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L'En Dehors


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J’ai fait un rêve.
Le CNE (contrat de nouvelle embauche) et le CPE (contrat de première embauche) avaient fait d’un seul coup déborder le vase. Les journalistes et les experts de service étaient surpris, choqués par ce mouvement social quasi spontané. Alors même que le gouvernement s’était payé le luxe, en ces temps d’asphyxie sociale, de la précaution tactique habituelle qui sied à un projet d’une belle ampleur régressive: utiliser la trêve estivale.
Une loi du 26 juillet 2005 l’avait en effet habilité à prendre des mesures d’urgence pour l’emploi. Ce qu’il fit le 2 août par une série d’ordonnances créant ces « contrats d’un nouveau type – contrats à durée indéterminée aux formalités de rupture simplifiées pendant les deux premières années »… Tant il est vrai que le CDI de l’ancien type avait un côté ringard et angoissant pour les salariés qui vivaient mal ses formalités de rupture compliquées !



Les conflits étranglés, les mobilisations balayées, les défaites sur les retraites, le spectacle en continu des régressions en matière d’assurance-chômage, d’assurance-maladie, de droit des travailleurs, tout cela avait donc finalement produit un phénomène d’accumulation, dont les micro-signes extérieurs successifs avaient été interprétés comme les soubresauts d’un mouvement social agonisant.
Il faut dire que les sociologues aux ordres, les historiens lèche-bottes et tous les nouveaux chiens de garde de plus en plus présents dans les médias et les livres scolaires, nous avaient bien amenés à cette lecture là.
Les machines syndicales quant à elles faisaient le boulot habituel pour lequel elles sont payées. Leurs journées d’action ordonnées, répétées, dans la tradition et dans la dispersion, nous avaient presque convaincus que tout avait été fait comme il fallait et qu’il y avait dans leur épuisement une fatalité de notre histoire commune. Et pourquoi pas une fin de cette histoire.

Ainsi préservés et confortablement installés dans leur monde de privilèges, dans leur unité presque parfaite, dans leur pouvoir incontesté en voie d’absolutisme, les puissants et leurs valets nous avaient bien sûr ressorti la directive Bolkestein, la journée de corvée, le projet de constitution européenne. Ils reparlaient de l’AMI. Ils avaient imposé le développement des OGM et s’apprêtaient à reconduire le programme nucléaire, amplifié.
L’Histoire serait donc désormais leur histoire et la nôtre serait révolue.

Quelles mouches du réveil avaient donc piqué cette foule de lycéens, d’étudiants, de chômeurs officiels ou rayés, de précaires, d’intermittents du spectacle, du néo-lumpenprolétariat tricolore des banlieues, de travailleurs de tous âges et de tous statuts, de paysans, de faucheurs volontaires d’OGM, d’étrangers traqués, de planqueurs volontaires d’étrangers traqués, d’objecteurs de croissance, de néo-ruraux dissidents de la société urbaine et salariale…?

Dans ce rêve, une évidence avait jailli : Ces mouches de l’envers du sommeil, c’était les jeunes des banlieues qui nous avaient enfin réveillés et réunis...
C’était leur désorganisation qui nous avait rappelé que la révolte précède souvent l’organisation…
C’était leur non affiliation syndicale et politique qui nous signifiait que les structures du mouvement social sont dépassées, bureaucratisées, empêtrées dans le conformisme, la dépendance et la collaboration. Que la représentation politique est une farce de démocratie. Que l’Etat a bel et bien le premier rôle dans la violence sociale. Qu’il n’y a pas de capitalisme à visage humain et populaire et que le marché n’est pas synonyme de liberté et de création mais d’aliénation et de destruction.

Ils nous criaient au travers de leurs actes que l’humiliation ne peut cesser que par la révolte, que celle-ci est en même temps le fruit et la condition de la dignité.
Ils nous rappelaient à leur manière que c’est la dignité qui fait la grande histoire d’un peuple.

Martin Lutteur K.
Editorial de Tatchanka mars 2006
Ecrit par libertad, à 23:13 dans la rubrique "Actualité".



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