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Anarchisme et Ecologie Sociale (suite)
Pour quelle raison faudrait-il que nous nous sentions impliqués dans une société dont les perceptions que nous en avons en nos corps et en nos âmes ne nous en font ressentir que de l'abjection et du ressentiment dus aux injustices, hypocrisie et autres saloperies qui en émanent le triste parcours. Et pourtant, nous y sommes bel et bien impliqués, de façon fort diverse soit et inégalement toutefois, dans cette soupe morbide tendant à nous faire oublier que nous sommes des êtres vivant, des corps pensant et agissant, des expressions de vie.

 


L'implication se déroule justement le plus souvent corrélativement à une ignorance qui la transforme en pâtir. Une ignorance qui, en élevant la conscience au rang suprême de la réalisation humaine, donne immanquablement de la raison une image valorisant le devoir, devoir limitant l'humain au rôle de rouage d'une méga-machine sociale et toujours servant cette dernière dans l'intérêt de son auto-reproduction.


Or, le seul devoir dont nous puissions en établir une ligne de conduite, et non une loi, est le devoir de faire, inspiré par les virtualités que nous offre le présent en tant que responsabilités.


« il faut souscrire aux mots de Jules Romain : A la guerre, il n'y a pas de victimes innocentes. » Jean-Paul Sartre


La responsabilité de « faire corps » avec le présent implique de ne pas seulement percevoir celui-ci au-travers d'une conscience nous limitant à un aspect unidimensionnel de ce présent, un maintenant, instantané réducteur, mais aussi avec un aspect englobant le passé en tant que déterminations non prédictibles et le futur en tant que virtualités et possibilités. Le présent devient alors le lieu de l'action et de la responsabilité. Le devoir en émane par la connaissance des situations et des possibilités qui nous sont offertes de faire émerger une rupture dans la continuité de ce qui nous parait insupportable.


« ......nous proposons de ne pas confondre l'individu avec le sujet. Le sujet serait ainsi une instance où le désir permettrait la liberté et la décision. Nous ne nous référons pas au sujet volontaire et conscient et rationnel de la philosophie classique, mais plutôt à un sujet qui se sait limité, fragile, traversé par la violence, l'incertitude, lié à l'inconscient personnel et social, pétris par le langage, institué par la loi, contraint par la domination, fait de chair et de sang, mais aussi d'émotion, d'imaginaire et de symbolique, de liens avec les autres humains, plongé dans une histoire personnelle et collective pas toujours facile à assumer. Ce sujet, qui a le souci de l'être et pas seulement de l'avoir, peut accepter l'évènement et décider en situation pour viser un impossible (au sens où la novation provoque toujours une rupture dans le réel), il est imprévisible et erratique, voire éphémère. » Philippe Coutant


Nous pouvons aussi dire que tout dépend de la conception que l'on peut avoir de l'individu : ou bien l'être de raison, s'efforçant d'élever sa conscience au pinacle de la réalisation humaine et par là-même de se séparer idéalement de ce qui est alors considéré comme inférieur, primitif, sauvage, la nature, le corporel, l'instinctif, ou l'être intégral, reconnaissant sa pleine et entière participation à tous les aspects de la vie et de ce qui fonde chaque situation au travers de sa propre multiplicité, et dont l'expérience de l'agir le rapproche toujours un peu plus de sa complétude, de sa propre réalisation. Ou l'individu abstrait, isolé dans sa bulle d'intérêts illusoires, et pourtant, élément de massification, cause d'ignorance, ou l'individu singulier, connaissant, participant par l'expérimentation, ou par la vie tout simplement, à l'émergence des réalités et y assumant par effet de « feed back » sa responsabilité en tant que acteur vivant et désirant.


La responsabilité s'inscrit comme le véritable facteur de liberté, non d'une liberté imaginaire, fondée sur une conscience séparée du corps et supposée toute puissante à engendrer un homme virtuel doté d'une raison déconnectée de ce qui fonde l'être (la raison économique, politique, scientiste...), mais une liberté liée aux soubassements culturels, naturels, historiques d'où émerge l'individu et donnant à celui-ci la possibilité (la compossibilité) d'agir concrètement sur sa vie afin de lui donner le sens nécessaire pour un devenir en constante évolution. Cette dernière liberté suppose d'assumer pleinement ce que l'on est car :


« Les hommes se croient libres pour cette seule cause qu'ils sont conscients de leurs actions et ignorants des causes par où ils sont déterminés » Spinoza « Ethique » livre III


D'où :


« Connaitre ces déterminations est précisément la base de toute possibilité d'agir : ne pas croire à la liberté individuelle et au libre arbitre est ce qui permet paradoxalement un agir libre. » Miguel benasayag « Organismes et artefacts »


Cette responsabilité qui ne ramène pas au droit et à la morale mais à l'éthique, est le propre d'une écologie qui considère de façon théorique et pratique que l'humain ne pourra se réorienter vers une véritable liberté, et vers l'élaboration d'une société libre et écologique, que s'il s'efforce de se débarrasser des illusions modernistes et progressistes (propres au système capitaliste) qui lui voilent la vision de sa personne en tant qu'être complexe, et corrélativement, s'il accepte pleinement toute l'étendue de son être, des horizons naturels aux horizons culturels en passant par le corporel, l'historique, le linguistique...Le développement de la puissance de l'individu, puissance créatrice de vie, ainsi que l'acceptation pleine de entière de sa responsabilité vis à vis de celle-ci est à ce prix : la remise en cause de toute domination et la re-connaissance du déploiement de sa personnalité en tout point de l'écosystème (au sens large) dont il en est une parti, et le centre en tout point.


« ....chaque organisme non bridé déploie spontanément ses puissances, s'agence avec d'autres dans des paysages écologiques en participant au développement d'un « endosquelette » (individuel ou commun), ensemble multiples de tendances et de tropismes qui le caractérisent. » Miguel Benasayag ibid..


L'unité-dans-la-diversité relative, ou le tout dans la partie, principe même de l'écologie sociale, repose sur l'idée de l'émergence continue de la création comme résultante et condition de production de la singularité, de l'unité, conditionnée par la puissance d'agir propre aux êtres libres en recherche d'autonomie.


« La puissance d'agir n'est pas identifiable aux actions exercées par un automate, mais à ce qui est produit par une singularité, une unité. La singularité agit et sa puissance d'agir produit à son tour la singularité. Contrairement à ce que croit la morale utilitariste, un organisme, une espèce, une niche écologique, bref un être vivant, dans des situations concrètes, « préfèrera » mourir plutôt que ne pas vivre sa vie. L'organisme et les organismes agencés suivent des voies qui leur sont propres. Elles peuvent ne pas correspondre à certains idéaux sociaux imposés par l'idéologie dominante (comme aujourd'hui l'impératif de la « recherche du bonheur ») ou bien être en contradiction avec certaines orientations historiques ; dans ce cas, la vie perd de la puissance si elle n'arrive pas à résister à la tendance qui la met en danger. C'est aussi pourquoi la critique des injustices sociales n'a nul besoin d'être programmatique, c'est la vie elle-même qui se trouve en opposition avec certaines formes d'organisation sociales ou certains modes de production. » Miguel Benasayag ibid


La responsabilité écologique va donc bien au-delà de la simple et pourtant indispensable sauvegarde des forêts, des p'tits zoizaux, de notre « environnement », qui s'accorde éventuellement très bien avec l'établissement de nouvelles formes de dominations, mais surtout avec l'approfondissement de la négation de ce qui constitue l'humain, de sa complexité, de sa nécessité, son désir, donc de sa liberté dans le cas où cette responsabilité est interprété en tant que morale, que devoir, de la part d'êtres disciplinés « en vert ».


Une véritable écologie qui place l'humain au centre d'une conception évolutionniste « n’accepte pas l’idéal illusoire et en réalité répressif d’une individualité en complète harmonie et totalement intégrée. Elle considère plutôt le moi comme un tout en développement, une unité-dans-la-diversité relative, un tout en constant processus d’autotransformation et d’autotranscendance. La multiplicité même du moi, le " chaos à l’intérieur de l’un ", est hautement valorisée, puisqu’elle atteste de l’expansivité de l’individualité et de notre continuité avec un contexte plus vaste de l’être, de la vie, de la conscience, de l’esprit. Une telle vue de l’individualité témoigne d’un respect pour le caractère unique de chaque personne et pour l’effort de chacun vers un bien hautement particularisé (en quelque sorte incomparable) qui découle de sa propre nature, masculine ou féminine. » John Clark


La recherche de liberté pour l'individu singulier, chaque acte qui porte en lui une part de réalisation de désir, d'accomplissement, de transcendance, sont à la base de tout projet en devenir visant à faire société, et de façon permanente. Donc à élaborer par la critique adéquate et la libre association un monde où toute velléité contre la nature profonde de la vie se verra confronté aux responsabilités assumées d'individus mus par le désir de vivre leurs vies et connaissant le fait qui ceci ne se peut pleinement qu'à la condition qu'il en soit possible pour chacun(e) et pour la nature en tant que naturante et naturée en tout individu.


« On peut encore parler de Dieu (comme le fait Spinoza, et comme, de son propre point de vue, il a raison de le faire) pour désigner cette activité productrice immanente aux choses,cette productivité infinie et inépuisable de toute la nature,mais à la condition de bien se rappeler ce que cela veut dire : la nature naturante, c'est la nature en tant que naturante, la nature considérée dans son aspect producteur isolé par abstraction ; et la nature naturée, ou les modes, ce sont les structures qu'elle se donne en se déployant , la nature en tant que naturée ; mais dans la réalité, il n'y a que des individus plus ou moins composés, dont chacun (naturant et naturé à la fois) s'efforce de produire tout ce qu'il peut, et de se produire et de se reproduire soi-même en produisant tout ce qu'il peut : l'ontologie concrète commence avec la théorie du conatus. » Alexandre Matheron


Mais n'est-ce pas là le principe même de l'anarchie ? De faire en sorte que nous puissions élaborer sans cesse une société dans laquelle les individus aurons librement accès aux conditions nécessaires de la réalisation de leurs vies ; « sans cesse » car il ne pourrait être possible de concevoir une telle société comme un système prédéterminé, issu d'un plan préconçu, et cristallisé autour d'un idéal hypothétique et réellement jamais atteint (d'autant moins que la cristallisation d'une société en « système » sociétal éloignerait inévitablement celle-ci de tout idéal fondateur). Une telle société humaine, aboutissement logique d'un processus épistémologique de réalisation de la vie en l'Homme, est produit et condition d'émergences, donc, jamais figée mais en constante évolution. Une société, si elle ne devrait pas être un « système », ne devrait pas non plus représenter un but au sein duquel les individus seraient sensés trouver la possibilité d'appliquer leur « vrai nature humaine », ou leur vocation :


« ...qu'aucun devoir ne s'impose naturellement à l'homme, que celui-ci n'est en naissant l'objet d'aucune vocation, qu'il n'a aucune mission à remplir et enfin qu'une seule réalité naturelle le domine : l'instinct de vivre, qui lui sera d'autant plus favorable qu'il voudra plus passionnément étreindre son objet : la vie. » Manuel Devaldès in « Réflexions sur l'individualisme »


Cet instinct de vivre qui pousse à adopter une attitude adéquate vis à vis de ce qui vie, et qui souffre parfois par manque de liberté, de respect : la responsabilité. C'est alors que l'anarchie, cet état de révolution permanente, rejoint l'écologie, non celle des bobos ou des politicards carriéristes, des « colmateurs de brèches », pauvres naifs illusionnés par le « progrès », mais celle de ceux qui avancent effrontément que l'assomption de leur être, de leur vie, est la première des écologies (cette assomption ne saurait impliquer non plus un retour idéologique vers une illusoire pureté des temps pré-industriels ! Un retour à une terre sacralisée, source de différentialismes, de dominations patriarcales et hiérarchiques communautaires).


Une écologie foncièrement radicale, qui déclare que la lutte contre toutes les formes de domination systémiques (ou traditionnelles) est l'acte créateur par excellence d'émergences régénératrices. Un désir d'harmonie qui se fonde sur ce que l'humain peut le plus pour la vie, pour ses intérêts y incluant logiquement ceux des autres, nature y comprise :


« La société harmonique ne peut être que des libres volontés qui s'harmonisent librement sous la pression des nécessités de la vie et pour satisfaire ce besoin de fraternité et d'amour qui fleurit toujours chez les hommes dès qu'il sont libérés de la peur d'être écrasés et de manquer du

nécessaire, pour eux et leur famille. » Errico Malatesta in Umanità Nova 24 septembre 1920


Mais au-delà de l'aspect optimiste de ce passage, la question qu'il reste à poser est bien celle de savoir si une alternative écologique et anarchique au système dominant peut se reposer uniquement sur les désirs immanents à l'animal humain, désirs qui le poussent comme on l'a vu, vers son auto réalisation en harmonie avec les autres individus et la nature.


« Nous avons une puissance d’anticipation et d’imagination de ce que nous souhaiterions être qui dépasse largement ce dont nous sommes capables d’être. Notre être social, dans son devenir est très en deçà de nos projections intellectuelles. C’est le vivre social qui nous détermine dans notre devenir, pas, magiquement, nos désirs. » Patrick Mignard


D'où on peut en conclure qu'une écologie sociale, que l'on ne peut dissocier de l'anarchisme sans en dénaturer le sens, ne saurait exister uniquement d'un point de vu théorique sans que la pratique sociale, les expérimentations, les conflits assumés, ne puisse nous en renvoyer de façon permanente la possibilité d'une évaluation permettant de rester ainsi dans le domaine de nos « compossibles », et de nos désirs d'auto-réalisation et de « changer le monde ». Cela conduit logiquement à établir une critique permanente vis à vis du pouvoir sous toutes ses formes, et de lui opposer la puissance de développer des alternatives libertaires et écologiques qu'il s'agit pour chacun de nous de trouver en chacune des situations au seins desquelles nous vivons et évoluons. Nous ne faisons pas l'Histoire, nous l'orientons, ou pas, à notre avantage !


Reste à évaluer quel est la forme la plus adéquate pour permettre de redéployer notre puissance libératrice et créatrice, l'organisation pérenne ou les réseaux et associations informels ? Sujet du prochain numéro.....


Libertat


http://www.libertat22.lautre.net/spip.php?article19


Ecrit par libertaria22, à 09:36 dans la rubrique "Actualité".

Commentaires :

  libertaria22
06-05-10
à 22:02

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