L'En Dehors

Il s'agit ici d'un témoignage recueilli auprès d'une connaissance personnelle le 20 mars 2006 sur les "violences" qui se sont déroulées à la fin de la manifestation du samedi 18 mars, place de la Nation. Mes questions seront précédées de "L" pour Lanarko, les réponses d'un "T" pour Taz.


L : Tu peux te présenter brièvement ?
T : J'ai 23 ans, je suis étudiant à la faculté d'histoire d'Evry en première année de maîtrise. Je ne suis pas salarié, ni politisé ( même si plus à gauche qu'à droite).

L : Comment s'est déroulée la manifestation ?
T : On est parti en groupe (étudiants) pour la manifestation. L'ambiance était bonne, plutôt festive. j'ai apprécié la diversité des participants à la manifestation qui regroupait étudiants, lycéens et salariés, toutes classes d'âge confondues. Nous avons défilé avec le cortège de la fac d'Evry. Il n'y a eu aucun problème tout au long de la manifestation, du moins jusqu'à Nation.

L : Comment cela s'est passé à partir de l'arrivée à Nation ?
T : Quand on est arrivé là-bas, j'ai une impression de chaos. Il y a avait de la fumée un peu partout : lacrymos, feu (qui provenait d'une caisse brûlée). En même temps, une partie des manifestants s'était constitué plus ou moins en sitting au milieu de la place.
Les CRS ont avancé par paliers. On s'est rapprochés pour voir ce qui se passait. Beaucoup de monde a fait pareil que nous. C'est-à-dire que le groupe désigné comme "casseurs" comprenait beaucoup de spectateurs et peu d'acteurs. Pendant ce temps, le cortège continuait à se déverser sur la place, augmentant la moyenne d'âge des personnes présentes ( avec l'arrivée des salariés et des sans-papiers entre autres ).
Au bout d'un moment, les CRS ont lancés des lacrymos à partir du cordon devant la voiture brûlée (au niveau du St Maclou, à la jonction entre la rue et la place ). Les lacrymos ont atteint tout le monde, "casseurs" ou non. On arrivait plus à respirer. On a tenté de se réfugier dans le métro (Nation). Le problème c'est qu'il y avait des CRS qui lançaient aussi des lacrymos à l'intérieur pour nous faire ressortir sur la place. A noter que les personnes présentes dans le métro ne faisaient pas partie des "casseurs". Nous nous sommes repliés sur la place au niveau de la statue. L'ambiance y était encore pacifique et festive. Il y avait surtout des étudiants assis, qui jouaient des percussions, toujours dans l'idée d'un sitting improvisé.
Trois minutes après, les lacrymos sont arrivées au centre de la place. les CRS sont arrivés ensuite de toutes parts, encerclant la place. A ce moment, c'était le chaos, je me suis retrouvé séparé du groupe avec lequel j'étais venu. La visibilité était très réduite du fait des lacrymos. Les CRS se sont mis en ligne. Prévoyant la charge, je me suis reculé. Tout en reculant, je me retourne pour voir où ça en est : les CRS chargent à ce moment. A cet instant, les violences des "casseurs" (principalement des jets de bouteilles vides) étaient globalement terminées.
Je me suis mis à l'écart sous un porche ou une devanture de magasin pour éviter la charge. A ce moment, un type en blouson cuir munis d'une caméra m'a jeté sur les CRS en charge. Juste après, je me suis pris un coup unique de matraque. j'ai été visé à la tête : ma bouche et mon nez étaient en sang. Désorienté, je me cogne à une autre rangée de CRS. J'amorce une fuite. J'ai réussi à m'esquiver sur le côté avec un groupe de personnes plus âgées (dans les 40 ans). j'ai retrouvé mes camarades puis on s'est dirigés vers un autre métro sans se préoccuper du reste.

L : Qu'elles sont tes impressions sur la personne qui t'a poussée ?
T : J'ai d'abord pensé à un journaliste, j'étais ulcéré.

L : Pourquoi "ulcéré" ?
T : Parce que c'est pas ça le travail d'un journaliste, c'est pas la recherche du spectaculaire.

L : Et ensuite ?
T : En parlant avec plusieurs personnes, j'en suis venu à penser que c'était peut-être un RG ou un civil qui m'a poussé car l'idée, à ce moment, était de regrouper les gens sur la place, sous la charge des CRS, afin de provoquer la dispersion des manifestants restants. J'ai vu des gens à terre se faire piétiner par les CRS. Ca a confirmé mes idées sur la fonction première des CRS et leur méthodologie : disperser en tapant sur tout le monde.

L : Question importante, t'as participé aux faits de "casse" ?
T : J'ai seulement montré mon cul aux CRS, je n'ai pas participé au "bouteillage" des CRS. Ils n'ont agi que dix minutes après.

L : Pourquoi ont-ils attendus à ton avis ?
T : Deux hypothèses : soit ils attendaient des renforts, soit ils attendaient d'être suffisamment "remontés" pour nous charger.

L : Tu gardes des séquelles de cet affrontement ?
T : J'ai le nez bien amoché, ça fait trois jours que je ne peux pas envisager ne serait-ce que le toucher. J'ai un oeil au beurre noir aussi.

L : T'es allé voir un médecin ?
T : Non, c'était pas utile vu la légèreté de mes blessures. D'un point de vue juridique (dépôt de plainte) non plus, vu que la violence que j'ai subie est soutenue institutionnellement.