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Indymédia Paris : Décryptage de l'idée du revenu garanti universel et examen de ses modalités réelles d'application financement, distribution
CNT-spectacle
L'épreuve de force engagée par le patronat et l'État vise à détruire le
système de protection sociale par répartition, basée sur la solidarité
interprofessionnelle entre tous les salariés. Tandis que les pontes du
MEDEF gèrent la plupart des entreprises d'assurance privée, et tentent
d'accroître leurs profits, l'État s'est donné pour tache de gérer la
masse salariale en faisant tout pour la réduire.
Réduire le nombre des salariés pour accroître les profits
Car, le capitalisme d'aujourd'hui n'a plus besoin de la même masse
salariale qu'au 19e siècle, ou pendant l'ère fordiste, garce en
particulier au progrès technologique. Au contraire, il cherche plus que
jamais à élargir les bénéfices au profit des actionnaires, donc à
réduire la part du capital consacrée aux salariés à travers les
salaires . Pour s'en convaincre, nous n'avons qu'à nous remémorer les
multiples plans sociaux de Mark's et Spencer à Metaleurop en passant
par Alstom, et bien d'autres. Ces plans sociaux qui ont mis au chômage
plusieurs milliers de personnes sont intervenus alors que ces
entreprises jouissaient selon tous les experts économiques d'une bonne
santé.
Normaliser la précarité et détruire la solidarité interprofessionnelle
entre les salariés : l'État et le patronat, main dans la main
C'est pourquoi l'État et le patronat ont veillé au développement du
travail précaire en convoquant toute leur imagination pour multiplier
les contrats et statuts précaires. La précarité salariale leur permet
de disposer d'une main d'œuvre flexible, corvéable et d'abord sous
contrôle. Il s'agit de précariser tous les salariés ; le CDI ne doit
plus être qu'une exception, d'où la naissance et la croissance des
intérims, des CDD, puis des CDD dits d'usage (notamment dans les
professions du spectacle et de l'audiovisuel), des piges, des
emplois-jeunes, CES , CEC, CIE...
Parallèlement, les salariés et les chômeurs ne doivent plus pouvoir
compter sur la solidarité interprofessionnelle et le système de
protection sociale tel qu'il est, basé sur la répartition entre tous
les travailleurs. En effet, ce système juste et solidaire est né au
sortir de la seconde guerre mondiale, de la faiblesse du patronat - qui
avait par ailleurs activement collaboré avec l'occupant nazi.
L'ordonnance du 30 octobre 1946 donne la majorité aux syndicats
ouvriers dans les conseils d'administration des caisses de sécurité
sociale.
Un grignotage constant
Depuis, l'État et le patronat n'ont cessé de chercher à le grignoter
afin de le détruire totalement. Ce grignotage se traduit par plusieurs
choses :
- l'imposition de la gestion paritaire des caisses de sécurité sociale,
d'assurance chômage , et de retraites en lieu et place de la gestion
par les seuls salariés et leurs représentants syndicaux, comme c'était
le cas en 1945 pour la sécurité sociale,
- l'immixtion de l'État dans la gestion des caisses, aux cotés des patrons et des syndicats de salariés
- la séparation des risques sociaux en de nombreuses caisses
La réforme de 1967 de la Sécurité sociale
La réforme de 1967 de la sécurité sociale est une étape importante dans
ce mouvement de dépossession des salariés. Car, d'une part, elle met en
place la gestion paritaire en supprimant la majorité syndicale des 3/4
dans les conseils d'administrations des caisses de sécu, dont les
membres étaient initialement élus au suffrage universel. La gestion
paritaire signifie que les caisses sont gérées à 50% par des
représentants des salariés et à 50% par des représentants du patronat,
alors qu'à leur création, l'ordonnance de 1945 instaure la « gestion
des institutions de la sécurité sociale par les intéressés eux-mêmes »
: les salariés.
Par ailleurs, la réforme supprime l'élection des administrateurs qui
seront désormais désignés par les partenaires sociaux, tandis que les
directeurs des caisses seront désignés par les ministères de tutelle
donc par l'État.
Enfin, la réforme de 1967 sépare les caisses par risque : l'assurance
vieillesse, l'assurance maladie, et les prestations familiales sont
désormais des caisses distinctes, qui doivent parvenir chacune à
l'équilibre, alors qu'auparavant, les trois branches pouvaient se
compenser. La séparation des risques fait aussi partie de la volonté
d'individualisation des salariés qui ne sont plus considérés en tant
que travailleurs, mais en tant que personnes isolées. On s'éloigne à
grands pas de la logique du salaire socialisé.
Individualiser les salariés, déconnecter revenu et travail
Toutes ces mesures ont pour objectif d'une part de casser le poids des
salariés et de leurs représentants dans la gestion des caisses de
protection sociale et d'autre part, d'individualiser au maximum
l'attribution des allocations sociales. En outre, au départ, ces
allocations, étaient basées et indexées sur les salaires, donc sur le
travail, elles constituaient donc un salaire différé, socialisé, qui
était versé aux salariés privés d'emplois, ou ayant eu un accident.
Mais elles sont progressivement déconnectées du travail pour devenir un
revenu lié à l'existence.
L'État, usurier des pauvres
La paix sociale assurant la bonne marche du capital, il importe que
l'État joue bien son rôle de gardien (comme on dit gardien de la paix)
des minima sociaux (ASS,RMI...).
L'immixtion de l'État dans la gestion et le contrôle des caisses de
protection sociale fait partie intégrante de la stratégie de l'État et
du patronat pour déposséder les salariés de leurs droits. Cette
stratégie s'est particulièrement illustrée dans les années 80 avec le
passage (subtile mais fatal) d'un régime dit « d'assurance »,
fonctionnant par répartition et basé sur les cotisations sociales, à un
régime dit de « solidarité », financé et géré par l'État, donc par les
impôts et déconnecté du travail (revenu d'existence). La création du
Revenu Minimum d'Insertion (RMI) en 1988 impose la charité publique en
lieu et place de la solidarité entre les travailleurs. Tout comme le
contrôle et le pouvoir grandissants exercés par l'État à l'intérieur
des caisses de sécurité sociale.
Par ailleurs, la gestion par l'État induit une opacité bien peu
démocratique ; en effet, le budget de l'État obéit à la seule règle de
non-affectation des ressources : il est donc impossible de contrôler
l'utilisation de l'argent prélevé par les impôts ; c'est le cas par
exemple des impôts comme la Contribution Sociale Généralisée ou le
Remboursement de la Dette Sociale, qui tendent à remplacer les
cotisations sociales. Enfin, la fiscalisation par l'impôt de l'État
fonctionne sur le même principe que la capitalisation par les fonds de
pension pour les retraites, c'est le principe de l'épargne :
individuelle et profondément inégale.
Dans ce contexte, on peut imaginer à terme que le revenu d'existence -
alloué aux plus précaires, et distribué gracieusement par charité, à la
place de tout revenu basé sur le travail (chômage, retraites...) -
deviendrait le fond de pension du pauvre qui serait ainsi une sorte
d'actionnaire de l'État providence ! En effet, il s'agit de maintenir
la population à un niveau de revenu tout juste suffisant pour survivre,
voire en la contraignant à accepter les emplois les plus précaires pour
compléter : les allocataires ne doivent pas se complaire dans leur
oisiveté !
Des syndicats aux ordres du pouvoir
Il faut aussi souligner le rôle important des syndicats dits
représentatifs dans le sabotage des droits sociaux des salariés. Tout
d'abord, ils ont laissé et accepté la mise en place du paritarisme dans
les caisses de protection sociale, au profit des patrons, pour des
intérêts d'appareils de bureaucratie syndicale. Ensuite, à la tète de
la gestion des caisses, et abondamment subventionnés par l'État, ils
ont contribué à fabriquer, aux côtés de l'État et des patrons, les
hypothétiques déficits des caisses. Enfin, ils ont bradé les droits des
travailleurs. Ils ont accepté l'individualisation des salariés et des
chômeurs, la diminution des indemnités et des allocations en
encourageant ainsi la concurrence des salariés sur le marché du
travail, alors que les patrons bénéficiaient encore de nouvelles
exonérations de charges sociales...
Les ressources humaines, la contrepartie du revenu d'existence
L'heureux allocataire du revenu d'existence est donc en général
contraint de cumuler son revenu avec une activité. Quand on sait que
80% des offres d'emploi à l'Anpe sont des CDD qui n'excèdent pas deux
mois, on comprend la logique visée et par l'État et par le patronat.
L'objectif est bien d'appauvrir tous azimuts pour disposer d'une main
d'œuvre flexible, toujours plus soumise : que ce soit sur son lieu de
travail (soumise aux contrats les plus précaires) ou par
l'intermédiaire de l'attribution du revenu d'existence (soumise au
contrôle social). Dans tous les cas, l'ex-salarié devenu allocataire à
vie perd tout pouvoir sur son outil de production et sur sa vie, qui
est entre les mains de l'État et du patronat. Le revenu d'existence est
un revenu qui exige une contrepartie en ressources humaines... Ce
contrôle total sur la vie et la production des salariés pourrait
devenir réalité avec le projet de loi sur le Revenu Minimum d'Activité.
Le RMA : un mixte de contrat et statut précaire en dehors de la solidarité interprofessionnelle
Le dernier né (pas encore en place) dans la grande famille des contrats
et statuts précaires, c'est le Revenu Minimum d'Activité, véritable
modèle du genre. Il concerne les RMIstes, soit des personnes déjà en
dehors de la solidarité interprofessionnelle, dont le revenu dépend de
l'État. Le RMA est un contrat de travail de minimum 20h par semaine, en
CDD de 6 mois renouvelable deux fois. La nouveauté du RMA est le
versement du RMI (attribué à l'origine à la personne) directement à son
patron, qui devient en outre son tuteur. Le patron bénéficie ainsi
d'une énorme diminution du coût du poste occupé.
Le RMA correspond totalement à l'idéologie de mise au travail prônée
par le MEDEF et les tenants du pouvoir puisqu'il soumet l'individu à un
contrôle social permanent, tout en le faisant travailler à des prix
défiant toute concurrence (moins de 3 euros de l'heure, alors que le
SMIC horaire est de 6.83 euros), en éliminant toute participation à la
solidarité interprofessionnelle ou à la protection sociale puisque le
RMAste ne paiera une cotisation sociale que sur la base de la part très
réduite de salaire versé par le patron.
Le revenu garanti universel : au service du capitalisme
Dans ce contexte, la revendication d'un revenu garanti universel, basé
sur l'existence et non sur le travail, s'accorde à merveille avec les
projets de l'État et du patronat.
On peut tout à fait imaginer une version de « Revenu Garanti Universel
d'Activité », sur le modèle amélioré du RMA, où le bénéficiaire devrait
justifier de sa production « immatérielle » tous les 3 ou 6 mois, en
étant de fait contraint de participer à l'« essor high-tech et
subjectif de l'entreprise ». Car, avec l'idéologie actuelle du travail,
il serait illusoire de croire que le revenu garanti universel n'exigera
pas une contrepartie sociale. Au regard des rapports économiques
actuels, l'inconditionnalité du revenu est donc largement erronée .
Par ailleurs, ce revenu s'oppose à la conscience de classe encore
présente dans les mobilisations pour la défense des régimes de
répartition. L'individu, et non plus le travailleur, serait encore plus
individualisé et atomisé, ne devant sa survie de consommateur qu'au bon
vouloir de l'État, qui renforcerait ainsi le contrôle et le fichage de
la population.
La seconde contradiction réside dans l'universalité du revenu garanti
universel. Car, il suppose un prélèvement de richesses à l'échelon
planétaire. Comment peut-on demander la gestion par l'État (national)
et parallèlement revendiquer une redistribution universelle ? Si le
revenu était accordé sur une zone limitée, comment l'État ou le pouvoir
administratif de cet espace gérerait-il les nouveaux candidats
extérieurs ou étrangers, sans passer par un contrôle plus répressif aux
frontières ?
De plus, revendiquer un revenu garanti universel conduit à encourager
un renforcement du capitalisme mondial - tout comme la réclamation de
la « Taxe Tobin ». En effet, redistribuer les capitaux nationaux dans
les pays - où le revenu sera efficient - nécessiterait de s'appuyer sur
les avancées néo-libérales faites en matière de délocalisations.
Ce revenu ferait de nous des petits actionnaires solidaires à leur
détriment. Solidaires, non des caisses de sécurité sociale, ni des
exploités des pays en voie de développement capitaliste, mais des
multinationales en concurrence pour le contrôle des humains et des
richesses vivantes, (« immatérielles » ou au contraire très concrètes)
à travers le monde entier.
La mise en place d'un tel revenu, qui peut d'abord paraître séductrice,
conduit directement en fait à l'élimination de tout le système de
protection sociale basé sur la solidarité entre les salariés. Il s'agit
d'individualiser tous les salariés, et à terme de les priver de tout
moyen de pression, et en premier lieu de la pression qu'ils peuvent
exercer à travers la réappropriation ou la confiscation de leur outil
de travail. Mais aussi de les priver de tout pouvoir sur leur propre
vie, soumise à un contrôle permanent et à la merci de l'État,
distributeur du « Dividende garanti universel », et des patrons,
n'offrant plus que des emplois précaires...
La « subjectivation » de l'entreprise
Pour tenir le coup, les salariés seront obligés de toujours plus «
subjectiver » l'entreprise, le capital et le travail étant réconciliés.
Ce mouvement a déjà commencé à se mettre en place et il gagne toujours
plus de terrain. Il correspond à la pensée ultra-libérale qui hisse
l'entreprise au rang de véritable famille et de point d'orgue central
dans la vie du salarié.
Le salarié doit servir l'entreprise aussi bien dans son travail, que
dans sa manière de travailler, et plus loin, sa manière d'être.
Aujourd'hui, les entretiens et les stages proposés aussi bien par
l'Anpe que par les entreprises à leurs salariés cherchent à développer
les capacités personnelles de travail et de comportement des
travailleurs au service de l'entreprise. L'engagement associatif par
exemple sera considéré comme un « plus » par le patron, car il est le
signe des capacités de « dévouement » et d'investissement personnel du
salarié. Il est ici question de véritable coopération, pour ne pas dire
collaboration, appelée « immatérielle », entre les patrons et les
salariés dans une optique de bonne entente, pour la santé de
l'entreprise... Rien de tel pour éloigner le danger de la lutte des
classes !
Le remplacement du rapport capital/travail par le rapport capital/vie
(sur lequel s'appuie la revendication du revenu garanti universel), ne
sert qu'à renforcer l'État et le patronat. Le revenu garanti universel
pourrait être leur nouvel argument - si tant est qu'ils aient besoin
d'arguments - pour accélérer la récupération des acquis sociaux
défendus par des syndicats qui ne sont plus que l'ombre d'eux-mêmes,
domestiqués aux règles fatalistes de l'apathie et de la coercition
économique.
La classe dirigeante a donc bien un réel programme en ce qui concerne
la protection sociale. Et pendant que certains négocient les reculs,
d'autres font le jeu - volontairement ou non, avec ou sans bonnes
intentions - des économistes payés par le pouvoir. La réflexion sur la
mise en pratique et l'institutionnalisation du revenu garanti universel
s'inscrit dans la continuité du système capitaliste.
Ce que propose la CNT
Face à ces attaques contre la protection sociale basée sur la répartition et la solidarité interprofessionnelle,
Pour défendre la logique du salaire socialisé,
Contre toutes les formes de précarité,
la CNT oppose son outil de lutte, à savoir le syndicalisme révolutionnaire et l'anarcho-syndicalisme et revendique :
par rapport aux conditions de travail :
- augmentation générale des salaires,
- lutte contre l'inégalité salariale
- application du code du travail, des conventions collectives
- transformation des contrats précaires en CDI quand c'est choisi
- réduction massive du temps de travail sans flexibilité
- partage du travail pour que tous aient accès au cycle de production,
dans la perspective d'une société basée sur la répartition des
richesses et fondée sur le travail socialement utile
par rapport au système de protection sociale par répartition :
- amélioration et revalorisation des minima sociaux et de toutes les
allocations grâce à une augmentation des cotisations patronales qui
rééquilibreraient la hausse constante des cotisations salariales et
permettraient aux salariés de se réapproprier la plus-value et les
bénéfices patronaux
- élargissement de l'accès aux allocations sociales pour tous (sécu,
retraites, assurance chômage...) dans une harmonisation par le haut des
conditions d'accès, au bénéfice de tous les salariés précaires et de
tous ceux qui ont été exclus de la solidarité interprofessionnelle
- unification des caisses pour une caisse unique de protection sociale, contre tous les risques sociaux
- réappropriation de la gestion des caisses sécu, retraites, assurance
chômage... par les seuls salariés (exclusion du patronat et refus du
paritarisme)
- élections des administrateurs des caisses sur des mandats précis,
révocables à tout moment, contrôlés par les salariés à la base
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