« Contrat nouvelle embauche » une régression pour flatter les instincts les plus bas !
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Le grand soir : "Le contrat Villepin sera rendu accessible le 1er septembre aux entreprises de moins de vingt salariés...Cela représente environ 98 % des entreprises et cela concerne 1 salarié sur trois (prés de 5 millions) ! Ce n’est pas rien !
D’autant que Villepin a ouvert la porte pour les autres. Le contrat « devra être évalué au fur et à mesure de sa mise en oeuvre, en liaison avec les partenaires sociaux. Nous verrons alors s’il y a lieu de l’adapter dans ses modalités ou dans son champ d’application ». En clair, ce contrat pourra être étendu aux entreprises de plus de vingt salariés : à toutes !
En fait qu’est-ce qui change avec le « contrat nouvelle embauche de deux ans » ?
Selon Villepin : « Les personnes qui seraient embauchées sous ce nouveau régime juridique bénéficieraient d’un préavis de licenciement d’une durée de deux semaines au bout de deux mois de travail ». C’était déjà le cas avant. En fait dans les Cdi « normaux », il n’y avait pas d’indemnités de licenciement avant deux ans révolus. « Au bout de six mois, la durée de ce préavis augmentera en fonction de l’ancienneté ». C’était déjà le cas avant. Il y avait une légère progressivité de préavis, même si le « préavis de deux mois » ne commençait qu’après deux ans révolus.
« En cas de rupture du contrat, l’employeur devra par ailleurs verser une indemnité au salarié. » Ce n’était pas le cas avant, seulement dans le cas d’un Cdd, c’est-à-dire d’une précarité, une « IPE » (« indemnité de précarité ») était versée, égale à 10 % du salaire brut. Dans le cas d’un Cdi, elle était déjà trop peu élevée : deux dixièmes de mois par année d’ancienneté après deux ans. De combien sera l’indemnité de contrat de nouvelle embauche (CNE) ? Si elle est plus basse, que 10 %, et plus basse que 4/10° de mois, le but visé dans ce nouveau contrat c’est aussi de baisser des salaires déjà trop bas...
« Son montant sera déterminé en fonction des salaires déjà versés et pourra être complété par une contribution de reclassement. » Qu’est-ce à dire ? Si elle est « proportionnelle » cela ressemblera à l’Ipe... De combien sera l’indemnité de reclassement ? Quels droits seront ouverts au chômage ?
Villepin a concédé un aménagement sémantique : la « période d’essai » s’appelle « période d’embauche » mais dure deux ans au lieu de deux mois. Elle est censée correspondre à « un temps de consolidation de l’emploi ». Au terme de cette période, le salarié est considéré comme en contrat à durée indéterminée.
Alors quel est le vrai but de ce CNE ?
C’est le fond de la principale mesure du Premier ministre : « permettre à l’employeur de se séparer de ses salariés en contrat de nouvelle embauche sans donner de motif » comme l’y obligeaient les régimes des CDD et des CDI.
Donc in fine, ce qu’il y a de nouveau, ce n’est pas le contrat, mais les modalités de sa rupture, il s’agit essentiellement d’un « nouveau droit licenciement » : on peut mettre dehors n’importe qui, n’importe quand, sans motif, sans procédure, sans recours !
A quel ressort cela fait-il appel vis-à-vis des employeurs puisqu’il s’agit prétendument de les inciter à embaucher ? L’employeur, on le sait, n’embauche que s’il en a besoin : qu’est-ce que le contrat Villepin lui fait comme « cadeau » pour le faire davantage ? Il l’autorise à pouvoir « foutre dehors » son salarié embauché depuis moins de deux ans sans aucun risque juridique.
C’est faire appel au pire : aux plus bas instincts ! C’est permettre la fin de l’état de droit dans la petite entreprise, c’est la destruction de la dernière et fragile barrière qui défend les droits d’un salarié : rendre impossible de faire valoir que les conditions de son licenciement étaient illégales.
Si un salarié refuse des heures supplémentaires impayées, cas le plus fréquent, il pourra être « viré ». C’est dire que si un salarié se présente comme délégué du personnel, (dans les 102 000 entreprises de 11 à 20 salariés concernées) avant deux ans, il pourra être aussi « viré ». Cela veut dire que s’il « déplait » à son petit patron, il peut être renvoyé, du jour au lendemain, sans recours... Déplaire, cela peut vouloir dire n’importe quoi, mais la plupart du temps, cela signifie faire valoir ses droits, faire valoir sa convention, faire valoir ses conditions de travail, sa dignité, refuser d’être « aux ordres ». Le patron peut lui faire faire son café, des travaux chez lui, des boulots qui ne sont pas dans sa compétence, travailler le samedi et le dimanche, rester douze heures de suite, ne pas payer ses frais, ne pas faire de syndicalisme, ni de politique, ne pas aller voter aux prud’hommes, etc... Si le salarié se plaint, hop, il est viré...
Pas besoin de lettre, pas d’écrit, donc pas besoin de motiver, pas de recours aux prud’hommes, pas d’appel à l’inspection du travail, pas de recours syndical, ça ne servira à rien.
Dés que vous enlevez la nécessité de motiver le licenciement, la zone de non droit est totale. (Soyons clairs au passage : même le fait d’être obligé de motiver un licenciement est une protection insuffisante, fragile, car il y a encore des centaines de milliers de licenciements abusifs chaque année ! Ce qu’il faudrait, c’est renforcer le droit du licenciement, pas l’affaiblir ! )
Le Contrat Villepin, comme la période d’essai, sera donc une « zone de non droits », le salarié, pendant deux ans, deux fois 365 jours, ne saura pas, chaque soir, en se couchant, s’il aura encore un travail le lendemain soir ! Il tremblera encore plus la veille du 730° jour, car, en dépit qu’il se soit « défoncé » pendant deux ans, le patron pourra le virer et en reprendre un autre...
Il pourra être « viré » même s’il a refusé de mettre sa vie en danger, (droit de retrait, conditions de travail périlleuses). Il n’aura pas de recours : parce que ce « vidage » (il faut, pour être clair, employer un autre mot que licenciement) n’a pas besoin d’être juridiquement motivé.
Ce « Cne », en dépit des protestations hypocrites de Villepin, c’est la pire des attaques contre le droit du travail.
Elle empêche tous les salariés concernés de faire valoir leurs droits tout en encourageant chez les employeurs concernés, le mépris du droit. Ils peuvent devenir librement des petits despotes assurés de l’impunité. Villepin flatte chez eux le pire des sentiments, celui de l’ignorance, celui du mépris du droit, celui de l’arbitraire ?
Car cela revient à leur dire : « avant le contrat Villepin, vous n’étiez pas libres de virer les salariés comme vous le vouliez, et c’est CELA qui vous empêchait de les embaucher. On vous a compris, on vous encourage, on le fait même par « ordonnances » : on vous fait sauter cette contrainte, on vous livre des salariés pieds et poings liés.
Ils ne pourront plus aller aux prud’hommes contre vous, vous n’aurez plus à vous justifier auprès d’eux quand vous les virerez, même pas à les regarder dans les yeux, pas besoin de les recevoir en entretien préalable, pas besoin de délai, à la seconde, faites leur dire que vous en avez assez de les voir, ils partent et pas de recours, pas de mauvaises surprises, vous en aurez fini avec eux, ils sont jetables ».
Le « contrat nouvelle embauche », c’est ça ! Villepin l’appelle cyniquement un « temps de consolidation de l’emploi » : si les mots ont un sens, consolider ce type d’ emploi, c’est démontrer sa soumission pendant deux ans, c’est accepter de renoncer à l’état de droit dans l’entreprise, c’est renoncer au syndicalisme, aux revendications, c’est se taire, ne pas déplaire, et une fois qu’on a passé le cap de deux ans, c’est consolidé, on continue pareil ?
Gérard Filoche, Inspecteur du Travail
La publication des analyses de Gérard Filoche sur le droit du travail, souvent pertinentes, n'implique pas le soutien à son orientation politique au PS ( note de la rédaction )