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Tous ceux qui se trouvaient dans la détresse, qui avaient des créanciers ou qui étaient mécontents se rassemblèrent auprès de lui et il devint leur chef. (1. Samuel : XXII, 2)
Les lignes placées en exergue sont extraites d’un des livres historiques de la Bible et se rapportent à un épisode de la vie du Souverain hébreu dont le souvenir est rappelé avec le plus de vénération et même de tendresse dans la tradition juive : le roi David, un croyant doublé d’un musicien et d’un poète, qui a laissé au peuple dont il dirigea les destinées pendant plusieurs siècles un recueil d’hymnes religieuses connues parmi les israélites et les chrétiens sous le nom de Psaumes. Il n’entre point dans mes intentions de soulever la question de l’authenticité de ces Psaumes, mais il est un fiat indéniable, ‘est que chaque fois que leurs rois – ou plutôt leurs sultans – abandonnaient le culte de Jéhovah – le dieu national – pour celui des idoles étrangères un nom venait spontanément sur les lèvres des prêtres, des docteurs, des prophètes, des fidèles des douze tribus : celui de David, l’homme selon le cœur de l’Eternel, l’exemple de la itié et l’image du repentir, l’oint du seigneur, de la postérité duquel devait sortir le Messie. Ceux qui ont lu les Evangiles dits synoptiques savent quelle peine se sont donnée deux des auteurs de ces biographies (?) pour établir que le fondateur du Christianisme eut parmi ses ancêtres David, lequel descendait lui-même en droite ligne d’Adam, fils de Dieu. Aucune des sectes entre lesquelles s’éparpille le christianisme orthodoxe, n’a révoqué en doute cette descendance davidique du Crucifié et du Golgotha.
Je ne désire nullement faire ici œuvre d’exégète. Me tenant sur le terrain purement historique, je voudrais uniquement insister sur ce fait que le roi David ne fut pas toujours le monarque pieux et glorieux, dont les Israélites dispersés se rappelaient avec émotion les prophéties et les chants dans les tristes heures de l’exil et de la captivité. Plusieurs années durant, il du jouer le rôle d’un prétendant doublé d’un aventurier, pourchassé qu’il était par le sultan régnant – son beau-père d’ailleurs – qui voulait s’en débarrasser à la mode orientale, tant il redoutait la popularité qu’avaient acquise à ce jeune homme ses dons naturels et ses exploits. Pour échapper à la jalousie de Saül, pour sauver son existence, David du s’enfuir vers des lieux lointains, déserts, peu ou mal fréquentés, contrefaire l’insensé et subir toute les tribulations qui assaisonnent les jours d’un proscrit.
C’est à ce moment pénible de sa carrière que nous le voyons entouré de gens plus ou moins avouables – sort commun à tous les aventuriers de son espèce. A en croire le texte que nous avons sous les yeux ceux qui se rassemblèrent autour de lui appartenaient à trois catégories : - d’abord, à ceux qui se trouvaient dans la détresse, les déshérités sociaux – ensuite, ceux qui avaient des créanciers et fuyaient les rigueurs des lois mosaïques, les hors-la-loi – enfin, les mécontents, ceux qui pour une raison quelconque avaient à se plaindre ou à souffrir du régime dominant alors en Israël.
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David réunit autour de lui, nous et-il dit, tous ceux qui étaient en proie à la détresse : les malheureux, les misérables, les irrémédiablement pauvres. – Il est évident que ce ne sont pas ceux à qui les circonstances matérielles sourient qui se mêleront, à part rares exceptions, à une aventure du genre de celle dont il est question ici. Ces derniers risquent en effet de perdre ce qu’ils ont acquis – plus ou moins légalement, plus ou moins honnêtement, c’est entendu – mais enfin ce qu’ils possèdent, dans toute tourmente ébranlant un peu l’édifice social. Dès qu’on a de la fortune, dès qu’on s’est engagé en quelque entreprise promettant de rapporter profits et honneurs, dès qu’on s’est embusqué en quelque situation de tout repos, on devient inévitablement un conservateur de ‘ordre de choses établi.
Au contraire, ceux qui ne possèdent rien en propre ; ceux dont les tentatives d’affranchissement économique n’ont jamais réussi ; ceux qui n’ont jamais pu nouer les deux bouts ; ceux que la misère poursuit, pourchasse et déloge successivement de tous leurs lieux de refuge ; ceux qui se demandent au lever du soleil comment ils s’y prendront durant la journée qui s’ouvre pour se procurer de quoi se mettre sous la dent ; ceux qui par manque de souplesse,, et parfois par incapacité, ne peuvent jamais demeurer longtemps chez le même patron ; ceux dont désespèrent et qu’ont abandonnés les œuvres d’assistance religieuse ou laïque, voire les syndicats – et cela sous prétexte de fainéantise incurable ou d’incorrigible indiscipline ; ceux qui n’ont plus de vêtements présentables à se mettre ; ceux qui s’en vont par les rues, la tête baissée, l’œil atone, les souliers bâillant ; tous ceux, en un mot, que la détresse talonne et qui, de quelque côté qu’ils se tournent, l’aperçoivent à leurs trousses, tous ceux-là s’enrôlent facilement dans un mouvement révolutionnaire ou à la suite d’un agitateur habile.
Il me semble les voir défiler, immense procession traînant sur la route poudreuse de la vie leurs pauvres pieds ensanglantés, las de s’être arrêtés tant de fois devant tant de portes, sans avoir jamais rencontré un seuil accueillant… il me semble les voir défiler, hâves, miteux, navrés, troupe innombrable : les sans-ressources, les sans-avenir, les sans-allègresse, ceux qui n’ont jamais eu à eux un sou de trop à dépenser pour se procurer quelque objet d’agrément : un vêtement neuf, un livre cher, un voyage de quelques semaines à la mer ou à la montagne – tous les besogneux auxquels la nécessité, l’horrible nécessité n’a jamais concédé une minute de trêve. Que le tocsin de l’insurrection ébranle les airs, que la voix d’un meneur entreprenant jette un cri de ralliement, ceux d’entre eux auxquels il demeure un reste d’énergie redresseront leur taille courbée et accourront à l’appel ! Ils n’ont rien à perdre que leur pitoyable vie et elle leur a tant pesé qu’ils la regretteront à peine.
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Mais il y avait un autre élément dans la bande dont le futur roi-prophète devint le conducteur. Elle ne comprenait pas que des pauvres et des misérables, elle comptait aussi des hors-la-loi : on en voit figurer dans toutes les éditions. Il s’est trouvé à toutes les périodes du développement des sociétés civilisées des êtres humains qui n’ont pu ou su s’astreindre aux conditions légales de l’existence dans les milieux policés où les circonstances les avaient fait naître ; ces hommes ne se sont jamais accommodés des métiers ou des professions qui y étaient tolérés ou regardés comme honorables ; ils n’ont montré aucun respect pour la propriété d’autrui, faisant à l’occasion bon marché de sa vie, et ont violé sans vergogne toutes les règles sur lesquelles reposent les rapports économiques entre honnêtes gens. Je ne veux pas rechercher ici pourquoi des hommes arrivent à s’évader des obligations imposées pour que subsiste l’ordre social. S’agit-il de tempéraments expansifs auxquels le milieu social n’a pu ou n’a su fournir un champ d’activité adéquat à leurs aptitudes ? – de natures rebelles qui n’ont pas accepté de se résigner aux traits et aux coups d’un sort adverse ? – d’une simple conséquence d’échecs répétés, de désillusions, de réflexions provoquées par la façon singulière dont la société est constituée, se comporte et évolue ? La résolution de ces questions m’entraînerait trop loin, mais tout le monde sait que dans les groupements humains dont l’organisation s’apparentait ou s’apparente à ceux où nous végétons, il a existé des délinquants et des juges, des lois et des échelles de répression, des prisons et des bourreaux.
Dans ces groupements, quiconque a eu maille à partir avec « la justice » n’est pas en odeur de sainteté auprès des « soutiens de la société », des citoyens notables et paisibles. Le hors-la-loi, le repris de justice – caractères déjà en révolte contre l’environnement social, aigri par les châtiments qu’on lui a infligés, ou rendu désespéré par traque dont il est l’objet – se trouve dans la situation d’esprit voulue pour se joindre à tout mouvement de désordre. Il y est porté par instinct, d’abord – son désir de vengeance y trouve ensuite son compte. Le misérable se jette dans une révolte avec l’espoir inavoué, secret, que sa réussite lui acquerra, tout au moins momentanément, un bien-être qu’il ne connaît guère que par ouï-dire. Le hors-la-loi s’y précipite, lui, comme quelqu’un qui n’a plus rien à attendre, plus rien à espérer. Le malheureux donnera à une émeute la tournure d’une revanche prise sur la misère. Le hors-la-loi lui imprimera un caractère plus impitoyable, plus féroce, plus tragique, hanté qu’il est par le souvenir des avanies et des humiliations qui ont rendu sa peine dix fois plus insupportable qu’elle aurait pu être. Les flammes des incendies, le sang coulant en ruisseaux lui sembleront une compensation insuffisante aux mille et un affronts dont il a été abreuvé – les menottes qui lui brisaient les poignets lorsqu’encadrés par des policiers ou des gendarmes il traversait la rue sous les huées de la population effarée les imprécations des petits boutiquiers ou des ouvrières honnêtes, lorsqu’il s’efforçait d’échapper à la force armée qui lui donnait la chasse – les gestes de congé des employeurs lorsqu’en guise de certificats de travail, il n’avait à montrer qu’un casier judiciaire plus ou moins noirci. Inutile de lui demander de la pitié pour ceux qui l’ont accablé de tant de mépris et de tant de dédains – mieux vaudrait supplier un tigre de faire montre de miséricorde. L’espoir d’une journée de mise à sac ferait affronter à un hors-la-loi les périls les plus effrayants.
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Mais un soulèvement n’englobe pas seulement des malheureux et de hors-la-loi – des prolétaires et des illégaux, il comprend fatalement un troisième élément : les mécontents du régime qui déteint le pouvoir, ceux qui n’ont pas obtenu la place qu’ils convoitaient et ceux auxquels on a retiré leur emploi, ceux qui ne se croient pas récompensés selon leurs mérites et ceux auxquels on en a préféré d’autres, moins talentueux, affirment-ils, mais mieux protégés ; ceux enfin dont l’avenir a été compromis par quelque faute, par quelque méprise. Du haut en bas de l’échelle où s’étage la faveur des groupements – ou de ceux qui ont voix au chapitre de la distribution des dignités, des fonctions, des situations – le nombre est immense des hommes qui ont eu à se plaindre d’injustices, de passe-droits réels ou imaginaires. Si la majorité des mécontents garde le silence, se résigne, ou tout au moins ronge sournoisement son frein – quelques-uns par contre s’en vont, faisant claquer les portes derrières eux et rejoignent ceux à qui une mise en vedette trop accentuée a valu d’être mis à la retraite avec plus ou moins de fracas. Qu’une vague d’irritation naisse, se propage dans les bas-fonds sociaux, qu’elle se grossisse de toutes les colères accumulées et comprimées par les forces de menace répressive qui sont à la disposition des dirigeants – les mécontents ne tarderont pas, à leur tour, à emboîter le pas au premier aventurier qui s’avisera de canaliser à son profit la marée montante du courroux débridé de ceux qui n’ont jamais vu en « la société » qu’une marâtre.
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Les hommes réunis autour du futur sultan d’Israël étaient une poignée – une minorité infime – quelques centaines de brigands « perdus de dettes et de crimes ». Contre eux se dressaient toutes les forces du conservatisme social. Ces forces-là pèsent toujours sur le plateau de la balance chaque fois qu’une tempête menace de perturber l’ordre social – elles y pèsent d’autant plus lourdement qu’il s’y agrège l’immense multitude des indifférents et des insensibles, qui s’inclinent toujours du côté où souffle le vent. Les heureux de la vie, les nantis, les satisfaits, les gens honnêtes et ceux de bonne vie et mœurs – ceux dont les affaires prospèrent, ceux dont les coffres-forts regorgent de bonnes créances ou dont le dépôt en banque défie toute crise – ceux que rien n’oblige à fuir au désert, ni la peur de la maréchaussée, ni la crainte des huissiers – ceux qui ne sont jamais allés, n’iront jamais en prison – ceux dont on ne vendra jamais à l’encan le mobilier, la maison ou la terre – et la masse innombrable de ceux qui en dépendent ; tous ceux-là se retrouvent toujours unis pour le maintien du statu quo économique ou politique chaque fois que les fauteurs de désordre manifestent l’intention d’entrer en campagne. Ils savent pourtant qu’ils ont à leur service de formidables puissances : institutions, gouvernants, fonctionnaires, force armée. Mais cela même ne suffit pas à les rassurer quand tout au fond des derniers cercles de l’enfer social quelques damnés font mine de se rebeller contre leur effroyable destin.
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Malgré sa faiblesse, David finit par avoir le dessus. Son cruel beau-père perdit l’existence dans une bataille livrée à un peuple voisin et le royaume fut divisé en deux parties ; notre aventurier fut appelé à régner sur l’une d’elles en attendant que les circonstances lui permissent de réunir tout le territoire d’Israël sous son sceptre. Il n’y a aucun doute que, selon la coutume, ceux de ses anciens acolytes qui vivaient encore à ce moment-là reçurent une récompense, à la condition, bien entendu, de rompre avec leurs habitudes de déprédation. Mais on ne lit nulle part que tant que David régna, le sort des irréguliers et des hors-la-loi fut amélioré. On nous fait bien comprendre que l’ancien chef de bande devint un législateur et un consolidateur de l’ordre social, qu’il rendait la justice selon les formes légales usitées de son temps. Affermi sur son trône, certain de le léguer à sa dynastie, le souvenir de ses jours de vagabondage et de banditisme du s’effacer de sa mémoire ou n’y apparaître que comme une fumée légère, dernier vestige d’un passé à jamais enseveli. Il s’adapta à sa nouvelle situation comme s’adaptent à leur nouveau rang dans la société, les détrousseurs de grand chemin mis en possession d’un héritage qui les décharge de tout souci matériel. Il fut un grand sultan, un roi fameux dont la postérité invoqua le nom, nous l’avons dit, comme synonyme de piété et de religiosité exemplaires.
Mais ce n’est pas comme protecteur ou comme vengeur de ceux que la société met à son ban qu’il apparaît dans l’histoire du peuple hébreu. Il arriva sans nul doute pour les hors-la-loi qui l’avaient accompagné aux sombres heures de sa carrière, ce qui est de règles pour tous les indésirables de leur espèce. Après avoir servi de tremplin à l’ascension d’un prétendant chanceux, ceux d’entre eux qui ne renoncèrent pas à leurs mœurs et à leurs gestes se virent oubliés quand vint le succès.
Heureux, en vérité, durent-ils s’estimer, de ne point se voir exterminer ou déporter, afin qu’il ne restât aucune trace de leur intervention ! Et nous ignorons même si cette récompense ne fut pas l’unique dont ils furent gratifiés.
E. Armand, 1931
Commentaires :
marchal |
Eh ben ! Mes amis… Je ne suis pas prés de laisser mon bâton… AHAH ! Il est terrible cet Armand ! Dans le chapitre III, nous aurons droit à l'Excommunier ! Je plaisante ! Quoique…
Bien sûr le problème est bien là. Qui veut le changement, pourquoi, qui veut le mener ? « Cet "Après". Le décalé que je suis, c'est toujours posé la question. Pendant près de quarante ans ! Depuis le jour ou, la tronche encore un peu boutonneuse, il est entré dans le monde des " esclaves "… C'est pourquoi je me méfie de la seule théorie des égouts… Décalé complètement, surpris aussi de voir, il y a quelques années, lorsque l'En dehors n'avait qu'une petite page, chez son grand frère, qu'il pouvait y avoir des anarco-machins et anarco-autres-trucs. Bizarre ! Bizarre ! Me suis-je dit. Vous avez dit bizarre mon cousin, comme c'est bizarre… Il faut toujours se méfier des choses simples, dès qu'on les rend compliquées. Comme de la simplicité, lorsque c'est trop simple. C'est comme une pipe sur un tableau ! L'indescriptible (Chapitre I) Allez ! J'retourne à mes légumes en attendant le III. Répondre à ce commentaire
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à 11:00