L’héritage c’est ce que nous transmettent les générations qui nous ont précédé ; c’est à la fois quelque chose qui, d’une certaine manière, nous est étranger, mais qui, aussi, nous appartient. Qu’en faire ?
On
peut le conserver comme un bien précieux, témoin d’une histoire qui n’est pas
tout à fait la notre, mais à laquelle affectivement on tient,… on peut aussi le
liquider comme étant considéré comme obsolète et inutile.
Politiquement,
nous sommes aujourd’hui devant ce même dilemme. Que garder des théories, des
analyses, des expériences ? Sommes nous lié-e-s par une quelconque
fidélité à notre passé ? Et quelle pourrait être la nature de cette
fidélité ? Quel sens pourrait avoir cette fidélité au regard des faillites
historiques de ces 150 dernières années ?
HERITAGE
ET FIDELITE
L’héritage
peut ne pas qu’être un avantage, il peut être aussi un poids, voire un
handicap. De même que la fidélité peut
ne pas qu’être une qualité, elle peut être aussi une forme de conservatisme et
une entrave au progrès de la pensée.
Se
laisser emporter par la fidélité exclusive et aveugle à un héritage, pour
des raisons tout à fait nobles et parfaitement respectables, porte
incontestablement atteinte à la nécessaire clairvoyance, lucidité, aussi bien
dans les analyses du présent que dans les perspectives à envisager pour
l’avenir.
Pourquoi ?
Simplement,
si j’ose dire, parce qu’il est nécessaire de tirer les leçons du passé,
des succès mais aussi de ses erreurs, et de savoir en tirer les conséquences,
autrement dit, dans certains cas, reconnaître que nos prédécesseurs se sont
trompés, aussi héroïques et respectables étaient-ils, et que nous devons, d’une
certaine manière leur devenir infidèle,… pas à leurs principes, mais à leurs
méthodes.
Cette
démarche, j’en conviens, n’est pas facile, est une épreuve morale. Il s’agit
non seulement d’abandonner le « nid douillet » des certitudes dans
lesquelles nous avons grandi,… mais aussi et surtout de nous lancer dans
l’inconnu, de repenser ce qui pour nous était l’évidence… bref de devenir, à
part entière, des acteurs et non des « répétiteurs », des disciples
fidèles, et d’une certaine manière inconditionnels de nos « maîtres à
penser ».
Je
parle ici de celles et ceux qui font une démarche honnête, et sans sous entendus,…
pas de celles et ceux qui ont fait de l’héritage un fond de commerce qui
leur permet de réaliser leurs ambitions de pouvoir et de notoriété. Des
noms ?...ils/elles se reconnaîtront !
Toutes
les organisations, toutes sans exception, sont fidèles jusqu’à l’absurde à
leurs pratiques antérieures, au point d’empêcher la défense concrète et la
promotion des valeurs proclamées. Pourquoi un tel entêtement ?
L’INERTIE
ORGANISATIONNELLE
Il
y a d’abord la bureaucratie qui se forme dans toute organisation et qui
verrouille la pensée et l’innovation, mais celle-ci ne saurait tout expliquer.
Il
y a incontestablement un effet de groupe, un véritable réflexe
identitaire qui fait s’identifier les militants à un passé, une histoire,
et cette dernière, structure l’identité du groupe, en fait une entité
cohérente, jalouse de cette cohésion qu’elle protège des influences extérieures….
Ecoutez parler les militants !...
On
en arrive ainsi à la situation absurde où des organisations qui prônent la
rupture, le changement, le dépassement des situations, sont incapables
d’appliquer à elles mêmes cette analyse critique qu’elles appliquent à
tout ce qui les entoure… et cela au nom de quoi ? De leur histoire, de
leur héritage, de la fidélité à leurs « ancêtres » qui « méritent
le respect » et qui avaient « forcément raison ». Le reniement
des croyances passées est toujours mal vu.
Elles
finissent par oublier que l’Histoire n’est pas linéaire et que les méthodes
d’hier ne sont peut-être pas efficaces aujourd’hui.
Elles
finissent par confondre « valeurs fondatrices », qui elles ne
changent pas, et « action » pour les faire triompher, qui
doivent évidemment évoluer en fonction du changement de la réalité sociale.
L’organisation n’est alors plus un moyen, ce qu’elle est originellement,
mais une fin en soit… le musée du passé qui donne un sens au présent.
Cette
dérive conservatrice est bien évidemment encouragée par la bureaucratie
régnante au sein de l’organisation : elle est la garantie que rien ne
change dans les privilèges et les pouvoirs des dirigeants… jusqu’à ce que la
réalité fasse éclater ce « bel agencement » dans le drame !…
Demandez aux militants du PC !
HERITAGE
ET MODERNITE
Tout
héritage vieillit, non seulement parce que le temps passe, mais aussi et
surtout parce que les conditions sociales changent. Les certitudes d’une
époque, si elles faisaient alors illusion, sont aujourd’hui largement
relativisées et irrémédiablement soumises à la critique des évènements écoulés
depuis, aux erreurs passées et aux impasses d’aujourd’hui.
Le
phénomène est d’autant plus important que le système en place, lui, s’est
développé, a créé de nouvelles conditions qui s’imposent à toutes et tous.
La
modernité nous talonne, nous pousse, nous bouscule et peut nous faire
tomber.
Mais
quelle est réellement cette modernité ?
En
l’absence de toute analyse, critique, sérieuse et crédible, il, le système en
place, représente la réalité, le présent et la « modernité ».
En l’absence de toute alternative qui puisse donner une autre vision de l’avenir,
le système en place représente ce qu’il y a de plus concret, de plus « moderne ».
Cette
soit disante modernité qui s’impose à nous, n’est en fait que les
conditions d’existence du système dominant, de la valorisation du capital et
des soumissions qu’il impose à tout un chacun pour atteindre ses objectifs.
De
fait, c’est au nom d’une fausse conception de l’héritage que nous avons bâti, à
une impuissance congénitale des organisations politiques actuelles, que s’impose
à nous une conception aberrante de la modernité.
L’existence
envahissante du système dominant, qui impose ses lois, ses règles, ses
principes sans aucune concurrence sur le terrain de la réalité sociale, sinon
un discours purement théorique , incantatoire et intentionnel, défini le cadre
de ce qui est, de ce qui peut-être et surtout de ce qui doit
être.
Il
verrouille ainsi, à la fois l’intelligence de ce qui est, en noyant ses
contradictions dans l’ « évidence des faits », mais aussi, et
surtout, toute vision prospective de l’avenir qui pourrait se fonder sur des
principes éthiques et d’organisation sociale en rupture avec ce qu’il est.
Nous
avons hérités de réflexes qui s’avèrent aujourd’hui parfaitement obsolètes et
que nous sommes incapables de soumettre à la critique.
Respect
aveugle de/des héritage/s et adhésion à la « modernité » (du système
dominant s’entend !), ne sont en fait que les deux faces de ce qui
détermine aujourd’hui l’impuissance politique du mouvement social dans son
ensemble, et de ses différentes composantes politiques en particulier.
La
critique globale théorique et pratique, à la fois du système, mais aussi de nos
référents/références, est notre tâche principale pour nous sortir de l’impasse
politique dans laquelle nous nous trouvons.
Patrick
MIGNARD
janvier 2008
Voir
aussi :
« SE
REAPPROPRIER L’ECONOMIQUE ET LE SOCIAL »
« MEFIONS
NOUS DES MODELES DEPOSES »