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Les professeurs, dernière richesse des écoles russes

Article en lien avec le commentaire de Clément Konarski (a.k.a. Poupar) Lu sur : unesco « Confrontés au dénuement matériel, ils s’efforcent de maintenir une éducation de qualité et poursuivent même des expériences pédagogiques innovantes. Deux exemples, en province et à Moscou.

Tatiana Sergeyevna Korobovtseva refuse de baisser les bras. A Rtichtchevo, une ville de 40 000 habitants, carrefour ferroviaire de la région de Saratov, à 650 kilomètres de Moscou, la directrice adjointe du collège numéro 2 affronte pourtant les pires difficultés, lot commun des enseignants de province.

Agée de 40 ans, elle enseigne depuis 1985. Quand elle a débuté, Mikhail Gorbatchev venait d’arriver au pouvoir et les programmes scolaires étaient du ressort du Parti communiste. Avec la glasnost, la perestroïka et la chute du communisme en 1991, l’éducation a bénéficié de l’élan de liberté qui a gagné le pays. Mais l’échec du libéralisme de Boris Eltsine et la faillite du pouvoir central ont engendré la pauvreté, nourri le doute et réduit à peu de choses ces nouvelles libertés. Ainsi Tatiana Sergeyevna a vu diminuer son niveau de vie, à mesure que baissait la valeur réelle de son salaire (souvent versé en retard), et elle a dû faire face à des problèmes sans précédent, même dans l’Union soviétique moribonde du milieu des années 80. Et rien n’a changé, constate-t-elle, depuis l’arrivée au pouvoir de Vladimir Poutine.

Malgré ces conditions, Tatiana Sergeyevna, avec le directeur de l’école, Vyatcheslav Sachenkov, et tout le personnel, soit 40 salariés, assurent au mieux la qualité de l’enseignement dans cet établissement qui accueille 690 élèves et passe pour l’un des meilleurs de la ville. Le budget de l’école est fixé à 2 roubles par jour et par élève, soit 350 francs par jour. Tatiana est payée 1 500 roubles (environ 360 FF) par mois et le directeur 7 francs de plus. Beaucoup d’élèves viennent de familles modestes. La cantine subventionnée leur permet de bénéficier d’un repas chaud le midi pour trois roubles (environ 70 centimes). Un conseil d’administration composé de parents, de chefs d’entreprises locales et d’enseignants recueille des fonds mais le manque de matériel éducatif, de livres et d’ordinateurs récents se fait toujours cruellement sentir.

Au cours des 10 dernières années, de nombreux professeurs ont démissionné pour se reconvertir dans les affaires qui se résument souvent à la revente en Russie de produits achetés à bon marché en Turquie ou en Pologne. Ceux qui sont restés n’ont trouvé aucune solution de rechange, ou bien croient encore à l’importance de leur mission.

Tatiana Sergeyevna appartient à cette deuxième catégorie. Elle s’accroche à un travail aussi mal payé (même par rapport aux médiocres rémunérations locales) pour une simple raison: «J’aime mon travail et je ne pourrais pas vivre sans enseigner, dit-elle. Les Russes sont habitués à lutter pour survivre. Ils s’en sortent grâce à l’humour.»

Ici, pour enseigner les mathématiques et l’informatique, il faut beaucoup d’humour. Tatiana Sergeyevna n’a encore jamais utilisé Internet et elle ne peut enseigner que la théorie de la programmation: les ordinateurs de fabrication soviétique dont dispose l’école ont treize ans d’âge et leur utilisation est fortement déconseillée, à cause de leur haut niveau de radiations électromagnétiques. «J’essaie de ne pas trop parler d’Internet aux enfants et je me contente de les familiariser avec les algorithmes. Ils rédigent des programmes informatiques dans leurs cahiers. Je m’arrange de cette triste réalité.»

Vyatcheslav Sachenkov, le directeur, esquisse un sourire, en rappelant que le ministère de l’Education fédérale prévoit de former des centaines de milliers d’enseignants à Internet et d’équiper d’ici 10 ans toutes les écoles du pays avec au moins un ordinateur connecté à la Toile. «Dans toute l’école, une seule élève possède un ordinateur personnel et le fournisseur d’accès le plus proche se trouve à Saratov, à 200 kilomètres d’ici. Le gouverneur de la région, Dmitri Ayatskov, finance l’équipement informatique des écoles en construction mais il n’accorde aucune aide aux établissements déjà existants», dit-il.

Pourtant le collège n° 2 n’a pas perdu tout espoir. Depuis 1991, la libéralisation de l’enseignement a permis de rénover les programmes. Si les matières principales — russe, histoire et maths — dépendent des orientations nationales, une marge de manœuvre existe dans les autres domaines. Les enseignants organisent les programmes et les matières optionnelles avec une liberté inconnue sous le régime soviétique.

Au début des années 90, on a vu ainsi apparaître tout un éventail d’options «à la mode», comme les appelle Sachenkov: anglais, danse, échecs, études culturelles, informatique (avec les ordinateurs aujourd’hui interdits). L’emploi du temps des élèves s’est étoffé jusqu’à atteindre 8 heures par jour et 6 jours par semaine. Mais les difficultés financières et, plus récemment, des considérations médicales sont venues atténuer cette ardeur. La délégation régionale à la Santé a ramené la journée à six heures et la semaine à cinq jours.

Les enseignants les plus dévoués maintiennent des activités périscolaires. Des cours supplémentaires, notamment pour préparer les examens d’entrée à l’université, sont assurés moyennant une participation aux frais, ce qui permet aux enseignants d’arrondir leurs fins de mois. Grâce à un partenariat avec les deux universités — technique et agricole — de Saratov, la capitale régionale, les meilleurs élèves peuvent même suivre un cycle préparatoire. De nouveaux problèmes sont apparus: l’absentéisme est souvent encouragé par des parents qui ont besoin d’aide pour tenir leur étal au marché. Et malgré les nombreuses difficultés — notamment financières — des écoles publiques, plus criantes à mesure que l’on s’éloigne de Moscou, Tatiana Sergeyevna ne se plaint pas. «Le délabrement social est moindre en province et le niveau d’éducation reste plus élevé. Les problèmes d’alcool et de drogue à l’école sont pratiquement inexistants.»

Tout comme le collège n° 2, l’école dirigée par Alexandre Tubelsky est financée par l’Etat et dispense un enseignement général. Mais elle est située à Moscou, autant dire dans un autre monde. Avant comme après la chute du régime communiste, cette école expérimentale a toujours échappé à l’orthodoxie scolaire. Si l’on ressent, ici aussi, l’effet des restrictions budgétaires, on s’y préoccupe, avant tout, d’indépendance pédagogique.

Les méthodes suivies dans cette école du quartier d’Izmailovo, au nord-est de Moscou, s’inspirent de diverses expériences menées en Russie aussi bien qu’à l’étranger, notamment à Summerhill au Royaume-Uni et dans le mouvement des écoles libres d’A.S. Neill.

L’école se préoccupe, en premier lieu, de la personnalité des élèves, de leurs aptitudes et de leurs besoins spécifiques. Les programmes et la discipline doivent s’y subordonner. L’école garantit à chacun le libre choix des matières, des professeurs et même de l’assiduité. «Croire qu’un jeune doit absorber un ensemble déterminé de matières pour parfaire son éducation et s’insérer dans la société est un mythe», affirme Alexandre Tubelsky, un homme de 60 ans au visage expressif et aux cheveux blancs. «Si l’élève apprend à trouver l’information nécessaire pour atteindre les objectifs qu’il s’est défini, s’il sait communiquer et coopérer, s’il est capable d’analyser les informations dont il dispose, alors il acquiert des compétences qui lui serviront toute sa vie.»

«Nos élèves prennent leurs responsabilités»

Avec, pour seule contrainte, le respect de minima horaires pour les matières fondamentales, l’école offre à son millier d’élèves et à ses 200 enfants de maternelle un niveau de liberté qui, partout ailleurs en Russie, reste une vue de l’esprit.

Les activités proposées à quelque 80 élèves de 6e (âgés de 11 et 12 ans), un samedi après-midi d’hiver, donnent un aperçu des méthodes en vigueur depuis treize ans. Des illustrations exposées dans le couloir au retour de séjours éducatifs sur des sites archéologiques en Crimée montrent que les enfants étudient les civilisations de l’Antiquité. En toges et en espadrilles, ils sont rassemblés dans le théâtre de l’école. Les enseignants portent aussi des toges et, hormis un ricanement furtif ou une boule de papier qui vole d’une table à l’autre, l’ambiance est sérieuse.

Certains trouveraient sans doute ridicule d’associer les maths, les sciences et l’informatique à des jeux de rôle mêlant des personnages de toutes les époques de l’Histoire. Alexandre Tubelsky défend sa méthode: elle permet à 60 ou 70 % de ses élèves d’accéder aux études supérieures et de devenir des adultes autonomes, responsables et équilibrés. «Je serais bien en peine de vous décrire notre élève-type. Nous ne cherchons pas à mettre les individus dans un moule. S’ils ont un trait de caractère commun, c’est qu’ils n’accusent pas les autres de leurs échecs. Ils prennent leurs responsabilités et s’appuient sur l’expérience pour progresser.»

Yulia Tourchaninova confirme ces vues. Proche collaboratrice d’Alexandre Tubelsky, professeur de pédagogie et ancienne responsable de la formation continue des enseignants russes, elle explique que «la liberté favorise la responsabilité. Quand on est soumis, on se désintéresse de son travail et de ses conséquences. Seul l’individu libre est responsable.»

Cette culture de la liberté explique l’intérêt que suscite l’école chez les pédagogues russes ou étrangers, nombreux à la visiter. Farouchement opposée aux concepts traditionnels de niveau, d’examen, de classement et de répartition en classes homogènes, l’école ne sélectionne pas ses élèves: 80 % d’entre eux habitent le quartier, une banlieue confrontée à des taux élevés de chômage, de pauvreté et de criminalité.

On connaît, ici aussi, les problèmes de financement et de discipline, communs à toutes les écoles de Russie. Le budget mensuel de l’école atteint 730 000 FF. Bien que10 fois supérieur à celui du collège n°2 de Rtichtchevo, il demeure inférieur aux normes européennes. Les dons des parents et des mécènes représentaient 390 000 FF en l’an 2000. Le salaire moyen d’un enseignant étant de 1 800 roubles (environ 450 FF), nombre d’entre eux donnent des cours à l’extérieur.

Diriger un établissement de ce type n’est pas une tâche facile. Surtout en Russie où la discipline apparaît comme une riposte efficace à la corruption rampante et au laxisme. La réussite de l’école pourrait se résumer à cette réponse des élèves, auxquels des professeurs de Volgograd en visite reprochaient leurs tenues négligées et peu propices au travail. «Pourquoi faudrait-il nous habiller autrement? Ici on ne travaille pas, on vit. »

Nick Holdsworth, collaborateur du Times Higher Education Supplement et de plusieurs quotidiens britanniques, auteur de Moscow, The Beautiful and the Damned. Life in Russia in Transition, Andre Deutsch, Londres, 2000.

Ecrit par Mirobir, à 23:34 dans la rubrique "Projets alternatifs".



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