliorations de leurs
conditions de travail ; à Virgin, la solidarité contre le licenciement
de Cédric, délégué syndical CGT, pour “ harcèlement moral envers son
supérieur ” s’organise [7] (deux rassemblements de soutien ont lieu
devant des magasins et devant le siège) : à Go Sport, boîte
traditionnellement tranquille et bien encadrée par des syndicats à la
botte du patron, la CGT fait une percée inhabituelle lors des élections
syndicales, qui commence à inquiéter la direction ; à Pizza Hut, la
grève des directeurs des restaurants, déclenchée le 29 novembre par le
licenciement d’un superviseur, ne s’essouffle pas et obtient le soutien
de bon nombre d’équipiers - cette grève inhabituelle, liée de toute
évidence à la généralisation de conditions de travail dégradées à des
catégories jusque-là épargnées, montre au grand jour que les patrons
n’ont que faire de la fidélité des cadres : comme le petit personnel,
ceux-ci sont condamnés à être jetés après avoir été pressés comme des
citrons [8].
Ajoutons au tableau que les intermittents du spectacle restent
mobilisés, et ont même assez de ressort pour donner un coup de pouce à
d’autres salariés en grève - ainsi interviennent-ils massivement à la
BNF le 13 décembre, lors d’une inauguration d’exposition en présence du
ministre de la Culture, ce qui a très concrètement aidé les agents de
sécurité de la société sous-traitante Securitas, en grève mais
interdits de piquets par la justice.
À l’approche du premier anniversaire de la grève, les négociations avec
McDonald’s France reprennent et s’intensifient. Et, au bout de 363
jours de grève, on peut enfin parler de victoire [9].
Les grévistes obtiennent : le départ du franchisé qui a essayé de
couler le restaurant et l’arrivée d’un nouveau, que les salariés
connaissent et qui leur semble correct ; la réintégration de Tino dans
un autre restaurant de la même franchise pendant huit mois, puis de
nouveau à Strasbourg-Saint-Denis ; le paiement des jours de grève à
hauteur de 35 % ; des embauches supplémentaires dont le nombre reste
indéterminé ; des garanties concernant les conditions de reprise du
travail : il n’y aura pas de nouveaux managers et la progression
interne sera favorisée ; les salariés continueront à avoir un droit de
regard sur l’embauche de nouveaux salariés et sur l’organisation des
plannings.
En revanche, aucune avancée n’est enregistrée sur la question des
salaires. Quant aux heures supplémentaires faites avant la grève et non
payées, les salariés envisagent, si le problème ne peut être réglé
autrement, de porter l’affaire devant les prud’hommes en remontant sur
les cinq dernières années. Mais malgré ces réserves, on peut considérer
que les salariés ont gagné sur les points essentiels qui avaient motivé
la grève [10].
Parallèlement aux tractations portant sur le conflit, cinq salariés
(dont le licenciement en octobre 2001 avait été annulé à l’issue de 115
jours de grève) ont négocié leur départ contre des indemnités
conséquentes. Cette négociation a sans doute pesé dans l’issue
favorable du conflit, vu la fixation que McDonald’s France avait faite
sur leur cas (la plainte déposée contre eux à l’automne 2001 est enfin
retirée) ; s’étant faite au grand jour, sous les yeux des autres
salariés, elle n’a pas affaibli la lutte en étant été source de
division. Notons que la CGT, culturellement incapable, sans doute, de
donner raison à des salariés qui quittent un boulot qui ne les
satisfait pas, a préféré faire silence sur ce point de la négociation,
alors même que tout se passait au vu et au su des parties concernées.
Le texte de l’accord n’a pas été remis aux salariés après signature. Le
collectif s’est donc posé des questions : Le texte signé était-il un
protocole de fin de grève en bonne et due forme ou bien un accord entre
avocats ? Une clause de confidentialité empêchait-elle les salariés
d’obtenir ce texte pour en faire respecter les clauses ? Force est de
constater que la CGT comme les avocats ont préféré se livrer à une
conférence de presse (et plus généralement réserver à des journalistes
la primeur de leurs informations) plutôt que mettre directement au
courant l’ensemble des salariés et ceux qui les avaient soutenus
activement pendant des mois. Mais ce n’est là que la suite logique de
leur comportement pendant la grève.
Lors de sa dernière réunion, le collectif de solidarité a dressé, avec
quelques-uns des grévistes, un bilan rapide de la grève, où il s’est
interrogé sur son rôle dans la grève, reconnaissant ouvertement ses
insuffisances et ses ratés. Voici un extrait du bulletin rapportant une
synthèse de ce bilan :
“ Mais quel a été le rôle du collectif de solidarité dans le soutien à cette grève ?
. Comme dans les grèves qui l’ont précédée (première grève McDo,
Virgin, Fnac, Arcade, Frog, etc.), nous avons essayé avec nos petits
moyens de modifier les rapports de forces sur le terrain. Nous avons
parfois obtenu des bons résultats, notamment quand les franchisés ont
fait pression sur McDo pour obtenir que les blocages cessent de les
prendre pour cibles (et que la maison mère assume ses responsabilités),
ou bien quand McDo, après avoir pensé que les grévistes étaient
épuisés, a dû demander que nos actions sur ses restos cessent comme
préalable à la reprise des négociations.
. Le collectif a souvent été perçu par le syndicat comme une épine dans
le pied. Mais cette épine a permis que les grévistes continuent à se
sentir soutenus dans des moments où leur syndicat aurait eu
naturellement tendance à les lâcher, comme cela s’est vérifié un nombre
incalculable de fois dans d’autres grèves. Son action a aidé à la
popularisation de la grève, à son rayonnement, à soutenir le moral des
grévistes (qui parfois en avaient bien besoin). Il n’a jamais atteint
l’ampleur de l’activité déployée par le collectif qui s’était mis en
place à la première grève, pour des raisons que nous avons essayé de
cerner plus haut. Il n’a pu donner à la dynamique de grève la force qui
lui a manqué parfois. En effet, il ne pouvait se substituer à elle ; il
ne pouvait que la soutenir et fonctionner comme amplificateur, sauf
quand il n’y avait pas grand-chose à amplifier.
. Malgré toutes les faiblesses que nous reconnaissons franchement ici
afin que d’autres ne se découragent pas dans des situations similaires,
signalons que rien n’aurait été possible sans la ténacité des
grévistes. Ils ont parfois donné l’impression de ne pas avoir assez
confiance en eux-mêmes et ont cherché à se rassurer en s’adressant au
grand frère syndical. Lequel n’est aujourd’hui pas en mesure de
permettre à une grève de gagner - et aurait difficilement supporté
l’existence d’un collectif hétéroclite et disparate comme le nôtre s’il
n’avait pas été conscient de ce fait. Ce qui n’empêche qu’une juste
méfiance vis-à-vis de certaines structures CGT s’est développée et a
fait son chemin. ”
Que dire de l’importance de cette grève ? Certes, comme la première,
elle a pu bénéficier d’une popularité quasiment “ naturelle ”, liée à
la force d’un certain antiaméricanisme et au fait que McDonald’s est
devenu le symbole de la malbouffe. Mais l’enjeu essentiel n’est pas là.
L’existence même de cette grève longue, comme de celle de l’année
précédente, est une attaque portée au modèle McDonald’s de gestion du
personnel, modèle qui fait école dans la restauration rapide, mais qui
joue aussi un rôle croissant dans le monde du travail en général. La
solidarité d’équipe sur laquelle jouent les directions des restaurants
pour obtenir une disponibilité et un rendement maximaux s’est en effet
retournée en solidarité dans la lutte, faisant fi des frontières entre
statuts. Et, plus généralement, c’est “ l’éducation au travail ” -
entendre par là l’apprentissage de la soumission aux exigences de
flexibilité de l’entreprise - qui montre ses limites, alors même que
pour bien des patrons cette éducation semble avoir avantageusement
remplacé le travail de mise au pas assuré auparavant par l’armée.
Outre ces aspects communs aux deux grèves successives, il en est un
autre, spécifique à celle dont il a été question ici : en s’opposant
aux agissements du patron, en déclarant que, pour fonctionner
correctement, le restaurant avait besoin de plus de bras, les salariés
ont posé sans détours le problème du pouvoir dans l’entreprise : qui
décide de ce qui est viable, indispensable, utile pour que le travail
soit correctement exécuté ? de ce que signifient concrètement des
conditions de travail acceptables ? et même du but à atteindre dans le
cadre de l’entreprise ? Si le patron ne peut plus décider de couler sa
propre boîte sans que ses salariés s’en mêlent, où va-t-on ?
Les Frog Pubs de Paris -Une entreprise “ moderne ”
Les quatre pubs Frog de Paris - de style anglais, où l’on sert de la
bière fabriquée sur place dans des fûts et où l’on sert aussi à manger
pour fixer la clientèle - sont situés rue Saint-Denis, rue Princesse à
Saint-Germain-des-Prés, près de la Bibliothèque nationale et, pour le
plus grand et le plus rentable, à Bercy Village. Ils font partie des
sept établissements créés dans le cadre de la société anonyme Frog Pubs
(les trois autres se situant à Toulouse, Bordeaux et Lisbonne). Bien
qu’ils fassent signer aux cuisiniers des contrats leur imposant une
certaine mobilité entre pubs en cas de besoin, les patrons refusent de
reconnaître qu’il s’agit d’une seule et même entreprise, dans le but
évident d’éviter une implantation syndicale que favoriseraient les
contraintes légales imposées aux entreprises de plus de 50 salariés.
On a affaire à une PME typique, où la pression des patrons s’exerce de
façon forte et directe, beaucoup plus en tout cas que les entreprises
où règne une hiérarchie de type bureaucratique. D’où la brutalité des
méthodes de gestion du personnel, et parfois des affrontements. Et
pourtant nous sommes dans le cadre d’une entreprise “ moderne ”, gérée
par deux patrons sortis d’une école de commerce, pour qui le produit
qu’ils vendent n’a de valeur que commerciale. Et la clientèle est à
l’unisson : ces pubs sont fréquentés par des consommateurs au plein
sens du terme - des gens venus “ passer un moment tranquilles ”, “
entre copains ”, “ pour se détendre ”, et qui généralement n’ont “ pas
envie de se prendre la tête ” en se posant des questions, et surtout
pas sur les conditions faites à ceux qui travaillent dans le lieu dans
lequel ils viennent consommer - phénomène qui prend des proportions
caricaturales les soirs de match, où les fanas de foot, attirés dans
les lieux par la présence d’écrans géants, n’ont plus rien d’autre dans
les yeux et les oreilles.
Les cuisiniers travaillent dans des cuisines minuscules (12 m² au Café
Frog de Bercy, qui fait lui-même 450 m² et où l’on sert chaque jour des
centaines de couverts) et insuffisamment aérées. Leurs salaires sont
très modestes : entre le SMIC pour un plongeur et 1 200 euros pour un
cuisinier ou chef cuisinier. Leurs horaires de travail et l’attribution
des congés sont à la discrétion du patron, imposés sans discussion. Il
n’y a pas de pointeuse, ce qui permet d’oublier de payer les heures
supplémentaires. L’attribution officielle des postes en fonction des
qualifications, telle qu’elle apparaît dans les contrats de travail,
n’est pas respectée. Lorsqu’ils sont contraints de finir leur service
trop tard le soir pour prendre le dernier métro, les frais de taxi ne
sont pas remboursés, alors que tous habitent en banlieue. Il n’existe
pas de vestiaire pour eux : c’est dans les escaliers qu’ils doivent se
changer (sauf à ne pas se changer du tout...). Et les conditions
d’hygiène ne sont pas meilleures.
De tout cela, on comprend surtout une chose : sous leur air affable,
ces patrons modernes se foutent des hommes dont ils exploitent le
travail, mais aussi des consommateurs dont ils exploitent le
porte-monnaie ; les uns et les autres ne sont que des rouages dans la
machine à faire du profit.
Et, face à des serveurs pour la plupart britanniques, trop heureux
d’avoir trouvé du travail dans un environnement culturel familier, et
des cuisiniers tamouls recrutés selon une filière ethnique, parlant mal
ou pas du tout français, fragiles comme tous les immigrés qui se
trouvent contraints de se faire difficilement une place dans une
société d’accueil pas si accueillante que ça, sans doute pensent-ils
n’avoir aucun souci à se faire...
Les premiers signes d’une volonté de lutte
À la mi-novembre 2002, des cuisiniers des pubs Frog entrent pour la
première fois en contact avec la CNT [VIGNOLES]-F, en vue, au départ,
d’organiser des cours de français pour étrangers. Mais, à la même
époque, ils cherchent aussi un syndicat pour se protéger : ils se
renseignent auprès de la CGT, de SUD puis de la CNT [VIGNOLES]. En
janvier 2003, quelques étudiants de l’université Paris VIII mettent en
place des cours d’alphabétisation au bénéfice de salariés étrangers de
la restauration et du nettoyage, auxquels participent trois des
cuisiniers de Frog. C’est ce noyau-là qui donnera vie au comité de
soutien. Les cours se maintiendront jusqu’au déclenchement de la grève,
en avril.
Les cuisiniers des pubs Frog sont tous recrutés dans la communauté
tamoule par un homme, tamoul lui-même, qui joue un rôle double : agent
recruteur, bras droit des patrons, propriétaire, semble-t-il, de parts
dans l’entreprise, il joue aussi le rôle d’interface entre ceux-ci et
les cuisiniers. C’est lui qui gère les plannings de travail, qui
contrôle les retards et prend des sanctions, c’est lui qui donne son
avis sur les demandes d’augmentation salariales. Étant le seul Tamoul
salarié de Frog à parler couramment français, il joue en outre
constamment le rôle de médiateur : quand les cuisiniers ont un
problème, les patrons n’acceptent de discuter qu’en sa présence, voire
avec lui seul. Mais il est aussi l’interlocuteur obligé de cuisiniers
très dépendants de lui, au point que ceux-ci finiront par le désigner
comme délégué.
Pourtant, plusieurs cuisiniers commencent à envisager une forme de
défense collective (au départ pour se protéger du médiateur plus encore
que du patron), et adhèrent à la CNT [VIGNOLES] : trois en février, et
une bonne vingtaine en avril. La première intervention du syndicat se
traduit par une visite, annoncée, de l’inspecteur du travail au pub de
Bercy Village, qui restera sans effet. Suit une série d’incidents entre
le patron et les cuisiniers, qui fait monter la tension au point que 31
avertissements sont adressés aux cuisiniers entre le 5 mars et le 16
avril.
De son côté, la CNT [VIGNOLES] entame les procédures visant à informer
la direction de la nomination d’un délégué et à faire reconnaître
l’existence de sections dans l’entreprise. L’idée est qu’il faut
obtenir la reconnaissance de l’unité économique et sociale des quatre
restaurants et y organiser des élections. Jeudi 10 avril, l’agent
recruteur, devenu délégué et porte-parole des cuisiniers, est licencié.
Les salariés, jugeant qu’il ne faut pas laisser le patron libre d’agir,
prennent sa défense, même s’il n’est pas leur ami.
Dimanche 13 avril, la grève est donc votée à l’unanimité. Le lundi 15,
un cuisinier qui a refusé de faire un travail ne correspondant pas à la
qualification inscrite dans son contrat se voit signifier une mise à
pied, qui se transformera en licenciement quelques jours plus tard.
Les cuisiniers ne connaissent que le travail, ils n’ont pas
d’expérience de lutte en France, c’est leur première adhésion syndicale
et leur première grève. Ils n’ont guère de moyens de juger de la forme
que pourrait prendre la grève, de ce qu’il est possible et légal de
faire, ni de la capacité réelle du syndicat à les soutenir. Ils doivent
se contenter des explications très sommaires et quelque peu fanfaronnes
de la CNT [VIGNOLES], qui leur donnent l’impression qu’elle est capable
de venir à bout des résistances du patron en deux temps, trois
mouvements.
De surcroît, ils ne peuvent compter sur le soutien des autres salariés
des pubs, car la division classique entre personnel de salle et
personnel de cuisine est, dans ce cas, encore renforcée par la division
“ ethnique ”, instaurée et exploitée par les patrons, entre serveurs
britanniques et cuisiniers tamouls. Une division que ceux-ci ne sauront
pas surmonter au moment du déclenchement de la grève ni après : pendant
toute la durée du mouvement, les serveurs leur resteront
majoritairement hostiles. Mais il est vrai aussi que le caractère
ethnique de la mobilisation des cuisiniers est ce qui permettra à la
grève de naître et de se maintenir dans une certaine cohésion, tout au
moins pendant quelques mois.
Des débuts offensifs
Le 16 avril, la grève devient effective, et 28 des 29 cuisiniers de la
chaîne y prennent part. Si l’élément déclencheur est le licenciement
abusif du responsable des cuisines, les revendications deviennent
l’enjeu. Les grévistes se mettent d’accord pour exiger : l’arrêt des
procédures de licenciement, l’annulation de toutes les sanctions ; le
respect des contrats de travail ; de meilleures conditions d’hygiène et
de sécurité (toilettes distinctes de celles des clients, douches,
casiers séparés des stocks secs, etc.) ; le paiement des heures
supplémentaires quand elles ne peuvent pas être évitées ; la mise en
place des élections des délégués du personnel sur les quatre
restaurants parisiens ; le respect du droit aux congés payés, le
remboursement intégral de la carte Orange ; une prime pour les salariés
finissant de travailler après minuit ; une majoration de 100 % pour le
travail de nuit ; le versement d’un treizième mois ; l’accès au 1 %
patronal ; une meilleure organisation du travail réduisant au maximum
les coupures dans la journée et permettant un retour du soir par les
transports en commun ; l’augmentation des salaires ; le respect de la
liberté syndicale.
Dès le premier jour, le patron affiche la couleur : il n’y a rien à
négocier, restez aussi longtemps que vous voulez devant les
restaurants, ça m’est égal. De toute évidence, il n’imagine pas que la
grève puisse gêner ses affaires : ces étrangers qui ne savent rien du
droit français ne feront jamais le poids. Pendant la première semaine,
il s’en tient à cette position de totale fermeture, et, convaincu
d’avoir la loi à son service, fait rapidement appel au tribunal. Et
obtient effectivement une ordonnance censée interdire à la CNT
[VIGNOLES] et aux grévistes de rentrer dans les restaurants et d’en
bloquer les accès.
Les grévistes se rendent rapidement compte qu’une diffusion régulière
de tracts et la tenue de simples piquets devant les restaurants ne
suffiront pas à les faire gagner face à un patron de choc qui rejette
toute négociation. Les clients prennent les tracts, certes, mais
continuent à rentrer pour consommer, et bientôt aussi leur repas,
puisque, dès le deuxième jour, le patron commence à remplacer les
grévistes en faisant travailler les serveurs aux cuisines puis en
embauchant sous CDI.
Les grévistes cherchent alors d’autres moyens de bloquer la bonne
marche des pubs-restaurants. La CNT [VIGNOLES] refuse de pénétrer dans
les établissements, en raison des ordonnances du tribunal qui lui en
interdisent l’accès. On discute de boules puantes et autres actions
musclées, mais rien n’est suivi d’effet. Les premiers doutes quant à la
puissance réelle du syndicat commencent à se faire jour...
C’est dans ce contexte que les grévistes décident de faire appel au
collectif qui soutient la lutte des McDo. Quelques-uns se présentent à
sa réunion du 23 avril. Le 1er mai, un début de collaboration se
concrétise par une présence commune des Frog et des McDo à la
manifestation, suivie de l’invasion du pub de Bercy par une soixantaine
de personnes contactées dans le cortège - l’opération tourne assez vite
court du fait de l’agressivité des serveurs et de l’hésitation des
grévistes, qui n’ont pas compris le sens exact des ordonnances. Samedi
3 mai, après une courte réunion commune, Frog et McDo s’associent et,
accompagnés de nombreux soutiens, envahissent d’abord le pub de la rue
Saint-Denis - d’où des accrochages avec le patron et certains serveurs,
qui portent visiblement un gros coup au moral du premier - puis vont
bloquer le McDo des Halles, face à la fontaine des Innocents.
Les grévistes ont le moral, ils voudraient continuer sur leur lancée,
mais dimanche 4, à la réunion du SHRT, dont le secrétaire est absent
[11], des membres influents de la CNT [VIGNOLES] insistent pour qu’ils
n’entrent pas dans les restaurants, invoquant le risque d’amendes que
font courir les ordonnances du tribunal.
Mercredi 7, après la réunion conjointe avec les grévistes de McDo, le
pub de la rue Saint-Denis fait l’objet d’une nouvelle occupation, et le
patron, plus agressif que jamais, enferme dans le pub clients,
grévistes et soutiens jusqu’à l’arrivée de la police. Celle-ci non
seulement impose l’ouverture des portes et négocie une sortie sans
heurts, mais, irritée d’être régulièrement dérangée par un patron
jouant la carte de l’intransigeance, fait pression pour qu’il ouvre des
négociations. Le patron s’y dit prêt et promet aux grévistes de se
manifester le lendemain. Mais il n’en fera rien.
Les divergences de logiques deviennent manifestes
Les grévistes souhaitent maintenir la pression pour le pousser à
négocier. La CNT [VIGNOLES] accepte leur point de vue et décide d’une
nouvelle occupation le 8 mai, rue Princesse, au terme de laquelle le
patron s’engage par écrit à ouvrir des négociations.
C’est à l’occasion de cette occupation, à laquelle la CNT [VIGNOLES] a
évité de convier les soutiens non cénétistes, que l’on voit pour la
première fois se manifester au grand jour la guerre interne à la CNT
[VIGNOLES] entre clans désireux chacun de chapeauter la grève [12]. Et
que la stratégie de visibilité maximale de l’organisation - déploiement
de drapeaux, affichage de badges et autocollants, tracts invitant en
bonne place à contacter la CNT [VIGNOLES] - devient particulièrement
évidente.
Pendant toute la durée du conflit, et quel que soit le clan alors
dominant, on pourra constater que la CNT [VIGNOLES] se sert de la grève
pour accroître sa visibilité plus qu’elle ne met l’organisation au
service de la grève. Là est au fond la différence essentielle entre sa
logique et celle du collectif de solidarité, qui s’est constitué autour
des grévistes et a pour seul but de les aider à gagner.
Or cette stratégie de la visibilité a un prix : le syndicat devient
vite la cible des huissiers et des policiers chargés de faire appliquer
les ordonnances du tribunal, ce qui rend toute occupation périlleuse,
étant donné le risque de fortes amendes. Cette stratégie deviendra donc
vite un handicap dans l’action de terrain : la CNT [VIGNOLES] ne peut
s’afficher sans courir de risques financiers, mais, si elle se montre
peu, ses militants ne sont plus assez motivés pour venir sur le lieux
de l’affrontement. C’est ainsi que l’on pourra bientôt compter sur les
doigts d’une seule main les cénétistes qui choisiront de s’investir
dans un soutien régulier à la grève.
Les diverses promesses de négociation soutirées au patron sous la
pression s’évanouissant aussitôt après, il apparaît rapidement que les
“ actions graves ”, comme disent les grévistes, sont le seul moyen, dès
lors que le travail est assuré par d’autres, de le contraindre à se
mettre à la table des négociations. Dans ce cadre, les divergences de
méthodes entre collectif de solidarité et CNT [VIGNOLES] se font plus
perceptibles, et les grévistes s’en ressentent. Ils insistent pour que
des réunions communes entre grévistes, collectif et syndicat se mettent
en place, ce à quoi la CNT [VIGNOLES] tentera aussi longtemps que
possible d’échapper.
Le 10 mai, un première rencontre de négociation ne donne rien, et le
soir le pub de Bercy est à nouveau envahi. Un incident se produit
alors, suite auquel un serveur porte plainte contre deux grévistes. Ce
qui servira de prétexte au patron pour licencier pour faute grave un
troisième cuisinier.
Le 16 mai, trois grévistes sont convoqués par le TGI, à la suite de la
tenue des piquets. C’est à ce moment que naît l’idée de demander au
juge une médiation. Le principe en est accepté par les deux parties.
L’avocat et la CNT [VIGNOLES] font savoir que cela suppose de suspendre
toute action sur les restaurants. Pourtant, au même moment, les
grévistes envisagent une nouvelle occupation, qu’ils voudraient voir
durer au moins trois jours cette fois. Le soir du 23 mai, grévistes,
membres de la CNT [VIGNOLES] et soutiens investissent le restaurant de
Bercy. Vers 22 heures, le secrétaire du SHRT décide de partir,
entraînant derrière lui les membres de la CNT [VIGNOLES] ; grévistes et
soutiens ne peuvent que suivre et le local est évacué sous la menace
d’une intervention de la BAC. L’avis des grévistes n’est pas pris en
compte.
Le 5 juin, le président du tribunal fait le point sur la médiation et,
faute de résultats, l’avocat de la CNT [VIGNOLES] demande sa
prolongation, qui est accordée jusqu’au 18. Un genre de modus vivendi
s’instaurera dès lors : les occupations seront de fait suspendues
jusqu’à la fin de la médiation, et les efforts porteront sur le fait
d’assurer une présence active et régulière devant les pubs, pour
populariser la grève par voie de tracts et surtout pour dissuader les
clients d’entrer et de consommer. Mais, chez les grévistes et les
soutiens, le désir de revenir par moments à des actions plus dures
renaîtra régulièrement.
Une petite grève dans un grand mouvement
Pendant de longues semaines, le mouvement contre la “ réforme ” des
retraites sert de toile de fond à la grève. La faible présence du
secteur privé dans ce mouvement donne aux petites grèves en cours une
visibilité inespérée. La présence des grévistes de Frog et de McDo est
bien perçue dans les manifestations : elle semble en quelque sorte
matérialiser la tension unitaire du mouvement et sa capacité à élargir
son horizon aux exigences d’autres secteurs du monde du travail moins
bien lotis, et notamment à la lutte contre la précarité.
Le collectif de soutien incite les grévistes de Frog à exploiter ces
occasions pour se faire connaître et renflouer leur caisse de grève.
Mais, les manifestants étant eux-mêmes pour la plupart en grève, le
choix est fait d’organiser à chaque manifestation, en un point
stratégique du parcours, des ventes de sandwiches et de boissons,
accompagnées de diffusion de tracts. Ce seront des occasions de
rencontre et de popularisation de la lutte particulièrement riches, qui
donneront quasiment physiquement le sentiment de participer, à partir
d’une position spécifique, à une vaste lutte commune, et qui offriront
aux grévistes comme aux soutiens le plaisir de l’effort partagé pour un
résultat concret immédiatement tangible.
Mardi 27 mai, une manifestation des établissements scolaires en lutte
est organisée au départ de la place d’Italie, et, faute de temps et de
bras, le collectif et les grévistes choisissent de faire, en un point
stratégique, une simple diffusion de tracts avec collecte de
solidarité, puis de se joindre au défilé. À mi-parcours, des militants
de la CNT [VIGNOLES] de la Pitié-Salpêtrière se joignent à nous,
brandissant leurs drapeaux. Puis l’on se rend à la Bourse du travail, à
l’assemblée des établissements en grève d’Île-de-France, où un gréviste
réussit à prendre la parole.
L’épuisement du mouvement contre la réforme des retraites ne mettra pas
totalement fin aux tentatives de jonction avec d’autres luttes. En
juillet et août, des membres du collectif participeront aux assemblées
de la “ commission interpro ” de la coordination des intermittents du
spectacle et à certaines de leurs actions (Paris-Plage et pyramide du
Louvre), et essaieront en retour d’intéresser ceux-ci à la lutte des
Frog. Avec un succès limité : un soir du mois d’août, une quinzaine
d’intermittents et de profs entreront dans le pub de Bercy Village pour
jouer le rôle de consommateurs mécontents des conditions de travail
faites aux cuisiniers et désireux d’obtenir des explications du patron.
L’opération, difficile et à moitié réussie, ne se répétera pas.
Un énorme dérapage syndical
Le soir du 27 mai, le secrétaire du SHRT-CNT [VIGNOLES], qui a assisté
à la prise de parole d’un gréviste à l’AG des établissements en lutte,
s’adresse aux grévistes en marge de l’AG pour leur dire sa
désapprobation et sa colère. Ceux-ci sont surpris mais n’en font pas
grand cas. Pourtant, le lendemain ils découvrent l’invraisemblable : de
la bouche de leur patron rayonnant, ils apprennent que le secrétaire du
SHRT lui a téléphoné pour lui faire savoir que la CNT [VIGNOLES] a
dé-mandaté leur délégué, dé-mandaté leur avocat et ne couvre plus la
grève. Et cela alors même que la médiation est en cours !
Les arguments avancés par son auteur [13] pour justifier un acte dont
on aurait du mal à trouver beaucoup d’antécédents, y compris dans les
syndicats institutionnels, montrent clairement que l’objet de cette
colère est le fait de voir remis en cause le monopole qu’il exerçait
sur l’organisation de la grève ; et que le comité de soutien, tenu pour
responsable (les grévistes ne pouvant être qu’une masse de
manœuvre...), est perçu comme un concurrent. En d’autres termes,
l’auteur est tellement dominé par la logique groupusculaire qu’il
imagine qu’elle est aussi le moteur d’un collectif constitué en réalité
d’individus aux opinions et appartenances très diverses et unis par une
seule volonté commune : aider la grève à gagner.
Pourtant, très rapidement, plusieurs membres de la CNT [VIGNOLES]
prennent position contre ce scandale. Le secrétaire du SHRT est écarté
de ses fonctions, les pièces du dossier sont récupérées par le bureau
conféderal et le suivi de la grève est confié au syndicat “ interco ”
de la région parisienne, selon une procédure d’urgence. Peu à peu la
situation se décrispe entre le collectif et la CNT [VIGNOLES], grâce
aux efforts faits de part et d’autre, et un minimum de travail commun
avec les grévistes redevient possible. Pourtant, il ne se fera jamais
dans un climat de camaraderie et de confiance, même si une certaine
règle de transparence réciproque sera respectée. De toute évidence, au
sein de la CNT [VIGNOLES], le collectif est désormais perçu et traité
par (presque) tous comme une force concurrente avec laquelle il faut
par la force des choses composer. Si, donc, les morceaux sont recollés
tant bien que mal, il n’en reste pas moins que cet épisode aura des
effets fortement négatifs. Sur le moral des grévistes d’abord, qui
finissent par comprendre clairement les limites du soutien qu’ils
peuvent espérer de leur syndicat - ce qui n’aura pourtant pas l’air de
préoccuper beaucoup les ténors de la CNT [VIGNOLES]. Mais aussi sur
l’engagement des militants cénétistes dans la lutte : l’information
concernant la grève aura désormais bien du mal à circuler au sein de la
CNT [VIGNOLES] [14] et ce seront toujours les mêmes rares militants que
l’on retrouvera sur les piquets - ce que l’arrivée des vacances d’été
ne fera qu’aggraver.
Lutte juridique, lutte de terrain : une articulation conflictuelle
Quand la médiation se termine vers la mi-juin sans avoir débouché sur
aucun résultat concret, le mouvement contre la réforme des retraites
s’est éteint et l’été approche : la période la plus favorable à
l’amplification du soutien à la grève est passée. La médiation a donc
bel et bien eu un effet démobilisateur. Du côté de la CNT [VIGNOLES], à
la suite de l’étouffement de la stratégie de visibilité de
l’organisation et au passage de relais dans le suivi de la grève, un
tournant s’amorce et l’action juridique prend définitivement le pas sur
l’action de terrain. Les objectifs sont de trois ordres : faire
reconnaître la légitimité de la grève en réclamant devant les
prud’hommes le paiement des heures supplémentaires non payées ; faire
reconnaître par les tribunaux de première instance l’unité économique
et sociale de l’entreprise et contraindre celle-ci à organiser des
élections de délégués du personnel ; défendre les salariés contre
lesquels des sanctions ont été prises (avertissements, licenciements,
plaintes au cours des occupations) [15]. L’avocat est indiscutablement
compétent, il a fait ses preuves dans d’autres conflits. Mais le
problème, crucial, c’est que la stratégie juridique, au lieu
d’accompagner les actions de terrain et de s’adapter au fur et à mesure
à la modification des rapports de forces [16], devient dès lors, pour
la CNT [VIGNOLES], la seule dimension offensive.
De son côté, le collectif, faisant le constat d’un resserrement des
possibilités de popularisation, décide début juillet de simplifier
l’organisation des piquets : un rendez-vous quotidien est fixé dans un
lieu central (la place du Châtelet) et la cible du soir est choisie en
fonction du nombre des présents. La quasi-absence de la CNT [VIGNOLES]
sur les piquets, à l’exception de deux ou trois militants convaincus,
et la non-circulation de l’information au sein de l’organisation sont
désormais des données stables du problème. La question de la poursuite
de la mobilisation pendant la période d’été, où les forces militantes
sont dispersées mais où celles qui restent sont aussi plus disponibles,
fait l’objet de discussions renouvelées.
Le climat des relations avec la CNT [VIGNOLES] semble s’améliorer, ne
serait-ce que parce que le collectif ne remet pas en cause le monopole
du syndicat sur la négociation [17]ni sur la gestion des activités
juridiques. Un partage des tâches s’installe dans les faits où nous est
réservé le travail de terrain, que la CNT [VIGNOLES] serait de toute
façon incapable désormais d’assumer. Mais le problème est que, par
souci d’éviter toute rupture avec le syndicat dont la grève aurait
immédiatement fait les frais, nous serons amenés à accepter, à
contre-cœur et plus ou moins consciemment, de subordonner l’action de
terrain à l’action juridique, alors que c’est l’inverse qui aurait été
nécessaire pour faire gagner la grève. Subordination d’autant plus
gênante que la CNT [VIGNOLES] ne transmet jamais aucune photocopie des
documents provenant des tribunaux et de l’avocat, ni même des
ordonnances, pourtant indispensables pour pouvoir argumenter avec les
policiers sur les piquets.
L’effort suivi de soutien financier
Les ventes de sandwiches et de boissons lors des manifestations du
mouvement de mai-juin a rempli efficacement la caisse de grève pendant
quelques semaines. Mais il faut ensuite trouver d’autres ressources.
Les chèques qui nous parviennent suite aux distributions de tracts, les
collectes faites régulièrement sur les piquets de grève - où il arrive
que des passants manifestent leur solidarité en donnant un billet,
voire un chèque - les repas servis à la Rôtisserie (petit local
associatif mis à la disposition de collectifs moyennant cotisation)
dans le cadre de plusieurs soirées de soutien aux grévistes et les
quelques concerts de soutien organisés à partir de l’été, en exploitant
les contacts et les savoir-faire acquis dans le soutien aux grèves
antérieures, nous permettent de collecter environ 14 000 euros au
total. La CNT [VIGNOLES] pour sa part couvre les frais d’avocat et du
suivi juridique et, dans les derniers mois, verse aux grévistes
l’argent provenant des souscriptions de ses syndicats.
Pourtant, l’ensemble de ces sommes est loin de pouvoir couvrir sur
plusieurs mois les besoins minimaux d’une vingtaine de grévistes.
Certains d’entre eux se voient donc contraints de trouver des petits
boulots provisoires pour faire face aux dépenses les plus urgentes, ce
qui réduit d’autant leur participation à la tenue des piquets de grève.
Au point que, pour éviter tout risque de “ substitutisme ”, le
collectif de solidarité est amené à se fixer une règle claire : aucun
piquet ne doit se tenir sans au moins un gréviste présent. Il arrivera
ainsi plus d’une fois, dans la partie finale de la grève, que les
soutiens venus au rendez-vous repartent après un simple moment
d’échange.
Le patient “ travail ” de tenue des piquets
L’épuisement du mouvement contre la réforme des retraites, en réduisant
la visibilité de la grève, recentre les efforts des grévistes et du
collectif sur les pubs, au profit d’une action plus constante de
pression sur la clientèle, invitée à faire preuve de solidarité en
renonçant à entrer et consommer dans les lieux. Le plus grand et le
plus rentable des pubs Frog est celui de Bercy Village. Il devient donc
notre cible privilégiée, celle que l’on choisit, le soir, chaque fois
que l’on est assez nombreux pour assurer efficacement un piquet. Cet
immense pub a deux entrées : une côté parc, faiblement fréquentée, une
autre côté “ village ” - la voie baptisée cour Saint-Emilion et
considérée par les propriétaires et les responsables de la sécurité
comme privée, où ils se pensent donc autorisés à nous interdire de
diffuser des tracts. Cette entrée deviendra un enjeu de résistance face
aux patrons du pub, mais aussi face aux responsables de la sécurité du
“ village ” : les uns et les autres feront sans cesse appel à huissiers
et policiers pour tenter de contrer nos interventions auprès des
clients qui cherchent à rentrer ; sans cesse nous leur opposerons que
nous agissons dans le cadre d’un conflit du travail, que si “ trouble ”
il y a, il est d’abord le fait de patrons négriers qui refusent de
négocier, et que la voie prétendument privée est de fait on ne peut
plus publique. Ce “ travail ” exige une grande persévérance, car chaque
point marqué un soir risque d’être remis en cause le lendemain. Mais il
est aussi très stimulant, car, outre la richesse du tableau qui se
dessine à travers la variété des réactions des clients que nous
interpellons, il nous oblige à jouer habilement sur les hésitations et
les contradictions du camp d’en face. Petit à petit, nous gagnons le
droit de rester sur les lieux, en repoussant de fait les limites de la
légalité.
Vers la fin de l’été, force est de constater que l’effort a fini par
payer aussi sur le plan des rapports de forces : ce restaurant
jusque-là parmi les plus fréquentés du “ village ” est quasiment
déserté. Au point que, lors des négociations finales, le patron se
plaindra d’avoir perdu environ 500 000 euros sur son chiffre
d’affaires.
Le pub Frog proche de la Bibliothèque nationale, fréquenté
essentiellement à midi par des employés, et celui de
Saint-Germain-des-Prés, situé dans une petite rue peu fréquentée,
feront nettement moins souvent l’objet de nos efforts de dissuasion que
celui de la rue Saint-Denis, fréquenté par une clientèle d’habitués
copinant avec les patrons, mais aussi par des touristes, des jeunes
branchés et quelques gens du coin. Les réactions souvent hostiles des
clients sont en effet largement compensées par la sympathie manifestée
par d’autres, mais aussi par les passants et les habitants d’un
quartier parmi les plus composites et les plus vivants de Paris. Des
employés d’une entreprise toute proche qui se rendaient parfois au pub
décident collectivement de le boycotter. Deux copropriétaires de
l’immeuble abritant le pub nous font part des nuisances qu’il leur
cause (inondations des caves, remontées de cafards, bruits nocturnes,
etc.) et nous tenterons de relayer les démarches entreprises par eux
auprès des autorités de contrôle de l’hygiène.
Signalons aussi les contacts pris à Toulouse, Bordeaux et Lisbonne pour
organiser des diffusions de tracts et collage d’affiches autour des
pubs Frog qui s’y trouvent. Le seul cuisinier du pub de Bordeaux en
profitera pour obtenir une augmentation.
Le patron trouve la faille
Parallèlement, l’attitude du patron se durcit. On comprendra par la
suite pourquoi. Contrairement à la CNT [VIGNOLES], lui ne se contente
pas de gérer le conflit sur le plan juridique. Non seulement il
continue à recourir aux flics et aux vigiles chaque fois qu’il peut -
avec un succès limité, on l’a vu - mais au début de l’été il trouve un
contact avec l’organisation nationaliste des Tigres, qui domine la
communauté tamoule, et lui demande de faire pression sur ses membres
grévistes pour qu’ils reprennent le travail, arguant du fait que la
grève porte tort à l’image de marque de la communauté en France. Il en
sera d’ailleurs si fier qu’il finira par se vanter devant ses salariés
d’en avoir obtenu la promesse du bureau de l’organisation.
Tout cela, nous ne l’apprenons que plus tard, lorsque les grévistes se
décident peu à peu à briser le tabou qui plane sur ces questions. Nous
sommes alors amenés à tenter de comprendre les divisions, voire les
affrontements, qui règnent au sein de la communauté tamoule, et à tenir
compte du fait que le passé politique des grévistes continue, loin de
leur terre d’origine, à avoir des répercussions que nous ne
soupçonnions pas. Mais il est alors trop tard pour contrer l’offensive,
le mal est fait : la division s’est installée parmi les grévistes. Par
la suite, nous serons tenus régulièrement au courant de menaces lourdes
et réitérées pesant sur l’un des grévistes les plus combatifs. Dans
l’impossibilité d’en saisir le sens et l’origine réelle, le collectif
cherchera les moyens de faire comprendre indirectement aux responsables
de ces menaces que toute agression contre un gréviste fera du bruit
dans le monde militant et au-delà, et ne pourra donc que nuire à ceux
qui l’ont exercée. Le message sera lent à passer, mais il atteindra
finalement son but.
Le patron, lui, sent qu’il a trouvé la faille et l’exploite : il
commence à harceler les grévistes individuellement au téléphone, pour
les inciter à quitter leur emploi contre de l’argent, tout en les
menaçant des pires représailles s’ils osent se représenter au travail.
Plusieurs d’entre eux finiront par craquer, mais les difficultés de
langue, la réserve des grévistes, la crainte d’être mal jugés par ceux
qui les soutiennent, retarderont d’autant notre compréhension du
problème. Entre-temps, plusieurs grévistes auront déjà fait le choix
d’accepter les propositions du patron.
La grève s’épuise
À la mi-septembre, sur les vingt-huit grévistes du début, huit ont
repris le travail, onze ont accepté de démissionner sur la base
d’arrangements individuels et huit sont toujours en grève, dont trois
font l’objet d’un licenciement contesté devant les tribunaux. Ce noyau
dur tient bon, mais le découragement progresse. Au fur et à mesure que
les défections se multiplient et que les forces présentes sur le
terrain décroissent, l’action juridique gagne en importance et
subordonne à elle toutes les initiatives. Ce qui ne fait qu’accentuer,
chez les grévistes restants, le sentiment qu’ils ne peuvent compter sur
le soutien de leur syndicat.
Fin septembre, ceux-ci surmontent leurs réticences et nous font part
ouvertement de leur désir de négocier leur départ contre de l’argent.
Nous comprenons enfin clairement qu’il leur semble désormais impossible
de reprendre le travail dans un climat de tension extrême, convaincus
qu’ils sont que les patrons exploiteront la première anicroche pour
obtenir de les licencier. Nous leur réaffirmons notre estime et notre
soutien, en leur conseillant de se serrer les coudes pour obtenir, par
une négociation groupée, les conditions de départ les plus
avantageuses. Ce qui n’empêchera pas deux d’entre eux de signer des
arrangements individuels et de disparaître de la scène du conflit.
Pendant la première quinzaine d’octobre, conscients que la seule chose
que nous puissions faire désormais, c’est d’aider les derniers
grévistes à négocier des indemnités de départ conséquentes et à obtenir
le paiement au moins partiel des jours de grève, nous maintenons les
piquets, sur Bercy essentiellement. Il reste en effet un moyen de
pression : le patron semble pressé de conclure, craignant les décisions
du tribunal concernant la reconnaissance de l’unité économique et
sociale de son entreprise d’une part, de la CNT [VIGNOLES] d’autre part
(ce qui ne l’empêche pas de commettre une bourde en présentant au
tribunal une pétition commune des salariés de ses quatre restaurants,
signée par 70 d’entre eux sur 120...).
Dimanche 19 octobre, la négociation débute, sur la base de l’offre de 5
000 euros par départ faite par le patron début juillet, alors refusée
et à présent acceptée par les grévistes. Les piquets sont suspendus
comme gage de bonne volonté. Le 3 novembre, un accord confidentiel
négocié entre avocats et signé par les parties met fin au conflit : les
derniers grévistes acceptent d’être licenciés contre 5 000 euros
d’indemnité (2 000 pour les deux d’entre eux qui venaient d’être
embauchés au départ de la grève), auxquels s’ajoutent les congés payés
; une somme de 10 000 euros revient à la CNT [VIGNOLES], qui la leur
reversera intégralement - ils choisiront de se la partager de façon
égalitaire. Toutes les actions juridiques entreprises par les deux
parties sont abandonnées.
Ainsi les derniers grévistes sortent-ils collectivement du conflit en
prouvant à ceux qui avaient choisi d’en sortir par un arrangement
individuel que le fait de rester unis est payant.
De son côté, le patron, qui croyait s’en sortir à moindres frais, a
sans doute sous-estimé les effets à long terme du travail effectué
pendant des mois par le collectif auprès de sa clientèle, puisque ses
pubs autrefois fort animés sont aujourd’hui encore à moitié déserts...
Quelques éléments de conclusion... provisoire
Ces expériences de soutien à trois grèves successives confirment
certaines des constatations et des hypothèses que nous avions pu faire
à la fin de la grève d’Arcade :
Si ces grèves ont pu exister et résister, et pour certaines
d’entre elles gagner, c’est bien sûr d’abord grâce à la ténacité des
grévistes, mais aussi au fait que ceux-ci ont toujours conservé la
maîtrise de leur grève : les objectifs qu’ils se sont fixés
correspondaient à leurs exigences profondes mais aussi à leur
perception des rapports de forces - ce qui excluait tout plaquage de
plates-formes concoctées par des forces extérieures, de militants ou de
spécialistes de la politique.
Les tentatives de convergences avec d’autres luttes se sont faites
en fonction des possibilités offertes par des luttes réelles, et en
fonction des disponibilités des grévistes à y prendre part [18]. La
question de la solidarité réciproque dans la lutte s’est posée plus
d’une fois, et les militants présents dans les collectifs ont essayé à
plusieurs reprises de pousser dans cette direction ; mais la volonté
des grévistes restait déterminante et les conditions n’étaient pas
toujours mûres pour cela. Parfois, comme dans le cas des Frog, les
grévistes ont cherché d’eux-mêmes le contact avec d’autres luttes, par
besoin de soutien mais aussi conscients de la nécessité de la
réciprocité dans la solidarité. Dans les liens entre grévistes de Pizza
Hut et de McDo, la proximité géographique, générationnelle, des
conditions de vie et de travail, a été un facteur déterminant, mais la
solidarité n’a pas toujours été perçue par les grévistes comme
indispensable à la poursuite de leur action.
Les militants qui ont contribué au soutien de ces grèves étaient
en général étrangers aux pratiques groupusculaires, ils ne cherchaient
donc pas à imposer leur vision du monde et de la lutte, mais
respectaient le point de vue des grévistes. S’ils n’ont pas toujours
pleinement réussi à comprendre les motivations et les difficultés de
ceux-ci, notamment quand la barrière des langues était s’avérait un
gros obstacle, comme dans les grèves d’Arcade ou de Frog, du moins
ont-ils cherché activement à s’en donner les moyens. .
Soutenir des grèves, c’est aussi aider les salariés qui se mettent en
lutte à s’approprier les éléments d’information et d’analyse qui leur
permettent de comprendre la société dans laquelle ils sont amenés à
vivre et à se battre. Il faut pour cela dépasser l’horizon de la lutte
spécifique et prendre en compte la dynamique d’ensemble. Or celle-ci,
loin de prendre la forme d’une organisation structurée, comme à
l’époque des syndicats révolutionnaires, semble plutôt s’appuyer sur
une diffusion des comportements antagoniques, sur la sédimentation
d’une “ culture ” de lutte, sur la mise en place de réseaux de
solidarité, d’entraide, de formation, d’information, d’échange. Cette
dynamique ne marginalise pas forcément les organisations politiques,
syndicales, associatives existantes, mais a sa logique propre - une
logique, pour faire court, plus proche de celle des mouvements que de
celle des organisations.
Nous avons eu récemment plusieurs occasions de constater une
tendance, dans certaines structures, à s’approprier, ouvertement ou
discrètement, le succès des luttes que les collectifs de solidarité ont
soutenues ces trois dernières années. Cela est particulièrement visible
dans le cas de la grève des femmes de ménage d’Arcade, qui, à son
époque, a souffert de la faiblesse du soutien des forces militantes et
qui, aujourd’hui, fait l’objet de récupérations multiples. N’ayant pas
de chapelle à défendre, nous ne nous soucions guère de faire
reconnaître la paternité de nos actions ; mais nous tenons à dire que
ces récupérations font toutes l’impasse sur la somme de travail qu’il a
fallu mettre en œuvre et sur toutes les difficultés que la grève a dû
affronter, et préfèrent mettre l’accent sur sa dimension sympathique et
sur la victoire finale [19]. Or plusieurs événements récents, tels le
licenciement de Cédric par la direction de Virgin ou l’impasse de la
grève de Maxi-Livres à la gare de Lyon, sont là pour nous montrer que
l’indignation ne peut tenir lieu de soutien efficace et que, pour
modifier un rapport de forces défavorable, il faut quelque chose de
plus sérieux qu’une couverture médiatique, une appartenance syndicale
affichée et quelques copains prêts à venir à des rassemblements de
protestation.
À la fin de la première grève des McDo, en mai 2002, le collectif avait
dressé un bilan sommaire de son action, qui s’achevait sur cette
exhortation en forme de clin d’œil : “ Que cent, mille, collectifs de
solidarité fleurissent à travers le monde. ” Or, même si ce vœu n’a pas
été exaucé, nous ne pouvons que constater que l’existence et l’activité
du premier collectif ont laissé des traces, que cela a permis la
constitution de collectifs en partie différents sur d’autres luttes,
qui parfois se sont croisées. En d’autres termes, une même logique de
solidarité a été assumée par des gens divers, dans des circonstances et
face à des problèmes divers. Si, dans la première phase, l’accent
pouvait être mis sur la continuité de cette dynamique - nous avions
alors parlé d’un collectif de solidarité - après cette deuxième étape
nous ne pouvons qu’utiliser le pluriel. Preuve, peut-être, du fait que
la solidarité est capable de faire des petits.
G. Soriano
(avril 2004)
La partie de cet article qui concerne la grève des Frog Pubs est le
condensé d’un travail de bilan effectué sous forme de discussions
enregistrées par les membres du collectif de solidarité, et qui
devraient être prochainement regroupées sous forme de brochure,
accompagnées d’un historique détaillé de la grève. J’en profite pour
remercier tous ceux qui m’ont aidé à le rédiger, et notamment Palani et
Nicole.
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[1] Sur ces grèves et l’expérience de soutien dont elles ont bénéficié,
cf. G. Soriano, “ McDonalds, Fnac, Virgin, Eurodisney, Arcade, etc. - “
Une expérience parisienne un peu particulière : le collectif de
solidarité ”. Cet article qui retrace l’expérience de ce regroupement
hétéroclite est paru dans Les Temps maudits n° 15, janvier-avril 2003,
précédé d’un texte de Damien Cartron portant sur la méthode McDonald’s
de gestion du personnel, “ Travailler au fast-food ”. Puis il a été
repris, accompagné d’un texte de N. Thé sur le même sujet et de
l’article de bilan du collectif de solidarité avec les grévistes
d’Arcade, dans Sans patrie ni frontières, n° 6-7, nov. 2003-janv. 2004.
[2] Le collectif de solidarité a tiré un bilan de cette grève dans un
texte paru dans le bulletin Infos Luttes sociales n° 45 - récupérable
en ligne sur le site d’AC ! à l’adresse suivante :
http://www.ac.eu.org/article.php3?i...- puis publié à la fois par Le
Monde libertaire (n° 1312, 20-26 mars 2003) et par Courant alternatif
(mai 2003, p.5-7). Sur le site d’AC ! on trouvera aussi les bulletins
des collectifs de solidarité rédigés de semaine en semaine jusqu’à la
fin de la deuxième grève des McDo, en avril 2004.
[3] Voici leurs revendications, sur la base de leur tract : une
augmentation de 10 % des salaires, le versement d’un 13e mois, le
remboursement intégral des taxis pour ceux qui rentrent la nuit, un
service d’entretien distinct de la cuisine et du service aux tables,
une prime de renouvellement de chaussures et collants de 40 euros,
double paie dès l’embauche pour les jours fériés travaillés, une
mutuelle adaptée, le paiement intégral des jours de grève et une prime
de reprise du travail, l’annulation de toutes les sanctions contre les
salariés.
[4] Voir à ce sujet le témoignage d’Abdel dans son livre Génération précaire, Paris, Le Cherche-Midi, 2004, p. 109-110.
[5] Le secrétaire du SHRT de la CNT [VIGNOLES], qui avait manifesté son
hostilité à la première grève des McDo SSD, percevra comme une attaque
personnelle le blocage du McDo où il travaille.
[6] Je reprends ici les informations et les évaluations fournies dans
le bulletin Infos Luttes sociales, n° 68, récupérable sur
http://www.ac.eu.org/article.php3?i...
[7] Début avril, le ministère du Travail a accepté ce licenciement,
mais depuis Cédric a fait appel à la justice et la procédure est en
cours.
[8] Elle s’achèvera sur une victoire, après 32 jours de grève. Les
grévistes obtiendront : le retrait de tous les licenciements (y compris
de celui qui a déclenché la grève) et des mesures répressives et
disciplinaires prises par la direction ; pas de sanctions ni de
mutations pendant un an ; le paiement des jours de grève à hauteur de
50 % ; une prime d’ancienneté annuelle de 500 F à partir de la
troisième année (voir Infos Luttes sociales n° 70 du 30.12.2003).
[9] La partie finale de ce chapitre reprend les termes du bilan de la
grève établi par le collectif de solidarité dans Infos Luttes sociales
n° 78.
[10] Aux concessions faites officiellement il faut ajouter un mois de
congés payés obtenu de fait : la reprise, prévue pour le 29 mars, se
fera en réalité le 3 mai en raison des travaux de réaménagement
nécessaires à la reprise de l’activité.
[11] Il semblerait qu’il ait donné sa démission à la suite de
l’occupation du McDo des Halles la veille et que cette démission ait
été refusée.
[12] Un des facteurs qui a le plus handicapé cette grève est
l’affrontement, au sein de la CNT [VIGNOLES], entre clans rivaux qui
règlent leurs comptes par grève interposée et dont les grévistes font
les frais sans toujours comprendre ce qui est en train de se passer.
Ces affrontements interindividuels prennent, dans une petite
organisation telle que la CNT [VIGNOLES], une importance qu’ils ne
peuvent avoir dans une organisation plus importante fonctionnant sur un
mode bureaucratique classique. Faute de débats politiques explicites
qui pourraient tirer au clair les divergences d’analyse ou de tactique
que recouvrent ces affrontements, tout le monde reculant devant de tels
débats, ces différends sont traités soit comme autant de problèmes de “
fonctionnement ”, en invoquant des statuts que chacun interprète à sa
manière, soit comme des différences “ idéologiques ” sans rapport
direct avec les situations concrètes de lutte - le dernier exemple en
date étant l’opposition supposée entre syndicalistes révolutionnaires
et anarcho-syndicalistes.
[13] Après avoir reproché “ l’annulation pure et simple par les
grévistes (qui s’étaient déjà réunis sans informer le syndicat... ? !)
de la réunion de la section en vue de la négociation ”, il poursuit : “
À l’heure prévue de ladite réunion ils formèrent un cortège des
grévistes (non badgés CNT [VIGNOLES]) dans la manifestation du
27/05/03, derrière une banderole du comité de soutien et diffant les
tracts de ce dernier ! [...] Le soir même ils intervenaient à l’AG
interpro à la BT introduits par ce même comité de soutien. ” Puis vient
la conclusion logique : “ Dès lors, la section ne fonctionnant plus
dans le cadre CNT [VIGNOLES] et niant toute la stratégie syndicale
définie collectivement, le SHRT-RP refuse d’être le “jouet” d’un comité
dont le seul but est l’activisme à tout prix et l’antisyndicalisme ”.
La responsabilité des tensions est rejetée en bloc sur un comité de
soutien responsable d’“ une manipulation omniprésente qui rend le
travail de coordination de la lutte très lourd et quasi impossible à
gérer ”. Pas un mot sur le fait que cette gestion a consisté à éviter
toute discussion commune entre grévistes, soutiens et syndicat sur les
moyens de faire gagner la grève.
[14] Le site Web de la CNT [VIGNOLES] restera muet sur l’évolution de
la lutte pendant plusieurs mois, et Le Combat syndicaliste se
contentera de publier parfois quelques informations très générales,
alors même que les bulletins rédigés de semaine en semaine par le
collectif de solidarité sont régulièrement transmis aux membres de la
CNT [VIGNOLES] présents aux réunions communes. Si l’on ajoute à cela le
fait que les rares militants CNT [VIGNOLES] qui essaieront de pallier
ce déficit en se proposant pour assumer cette tâche se retrouveront
isolés et marginalisés, on peut parler sans exagération de black-out
organisé.
[15] Parallèlement, des initiatives seront aussi prises pour tenter de
faire intervenir d’autres autorités : inspection du travail,
Association nationale de prévention de l’alcoolisme, services de
contrôle de l’hygiène, mais sans résultats.
[16] Avis qui semble partagé par l’avocat de la CNT [VIGNOLES] lui-même
! (Voir ses propos à l’émission de bilan de la lutte sur Radio
libertaire, le 12 janvier 2004.)
[17] La personne qui a joué, tout au long du conflit, le rôle crucial
de traducteur et de conseiller des grévistes a été écartée de la
médiation par le représentant de la CNT [VIGNOLES], qui ne supportait
pas sa présence. Ce qui revenait, de fait, à interdire aux grévistes
tout contrôle sur le contenu decettemédiation.
[18] Logique inverse de celle qui domine les “ convergences des luttes
” organisées actuellement sur le mode symbolique, et qui ne sont en
fait qu’une convergence de militants d’organisations politiques et
syndicales préférant l’agitation sur ce thème à l’investissement dans
des luttes concrètes - luttes dont l’existence est pourtant la première
condition d’une convergence véritablement susceptible de transformer
les rapports de forces.
[19] Voir notamment le livre d’Abdel Mabrouki, Génération précaire, p.
121, et celui de Gisèle Ginsberg, Je hais les patrons, p. 214-215.
La Question sociale
c/o Librairie Publico, 145, rue Amelot, 75011 Paris
laquestionsociale(a)hotmail.com
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Anonyme
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le titre sent à plein né la critique de l'AIT envers sa soeur tant détestée. Mais peut-être que eux savent mieux mener une grève? Encore faut-il qu'il mène un jour une grève!
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libertad
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Je ne sais pas si l'auteur du texte est à la CNT-AIT mais sa critique me semble reposer sur une pratique, celle du comité de soutien aux luttes sociales qui publie "Infos luttes sociales" et dont le bilan en matière de pratique d'appui aux grèves me semble assez positif, cela dépasse donc grandement la question de l'éternelle querelle entre les deux CNT, réduire celà à ce conflit me semble assez réducteur.
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ibubolo
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je suis totalement d'accord, de plus l'on peut critiquer sans avoir "mené" de grève... hein, les syndicalistes de base !?
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Yvan
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Ca fait bien 65 ans que la CNT n'est plus capable de grand-chose, non?
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Anonyme
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2005 - 1946 = 59
Il y a comme un problème, ou alors faut-il dire "faille-cénété" ?
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a
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pour le premier commentaire il faut lire des fois jusqu'au bout. Ce n'est pas l'Ait mais c'est :
"La Question sociale
c/o Librairie Publico, 145, rue Amelot, 75011 Paris
laquestionsociale(a)hotmail.com"
La Question Sociale est une revue qui a moins d'un an, 2 (ou 3) numéros sont sortis. Le deuxième traitait des luttes de collectifs de précaires, et l'article fait parti de ce dossier.
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Anonyme
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59 ou 65 années, il y a toujours comme un problème...
Cénétien. adj.: qui préfère s'intéresser aux mouvements « des idées » !?
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G. Soriano
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« La Question Sociale » a publié son premier numéro en juin dernier, dont le dossier central était consacré au « Droit (et pratiques) de grève en France, Espagne, Italie, Etats-Unis, Brésil ». Parmi les autres articles il en avait un qui portait sur l’expérience des collectifs de solidarité parisiens. Là dedans il n’y avait aucune polémique mais le récit de trois grèves et quelques réflexions, comme dans les articles qui l’ont précédé, sur le même sujet. On peut les retrouver sur plusieurs sites.
Le termes [Vignoles] couplé à celui de la CNT-F, ainsi que le titre qui a été attribué à l’article, ne viennent pas de « La Question Sociale » et lui donnent un coté polémique que l’article n’avait pas. Il suffit de lire le texte pour constater que les préoccupations de l’auteur sont toutes autres que de régler des comptes.
Le deuxième numéro de « La Question Sociale » vient d’être imprimé et vous le trouverez en librairie à la fin de cette semaine. Une présentation du numéro aura lieu sur Radio Libertaire samedi à 11h30 à l’émission « Chroniques syndicales ». Le dossier central porte sur « Le syndicalisme institutionnel : France, Espagne, Italie ».
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ibubolo
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je pense qu'un syndicat de base a les moyens que la base lui donne... dans ce cas, pas beaucoup...
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Anonyme
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Oui, ca sent encore l'AIT , la critique facile et les inventions ... Bon, globalement l'issue de la grève est plutot positive meme si c'était perdu d'avance.
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Anonyme
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Pourquoi toujours ce [VIGNOLES] accolé a CNT ?? A ma connaissance, il n'y a qu'une CNT sur le terrain en France ... ?
Dans ma boite, j'ai des délégués Cfdt qui signe avex le patron et se payent des promotions pour leur trahisons a répétition.
Vous trouvez vraiment rien d'autre à faire que de dénigrer l'action de la CNT ??
Meme si parfois, l'auto organisation et l'absent de hiérarchie structurelle voit naitre des petits chef auto-proclamés et incompétents ... C'est quand la seule voit d'émancipation qui vaille la peine de mener un combat. La CNT est jeune, elle fait des erreurs surement mais elle ne trahit PAS !
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à 13:09