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Autogestion
Modèle, d'organisation sociale, concept revendiqué (et souvent déformé) par certains syndicats, l'autogestion, pour le plus grand nombre, demeure une idée floue, voire une pure utopie. Cependant, certaines expériences récentes nous rappellent qu'elle demeure d'actualité. La parution, ces jours derniers, de la brochure L'Autogestion anarchiste, nous fournit l'occasion de revenir sur ces pratiques, tout en ébauchant quelques pistes de réflexion. Un dossier réalisé en collaboration avec les Éditions du Monde libertaire.



« L'autogestion ne se résume pas à la gestion d'une entreprise ! »

Entretien avec Daniel de la CNT-PTT

Quel es ton parcours syndical ?

Suite au concours de facteur, dès que j'ai été nommé ( à Lyon RP ), j'ai adhéré à une organisation syndicale qui me paraissant à l'époque la plus combative et qui se réclamait de l'autogestion, à savoir la CFDT. C'était en février 77.
Pourtant, quelques mois plus tard, mon syndicat, le syndicat PTT du Rhône, connaîtra un conflit interne mené par les bureaucrates. Le bureau syndical a suspendu la commission exécutive de la section syndicale des centres de tri - qui était une section syndicale parmi les plus importantes (plus de 100 adhérents) et les plus combatives. Cette section se revendiquait de l'autogestion; au bureau de section et à la commission exécutive, siégeaient déjà des anarcho-syndicalistes. Le prétexte invoqué était que celte-ci avait appelé à manifester à Malville, contre le surgénérateur nucléaire Superphénix, en juillet 1977. À cette époque, le centre de tri de Lyon-Gare connaissait également une restructuration (mise en place de l'automatisation du tri) et, avec la décapitation de la section syndicale, c'était un mauvais coup porté aux intérêts des travailleurs. Après un an de luttes, les bureaucrates ont eu le dessus. Des camarades ont alors pensé qu'il fallait créer une nouvelle structure syndicale: le SAT, Syndicat autogestionnaire des travailleurs, en 1978. Dès le départ, le SAT a regroupé une cinquantaine de travailleurs des centres de tri du Rhône. Bien que n'étant pas reconnu par la direction, le SAT a mené des luttes dures. Nous avions de l'influence et de la force, car nous étions à l'écoute des travailleurs ; on organisait souvent des assemblées générales, les cahiers de revendications étaient élaborés après consultation de tout le monde... Ce sont des pratiques autogestionnaires aussi. C'est l'outil syndical qui portait les revendications, mais c'était la base qui exprimait ses souhaits.
Cette pratique du SAT a été menée jusqu'en 1985 où un débat a traversé l'organisation. C'était un syndicat localiste qui n'avait pas d'équivalent ailleurs, même si on avait des contacts avec le syndicat parisien SDB (Syndicat démocratique des banques), ou un syndicat d'Usinor Dunkerque et même la CNT, qui était groupusculaire à l'époque. Le SAT a crevé de ce corporatisme, de ce localisme, de ce manque de développement. Lorsqu'on l'a fondé, on a pensé que d'autres SAT allaient se créer partout, et qu'il aurait été possible de les fédérer. D'autre part, beaucoup de militants du SAT ont subi la répression de la direction: moi-même, j'ai été rétrogradé, muté d'office... mais quand on fait du syndicalisme, on en paye les conséquences, on sait que c'est le prix de la liberté!
Donc, des camarades du SAT pensaient qu'il fallait retourner dans les organisations réformistes, de masse... Ils étaient prêts à retourner à la CFDT qui avait même abandonné les références à l'autogestion! D'autres pensaient qu'il fallait privilégier cette piste du syndicalisme révolutionnaire et autogestionnaire, et les contacts que l'on avait avec des camarades de la CNT qui avaient envie de s'implanter sérieusement nous ont convaincus. Nous fûmes une quinzaine à faire ce choix-là. C'était en décembre 1985. Au fil du temps, l'implantation de la CNT s'est élargie, malgré la répression syndicale et les restructurations.

Selon toi, pourquoi les organisations syndicales ne pratiquent-elles pas l'autogestion?

Aujourd'hui, les grandes confédérations, dans les plus grosses boîtes du privé comme du public - leurs bastions -, ont, pour fonctionner, les cotisations des adhérents, mais aussi des permanents, et des agents détachés par les administrations et directions des entreprises. C'est un syndicalisme qui est de plus en plus intégré. Si le syndicalisme dépend des permanents, le syndiqué ne contrôle plus son organisation; le permanent, qui ne connaît plus les problèmes des travailleurs, prend des décisions en leur nom. Ce syndicalisme-là repose sur des gens qui sont déconnectés de la réalité quotidienne des salariés, côtoient souvent les directions car ils siègent de commission en réunion où rien d'important ne se décide. Leur rôle est consultatif, les décisions ont déjà été prises, ailleurs. Comme la création de la Banque postale, aujourd'hui.

Le côté massif de ces organisations syndicales n'amène pas la nécessité des permanents?

Je ne crois pas. Qu'une organisation de taille importante embauche des camarades uniquement pour des tâches techniques, sous contrôle des syndiqués, même si cela ne va pas sans poser des problèmes, de rapports de subordination par exemple, je n'y suis pas opposé. Par contre, aujourd'hui, les permanents sont politiques et prennent des décisions, ce n'est pas compatible avec une organisation autogérée. En même temps, s'il y a des permanents, c'est aussi parce que lorsqu'ils travaillent à temps plein, les salariés, les syndiqués n'ont pas toujours envie de s'occuper des affaires qui les concernent et ils préfèrent souvent déléguer leur représentation à des bureaucrates. Ils n'ont plus alors qu'à obéir aux consignes, même si souvent ils râlent. Il faudrait donc dégager du temps de travail pour permettre à un maximum de personnes de prendre en main ce qui les regarde. À la CNT, on utilise uniquement les détachements syndicaux pour assurer et permettre de réunir des congrès; toutes les autres réunions se font en dehors du temps de travail, comme autrefois au SAT.

Comment concrétises-tu les pratiques autogestionnaires dans ta pratique syndicale?

D'abord, je crois que, pour cela, il faut avoir envie de renverser cette société qui repose sur l'exploitation de l'homme par l'homme. On ne peut pas instaurer une société autogestionnaire dans le cadre de ce système. Ce doit être clair. C'est pour cela que les pratiques autogestionnaires développées par la CFDT ont failli, et cette organisation est devenue ce que lori sait. Or, c'est aux travailleurs qui font fonctionner la société, chacun à leur niveau, qu'il revient de gérer cette société. Il faut que le syndicalisme qui souhaite avoir des pratiques autogestionnaires veuille une société qui donnera aux producteurs le contrôle et la gestion de cette société-là. Ça, ce sont les grands objectifs.
Maintenant, concrètement et au quotidien, il faut que les décisions soient élaborées à la base, que les gens soient syndiqués ou non, en tenant en compte des intérêts de toutes les catégories de travailleurs, il ne faut pas les opposer, exprimer des revendications unifiantes, en demandant des mesures égalitaires. Aujourd'hui, la lutte pour les augmentations de salaire est quelque chose d'indispensable; plutôt que de se battre pour des pourcentages qui ne profitent surtout qu'à ceux qui ont les salaires les plus élevés, il fâut se battre pour des augmentations uniformes comme le propose la CNT. Ou pour des augmentations inversement proportionnelles aux salaires, c'est-àdire plus fortes pour les bas salaires que pour les salaires élevés. Même si ça heurte certaines personnes.
Tout doit être mis sur la table, discuté, avec tout le monde, même si ce n'est pas facile de réunir les salariés, en dehors du temps de travail, en dehors des périodes de luttes, pour décider de tout cela. Mais c'est indispensable aussi. Souvent, on me dit: «Toi, tu es compétent, on te fait confiance. » C'est le piège à éviter.

Quel est le lien entre anarchosyndicalisme et autogestion?

L'anarchosyndicalisme est un outil pour changer cette société inique. C'est aussi un outil pour défendre les revendications immédiates, qui ne sont pas révolutionnaires en soi. Mais c'est à partir de ces revendications que, dans la lutte, se forgent des pratiques qui, le jour venu, dans vingt, trente ou cinquante ans, permettront de gérer toute la société, au travail, dans la commune, à tous les échelons, car l'autogestion ne se résume pas à la gestion d'une entreprise.

Qu'est-ce que l'autogestion amène à ta pratique syndicale?

je ne crois pas qu'il y ait des hommes ou des femmes qui soient à l'abri de dérives, même les meilleurs d'entre nous peuvent se comporter comme les pires des bureaucrates. C'est Louise Michel qui disait: « Le pouvoir est maudit, c'est pour cela que je suis anarchiste. » C'est donc une remise en cause permanente, je suis délégué syndical dans la boîte où je travaille, mais lorsque je prends la parole au nom des travailleurs, il faut bien que cela soit en leur nom, pas au mien. je dois donc consulter mes collègues de travail, même si eux aussi peuvent se tromper: parfois, je suis en total désaccord avec eux. je dois donc leur expliquer en quoi telle ou telle proposition de la direction peut mettre en danger des droits ou des statuts.
Mais, en permanence, il faut organiser des réunions pour que tout le monde puisse prendre des décisions, être mis au courant, prendre la parole. Et, parfois, on a de mauvais réflexes en prenant une décision sans consultation. D'où la nécessité d'une section syndicale, qui est là aussi pour dire: « Eh dis donc camarade, on aimerait être consulté un peu là! » C'est pour cela qu'il faut former
maximum de personnes à cette pratique-là Une organisation la plus révolutionnaire q soit peut prendre des décisions sans consulter la base. La CNT en Espagne a dû faire de conneries monumentales dans le feu de l'action, par manque de temps, etc. Il faut de volonté! Si la rotation des tâches est dure mettre en place, à la CNT, elle l'est certain ment plus fortement ailleurs.

As-tu gagné dès gens à la cause autogestionnaire?

C'est difficile de répondre. Je crois beaucoup la valeur de l'exemple, on ne peut pas av une conduite de bureaucrate et un disco libertaire. À l'heure actuelle, il n'y a pas d'adhésion en masse vers les organisations se réclamant de l'autogestion, mais il ne faut p désespérer, car je pense que c'est uniquement par les luttes sociales et syndicales que no arriverons à inverser la tendance actuelle certainement pas par les luttes électorales politiciennes.
La tâche est immense et nous devons no y atteler sans relâche.

Le Monde libertaire #1424 du 2 au 8 février 2006
Ecrit par libertad, à 21:17 dans la rubrique "Pour comprendre".



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