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L'En Dehors


Quotidien anarchiste individualiste





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Le pont tremble à minuit (1) : mon histoire à Québec par Starhawk
--> (APRÈS LA MANIFESTATION DU 17 AU 21 AVRIL 2001)

Sous l'autoroute, ils jouent du tambour. Vêtus en noir, la tête couverte par un sweatshirt, ils ramassent des bâtons et frappent les grilles, frappent les sculptures de métal qui ornent ce parc inhabité, frappent les soutiens du viaduc qui lie les parties haute et basse de la ville de Québec. La plupart sont jeunes. Colère et jubilation à la fois, ils dansent dans la nuit après deux jours sur les barricades. Les flics en surplomb envoient des décharges de gaz lacrymogène. Les volutes de gaz forment des nuages qui dérivent à la manière d'une brume fantôme, d'une beauté mystérieuse, mais les danseurs continuent à danser. Le son et le rythme s'amplifient toujours plus, un rugissement qui retentit dans toute la ville, plus puissant que vous ne pouvez l'imaginer, assez puissant, semble t il, pour fendre les autoroutes, pour faire s'écrouler l'ordre ancien. C'est comme le mugissement des rapides, lorsque vous approchez de la chute d'eau sans la voir. Comme le battement énorme du coeur de quelque chose qui est en train de naître. Une bête redoutable, qui va vers Bethlehem, sans détour, avec fierté dans la solidarité.

Un carnaval, une danse, une bataille. Images de guerre: les nuages de gaz lacrymogène, le jet du canon à eau, l'éclat des gaz explosifs, et, oui, les cailloux, et les briques, et les bouteilles. Personne n'est venu là en croyant en une lutte sans risques et pacifique. Tous ceux et celles qui sont là ont surmonté leur peur, et doivent continuer à le faire, d'instant en instant.

Au milieu du chaos, de la confusion, des moments (le panique, il y a aussi une douceur, une exubérance. Le printemps après l'hiver. La liberté. Le soulagement. La tendresse rude d'une main qui maintient ouvert l'oeil qu'il faut laver du gaz lacrymogène. La gentillesse d'étrangers ouvrant leur maison à ceux qui protestent: venez, utilisez nos toilettes, mangez ces muffins qui sortent du four, remplissez vos bouteilles d'eau.

Nous sommes la Rivière vivante: une grappe à l'intérieur de l'action, qui s'enfle parfois à plusieurs centaines de participants, se réduit parfois à une cinquantaine. En son coeur, les païens, qui sommes là parce que nous affirmons que la terre est sacrée, et que tous les êtres humains font partie de cette terre vivante. Beaucoup d'entre nous se connaissent et travaillent ensemble depuis des années. D'autres sont nouveaux, venus de loin, rassemblés par internet et par notre organisation. Une femme est là avec ses enfants; notre membre la plus âgée, Léa, a quatre vingt quatre ans. Nous proclamons que notre but est d'attirer l'attention sur la question de l'eau, mais notre but véritable est de donner corps à l'eau, en tant qu'élément, dans le feu de la lutte.

Nous portons la déclaration de Cochabamba, écrite par un groupe en Bolivie qui organisa un soulèvement pour reprendre en main leur approvisionnement en eau après sa privatisation par la Bechtel Corporation. Ils ont écrit ce qui suit.

« Pour le droit à la vie, pour le respect de la nature, des usages et des traditions de nos ancêtres et de nos peuples, pour tous les temps, ce qui suit est déclaré droits inviolables relativement à l'utilisation de l'eau qui nous est donnée par la Terre:

L'eau appartient à la Terre et à toutes les espèces et elle est sacrée pour la vie; par conséquent, l'eau du monde entier doit être conservée, régénérée et protégée pour toutes les générations à venir, et ses modes de flux naturels doivent être respectés. L’eau est un droit de la personne fondamental et un patrimoine public qui doit être défendu à tous les niveaux de gouvernement et, par conséquent, elle ne doit pas être traitée comme une marchandise, privatisée ou échangée à des fins commerciales. Ces droits doivent être affirmés à tous les niveaux de gouvernement. En particulier, un traité international doit assurer que nul ne peut contester ces principes.

C'est par les collectivités locales et les citoyens que l'eau sera le mieux protégée, et ces derniers doivent être respectés en tant que partenaires égaux des gouvernements en matière de protection et de réglementation de l'eau. Les Peuples de la Terre sont le seul véhicule capable de promouvoir la démocratie de la Terre et de sauver l'eau. »

La Déclaration est l'alternative. C'est pour elle que nous luttons: nous luttons pour, et non contre. Notre but est de la porter au Centre des Congrès, de déclarer la rencontre FTAA illégitime, car n'ayant pas le support des peuples, et de suggérer qu'ils entament les négociations qui assurent la protection des eaux. Si nous ne pouvons le faire, nous approcherons du Centre autant que nous le pourrons, et ferons entendre la Déclaration chaque fois que nous serons empêchées d'avancer.

Alors que nous nous mobilisons, nos amis boliviens organisent une marche pour la Vie et la Souveraineté qui fait l'objet d'une répression violente. Oscar Olivera, l'un des concepteurs de la Déclaration, est arrêté, accusé de trahison, puis relâché. Alors que nous subissons l'attaque des gaz lacrymogènes, leur marche elle aussi la subit, encore et encore. En Bolivie, deux personnes sont mortes, l'une asphyxiée par le gaz. À Québec, des gens ont frôlé la mort, un homme a été touché à la trachée par une balle en caoutchouc, il y a eu des crises d'asthme dues au gaz, un doigt a été arraché lors de l'assaut de la clôture. À Sâo Paulo, des jeunes qui faisaient le blocus de l'Avenida Paulista sont attaqués et battus de manière brutale. Bras brisés, poignets brisés; l'une de nos amies les plus proches reçoit des coups si violents sur la tête que son casque est cassé en deux, mais elle refuse de partir parce qu'elle est médecin. À l'hôpital privé, ils refusent de soigner les protestataires. La police les pourchasse avec des armes chargées à balles réelles. Ceux qui sont arrêtés sont torturés, forcés de rester à genoux, étroitement menottés pendant plus de trois heures, alors que tous les quarts d'heure la police vient les battre. La plupart ont moins de dix huit ans.

Notre Rivière a des bannières et des drapeaux, et des tissus bleus suspendus à des mâts, et des costumes bleus et des chants de l'eau. En théorie l'action est divisée par zones une zone verte pour les actions sans danger ni risque d'arrestation; une zone pour les actions non violentes, « défensives » ; une zone rouge pour les actions de confrontation directe. En pratique, à part deux régions définies comme vertes, personne ne sait exactement où ces zones sont supposées se situer, ni ce qu'elles signifient. De toute façon, nous sommes le groupe bleu, quelque chose qui n'appartient pas au plan. Nous sommes préparés et à la non violence et à la confrontation. Cependant, beaucoup d'entre nous ont dix ou vingt ans de plus que le protestataire moyen, la plupart sont des femmes et pour beaucoup dans le groupe cette action est la première de leur vie. Quelques unes d'entre nous sont prêtes à envahir le périmètre si l'occasion leur en est donnée, à risquer l'arrestation et la confrontation physique. D'autres ne le sont pas. Ainsi la Rivière comporte quatre courants à l'intérieur d'elle même. Chacun suivra le drapeau de l'un des éléments. Le drapeau vert, celui de la Terre, opérera toujours le choix le moins risqué dans toute situation. Le drapeau bleu, celui de L'Eau rassemblera celles qui veulent prendre les risques les plus élevés. Les drapeaux rouges, du Feu, et jaune, de l'Air, soutiendront le bleu, mais sans prendre le risque direct d'une arrestation. Les groupes d'affinité peuvent rester unis et suivre l'un des drapeaux ou décider d'avance comment ils se diviseront lorsque vient le moment du danger. Chaque personne dans la Rivière a un copain, quelqu'un avec qui elle ne perdra pas le contact de sorte que personne ne se trouve isolé. Nos éclaireurs, Charles, Raven, Laura et Lisa, vont de l'avant, vérifient le chemin, reviennent faire rapport ou téléphonent. À certains moments, la Rivière est susceptible de s'arrêter et de procéder à une décision collective sur ce qu'il faut faire. À d'autres moments, il est impossible de se rencontrer ou même de s'entendre les unes les autres, et chaque porteuse de drapeau décide.

VENDREDI APRES-MIDI

La Rivière a fait spirale à la porte René Levesque, où la nuit précédente l'Action des Femmes a suspendu nos tissages. Alors que nous enroulons notre cercle, et que nous commençons à faire monter le pouvoir, Evergreen vient me voir accompagnée d'un homme paré d'un drapeau cubain. Il fait partie d'un petit groupe de personnes d'origine indigène qui ont tenu une veille à la porte, et notre groupe est à ce point métaphorique (nous n'avions pas pu mener tout à fait à bien la fabrication des signes disant clairement ce que nous faisons) que, d'une manière ou d'une autre, il a eu l'impression que nous soutenions le FTAA. Nous chantons « La rivière est en train de déborder », et il vient du Honduras, et sa région est inondée en raison des ravages écologiques et de l'ouragan Mitch. Il nous dit que la seule manière que nous puissions avoir de démontrer notre solidarité est de reprendre son propre chant. « Pourquoi pas? », dis je, et nous commençons à chanter en espagnol et en anglais « El pueblo, unido, jamàs sera vencido! », « Le peuple, uni, jamais ne sera vaincu! ». Le cri a un rythme propre, un pouvoir de colère et d'espoir.

Nous descendons en dansant la rue Saint Jean en chantant « Fleuve, porte moi, ma mère tu resteras, Fleuve, porte moi vers l'océan ». Nos scouts nous font savoir que la marche CLAC a atteint la porte que nous venons de quitter et que la clôture est déjà mise à bas. je saute littéralement de joie. Nous nous regroupons rapidement et les drapeaux bleus, rouges et jaunes décident de retourner vers les portes. Nous remontons la rue, nous nous arrêtons à un carrefour. Nos éclaireuses sont en avant, vérifiant les rues latérales. Nous faisons cercle et commençons à chanter, « Maintenons, maintenons, maintenons la vision, jusqu'à ce qu'elle soit née ».

Nous commençons une spirale, entamons la montée du pouvoir, et soudain, je sais de façon claire que nous devons nous diriger vers le sommet de la colline, dans la bataille. je regarde Wilow, notre porteuse de drapeau bleu, qui sourit parce qu'elle sait ce que je suis en train de penser. Nous échangeons un signe de tête et elle agite le drapeau. Nous avançons, nous remontons vers René Levesque, le long de l'avenue jusque devant le théâtre, chantant et battant du tambour. On nous applaudit: « Hé, voilà la Rivière. » Plus près de la porte, les flics tirent des grenades lacrymogènes dans la foule. De jeunes hommes courent en avant, ombres dans le brouillard, et les renvoient vers les flics. Le gaz fait des volutes et est rejeté vers les lignes de la police. Nous sommes encore capables de respirer et de chanter, et commençons donc une spirale. Le cercle grandit, d'autres manifestants se donnent la main et dansent avec nous, se rapprochant toujours plus près de la porte, sans fuir, sans lâcher de terrain. Jusque là il avait été difficile de décider ce que devrait être l'action de cette action directe. Maintenant nous voyons toutes que la clôture est l'action. La défier, la renverser, maintenir la pression sur le périmètre, exiger de rester, et d'être vus et entendus.

Nous spiralons et dansons, battements de tambour contre tonnerre des projectiles alors qu'ils tirent leurs grenades lacrymogènes par dessus nos têtes: rire, expérience pure de libération et de surréalisme. jusqu'à ce que, finalement, une grenade tombe tout près de nous, que le gaz s'échappe et nous engouffre dans un nuage piquant, aveuglant, et que nous soyons forcés de nous éloigner.

Au bas de la colline, nous nous arrêtons, nous nous lavons les yeux, nous rejoignons les drapeaux rouges et jaunes. Nous en aidons d'autres qui ont aussi besoin qu'on leur lave les yeux. Je suis reconnaissante pour la formation que Laura nous a donnée reconnaissante de me souvenir que je peux respirer lorsqu'il y a du gaz, même si cela fait mal, de savoir comment me laver correctement les yeux, comment me rincer la gorge, cracher, rincer, cracher avant de boire.

Nous décidons de continuer à couler, vers le blocus sur la Côte d'Abraham, à quelques blocs. Quelques jeunes nous demandent de rester, de remonter la colline, et c'est une tentation. Ils veulent l'énergie que nous apportons, et ils se sentent plus en sécurité quand nous sommes là. Mais nous apprenons que la Côte d'Abraham pourrait aussi avoir besoin d'énergie, et la mission de la Rivière est de couler, et nous continuons donc. Il faudrait dix ou cent Rivières.

La porte à la Côte d'Abraham est une scène élevée au dessus de la cité basse, elle est l'aboutissement d'une des voies de circulation principales, où convergent trois autoroutes. Un carrefour. Nous pouvons contempler la cité basse et les collines lointaines où un soleil rouge va bientôt se coucher. Lorsque nous arrivons, nous sentons une énergie fragmentée. Quelques personnes jouent du tambour et dansent, d'autres rôdent, certains lancent des objets contre les lignes de la police, d'autres ne savent simplement pas quoi faire. Nous nous accordons avec le rythme des batteurs de tambour et nous commençons le cercle, qui grandit et grandit. Trois ou quatre cents personnes se donnent la main lorsque nous commençons la spirale. Les batteurs de tambour se mettent au centre et nous enroulons la spirale jusqu'à ce que le chant se perde dans le rythme des tambours. Derrière nous, Donna s'est dirigée vers la clôture et lance des reproches à la police, et spécialement à la seule femme parmi les hommes: « Comment peux-tu faire cela? Toi, une femme! Une Canadienne! Qu'est ce que tu as dans la tête? »

L'endroit a été à ce point gazé que beaucoup d'entre nous ne peuvent pas rester longtemps. L'énergie atteint son pic, ne produisant pas un cône de pouvoir mais une danse sauvage. Nos éclaireurs nous rapportent que la police antiémeute s'attroupe en bas de la route et se dirige vers nous pour évacuer la place. je demande aux joueurs de tambour d'arrêter un moment pour que nous puissions informer les gens, mais ils haussent les épaules: « Et alors? ». Ils ne laisseront pas une petite chose comme une charge de flics interrompre leur musique. La Rivière' se remet à couler. Derrière nous, nous pouvons voir le jet des canons à eau s'élever haut dans les airs, scintillant de lumière comme une pluie sacrée et terrible. Et sous cette pluie, les silhouettes noires qui tiennent leur position.

SAMEDI MATIN

Une vingtaine d'entre nous se réunissent dans la maison où nous logeons. Chacune se sent plus de courage qu'auparavant. Cela m'impressionne. Certaines d'entre nous ont été activistes depuis des décennies, et amènent dans l'action un courage lent, qui a grandi pendant beaucoup, beaucoup d'années. Mais certaines ont fait ce voyage intérieur en une seule nuit.

Je me suis sentie en permanence chargée d'une responsabilité pour les nouveaux venus. Je sais qu'ils et elles sont des adultes; leur choix a été fait les yeux grands ouverts. Mais pourtant je sais que beaucoup ne seraient pas là, en cet endroit dangereux, si je n'avais pas appelé les gens à venir. Et c'est une chose de décider, dans la sécurité de sa maison, d'aller à une manifestation. C'est une tout autre chose d'affronter la réalité du chaos, le gaz lacrymogène, la charge de violence potentielle.

Je suis là, j'ai fait de mon mieux pour inspirer et encourager d'autres personnes à être là avec moi, parce que, aussi effrayée que je sois par les flics antiémeutes et les balles de caoutchouc, je suis mille fois plus effrayée encore par ce qui arrivera si nous ne sommes pas là, si nous ne contestons pas cette rencontre qui continue derrière ces murs. Même si la Rivière a l'air tranquille, je peux entendre le rugissement des rapides dans mes oreilles. Dans la beauté des bois, dans la paix du matin lorsque je m'assieds dehors et écoute les chants d'oiseaux, en chaque lieu qui devrait donner un sentiment de sécurité, je sens le courant qui nous mène vers une chute irrévocable, une catastrophe écologique, économique, sociale de dimension épique. Car notre système n'est en rien durable et nous commençons à manquer d'espace pour manoeuvrer. Ceux qui dirigent les gouvernements, les grandes entreprises et les institutions économiques du monde, des hommes pour la plupart, semblent incapables de saisir cela: que la nature est réelle, et a ses limites et ses besoins qu'il s'agit de respecter; que ni les êtres humains ni les forêts ni les réserves de pétrole ne peuvent être exploités indéfiniment sans que de grands dommages soient causés au monde; que l'on s'attaque aux systèmes de base qui nourrissent la vie sur la planète. Lors de la rencontre contre laquelle nous protestons, dans le Congrès protégé par les clôtures, le mur, la police antiémeute et l'armée, ils projettent de libérer les forces de pillage et de supprimer tous les contrôles. L'eau, les terres, les forêts, l'énergie, la santé, l'éducation, tous les services humains que les communautés accomplissent solidairement seront source de profit pour les entreprises, et tous nos efforts pour contrôler les dégâts seront réduits à néant.

Et je suis là parce que m'inspirent le courage incroyable, l'énergie, l'engagement que tous ces gens, jeunes pour la plupart, consacrent à cette lutte. Et parce que j'ai senti, depuis longtemps, un tourbillon de forces convergeant en ce temps et en ce lieu, et qu'une équipe de sorcières est précisément ce qui est nécessaire pour travailler avec ces énergies. Et ce que j'entends maintenant de mes amies confirme ce que je sentais. « je sais, maintenant, pourquoi vous faites cela. » « C'est ce pour quoi je me suis entraînée toutes ces années. » « Cette action est en elle même un entraînement, nous ne faisons que commencer. »

Nous faisons cercle, nous faisons monter le pouvoir, et nous prenons notre décision. Nous irons à la marche des syndicats, dont les dirigeants ont projeté qu'elle se tiendrait bien loin du mur. Mais nous rejoindrons les groupes qui ont l'intention de se séparer et de retourner affronter le périmètre.

SAMEDI APRES-MIDI

Je suis dans l'allée avec Juniper qui n'a jamais participé à une action auparavant et avec Lisa qui en a vécu beaucoup. Il y a une brèche dans le mur, mais les flics antiémeutes se tiennent derrière, à sa défense, avec leur bouclier en position, leur masque imperméable, leurs équipements de protection, leurs gants. Ils tiennent de longs bâtons, prêts à frapper.

Wilow s'avance et commence à lire la Déclaration de Cochabamba. Les flics l'interrompent, crient quelque chose et émergent de derrière la clôture. Leurs bâtons sont prêts à frapper. L'un tient un lanceur de grenades lacrymogènes et le pointe vers nous. Lisa et moi nous nous regardons, un oeil vers la police, l'autre vers la foule derrière nous. « Que voulons nous faire ici? », me demande t elle. Les flics commencent à avancer. « Asseyons nous », crie quelqu'un derrière nous, peut être quelqu'un que nous avons nous mêmes entraîné à s'asseoir dans ce type de situation.

Nous nous asseyons. Les flics se raidissent. Juniper commence à pleurer. Je m'apprête à lui dire qu'elle n'a pas à être en première ligne, mais elle sourit à travers ses larmes et dit « Cela ne devient bien que lorsque l'on commence à pleurer », et je sais que rien ne pourrait la forcer à se retirer. Nous nous tenons les mains. je me demande si nous devrions nous souder, faire une ligne plus forte.

Nous passons la Déclaration de Cochabamba à quelqu'un derrière qui parle français, et elle commence à la lire à haute voix. Je passe mon tambour vers l'arrière, espérant qu'une de mes amies le ramassera. je vois l'un des flics abaisser lentement son bâton. Un autre hésite: leur ligne parfaite devient maintenant irrégulière. lls commencent à se détendre.

Une pierre part de la foule derrière nous, vole au-dessus de nos têtes et vient frapper le sol aux pieds des flics. À la seconde, ils sont en alerte et s'ébranlent vers nous. « Noonn! » hurle au lanceur de pierre la foule tout entière derrière nous, d'une voix unique et outragée. « Paix! » crient ils aux flics, levant les bras et envoyant des signes de paix. En première ligne, nous ne bougeons pas, nous nous tenons les mains, nous attendons. Respirer et faire contact avec la terre. Lentement, les flics se détendent à nouveau.

De derrière, quelqu'un nous passe des fleurs. Heather les a apportées ce matin, disant qu'elle voulait faire quelque chose de non violent, les donner à la police. Je me souviens d'avoir pensé que son idée était si tendre qu'elle appartenait à un autre univers que celui où je prévoyais être ce jour là. Elle n'avait pas été trop heureuse lorsque j'avais expliqué que nous projetions de suivre le CLAC et le Black Bloc jusqu'au périmètre. « Les gens penseront que nous les soutenons », avait elle dit. « Eh bien nous les soutenons », avais je expliqué. Au moins, c'est ce que certaines d'entre nous se sentent appelées à faire être là haut, avec eux, aux premières lignes, stabilisant la magie, enracinant l'énergie, sans prêcher la non violence mais en essayant seulement de lui donner corps. Maintenant, Heather et ses fleurs sont là.

Lisa se lève, tendant les mains vers les flics en signe de paix, et tente de leur donner la Déclaration. je regarde, retenant mon souffle, prête à l'aider s'ils attaquent. « Nous ne pouvons la prendre », souffle l'un d'entre eux à travers ses dents serrées. Elle la dépose à ses pieds. Un jeune homme s'avance, dépose une fleur. Une femme suit, avec une autre fleur. En fait, à ce moment, ce devient le geste parfait.

Chacun se détend. Après un temps, nous décidons de quitter le terrain. La Rivière doit continuer à couler. D'autres s'avancent pour prendre notre place. Nous ondoyons vers le carrefour. Derrière nous, de jeunes hommes de notre grappe aident à démolir la clôture le long du cimetière. Nous commençons une spirale au carrefour: des foules de gens nous rejoignent. D'un toit, deux habitants lancent une pluie de confettis. Nous dansons dans la jubilation de cette neige qui tombe. Alors que le pouvoir monte, un hurlement de rage absolue me déchire la gorge. je frappe du tambour et gémis, et j'envoie vers le Centre des Congrès, derrière, des ondes et des ondes d'énergie. Et pendant que nous dansons, et que les confettis tourbillonnent, loin derrière nous, le gaz lacrymogène s'élève dans l'air et la clôture s'effondre. Lorsque nous nous arrêtons, une femme arrive avec des nouvelles. La seule manière d'être entendu dans le tumulte et le fracas est que la grappe répète chaque phrase. Les nouvelles deviennent un chant. «Je viens d'apprendre », «JE VIENS D'APPRENDRE! »

« Que tant de gaz lacrymogène », « QUE TANT DE GAZ LACRYMOGÈNE! »

« A reflué vers le Centre des Congrès », « A REFLUÉ VERS LE CENTRE DES CONGRÈS! »

« Qu'ils ont dû arrêter la réunion pendant deux heures. » « QU'ILS ONT DÛ ARRÊTER LA RÉUNION PENDANT DEUX HEURES! »

Nous explosons en cris de joie.

Devant la porte sur la rue Saint Jean, cinq jeunes gens et une femme sont debout, tournant le dos à la masse des flics antiémeutes derrière la barrière, les pieds écartés, un bras levé en signe de paix, absolument immobiles au milieu du chaos, sans masque, sans protection, dans un nuage de gaz lacrymogène si dense que nous nous étranglons sous nos foulards. Nous nous glissons derrière eux, lisons la Déclaration de Cochabamba et continuons à couler. Ils restent là, tenant l'espace alors que pleurent leurs yeux, inébranlables dans leur silence, leur courage et leur pouvoir. Lorsque le Bay Bridge s'est écroulé, lors du dernier tremblement de terre de San Francisco, nous avons appris que les structures résonnent à une fréquence donnée. Une vibration qui correspond à leur rythme interne peut les détruire. Sous le viaduc, ils frappent sur les grilles. La cité est un tambour. Des structures massives tremblent. Et une clôture n'est pas plus solide que son point d'attachement au sol.

1- Extrait d'une chanson de Bob Dylan. Voir en fin de texte, le texte de « Love Minus Zero »


Texte original en anglais : http://www.starhawk.org/activism/activism-writings/quebec-report.html

Ce texte est extrait du recueil « PARCOURS D’UNE ALTERMONDIALISTE » de Starhawk,

Traduit par Isabelle Stengers et Edith Rubinstein

Paru dans la collection « Les Empêcheurs de tourner en rond », Le Seuil – ISBN 2-84671-093-7

Du même auteur,même collection : « Femmes, Magie et Politique »


Annonce sur http://www.starhawk.org/starhawk/schedule.html

Saturday, May 21

Paris, France

Talk

Starhawk will talk about the practice and ideals of blending spirituality and politics, from the Reagan era to the Bush leagues. Her remarks will be simultaneously translated into French. For more information, contact Isabelle and Alexandra at

starhawk.a.paris@no-log.org



BOB DYLAN - Love Minus Zero



My love she speaks like silence,

Without ideals or violence,

She doesn't have to say she's faithful,

Yet she's true, like ice, like fire.

People carry roses,

Make promises by the hours,

My love she laughs like the flowers,

Valentines can't buy her.


In the dime stores and bus stations,

People talk of situations,

Read books, repeat quotations,

Draw conclusions on the wall.

Some speak of the future,

My love she speaks softly,

She knows there's no success like failure

And that failure's no success at all.


The cloak and dagger dangles,

Madams light the candles.

In ceremonies of the horsemen,

Even the pawn must hold a grudge.

Statues made of match sticks,

Crumble into one another,

My love winks, she does not bother,

She knows too much to argue or to judge.


The bridge at midnight trembles,

The country doctor rambles,

Bankers' nieces seek perfection,

Expecting all the gifts that wise men bring.

The wind howls like a hammer,

The night blows cold and rainy,

My love she's like some raven

At my window with a broken wing



Source : http://www.world-english.org/dylan.htm

Ecrit par libertad, à 19:36 dans la rubrique "Pour comprendre".

Commentaires :

  Gilou le fou
08-05-05
à 20:03

C'est trop long à lire ton truc.
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