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Lu sur RATP :
La lutte pour les transports gratuits est une manière de s'opposer à l'expression urbaine de l'apartheid social. Les villes occidentales se construisent sur une dichotomie entre zones riches et pauvres. Si aujourd'hui l'état n'a pas encore construit entre ces territoires un « mur de Berlin »1, c'est bien qu'il est confronté à une contradiction : d'un côté, confiner les pauvres, supposés dangereux, dans leur quartier et de l'autre favoriser leur mobilité pour qu'ils puissent se rendre vers les lieu de productivité ( commerces ou usines). Par exemple, l'état pénalise les chômeurs à de la prison ferme quand ils ne peuvent pas payer les transports en commun. Et à l'inverse, il offre la possibilité à ces mêmes chômeurs de voyager gratuitement ( via l'Anpe) lorsqu'ils sont à la recherche d'un emploi. Dans cette double dynamique contradictoire - cloisonnement et émulation de la mobilité -, l'état n'a qu'une solution : le contrôle de cette mobilité. C'est pourquoi la revendication des transports gratuits devient une lutte radicale pour la liberté de circulation.
La mobilité, enjeu de toutes les dominations ?
Toutefois, le contrôle de la mobilité n'est pas simplement un moyen de séparer les pauvres des riches, il est plus largement un outil de domination. Ainsi, notre mobilité n'est pas la même selon les genres. Le schéma, encore souvent d'actualité, de la femme à la maison et de l'homme au travail montre que le dominant bouge et la dominée est immobile ou presque. Comment se libérer de cette domination patriarcale lorsque sa vie se résume à quatre murs ? Pour Claude Maignien : « Les femmes vivent leur enfermement dans un espace qui détermine matériellement leur infériorité ; leur oppression y est évidente : vouées à l'entretien du foyer, à la reproduction de l'espèce, elles sont sans prise sur le monde extérieur, sur l'avenir et ne se dépassent vers la collectivité que par le truchement de l'homme. […] Le rôle dévolu à l'homme c'est l'action, il produit, combat, crée, le monde lui appartient, alors que l'univers de la femme s'est réduit aux murs de son foyer. »2
Priver quelqu'un de sa libre mobilité est d'ailleurs la punition suprême, via la prison, dans les pays qui ont aboli la peine de mort. Michel Foucault parle de mobilité en terme d'espace : « la discipline est avant tout une analyse de l'espace »3. Elle sert à répartir l'individu dans des espaces donnés et à commander leur déplacement. Pouvoir se mouvoir librement est donc terriblement subversif dans une société qui organise nos déplacements. La peine de prison ferme est donc le degré extrême d'une discipline qui s'applique au quotidien : « Sans l'espace, en effet, les disciplines seraient impensables en ce qu'elles reposent toujours à l'armée, à l'école, à l'hôpital, sur des emplacements qui sont des implantations »3. La prison, pense le philisophe, est donc le paradigme de notre société, le cas extrême sur lequel elle s'appuie, et se développe dans tous les espaces de nos vies de manière plus modérée.
Le nomadisme contre la norme
Dès lors, dans une société où la sédentarité est la règle, les peuples nomades sont plus que jamais craints lorsqu'ils ne se soumettent pas aux normes imposées par le pouvoir en place. La société de l'ancien régime, au XVIIIe siècle, distinguait les errants des migrants. « L'errance dans les sociétés traditionnelles est considérée comme un mal et comme un danger en soi, comme un facteur d'anomie. Elle est tolérée et acceptée à deux conditions : qu'elle soit temporaire et ne devienne pas une façon de vivre ; qu'elle soit organisée et encadrée par les institutions et les solidarités de la société toute entière. S'il permet d'améliorer les conditions de vie, le nomadisme est acceptable ; s'il conduit à la remise en cause des formes coutumières de la vie, il devient condamnable. […] Au départ et à l'arrivée le migrant répond de ses actes ; il ne rompt pas avec les autorités, le seigneur, le curé, les notables ; il est reconnu par les organisations coutumières et peut compter sur sa famille. En revanche, l'errant peut susciter la méfiance s'il a rompu les ponts, si les garanties ne fonctionnent plus, s'il trouve dans sa façon de vivre une capacité à survivre et s'il apparaît de plus en plus comme une menace qui déclenche la répression de manière de plus en plus organisée. C'est ainsi que le vagabondage devient un délit. »4 L'évolution du traitement de la nation Rom est riche d'enseignement sur les politiques de contrôle de la mobilité. Leur dénomination traduit les changements de politique : « D'abord appelés "bohémiens" (à travers une législation discriminante d'assimilation), ensuite "nomade" (à travers une volonté discriminante de sédentarisation) et enfin "gens du voyage" (à travers une législation discriminante de surveillance et de contrôle)… ».5 Les craintes qu'ils provoquent sont liés au fait qu'ils peuvent être porteurs d'un savoir, d'idées subversives. Ainsi, dans une période de crise comme la seconde guerre mondiale, un décret de 1940 interdisait la circulation des nomades sous le prétexte que « leurs incessants déplacements au cours desquels les nomades peuvent recueillir de nombreux et importants renseignements, peuvent constituer pour la défense nationale un danger très sérieux. »5 L'anthropologie différencie aussi les peuples selon leur mobilité : nomades, semi-nomades et sédentaires. Cette distinction implique d'autres changements comme les systèmes de parenté, patrimoniaux, de croyance. L'accumulation est, par exemple, quasi inexistante car il est impossible de transporter en permanence les biens. Bref, c'est l'ensemble de la société qui s'appuie sur des valeurs différentes. La crainte de l'état envers les peuples nomades est largement dans les normes et les rapports sociaux différents qu'ils véhiculent. Le contrôle incessant de la mobilité par la société capitaliste invite à s'interroger sur les transformations plus profondes que pourraient entraîner l'existence d'une société de libre mobilité.
Une théorie de l'exploitation par la mobilité
Plus on est riche, plus notre mobilité va vite. Ainsi, 75 % de la population de la planète (essentiellement dans le Sud) se déplace à la force de ses muscles, c'est-à-dire le plus souvent à pied ou à vélo, pour des vitesses oscillant entre cinq et vingt kilomètres à l'heure. D'autres voyagent avec des énergies fossiles et utilisent les deux-roues motorisés, les transports en commun voire une voiture. Plus on est riche, plus on va vite, en achetant, par exemple, une « grosse voiture ». Pour quelques-uns, les déplacements se font en hélicoptère ou encore en jet privé. La mobilité n'est pas seulement un moyen de cloisonner deux mondes, il est aussi un ordre hiérarchique.
Parler d'une théorie de l'exploitation par la mobilité implique que le succès des uns est dû en partie à l'utilisation de l'intervention des autres, dont l'action est méprisée. Aujourd'hui, on peut dire que les « mobiles » exploitent les « immobiles », dans la mesure où ils profitent de leur sédentarisation. Dans notre société en réseau, un chef d'entreprise cherche en permanence à établir des liens, à remplir son carnet d'adresse, à créer des contacts ; pour un jour transformer ce capital social en argent. Mais, ce patron a besoin d'une personne qui reste dans l'entreprise, qui assure l'entretien de ces liens (prises de rendez-vous, informations précises, courriers…). Par exemple, « à quoi servirait un téléphone portable si on ne peut pas trouver au bout du fil, sur place, à la base, quelqu'un qui peut agir à votre place parce qu'il dispose, à portée de la main, de ce sur quoi il faut agir ? »7
Il ne faudrait pas confondre la mobilité d'un patron avec celle d'un immigré. Le premier choisit sa mobilité, tandis que le second la subit. Lorsque le même patron, trop occupé bien sûr, veut manger, il ne se déplace pas. De chez lui, il commande une pizza, que le coursier se chargera d'apporter. Pour satisfaire son immobilité, il a besoin de « mobiles ». L'état a parfois intérêt à la mobilité, comme lorsqu'il construit un barrage. Il n'est alors pas question d'empêcher les gens d'être immobiles. On les déplace vers d'autres territoires. La mobilité n'est donc pas toujours volontaire, elle est souvent subie. Il ne faut donc pas opposer la mobilité à l'immobilité, mais bien le choix d'être mobile ou immobile au fait de subir la mobilité ou l'immobilité.
Il ne s'agit pas ici de défendre la mobilité comme valeur positive (est admiré celui qui voyage aux quatre coins du monde) mais bien de défendre la liberté et l'égalité face à la mobilité. Clairement, cela représente un danger pour les institutions de la société capitaliste car c'est synonyme d'un bouleversement de ses bases. Refuser le contrôle de nos déplacements, c'est refuser la gestion de nos vies par le système. La libre circulation porte en elle une puissance transformatrice, révolutionnaire. C'est pourquoi les luttes pour un libre et égal accès à la mobilité, celles des Roms, des sans-papiers, les luttes contre les prisons, celles de libération des femmes, doivent porter ensemble la revendication de la liberté de circulation.
Gildas
1. Voir photo de la ville de Cuincy (ci-dessous).
2. Madeleine Pelletier, « L'Éducation féministe », Syros (1978).
3. François Boullant, « Michel Foucault et les prisons », PUF (2003).
4. Daniel Roche « Humeurs vagabondes, De la circulation des hommes et de l'utilité des voyages », éd.Fayard (2003).
5. Xavier Rothéa « France, pays des droits des Roms ? Gitans, bohémiens, gens du voyage, tsiganes… », éd.Carobella ex-Natura (2003).
6. Luc Boltanski et Ève Chiapello, « Le Nouvel esprit du capitalisme », éd. Gallimard (1999).
Commentaires :
10 |
thanking@yahoo.comThe blog is very useful.
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à 06:33