Lu sur Ecologie libidinale : "Toute forme de pensée abstraite s'appui sur un vocabulaire : un ensemble de mots ou expressions désignant des concepts. Toute philosophie de la vie, toute idéologie s'appuie sur un corpus de concepts qui lui sont propres.
Ainsi la transmission des idées de génération en génération (et le conditionnement idéologique) se fait-elle efficacement par le simple apprentissage du langage.
Ceci est remarquablement montré dans le roman de George Orwell "Brave new world" (le meilleur des mondes) avec la mise en oeuvre d'une "nov-langue", avec trois niveaux de vocabulaire enseignés (un pour les dirigeants, un pour les bureaucrates, un pour la plèbe) dont l'appauvrissement progressif à pour but de limiter les possibilités de la pensée abstraite.
Ainsi pour changer de système politique, économique, social ou philosophique, il ne suffit pas d'oeuvrer à changer le comportement de la population ou les structures politiques, il faut aussi en déconstruire le vocabulaire et en faire émerger un nouveau.
Jetons à la poubelle de l'histoire les concepts et le vocabulaire du patriarcat et de la répression sexuelle
Notes : certains mots peuvent avoir plusieurs sens, nous ne considérons ici que le sens pertinent par rapport à notre problématique.
La liste qui suit est loin d'être exhaustive. N'hésitez pas à nous fournir d'autres définitions.
- mariage, divorce, époux(-se), conjoint(-e), fiancé(e), entremetteur(-teuse), devoir conjugal
- Le mariage est l'institution clé du système patriarcal, capitaliste et réactionnaire. C'est l'union de deux personnes de sexe opposé, mais aussi l'union de deux familles ou clans.
Les caractéristiques originales du mariage patriarcal sont les suivantes :
Les partenaires sont choisis par les familles (on parle de mariage arrangé, généralement par le biais d'un ou une entremetteuse). Le mariage fait l'objet d'une transaction financière (dot ou achat) impliquant les familles.
Il est un contrat financier (permettant la mise en commun de biens et leur transmission, donnant droit à des avantages fiscaux), un contrat moral (les époux s'engagent à une exclusivité sexuelle, un partenaire ne se peut refuser sexuellement à l'autre, il doit accomplir le "devoir conjugal") et un sacrement religieux qui renforce l'engagement moral (l'engagement est contracté pour la vie). Les futurs époux (les fiancés), au moins la femme, doivent être vierges* avant leur mariage. Les enfants portent le nom du père.
Les règles du mariage se sont parfois assouplies en fonction de l'évolution des sociétés (choix des futurs époux, possibilité de divorce, de remariage, abandon de la virginité, caractère facultatif du sacrement, répression du viol au sein du mariage, transmission du nom de la mère, extension à des personnes de même sexe...). Toutefois ces aménagements ne peuvent changer la nature fondamentalement réactionnaire de cette institution. - monogamie(-andrie), polygamie(-andrie)
- Ces termes n'ont de sens, pour l'être humain, que dans le cadre du mariage*, il définissent les possibilités pour l'un des partenaire de contracter plusieurs mariages simultanément. Dans ce cas l'exclusivité sexuelle est à sens unique.
Les défenseurs du mariage hétérosexuel monogamique prétendent que l'exclusivité sexuelle à vie est naturelle et s'appuient sur l'exemple d'espèces animales ayant ce comportement. Or tous les types de comportements sexuels se rencontrent chez les animaux y compris l'homosexualité.
Quand à la polygamie rencontrée dans les sociétés patriarcales, elle est l'application d'une domination sexuelle des hommes sur les femmes. - "La vie sexuelle monogamique exige un dur labeur de préparation. Tout le plaisir érotique extra et prégénital est canalisé dans les voies de la procréation, c'est à dire de la reproduction de la force de travail , nécessaire au capital." Jean-Marie Brohm, in l'introduction à "La lutte sexuelle des jeunes" de Wilhelm Reich
- famille
- La famille patriarcale autoritaire est la structure de base du système social. Toutes les forces politiques réactionnaires ont pour priorité de défendre la "Famille" et la natalité.
Cette famille se compose d'un couple hétérosexuel marié et de ses enfants. Le père est dépositaire de l'autorité, il a parfois droit de vie et de mort sur son épouse et ses enfants. Les époux se doivent d'avoir des enfants qu'ils devront élever dans le "droit chemin", c'est à dire de leur transmettre les règles et les valeurs de la société. La famille est le lieu privilégié de la reproduction de la structure sociale autoritaire ainsi que de la névrose. - "Ainsi par la famille se maintient et se perpétue à travers les générations la répression sexuelle qui sert de fondement à la soumission des masses, à l'anéantissement du sens critique, à l'angoisse de transgresser l'ordre établi, à la culpabilité du bonheur, toutes choses qui garantissent la solidité de l'état capitaliste et de son appareil répressif." Jean-Marie Brohm, in l'introduction à "La lutte sexuelle des jeunes" de Wilhelm Reich
- fidélité, adultère, cocu, tromper, volage
- La fidélité consiste à appliquer l'exclusivité sexuelle au sein d'un couple (marié ou non). L'infidélité est en général un élément de conflit essentiel au sein des couples. L'infidélité est un fait suffisant pour obtenir le divorce dans le cas d'un couple marié, il est aussi une circonstance atténuante (permettant parfois l'acquittement) dans le cas ou celui qui est trompé (le cocu) assassine son conjoint (on parle dans ce cas de "crime d'honneur*").
Volage est un synonyme d'infidèle en moins péjoratif.
L'adultère (infidélité dans le cadre du mariage*) n'est pas seulement une rupture du contrat moral du mariage, c'est aussi un péché* capital et parfois un crime puni de mort pour les femmes.
L'infidélité de l'homme est généralement une moindre offense que celle de la femme et elle peut être même parfaitement admise si elle s'exerce avec une prostituée (d'où l'age d'or des bordels européens au XIXème siècle.) On admet dans ce cas un "besoin" sexuel de l'homme qu'il ne peut toujours satisfaire avec son épouse. Ce besoin par contre est dénié aux femmes. - "Le mariage bourgeois et le bordel sont indissociables, ces deux institutions sont aussi exécrables l'une que l'autre." Michel Leiris, Journal.
- "Le bonheur d'un homme marié dépend des femmes qu'il n'a pas épousées." in Une femme sans importance, de Oscar Wilde
"Les hommes se marient parce qu'ils sont las ; les femmes parce qu'elles sont curieuses ; les deux sont déçus." in Le Portrait de Doryan Gray, de Oscar Wilde
- amant, maîtresse, concubine
- Désigne un ou une partenaire sexuelle d'une personne vivant en couple, en dehors du couple. Cette notion n'a de sens que par rapport une notion de couple supposant l'exclusivité sexuelle.
- jalousie
- Sentiment éprouvé par celui ou celle qui ne supporte pas l'idée que son partenaire sexuel habituel puisse avoir des relations sexuelles ou sentimentales avec une autre personne. Ce sentiment se fonde sur le désir d'une exclusivité sexuelle c'est à dire d'une relation de possession et de contrôle de l'autre. La jalousie est souvent la motivation des meurtres au sein des couples (dits alors "crimes passionnels").
Lire aussi une petite chanson sur ce thème : "petit propriétaire." - honneur, déshonorer, compromettre la réputation
- La notion patriarcale et puritaine de l'honneur est notamment attachée au comportement sexuel de la femme. Une femme qui a une relation sexuelle hors mariage* (consentie ou non) se déshonore et déshonore également sa famille (parents) et son mari (si elle est mariée). Elle s'expose alors a une punition allant de l'exclusion à la mort.
Il est à noter que dans les sociétés les plus patriarcales, une femme violée est non seulement déshonorée mais aussi considérée comme responsable (par immodestie*) et donc exécutée comme adultère*.
Être vue en compagnie d'un homme autre que parent proche ou mari peut compromettre la réputation d'une femme, c'est à dire jeter un soupçon d'immoralité* sur son comportement. Ceci peut suffire dans certaines sociétés à lui faire subir le châtiment réservé aux femmes "déshonorées". - péché, mauvaise vie, impure, immoral
- Une femme de mauvaise vie (qui "vit dans le péché") est une femme qui a des relations sexuelles en dehors du mariage (qu'elle soit mariée ou non). La notion de péché introduit la morale religieuse (le bien , le mal) dans les relations sexuelles.
- fille facile, salope, pute
- Insultes et qualificatifs dévalorisant visant toute femme qui s'adonne avec plaisir à la sexualité, notamment en variant les partenaires sexuels. Une femme ainsi dévalorisée et méprisée (sans honneur*) sera alors l'objet privilégiée de sollicitations sexuelles violentes de la part des machistes et peut être parfois violée impunément.
Dans les schémas patriarcaux, la femme ne peut être que "mère" ("chaste et pure") ou "putain". ("Toutes des salopes sauf maman" entends-on répéter dans les cours de récréations.)
A l'inverse un homme qui multiplie les "conquêtes" féminines sera parfois valorisé comme "séducteur". - vierge, virginité, immaculé, pureté, souillure
- Vierge se dit d'une personne n'ayant jamais eu de relation sexuelle. L'usage du terme immaculé indique bien que la sexualité est ici considérée comme une tâche, une souillure.
- Voici un fait divers qui s'est déroulé en France dans les années 80 : un garçon avait réussit à inviter chez lui une jeune fille très timide pour prendre le thé. Lorsqu'il essaya de l'embrasser, elle paniqua et se mit à crier. Voulant la faire taire le garçon eu un geste violent et maladroit de la main qui brisa la trachée de la jeune fille. A son enterrement les parents de la jeune fille ont disposé une couronne mortuaire sur laquelle on lisait "morte plutôt que d'avoir été souillée".
- La virginité est "le bien le plus précieux" d'une jeune fille, son honneur* y est attaché (celle qui a conservé sa virginité est dite "pure"). Lorsque la virginité est requise pour le mariage, la femme qui a eu des relations sexuelles ne peut se marier, elle est rejetée par la société et le plus souvent obligée de se prostituer pour survivre. Le caractère physiquement vérifiable de la virginité chez les femmes (hymen) les place bien évidemment en situation de désavantage par rapport aux hommes. A noter que dans ces sociétés il existe un métier bien particulier : celui de recouseuse de virginité !
On peut penser que l'importance accordée à la virginité avant mariage, prolongée par l'exclusivité sexuelle dans le mariage, est liée à l'incertitude dans laquelle se trouve l'homme par rapport à la paternité : cette exclusivité sexuelle lui garanti en effet que les enfants nés de sa femme sont bien les siens, ce qui est très important pour la transmission du patrimoine.
De plus cette exclusivité sexuelle assure au mari que sa femme n'aura pas de point de comparaison et ne sera pas ainsi tentée de chercher un meilleur "amant".
La survivance de l'importance de la virginité dans certains milieux de notre société (exemple : la "bonne société" Versaillaise) conduit certaines jeunes filles à avoir des rapports sexuels basés sur la sodomie pour préserver leur hymen : l'hypocrisie grotesque de ce concept éclate en plein jour ! - pudeur, modestie, honte
- La pudeur consiste à dissimuler ce qui est honteux ou intime : son corps et ses sentiments (de nature amoureuse). L'enseignement de la pudeur (ou "modestie" pour les jeunes filles) est une des principales façon de réprimer durablement les pulsions sexuelles (qui sont considérées comme honteuses) des jeunes.
Les formes les plus extrêmes de pudeur (courantes au XIXème siècle et jusqu'au milieu du XXème siècle dans certains milieux sociaux) vont jusqu'à interdire aux femmes la vision de leur propre corps : elles se lavent alors vêtues d'une chemise.
Les puritains désignent généralement les organes génitaux par la périphrase "parties honteuses".
En art, la figure de la "Vénus pudique" est une représentation d'une femme nue dissimulant à l'aide de ses mains sa poitrine et son entrejambes. - chasteté, abstinence
- L'abstinence sexuelle est valorisée (au moins lorsqu'elle concerne les femmes) dans les milieux patriarcaux et religieux. La chasteté est souvent imposée aux représentants de la religion. Les perturbations psychiques et corporelles qu'elle entraîne sont favorables aux "délires mystiques" mais conduisent aussi aux perversions et crimes sexuels.
Chaste est parfois utilisé comme synonyme de pudique. Est chaste une personne ou une relation qui ne donne pas prise aux fantasmes sexuels. - platonique
- se dit d'une relation amoureuse d'où les contacts sexuels sont volontairement absents. Les partenaires s'astreignent à la chasteté par timidité (répression intégrée de leur propre sexualité), pour ne pas commettre de péché* (adultère ou relations sexuelles avant le mariage) ou pour conserver leur virginité*.
- luxure, permissivité
- La luxure est un péché* capital qui consiste à s'adonner aux fantasmes ou activités sexuelles sans retenue. Les puritains stigmatisent ce qu'ils appellent la "permissivité" (la liberté sexuelle) en lui attribuant tous les maux sociaux (crimes et perversions sexuels, violence, régression de la "morale"...)
- contre-nature
- Est dite "contre-nature" toute forme de sexualité non strictement hétérosexuelle. Ce qui est évidemment absurde au regard des situations variées rencontrées dans le règne animal.
L'étape suivante : éliminons le vocabulaire des catégories sexistes
Le sexisme s'appui sur la distinction de genre, il catégorise les individus en "hommes" et "femmes" auxquels il attribue des caractéristiques, des valeurs, des rôles et des tâches distinctes. Évidemment le sexiste ne saurait accepter qu'en chaque personne se mêlent des caractéristiques masculines et féminines et il rejette violemment les personnes qui transgressent les catégories de genre (trans-sexuels, queer...). Lutter contre le sexisme et pour l'égalité des sexes nécessite une déconstruction des notions d'homme et de femme... Il en va de même pour les catégories liées à la préférence sexuelle.
- homme, femme
- Le genre est une construction sociale qui vient se surimposer sur les différences sexuelles et défini ce qu'est "une femme" et "un homme" dans la société. Ainsi dans les schémas patriarcaux la femme doit être belle ("soit belle et tais-toi"), coquette (au moins pour son mari, si elle est voilée...), elle sert en général de faire-valoir à son compagnon à qui échoit la force (voir le costume à épaules rembourrées), l'intelligence et le sens des responsabilité.
La distinction de genre doit aussi passer par le vêtement : ainsi vit-on dans les années soixante-dix (émergence de la mode "unisexe" accompagnant la "libération sexuelle") des rafles de police ayant pour objet de couper les cheveux des hippies de sexe masculin (ex : à Rome, à Athènes) ou de fendre les pantalons des femmes (au Chili). Réactions pitoyables de politiciens réactionnaires affolés par le mélange des genres et l'ambiguïté sexuelle qui ébranlent l'Ordre établi.
Par ailleurs on remarquera que dans les pays musulmans les femmes doivent s'épiler entièrement le corps, le poil étant considéré comme une caractéristique spécifiquement masculine. - hétérosexuel(-le), bisexuel(-le), homosexuel(-le)
- Officiellement l'hétérosexualité est la seule forme de sexualité admissible dans les schémas réactionnaires patriarcaux (ce ne fut pas toujours le cas, l'antiquité grecque fit grand cas de l'homosexualité masculine). Toutefois on remarquera que les milieux virils réactionnaires sont souvent le lieu de pratiques homosexuelles non assumées comme telles (armée, internats de garçons, église.)
Pour le réactionnaire, l'homosexuel masculin n'est pas un vrai homme. Ainsi l'insulte homophobe (pédé, tapette...) est-elle privilégiée dans la cour de récréation ou dans la caserne. Quand à la lesbienne c'est une mal-baisée à qui il conviendrait de montrer ce qu'est un homme, un vrai, pour la remettre dans le droit chemin.
Or nous savons, au moins depuis Freud, que chaque être humain naît potentiellement bisexuel et que ses interactions précoces avec son entourage peuvent lui faire perdre cette capacité et l'orienter vers une préférence sexuelle plus exclusive.
En réalité l'établissement de ces catégories répond à un besoin réactionnaire de définir la "normalité" et sert à établir des discriminations sociales.
Pour en savoir plus sur la déconstruction des catégories de genre, lire le livre de Monique Wittig "La pensée straight", 1992. Fiche de lecture sur le site de Mix-cité.
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