Joueb.com
Envie de créer un weblog ?
ViaBloga
Le nec plus ultra pour créer un site web.
Débarrassez vous de cette publicité : participez ! :O)

L'En Dehors


Quotidien anarchiste individualiste





Crée le 18 mai 2002

Pour nous contacter : endehors(a)no-log.org



D'où venons-nous ?


Nos références
( archives par thèmes )


Vous pouvez nous soutenir en commandant nos brochures :

Les éditions de L'En Dehors



Index des rubriques

Les collaborateurs et collaboratrices de l'En Dehors

Liens

A noter

Recherche

Archive : tous les articles

Session
Nom d'utilisateur
Mot de passe

Mot de passe oublié ?

Retour vers le futur (l'engagement dans un avenir commun)
--> La critique du militant (la reproduction de la domination)
Lu sur Ecologie révolutionnaire : "Les activistes d'aujourd'hui se réfèrent à Foucault et Deleuze plus qu'aux situationnistes qui ont été pourtant les précurseurs dans la critique du militant et de la vie quotidienne, critiques devenus les préjugés actuels les moins questionnables.

"Le responsable qui "se dévoue", disparaît partout avec la politique classique elle-même ; et plus encore par le fait que dévouement et sacrifice se font payer toujours en autorité (serait-elle purement morale). L’ennui est contre-révolutionnaire". IS no 7, p16

Cette critique se nourrit des figures du stalinien et du fasciste qui ont discrédité le militantisme aveugle dans lequel nombre d'intellectuels se sont ridiculisés, mais, surtout, les situationnistes ont analysé le militantisme étudiant, et son dogmatisme faussement intellectuel, comme la préparation de leur fonction de cadres et d'intimidation de leurs subordonnés, le militantisme reproduisant la domination qu'il conteste. On a vu effectivement d'anciens trotskystes ou maoïstes parmi les plus extrémistes devenir des hommes de pouvoir et d'argent.

L'analyse est peu contestable, seulement les exigences de Guy Debord étaient telles, au niveau de ce qu'on peut appeler l'éthique du militant, que cela se traduisait immanquablement par des exclusions, jusqu'à la dissolution finale. Aveu d'une impasse. De même la critique de la vie quotidienne a produit chez de nombreux militants un repli sur la vie privée et une esthétisation de l'action politique qui sera récupérée par la publicité avec la mystification d'une "vie passionnante" comblée par la marchandise et la réussite sexuelle. Cette mystification va jusqu'à faire croire à quelques naïfs qu'il suffirait de se passer de marchandises, voire d'un retour à la nature, pour accéder à ce paradis imaginaire entièrement fabriqué !

Ces "dérives" ne sont pas nouvelles. Dès 1972, dans "La véritable scission dans l'Internationale Situationniste", Guy Debord fustigeait les "pro-situs" s'identifiant spectaculairement aux situationnistes vus comme les héros du négatif et les possesseurs d'une vie supérieure, aliénés dans leur propre contemplation narcissique renforçant leur désir de pouvoir malgré l'extrémisme proclamé. Ce sont bien les cadres de demain. On a certes besoin de cadres mais il n'y a rien de pire qu'un pouvoir qui se prétend révolutionnaire et se dénie comme pouvoir.

"La critique sans concessions de tout ce qui existe en était venue à être appréciée positivement par un secteur toujours plus étendu de l’impuissance elle-même devenue pro-révolutionnaire. La force du négatif mise en jeu contre le spectacle se trouvait aussi admirée servilement par des spectateurs". Véritable Scission, p36

Il ne suffit donc pas de se réclamer de la critique situationniste, encore moins d'adopter la totalité des thèses situationnistes, des positions artistes du début (fête, urbanisme, dérive) à la contestation de la totalité sociale, la dé-sidération finale du spectacle de la passivité. Le difficile est plutôt de tirer enseignement des échecs historiques pour ne pas les répéter, ne pas se suffire de mots d'ordre mais faire preuve d'un minimum de dialectique en tenant compte à la fois de la pertinence d'une critique du militantisme et des impasses qu'elle a engendrées. La réussite des situationnistes est d'avoir réalisé leurs limites, ce qui nous permet de ne pas reproduire leurs échecs mais il n'y a pas à fanfaronner, nos moyens sont ridicules. Il faut partir de notre réelle pauvreté pour avoir une chance de la dépasser.

Le monde est dur à transformer, il ne se plie pas à nos désirs, à notre "loi du coeur". Il ne suffit pas de vouloir le changer, il faut savoir ce qu'on veut, formuler nos objectifs et chercher comment les réaliser concrètement en apprenant de nos échecs et en adaptant nos stratégies. Pour cela, il faut avoir un projet politique à confronter à sa mise en oeuvre concrète jusque dans notre vie quotidienne. La critique de la vie quotidienne n'était pas du tout un refus de la politique et l'hymne à l'épanouissement individuel qu'elle est devenue mais une exigence de cohérence et l'attention portée au vécu historique, à la pratique, à l'expérience du changement et du passage du temps, au développement de ses contradictions. C'est le contraire de la vie rêvée, une vie construite pas à pas, politique, collective, historique de bout en bout, de déceptions en désillusions.

"Il ignore la dialectique parce que, refusant de voir sa propre vie, il refuse de comprendre le temps. Le temps lui fait peur parce qu’il est fait de sauts qualitatifs, de choix irréversibles, d’occasions qui ne reviendrons jamais. Le pro-situ se déguise le temps en simple espace uniforme qu’il traversera, d’erreur en erreur et d’insuffisance en insuffisance, en s’enrichissant constamment". Véritable Scission, p45

- Vie privée, action publique

 
"La frivolité et l’ennui qui envahissent ce qui subsiste encore, le pressentiment vague d’un inconnu, sont les signes annonciateurs de quelque chose d’autre qui est en marche".
Hegel. Phénoménologie de l’Esprit T I p12
 
La critique du militantisme politique, le dogmatisme borné des partis communistes ou trotskistes, la compromission des socialistes avec le néolibéralisme, les dérives électoralistes des partis écologistes et surtout les défaites sociales répétées des années de dépression ont fini par disqualifier tout engagement militant. Pour Foucault ou Deleuze, c'était plutôt les menaces de terrorisme du moment qui pousseront à privilégier des micro-objectifs concrets afin de sortir de la "pensée fasciste" globalisante et d'apprendre une pratique de la liberté, hors des appareils de pouvoir. On comprend donc bien pourquoi, mais l'engagement n'a pas bonne presse, c'est peu de le dire. Il faut dire aussi qu'il y a un manque du côté de l'offre. On ne peut s'engager pour un autre monde qu'au nom d'idéologies dépassées (communistes, islamistes) ou de projets inconsistants (altermondialiste, écologiste). Beaucoup s'agitent avec application dans leur coin, croyant faire preuve de toute leur bonne volonté, avec pour résultat une totale impuissance malgré des rassemblements impressionnants (Larzac) qui se révèlent n'avoir absolument aucun poids.

Les temps sont encore au repli sur la vie privée qui ne se distingue guère de l'individualisme libéral qu'en sortant de la compétition marchande. Il y a des temps où rien n'est possible, il n'y a rien à faire qu'à fourbir ses armes ou soigner ses blessures. Il est certain que l'échec de nos espoirs politiques et l'ambiance dépressive ne nous laissent pas d'autre choix que celui d'un chacun pour soi. On ne s'occupe plus que de sa petite famille, de ses amis (voire de son groupuscule subversif), de "réussir sa vie", de se "réaliser", mal le plus souvent, renforçant encore notre isolement et la dépression collective.

"Ainsi le papillon de nuit, quand s’est couché le soleil universel, cherche la lumière à la lampe du foyer privé".
Marx p317.

La dépression ne dure pas toujours, au moins elle change de forme. Un excellent sociologue, Albert O. Hirschmann a voulu montrer dans "Bonheur privé, action publique" qu'on passait alternativement de la vie privée à l'action politique et de l'action politique à la vie privée selon un cycle où la déception de la politique nous ramenait à une vie privée qui se révèle aussi décevante et nous renvoie à l'action politique ! Hirschmann est aussi le théoricien des modes de protestation "voice" ou "exit". On peut donc considérer qu'on utilise la voie "exit", qu'on vote avec ses pieds en désertant la place quand on est déçu et qu'on a épuisé la voie de la protestation argumentée "voice". Cette façon de présenter les choses a l'intérêt d'être entièrement négative, ne supposant aucun épanouissement personnel ou réussite politique, les questions n'étant jamais résolues...

Situer le militantisme dans un parcours personnel permet de relativiser le moment présent. Les choses ne restent pas toujours les mêmes, la vie est plutôt maniaco-dépressive alternant enthousiasmes et déceptions temporaires. Mais la dialectique n'est pas individuelle. Nous sommes pétris de notre environnement social, la morosité ambiante, la méfiance, l'angoisse collective, le chômage, la misère ne peuvent nous épargner. Il n'y a pas séparation du privé et du public. Dans son célèbre essai, "Le choc amoureux", Alberoni montre qu'un mouvement social est du même ordre que le fait de tomber amoureux. Mieux, l'amour fleurit lors des grands mouvements collectifs et même souvent les précède... Notre bonheur personnel dépend de l'action publique plus que nous ne le pensons, de notre environnement social et politique. Bien sûr ce n'est pas une raison pour ne pas s'occuper de soi, en attendant une révolution qui ne vient jamais ! De toutes façons, on n'empêchera pas la "surcharge dépressive" nécessaire pour éclater avec assez de force et fonder une nouvelle solidarité, de nouveaux liens sociaux, de nouvelles institutions sur la destruction des anciennes. La dialectique est sociale, inter-subjective, politique.

"Considérée dans toute sa richesse, à propos de l’ensemble de la praxis humaine et non à propos de l’accélération des opérations de comptes-chèques postaux par l’usage des cartes perforées, la communication n’existe jamais ailleurs que dans l’action commune. Et les plus frappantes outrances de l’incompréhension sont ainsi liées aux excès de la non-intervention". IS no7, p21

En attendant, il n'y a pas lieu de s'extasier sur les nouveaux modes d'engagement qui sont bien inconsistants et inefficaces, témoignant surtout de leur insuffisance. Il est bien vrai que sous l'empire marchand, l'engagement militaire qui soudait les peuples se fait plus rare. Il n'y a pas lieu de le regretter mais il ne subsiste de l'engagement qu'une caricature de terroristes fanatiques et quelques sectes trotskistes ou religieuses. Jusque dans nos liens familiaux c'est le désengagement qui domine, la "déliaison amoureuse", une volonté adolescente de désaffiliation qui est aussi un refus d'assumer aucune responsabilité collective ou à long terme, ni les effets de nos actes ou de notre industrie. La situation est insupportable dans la perte des liens amoureux et familiaux, mais plus préoccupante encore au regard des enjeux écologiques exigeant un véritable engagement sur le long terme pour une réorientation radicale de nos sociétés qui ne se fera pas toute seule. Si l'engagement peut nous faire perdre une certaine liberté, par contre, ce qui est sûr c'est que l'absence d'engagement nous fait perdre toute liberté collective !

On peut même dire que la démocratie contribue à ce désengagement comme à sa perte. En effet, depuis son origine athénienne et la division en "dèmes", la démocratie s'est construite contre le patriarcat et les anciens clans, favorisant déliaison, désaffiliation, individualisme et liens faibles comme ceux du marché (et maintenant des réseaux). Il y a aussi un relativisme démocratique qui décourage l'engagement puisque toutes les opinions se valent ! C'est la démocratie contre elle-même comme dit Marcel Gauchet, démocratie de marché où plus rien n'est possible.

[début de l'article d'EcoRev' no 18 :]

- La négation de l'histoire
"Eveillés, ils dorment"
Héraclite

Notre situation actuelle qu'on appelle post-moderne mais qui est mieux définie comme post-totalitaire (voire post-communiste) et, pour cela, néolibérale, se caractérise par l'individualisme, la dépolitisation (ce qu'on appelle la fin des idéologies, des grands récits, des utopies...) et le repli sur des actions locales ou sur son salut personnel (famille ou petites communautés). L'impuissance collective semble y être totale. Ce n'est pourtant qu'un moment historique, comme toujours caractérisé par une sur-réaction temporaire aux horreurs précédentes. On ne passe pas de l'erreur totalitaire à la vérité libérale mais d'un excès à l'excès inverse.

Cela n'empêche pas cette période de défaites d'avoir trouvé ses idéologues. L'idéologie n'a pas d'histoire, elle est éternelle et positive, vraie depuis toujours même si sa révélation date de la semaine dernière ! Il semble bien que la philosophie de Spinoza dont tout le monde se réclame aujourd'hui (de Toni Négri à Damasio ou même Alain Minc!) serve généralement à cette négation de l'histoire avec son système purement dogmatique, ce "grimoire mathématique" qui mime une scientificité à nous clouer le bec, et sa positivité dépourvue de négatif qui nourrit une idéologie pour retraités de l'histoire qui n'ont plus rien à apprendre et se prennent pour Dieu (connaissance du IIIème genre) ! Bien sûr Spinoza est un grand philosophe qu'on ne peut réduire à son idéologisation qui relève entièrement de notre moment historique post-marxiste et qui doit être critiquée comme telle.

Dans ce monde de l'idéologie spinoziste qu'on retrouve désormais vraiment partout, il n'y a que du positif, une essence qui se développe, qui s'exprime comme une plante qui s'épanouit au soleil. Tout s'unifiant en Dieu, tout est pensée, expression d'une nature naturante à laquelle nous participons... C'est bien sûr complètement illusoire. On ne peut se passer du négatif. La liberté consiste à dire non, à se dresser contre le mouvement du monde, à le dévier de sa course, à l'humaniser. Le plus ridicule chez les spinozistes, c'est l'hymne à la joie, recyclage de la pensée positive, voire de la méthode Coué qui redouble la culpabilité des vaincus. L'émotion dépend de la situation et de nos capacités d'agir. Une joie qu'on cultive pour elle-même n'est qu'une émotion inadéquate qui relève de la toxicomanie. La dépression est collective, il ne faudrait pas confondre psychothérapie individuelle et politique, problème personnel ou question sociale. La "surcharge dépressive" pourrait même être une condition de l'amour ou des mouvements sociaux selon Alberoni. On ne peut éviter la souffrance et le travail du négatif, la dialectique qui ballotte nos sociétés d'un pôle à l'autre, du libéralisme au totalitarisme puis du totalitarisme au néo-libéralisme. La négativité du désir et de la pensée sont plus réalistes qu'une force immanente qui va droit à son but. Malgré ce qu'on voudrait s'imaginer d'une expression libérée, la joie est bien moins créative que le blues ("ce qu'il faut de sanglots pour un air de guitare"). On le sait depuis toujours (voir le pseudo-Aristote "L'homme de génie et la mélancolie"). Il faut souffrir pour travailler si durement, être en rupture, il faut avoir la rage pour vouloir transformer le monde ou prendre des risques inouïs !

Réintroduire l'historicité et la dialectique permet de constater qu'il y a une alternance de mobilisations et de passivité mais surtout que le libéralisme a d'autant moins de chances d'être éternel qu'il a déjà provoqué fascisme et communisme, au point que Polanyi pensait que "la grande transformation" était cette réfutation définitive du libéralisme, ce réveil d'un mauvais rêve (et qui a permis les 30 glorieuses keynésiennes qui ont suivi). Ce n'est pas parce que le néo-libéralisme est la réaction à l'effondrement des totalitarismes qu'il n'y aura pas de néo-fascismes informationnels pour lui succéder. On peut même dire que cela a déjà commencé (le thème de l'autorité revient en force après celui de la sécurité). C'est tout notre enjeu historique d'éviter ce remake en proposant une autre issue qui sache tirer parti de notre entrée dans l'ère de l'information, un projet écologiste de réorientation de l'économie vers le développement humain, opposé au néo-libéralisme autant qu'aux tentations autoritaires. Ce n'est pas gagné d'avance. Il faudra pour cela reconstruire un grand récit, un projet collectif à long terme, une idéologie partagée, aussi étonnant que cela puisse paraître aux yeux de nos post-modernes désabusés.

- Post-totalitarisme, néolibéralisme et individualisme

Il n'y a pas de société sans régulation, il n'y a pas de société sans règle, mais il n'y a pas dans la société d'autorégulation. La régulation y est toujours, si je puis dire, surajoutée, et toujours précaire.
Georges Canguilhem, Ecrits sur la médecine, p121

Les expériences historiques traumatisantes du fascisme et du communisme ont fait rejeter unanimement toute prétention à diriger notre histoire ou même à la comprendre. On prétend à l'immanence du laisser-faire, à l'ordre spontané de Hayek qui ne se justifie même plus par une quelconque providence divine mais qui vaudrait mieux dans sa fragilité que toute prétention à vouloir décider de notre histoire, "présomption fatale" qui serait déjà "la route de la servitude". Cet ordre spontané quasi divin est le domaine des causes, pas des finalités et de la liberté. Contrairement à ce que Hayek croit démontrer dogmatiquement, la complexité n'empêche ni de modéliser, ni de réguler un système social même si on ne peut le connaître parfaitement (il n'y a d'ailleurs pas de société sans régulations). Rien de plus complexe qu'un organisme dont nous pouvons pourtant prévoir la réaction le plus souvent car les systèmes complexes ont des comportements relativement simples. Ce qui est vrai c'est qu'on n'est jamais tout-à-fait sûr de réussir et qu'une planification rigide est vouée à l'échec mais il est certain par contre qu'à laisser-faire, il n'y a aucune raison que les choses tournent en notre faveur ! Une société n'est pas un organisme, ses régulations doivent être construites. Vouloir renoncer à faire notre histoire, comme nous y invite le fondateur du néolibéralisme, ce serait renoncer à notre humanité.

"Nous devons rejeter l'illusion d'être capables de délibérément créer l'avenir de l'humanité [...] Telle est l'ultime conclusion des quarante années que maintenant j'ai consacrées à l'étude de ces problèmes, après avoir pris conscience de l'Abus et du Déclin de la Raison qui n'ont cessé de se poursuivre tout au long de ces décennies".
Hayek (Droit, législation et liberté, III, p182)

Il y a presque toujours une certaine complicité entre un système et ceux qui le combattent, (souvent d'ailleurs au nom des valeurs qui le fondent). Les dominants et les dominés partagent en grande partie la même conception du monde, c'est inévitable, mais il faut essayer de prendre un recul critique par rapport à l'idéologie du moment et du lieu. Ainsi, ce n'est pas pareil de critiquer le totalitarisme quand il est dominant ou quand il n'est plus qu'un épouvantail et que c'est le néolibéralisme qui règne en maître. La pensée contestataire "dominante" ne peut bien sûr être confondue avec le néolibéralisme auquel elle s'oppose concrètement mais elle partage souvent avec lui une "interdiction sur la totalité" intimidante, ce qu'on peut d'ailleurs tout-à-fait comprendre dans un contexte post-totalitaire, surtout si on vient de quitter un parti stalinien par exemple. Il faudrait donc renoncer à changer le monde et se contenter de cultiver son jardin ! L'important n'est plus l'efficacité politique, ce serait simplement d'être actif et positif, d'avoir une chouette bande de copains et un "comportement démocratique" dans le groupe, le militantisme devant être ludique et créateur de liens communautaires. Ce sont ainsi les aspects éthiques ou esthétiques qui prennent le pas sur les enjeux politiques ou écologiques.

Malgré le rejet de l'individualisme libéral, l'engagement politique devient un attribut de l'individu, de sa valeur, de sa réalisation. Il devient un élément du mythe de la vraie vie authentique et libre, délivrée de l'aliénation marchande. Ce qui se voulait indispensable "souci de soi", en opposition à l'individu massifié, retombe en fait dans l'entre-soi et l'individualisme, renforçant l'illusion religieuse qu'on pourrait se sauver tout seul. Du coup, la tentation est forte de la sécession, du retour à la nature ou du refuge dans les marges, l'enfermement périphérique, alors que l'aliénation est collective. Vivre à la campagne, j'en témoigne, ne délivre pas de l'aliénation, de l'injustice sociale ni de nos responsabilités collectives. L'individu est bien un mythe, la "personne" aussi qui se croit toujours exceptionnelle ! On peut être fier de soi, de sa conscience écologique, trouver qu'on est formidable et qu'on vaut mieux que les autres parce qu'on est à la marge ou en dehors, tout cela participe à nous faire croire qu'on serait des individus séparés de leur contexte, de leur milieu naturel ou humain. Il est vrai que la détraditionalisation de nos sociétés hypermodernes, la mobilité des identités et l'individuation des parcours valorisent et isolent les individus, mais notre pensée est très limitée (la mienne en tout cas), toujours trop dogmatique, et qui change avec les temps ou les lieux. La pensée, c'est le commun. L'individualisme est une idéologie sociale. Tout ce que nous sommes est fait d'une histoire, d'une culture, d'une société, d'un milieu, tout ce que nous vivons dépend du régime politique, des relations sociales, de l'organisation économique. C'est justement pour cela que nous devons nous en occuper, mais les catastrophes écologiques sont des phénomènes collectifs qui ne font pas la différence entre les individus selon leurs mérites ("la tempête nous traite universellement"). L'action collective est beaucoup plus cruciale que la pureté des coeurs, même si la fin est déjà dans les moyens.

- Du local au global

Il y a bien sûr beaucoup à retenir et prolonger des nouvelles pratiques militantes, il ne s'agit pas d'en nier toute pertinence, encore moins de revenir en arrière, mais de constater leur manque d'ambition et qu'à partir d'un certain seuil, certaines revendications deviennent contre-productives. Ainsi, défendre les contre-pouvoirs est absolument essentiel. C'est même la première chose à faire lorsqu'on veut sortir de la position de simple administré. Ce n'est pas la même chose lorsqu'il n'y a plus de pouvoir mais seulement un entrelacs de contre-pouvoirs qui se bloquent mutuellement. Il ne suffit pas de se désolidariser de tout pouvoir pour s'innocenter de notre responsabilité collective et de l'efficacité de nos actions. De même on peut comprendre qu'on se réfugie dans les marges pour fuir un monde qui nous fait horreur mais quand le centre se vide on ne peut rester à la périphérie, à voir venir la catastrophe comme on regarde passer les trains. Il ne s'agit pas de se trouver une niche mais de participer à l'aventure humaine, d'orienter l'avenir, de donner sens à notre histoire commune et d'assumer nos responsabilités envers les générations futures. L'action locale est cruciale mais elle ne prend sens que dans une pensée globale. Le concret ce n'est pas l'immédiat, ce n'est pas la fleur ou le fruit mais la totalité du cycle de la graine au fruit, c'est l'espèce au moins autant que l'individu, c'est l'équilibre écologique, c'est la planète bleue qu'on voit de l'espace à travers nos hublots.

Certes, il ne faut pas croire qu'il y a un pouvoir qu'il suffirait de "prendre". Changer de direction d'entreprise ne change pas le fonctionnement d'une usine, c'est l'organisation elle-même qu'il faut changer, le système de production. L'alternative se construit bien localement (rien ne se fera sans nous) mais cela ne doit pas nous amener à rester dans le court terme et délaisser la lutte globale. Les contre-pouvoirs sont essentiels mais il faut aussi s'occuper du pouvoir effectif car nous avons une obligation de résultat, on n'est pas là seulement pour "participer", il y a des vies à sauver, des ressources à préserver ! On peut comprendre les bonnes intentions de la tendance actuelle au micro-militantisme, d'une idéologie de l'auto-organisation anti-totalitaire bien dans l'air du temps néolibéral et conforme à l'idéologie des réseaux. On voudrait qu'il n'y ait pas de Tout ni d'organisations, mais le climat nous totalise (ou les circuits financiers) et nos ennemis sont organisés.

L'abandon des enjeux globaux et d'une organisation décidée est dangereusement irresponsable face aux menaces écologiques qui exigent de prendre en charge la totalité écologique en comprenant ses contradictions, ce qui suppose un engagement sur le long terme, de poser un but pour l'atteindre, d'être responsables des effets de nos actions, et donc de s'accorder sur nos finalités humaines. Le salut ne sera pas individuel. L'action collective a besoin d'organisation et d'une vision de notre destin commun, pas seulement d'objectifs concrets à court terme. Nous n'éviterons pas de nous entendre sur un projet collectif et de nous organiser, nous n'éviterons pas de prendre le pouvoir sur la totalité du monde. Le pouvoir corrompt, il est dangereux, il faut s'en protéger et le contrôler, mais si les contre-pouvoirs sont absolument nécessaires, ils ne sont en rien suffisants.

- Réappropriation de la totalité du monde (écologie, finalités, rétroaction)

"Le règne de la catégorie de la totalité est le porteur du principe révolutionnaire dans la science".

"Le but final n'est pas un état qui attend le prolétariat au bout du mouvement, indépendamment de ce mouvement et du chemin qu'il parcourt, un "État de l'avenir" ; ce n'est pas un état que l'on peut, par conséquent, tranquillement oublier dans les luttes quotidiennes et invoquer tout au plus dans les sermons du dimanche, comme un moment d'élévation opposé aux soucis quotidiens ; ce n'est pas un "devoir", une "idée" qui jouerait un rôle régulateur par rapport au processus "réel". Le but final est bien plutôt cette relation à la totalité (à la totalité de la société considérée comme processus), par laquelle chaque moment de la lutte acquiert son sens révolutionnaire". 43
Lukács (Histoire et conscience de classe)

S'entendre sur nos fins est un préalable. Si un autre monde est possible, il faut d'abord en rêver, en débattre, interpréter le monde avant de le transformer. Viser la totalité du monde comme objectif n'est pas une folie dangereuse mais ce qui donne sens à l'action locale. Ce qui distingue l'homme de l'animal, c'est d'être aussi fragile qu'un roseau, mais, roseau pensant, avoir par la pensée un rapport à la totalité du monde auquel l'angoisse de la mort nous dérobe sans cesse. Il ne suffit d'ailleurs pas d'être anti-totalitaire pour ne pas tout totaliser, et avoir une pensée globale n'est pas du tout tomber dans le totalitarisme ! Certes, penser la totalité planétaire a de quoi nous désespérer, c'est une pensée pour laquelle nous avons bien besoin des autres. Les grands mouvements sociaux sont les seuls moments de véritable communication où nous retrouvons notre puissance d'action et c'est dans l'action collective que nous pouvons éprouver ce qu'il est possible d'atteindre, encore faut-il que la pensée s'y soit préparée, qu'il y ait des perspectives visibles.

Si on peut comprendre, dans le contexte dépressif des 30 dernières années, la valorisation des actions de proximité aux objectifs limités mais concrets, cela n'est pas à la hauteur de nos responsabilités écologiques qui exigent des régulations globales, de prendre possession de la totalité du monde et de s'engager pour l'avenir car rien ne se fera tout seul, sans notre action résolue. Il faut bien sûr tirer les enseignements de l'histoire et ne pas retomber dans un militantisme abêtissant, inutile et aveugle, mais on ne peut se contenter d'actions dispersées, de liens faibles et d'expériences sans lendemain, on ne peut se passer d'engagements forts et suivis. On devrait sans doute substituer à l'engagement dans un groupe social, de plus en plus problématique, des engagements par objectif où chacun participe à hauteur de ses moyens et coopère au but commun. Seulement, il y a aussi des objectifs globaux, des objectifs politiques d'organisation de la société et qui ont besoin d'un "parti" à la dimension des institutions. Que la forme n'en soit pas satisfaisante pour l'instant n'en réduit pas la nécessité. La préservation de l'autonomie de chacun au niveau local ne peut se passer d'organisation politique, d'échanges, de centralisations et d'une vision globale. La possibilité de rejoindre ses objectifs, d'atteindre ses fins demande d'abord de se projeter dans l'avenir et de s'organiser.

Le capitalisme est global, son productivisme nous menace globalement, c'est globalement qu'il faudra lui substituer une production alternative même s'il faudra du temps pour la construire localement dans une reterritorialisation de l'économie. Les coopératives municipales prennent tout leur sens à s'inscrire dans une alternative globale à un productivisme capitaliste insoutenable et destructeur. Sinon, ce ne serait qu'une petite réalisation locale dérisoire et sans avenir. Seulement, on peut dire qu'actuellement il manque tout : une analyse de notre situation et de ses causes, une alternative concrète et les nouveaux modes d'organisation qui seraient nécessaires pour y parvenir. Chacun bricole dans son coin une espèce de privatisation du commun, chacun lance son portail, sa liste de discussion, son manifeste. Les troupes syndicales opposent une résistance dispersée sans aucune convergence des luttes et subissent défaites sur défaites...

Il faut partir de ce désastre pour s'engager dans la construction d'une alternative locale à la globalisation et des nouveaux cadres d'un militantisme renouvelé. Dans le vide actuel nous devons innover et nous rassembler pour trouver des formes d'organisation par objectif efficaces, une nouvelle forme de parti, plus organisé que le mouvement actuel mais plus souple et ouvert que les anciens partis gangrenés par la compétition électorale et coupés des militants. Pour cela il ne faut se satisfaire ni des pratiques isolées, ni des organisations actuelles, encore moins de notre impuissance. Il faudrait plutôt se mettre dès maintenant au service de la recherche collective d'un nouveau type d'organisation écologiste ainsi que de la définition de nos objectifs de développement humain, prenant en compte les bouleversements de l'ère de l'information, se vouloir les germes de l'avenir et ne pas se croire à la fin de l'histoire...

Non seulement tout est à (re)construire, nos liens, notre communauté, notre organisation, nos objectifs, mais il faut se préparer à s'engager dans un environnement incertain, toujours prêt à corriger les dérives, régler nos actions sur leurs effets, surmonter nos échecs. La voie que nous devons explorer est celle d'une liberté collective décidée mais prudente et soumise constamment à la critique, un engagement qui ne peut être aveugle ni simple caprice, mais fixant l'objectif à atteindre et s'organisant pour y parvenir. Cette aventure collective est la condition de notre autonomie, c'est ce qui donne un sens et permet d'habiter une vie quotidienne plus intéressante et plus belle car tournée vers l'avenir, mais ce n'est malgré tout qu'un bénéfice secondaire d'enjeux globaux beaucoup plus sérieux, qui nous rassemblent et décident de notre avenir commun. Tout est à faire, tout dépend de nous, ce n'est pas le moment de déserter ou de baisser les bras quand tout commence et qu'il faut s'engager sur le long terme.

Jean Zin 10/10/04
http://perso.wanadoo.fr/marxiens/politic/engagemt.htm
Ecrit par libertad, à 13:03 dans la rubrique "Pour comprendre".



Modèle de mise en page par Milouse - Version  XML   atom