En famille
Ce n’est vraiment pas malin ! en bientôt 130 jours, Dominique de Villepin, s’il n’était parvenu ni à terrasser le dragon Chômage ni à redonner confiance aux Français dans leur avenir, avait au moins réussi à se faire presque pardonner par la droite sa fine stratégie de la dissolution de ’97 et par la gauche son statut d’héritier politique de Jacques Chirac.
Requinqué par la frivolité des uns et la bonhommie oublieuse des autres, le chef du gouvernement, quoique il n’y a pas si longtemps inconnu des masses, pouvait avantageusement poser à l’homme d’Etat, au rassembleur qui, au-delà des clivages partisans, n’a d’autre ambition que l’intérêt collectif.
Las ! il a suffi que l’Etat brade à nouveau l’une de ses sociétés, c’est-à-dire non pas sa propriété mais celle de la nation, pour que fonde le vernis de l’intégrité et que monsieur Domy Galouzeau se comporte comme un vulgaire Dick Cheney, celui-là même, vice-chairman de l’USA Company, qui a refilé sans complexe à son ancienne boîte, Halliburton, le plus gras de la reconstruction de l’Irak puis de celle de la Nouvelle-Orléans.
Car le repreneur de la SNCM n’est autre, en la personne de Walter Butler, flibustier légal expert en rachat d’entreprises en difficultés, qu’un ancien condisciple de l’Ena, qui, de surcroît, petite touche d’exquise délicatesse, favorisa l’admission du frère du Premier ministre dans cette honorable institution.
Comment ? un copain ? aucun armateur, aucun établissement spécialisé dans le fret ou le transport, aucun professionnel de la marine ou du voyage pour reprendre la compagnie nationale ? n’est-ce pas étrange, alors que chaque cession au privé du bien public aiguise tant d’appétits ?
Qui se cache derrière Butler Capital Partners, un de ces fonds d’investissement qui brasse des centaines de millions d’euros avec l’aide d’un ordinateur portable et d’une assistante bilingue ? quels gros bailleurs nationaux ou internationaux qui espèrent des choux gras sans se mouiller auprès de l’opinion publique et surtout des teigneux de marins ?
Quels comptes demandera-t-on à un Walter Butler ? « Désolé, les gars ! regardez, j’ai rien dans les poches ! ‘pouvez pas discuter avec moi, ‘suis pas un vrai patron ! c’est pas moi qui dégraisse, même si j’en ai l’air ! je place du blé pour d’autres, banquiers, assureurs, fonds de pension ; je remplis leur grange, la mienne au passage, en vidant la vôtre, et dans quelques années, bye-bye, je me casse ailleurs ! priez pour mon salut, je ne suis qu’un homme de paille avec pignon sur rue ! »
Si Walter est un futé qui ne fait pas de politique et ne risque rien d’autre que de perdre un argent qui n’est pas le sien, le citoyen fera bien de se souvenir au moment opportun que son pote Dominique investit, lui, dans la crédulité populaire.
Mathias Delfe