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De la victime à la travailleuse du sexe
L'ARTICLE de Marie-Victoire Louis, paru dans le Monde libertaire, n° 1397, intitulé « Elle est » présente une conception victimiste de la prostitution. Cette conception s'oppose à une analyse anarchiste des phénomènes sociaux dont le principe moteur est l'auto-organisation et la prise en main par les exploité.e.s de leurs propres affaires. Les anarchistes se sont toujours opposés à toute conception avant-gardiste qui consiste à parler « au nom de », pour se référer en permanence au principe fondateur de la 1ère Internationale: « L'émancipation des travailleurs doit être l'oeuvre des travailleurs eux-mêmes. »
La position exprimée par Marie-Victoire Louis est bien caractéristique du courant abolitionniste qui parle sans cesse au nom des prostituées et leur refuse le droit de s'organiser librement. Ce n'est pas la seule option envisagée par les féministes sur la question de la prostitution. D'autres alternatives existent, issues des luttes des prostituées pour améliorer leur condition et sortir du statut de stigmatisées, c'est la perspective ouverte par celles qui se nomment les « travailleuses du sexe ».
Dans ce texte je me limiterai volontairement à la prostitution féminine bien que la prostitution masculine soit devenue un phénomène important et négligé par les abolitionnistes puisqu'il ne concorde guère avec leur analyse mais cette extension aurait nécessité une étude beaucoup plus longue qu'il n'est possible de mener ici.

L'abolitionnisme teinté de prohibitionnisme

M.-V Louis, chercheuse au CNRS développe dans ses divers écrits plusieurs arguments
- La prostitution est le paradigme de l'oppression des femmes, le corps n'est pas une marchandise.
- Elle combat toute forme de réglementation car « la défense la plus élémentaire des droits de la personne ne légitime pas pour autant le droit des femmes à la prostitution ».
- La vente d'un « service sexuel » est comparée à la vente d'organe.
- Dans le système prostitutionnel, défini comme la rencontre des prostituées, des proxénètes et des clients, les femmes sont exploitées et réduites à l'état de marchandises et de victimes par les hommes.
- Dans la mesure où le corps n'est pas une marchandise, le sexe lui-même ne doit pas être l'objet d'un marché. Entre le client et la prostituée, il n'y a pas de contrat mais seulement de l'exploitation. Les prostituées ne font jamais de libre choix lorsqu'elles se livrent à la prostitution.
Elle considère que les courants 'de pensée « familialistes » d'obédience religieuse et opposés au droit à l'IVG, à la contraception et à la libre disposition du corps peuvent nouer des alliances ponctuelles avec les féministes. Ces alliances se réalisent sur la défense du fait que le corps humain est inaliénable et que le sexe ne peut être l'objet d'un marché.
Toute politique doit poser au préalable comme principe que la vente et l'achat de l'accès au corps, au sexe humain doit être considéré comme un crime.

En France M.-V Louis est la principale inspiratrice de l'abolitionnisme bien que ses prises de positions soient en fait plus proches du prohibitionnisme, elles ne semblent guère entraîner de regard critique chez les féministes, sauf de la part de Cabiria dont mes propos sont largement inspirés(1), des collectifs « Femmes publiques » (2) et « Féministes. Net »(3).

Analyse critique du victimisme abolitionniste

Dans les années 80, cette analyse victimiste a été mise en doute à la fois par les auteures féministes Paola Tabet et Gail Pheterson ainsi qu'à l'occasion de la création d'organisations de défense des prostituées: en 1985, (International Commitee for Prostitute Rights et, en 1991, le Network of Sex Work Projects.
Pour Tabet et Pheterson, même si la prostitution est bien l'une des formes de l'oppression des femmes, elle implique une solidarité avec les prostituées.
Paola Tabet établit une continuité d'échange sexuel contre rétribution, de la femme mariée 4 à la prostituée et démontre à quel point la construction de la figure de la prostituée est idéologique. Elle considère même que là sexualité contre compensation ou transaction peut s'interpréter comme une tentative d'affirmation du sujet « femme » .
Le principe selon lequel la prostitution serait un crime contre les femmes qui les réduirait à l'état de victimes esclaves est un frein à leur prise de parole et à leur action autonome. Car ce qui importe c'est qu'elles puissent aller vers un contrôle de leur vie et de leur travail avec un minimum d'autonomie politique. Orle statut de victime que leur assignent les abolitionnistes, les prive de cette autonomie. L'abolitionnisme établit une ligne de démarcation tranchée entre les femmes prostituées qui vendent des services sexuels à plusieurs hommes, et les autres femmes qui mettent à disposition leur corps à un seul homme (y compris dans une succession de relations monogames).
Pour Gail Pheterson, le concept de prostituée est un instrument de contrôle social des femmes. Celles-ci doivent se protéger, ou être protégées des risques de corruption de leur innocence, qui serait fatale uniquement pour elles et pas pour les hommes. Le stigmate de « pute » a une fonction politique: faire la différence entre les femmes u honorables » et les autres, ce stigmate contrôle donc implicitement toutes les femmes.
Selon Gail Pheterson la prostitution offre plus de liberté aux femmes que n'importe quel travail disponible sur le marché.
Elle remarque que « de même que le stigmate de pute et les lois anti-prostitué.e.s sont essentiellement des instruments sexistes de contrôle social, elles sont souvent appliquées de façon raciste et xénophobe, pour satisfaire des stratégies parallèles de répression, telles que le contrôle des migrants. Le stigmate de pute est un outil de répression de l'État dans les démocraties modernes ».
Pour elle, le préalable à toute action est de démystifier la division entre femmes de bonne et de mauvaise vie car les femmes qui clament leur autodétermination en tant que prostituées, perdent leur statut de victimes et en même temps la compassion humanitaire dont elles étaient l'objet. l'objet. Comme elles sont considérées comme le prototype des victimes du patriarcat, elles sont encouragées à quitter leur travail, alors qu'à l'inverse les travailleurs sont encouragés à s'organiser et à demander de meilleures conditions de travail. Les prostituées sont sommées d'abandonner la lutte, plutôt que de résister et demander des droits.
C'est sous l'impulsion de Gail Pheterson qu'une nouvelle organisation internationale de soutien aux prostituées va se créer.

De l'International Commitee for Prostitute Rights au Network of Sex Work Projects.(5)

L'ICPR est composé de prostituées et de féministes. À l'origine Gail Pheterson et Margot
St. James portent le projet dans sa dimension internationale. Dans une volonté affirmée de défense des droits des prostituées, les membres par conscience de l'organisation se définissent comme intellectuelles lesbiennes féministes, leur stigmatisation en tant que les lesbiennes les a amenées à se solidariser avec d'autres femmes victimes d'un stigmate.
Mais, grâce à leurs connaissances et capacités d'organisation, elles finissent par rendre les prostituées dépendantes des ressources qu'elles mettent à leur disposition. Afin de conquérir leur propre indépendance dans la définition de leurs objectifs, un réseau de travailleuses du sexe et d'organismes leur fournissant des services de soutien en matière de santé et de droits se crée, c'est le Network of Sex Work Projects (NSWP) présent dans une quarantaine de pays. Il opère un virage radical dans la conception de la prostitution en mettant le travail au centre de sa stratégie, la notion de travail du sexe remplace celle de prostitution et en élargit la définition à d'autres secteurs: spectacle, cinéma, massage, etc.
Cette mise au centre de la question du travail présente pour nous anarchistes le double avantage de ne plus situer le problème sur un plan moral mais sur celui de la lutte contre l'exploitation du travail, rejoignant ainsi le combat contre toutes les formes d'exploitation du salariat et contre le salariat lui-même mais sans faire de la prostitution un cas à part.
Le NSWP réclame l'application systématique de normes en matière de droits de la personne et de droits du travail (normes internationales élaborées par l'Organisation internationale du travail), plutôt que l'adoption de mesures contre le « trafic » des femmes afin d'assurer aux travailleuses du sexe leurs droits et leur dignité. Les travailleuses du sexe doivent pouvoir voyager librement et obtenir des visas, peu importe leur pays d'origine et leur origine ethnique. Quand elles ont été l'objet d'abus ou de violence dans leur recrutement ou leur travail elles doivent se voir offrir soutien et services appropriés.
Le NSWP considère que la distinction entre prostitution volontaire et forcée est néfaste aux travailleuses du sexe. En effet, cette distinction aboutit à passer sous silence les violations des droits de la personne dans la prostitution volontaire et fait naître une analyse raciste de (industrie du sexe dans les pays en voie de développement: la prostituée volontaire devient la travailleuse du sexe occidentale, autonome, capable de décisions et la « victime » naïve, passive, devient la travailleuse du sexe des pays du Sud, en proie aux trafiquants et assimilée à un enfant.
En deçà de cette vision internationale, qu'en est-il de la situation de la prostitution en France dans une perspective de lutte pour les droits des travailleuses du sexe?
Perspectives en France pour l'autonomie des travailleuses du sexe ?
Au-delà des analyses de Tabet et Pheterson et de celles des organisations internationales, il importe de tirer des enseignements sur la situation de la prostitution en France. Comment se caractérise-t-elle?
- Condamnation, des prostituées pour délit de racolage passif.
- Pas de possibilité pour les prostituées de se constituer en association.
- Pas de sécurité dans la rue.
- Accès à la sécurité sociale; aux soins et au logement limité ou empêché.
- Pas de régularisation pour les étrangères et refus du droit d'asile.
Cette marginalisation et cette insécurité renvoient les prostituées à la protection des proxénètes, .un système prétendument pensé pour lutter contre l'oppression des femmes, les réassignent vers cette 'oppression. Il importe que les anarchistes se livrent à une critique radicale du discours abolitionniste qui est une entrave à l'auto-organisation des travailleuses du sexe.
Le principal argument des abolitionnistes est celui du caractère inaliénable du corps humain. La prostitution est considérée comme un système où le corps de la femme est assimilé à une marchandise et donc ravalé au rang d'objet. Le corps féminin devient un instrument à l'usage des hommes, cet échange ébranle fortement l'identité de la femme et détruit le sens de sa valeur.
Ces postulats considèrent tout d'abord comme une évidence que gagner de l'argent d'un « service sexuel » avilit la personne qui le fait. Or, à moins de porter un jugement moral sur la valeur de certaines parties du corps, pourquoi serait-il plus avilissant de louer son cerveau et son intelligence dans le cadre du salariat que de louer son sexe dans le cadre de la prostitution?
Pour nous, anarchistes, qui luttons contre le puritanisme et l'ordre moral, c'est le salariat dans son ensemble qu'il faut condamner et pas la location de telle partie du corps plutôt que de telle autre.
D'autre part, les abolitionnistes entretiennent la confusion entre vente du corps et vente d'un service sexuel rendu par le corps. Or le travail sexuel n'est pas comparable au don d'organe. Dans la vente ou le don d'organes, l'acte est irrémédiable, alors qu'une fois le service sexuel rendu, la prostituée conserve toutes ses capacités corporelles.
Quant aux assertions psychologisantes sur le vécu des personnes prostituées, elles émanent des services sociaux d'aide à la réinsertion. Quand on sait que pour obtenir une aide, il faut souvent adopter un discours sur soi inspirant la pitié, on peut douter de la validité de ces .représentations sexistes et misérabilistes accumulées autour de la figure de la prostituée.
Les abolitionnistes font silence sur le fait que dans les grandes villes, 30 à 50 % des personnes prostituées sont des hommes. Qu'en est-il dès lors pour eux du statut d'opprimés? Le discours abolitionniste revendique d'un côté le droit à la libre disposition de'son corps avec l'IVG et la contraception mais cette revendication s'arrête là où se profilent un rapport marchand et une conception multipartenariale de la sexualité. Il n'est pas supportable que certaines femmes retournent les standards oppressifs pour en tirer directement des ressources. Les prostituées sont tolérées comme victimes. Mais si elles se revendiquent comme sujet de leur vie et comme travailleuses voulant obtenir des droits, elles reçoivent en retour le jugement moral.
Le droit des prostituées à s'exprimer librement, pose fondamentalement la question
« Comment une femme peut-elle en général revendiquer son autonomie? »
C'est à cette question que les anarchistes répondent par le droit des travailleùrs et des travailleuses du sexe à l'auto-organisation, comme le proclamait et le proclame toujours l'AIT.
Par leurs luttes les prostituées remettent en cause le stigmate « pute » qui divise les femmes en deux catégories, les femmes honnêtes et les autres, moyen de contrôle du désir sexuel féminin pour qu'il reste soumis à l'ordre patriarcal et ne s'exprime pas librement. Ce faisant les prostituées remettent en cause l'ordre moral contre lequel se battent les anarchistes.

L'En Dehors

1. Cabiria Rapport d'activité 2 000. Féminisme et prostitution: http/perso.wanadoo.fr/cabiria/
2. Femmes publiques: « Non à la censure de la parole et de la recherche: autour de l'annulation d'une journée d'étude sur la prostitution »: http://femmespubliques.org/ Féministes. net: http://,n,\vw.feministes.net/prostitution non abolitionnisme.htm
4. Cela rejoint la conception que les anarchistes expriment depuis longtemps, voir par exemple l'Immoralité du mariage par René Chaughi, édité par la Brochure mensuelle en 1923
5. Ces informations sont tirées du texte « Points de repères dans la documentation des coalitions féministes internationales anti-trafic » par Louise Toupin: http://www.cybersolida~res.org/prostitution/docs/trafic.htm Network of Sex Work Projects: http://www.nswp.org
6. C'est la raison qui m'a amené à ne pas distinguer dans ce texte prostitution volontaire et contrainte, non pas que la contrainte et la violence n'existent pas pour obliger des femmes à se prostituer mais parce que cette violence s'inscrit dans le processus d'exploitation et n'a pas à en être distinguée.

Le Monde libertaire #1401 du 2 au 8 juin 2005
Ecrit par libertad, à 22:50 dans la rubrique "Le privé est politique".

Commentaires :

  Anonyme
09-07-05
à 02:01

Correction d'un URL

L'url cité au point 5 de « Points de repères dans la documentation des coalitions féministes internationales anti-trafic » par Louise Toupin est plutôt http://www.cybersolidaires.org/prostitution/docs/trafic.html  

Répondre à ce commentaire

  did
15-08-05
à 10:05

quid de la misère sexuelle?

Bravo pour cet article, qui sort des analyses hypocrites officielles. La femme-toujours-victime et la-prostituée-qui-n'aime -pas-son-métier, voilà des thèmes porteurs pour les naïfs ou roublards de toute espèce.

Mais quid de la misère sexuelle? D'une part des nantis qui profitent d'une certaine liberté des moeurs et se permettent de faire la morale, et de l'autre des miséreux ou plutôt des chômeurs du sexe méprisés, humiliés, honteux voire traînés (racolage passif...) devant les tribunaux (je ne défends bien sûr ni le viol, ni la pédophilie). Est-ce juste?

Cordialement

Un humaniste en colère

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