Es-tu libre ? Non ! De qui attends-tu ta libération ? par G. BUTAUD
Les partis, les religions, les philosophies condamnent l'homme à l'asservissement à la Société. Nul ne peut s'affranchir individuellement. Les prolétaires sont condamnés à la misère, aux travaux forcés à perpétuité. La terre est un champ clos où la lutte entre les hommes est fatale. Les sociétés humaines doivent perpétuer l'esclavage de l'animalité.
CES CROYANCES TE GUIDENT.
Tu lies ton sort à celui de ta classe, à celui des autres hommes, leur conduite emporte la tienne, tu t'enlises dans la foule dont tu fais partie, tu vis ? ‑ peut‑être dans l'attente du grand soir de la Société future ‑ et tu es l'élément constitutif et conservateur de la Société que tu abhorres.
Tu sais comme tu mènes une vie stupide et tu en souffres, comme tes concitoyens d'ailleurs, vaguement tu as conscience d'être la brebis d'un troupeau, pourtant, tu passes d'un groupe à l'autre, d'une collectivité à une autre, tu changes de régiment, tu te dévoues et te sacrifies aux disciplines
collectives... et rien ne change. Ta foi faiblit, tu te fatigues, tes habitudes deviennent plus impérieuses et ainsi chaque jour te rend plus inévoluable demain tu n'auras même plus cette aspiration vers le mieux qui fait éclore dans ta tête des rêves généreux de fraternité. L'espoir en toi‑même et dans les autres s'éteint.
JE TE LE DIS
Comme tant de millions d'autres enthousiastes, qui ont passé par le même processus, tu tomberas dans l'indifférence pour toute activité sociale, tu ne réagiras plus.
Le courant de la vie journalière, stupide, féroce, jouisseuse et lâche, t'emporte dans son flot boueux. Aussi, la tuberculose, le rhumatisme, le cancer, la folie se développent...; il est peu d'hommes ayant une dentition irréprochable, beaucoup de femmes sont inaptes à l'allaitement de leur enfant ; la race humaine donne la preuve d'une puissance de vitalité inférieure à celle des animaux non domestiques, conséquence de la mauvaise vie de chaque individu.
NOUS SOMMES TOUS FRAPPES PAR CECI
Les animaux sauvages, herbivores ou carnivores, tout ce qui vit en liberté, ont une existence autrement belle que la nôtre ; que nous soyons riche ou pauvre, citadin ou paysan, nous envions leur sort. Nos arrières‑aïeux, les primitifs, devaient trouver dans leur vie un certain bonheur, une facilité sans laquelle aucune espèce ne saurait exister et se perpétuer.
Comment se fait‑il qu'ayant ajouté à leur modeste bagage de connaissance un formidable pouvoir d'action sur la matière, nous n'ayons pas une vie plus facile, plus fraternelle, plus belle ?
NOUS N'AVONS PAS APPRIS A VIVRE.
Le fait est là.
Nous ne savons pas exactement ce qu'il faut consommer, conséquemment ce qu'il faut produire. Comment il faut consommer, comment il faut produire.
L'instinct qui guide l'animal est, chez nous, diminué, affaibli au point qu'il ne peut plus être notre guide. La raison, fruit de la connaissance, le remplace. Et la raison n'aboutit qu'à nous faire une vie déraisonnable.
ALORS !
Alors ! Mais ce que l'on nomme raison n'est qu'un non sens. Ce qu'on qualifie de raison n'est autre que fantaisie et imagination. Au fur et à mesure que se développe notre puissance d'action sur la matière, nos besoins grandissent. Quelque puissants que soient ces moyens d'action sur la matière, nos aspirations de jouissance les surpassent nos besoins
augmentent dans des proportions qui n'ont de limite que notre pouvoir d'imagination qui, elle, est sans limite.
As‑tu songé que l'on pourrait représenter les possibilités de production et les aspirations de jouissance sous la forme de parallèles dont une est définie, limitée, et l'autre infinie ?
En résumé, chaque individu est insatisfait et souffre, est dangereux pour les autres et pour lui‑même, lutte avec tous, en général, et avec chacun, en particulier. Si la Société est mal faite, c'est qu'il y a disharmonie entre les appétits individuels et les possibilités de les satisfaire.
CULTIVE‑TOI
Et tu apprendras que, dans une certaine mesure, ton sort est entre tes mains, que ta liberté est conséquente à la somme de tes besoins personnels normaux et factices.
DOCUMENTE‑TOI
Ce qui est nécessaire à l'organisme d'un primitif est, à une variante près, nécessaire à toi‑même. LUI, d'une ignorance si profonde, vit toi, tu peux vivre bien mieux que lui, puisque tu as des connaissances et des moyens d'action infiniment plus grands.
SOIS VOLONTAIRE
Applique‑toi à vaincre tes mauvaises habitudes, dépouille le vieil homme victime d'une mauvaise éducation, régénère‑toi en menant une vie rationnelle véritablement raisonnée dans toutes ses manifestations.
AFFRANCHIS‑TOI UN PEU CHAQUE JOUR.
I1 faut si peu à un homme pour vivre que, en rejetant tous les besoins factices, tu verras que l'avenir n'est pas aussi noir que par le passé, tu découvriras que la plupart des hommes ne sont condamnés à la lutte sociale, aux travaux forcés à perpétuité, à une vie d'exploitation et d'hypocrisie que par leurs propres erreurs, leurs appétits injustifiables et l'ignorance de leurs véritables besoins naturels.
Quand tu connaîtras quelle petite quantité de terre il faut à un homme pour produire ce qui est nécessaire à sa consommation, tu verras que la lutte entre les hommes n'est pas une fatalité inéluctable, qu'il y a place sur la terre et que ta liberté ne peut être que le fruit des connaissances que tu acquerras et appliqueras.
Dans la Société, l'homme doit frayer son chemin, mais il ne le peut qu'en ayant une claire vision des réalités de ses propres besoins et les véritables ne sont pas ceux que la grande masse des hommes croient.
Moi qui t'offre ce petit tract, je voudrais que beaucoup d'hommes me comprennent, aient le même sens de la vie que moi‑même, parce que j'ai bénéficié très heureusement de l'individualisme éclairé et fraternel, parce que je me plais à diminuer la souffrance, parce que j'aime à voir autour de moi des gens conscients, parce que je voudrais voir se construire des villages entiers habités par des hommes libres, qui coopéreraient, dans la mesure où ils le jugeraient bon, à des oeuvres intéressantes, parce que j'apporte mon effort pour accentuer le grand courant d'émancipation qui sera constitué par l'entr'aide des hommes volontaires, fraternels, ayant comme guide la raison, fille de la science et l'expérience.
HOMME DE PENSÉE LIBRE
Crois‑tu qu'en t'appuyant sur le savoir, sur la connaissance, l'homme bâtit sur un terrain ferme ? Que la foi en des dogmes surannés, en des préjugés, en des croyances, n'est‑ce pas le bon outil de libération individuelle et collective ?
Certes, oeuvre, mets‑toi au travail, fais quelque chose, toi qui, comme les millions de libres‑penseurs du monde, n'as encore à peu près rien fait ‑ si ce n'est critiquer et palabrer ; commence à poser ta pierre à l'édifice dont tu as le projet en tête ‑ le même que tant d'autres millions de penseurs.
Tu crains d'être seul et inefficace ! Mais moi qui te parle, moi qui t'attaque, moi qui t'appelle, je te dis, homme de peu de foi : c'est par son travail que l'homme se révèle, justifie ses conceptions et les propage.
Et l'inertie, la veulerie, le manque total d'activité créatrice des libres‑penseurs qui n'ont créé ni écoles, ni asiles ni regroupements fraternels, ne peuvent ‑à mes yeuxjustifier l'existence des Religions, des Patries, des Partis, des Coteries d'ignorants menés par des Apôtres, des Prêtres, des Meneurs, ignorants eux‑mêmes plus qu'on ne saurait le croire.
Homme de pensée libre, mets‑toi à la tâche de suite. Armé du flambeau de la connaissance, forge ta propre liberté, les autres penseurs profiteront de ton travail, de tes expériences.
Travaille ardemment au Grand Oeuvre qui a tiré de l'anthropopithèque, l'homme que tu es, apporte ta contribution au progrès, à l'évolution, en évoluant.
Georges Butaud, in "L'individualisme conduit au Robinsonisme,le Végétalisme permet le Communisme "; 1929.
Texte extrait de "Naturiens, végétariens, végétaliens et crudivégétaliens dans le mouvement anarchiste français - 1895-1938" Invariance, supplément au n°9, juillet 1993