Qu’est ce que gaspiller? «Dépenser avec profusion, consommer sans discernement». Essayons, à partir de cette définition, qui est tout à fait officielle, de voir ce qu’il en est de «gaspiller» dans la réalité économique et sociale.
LE «GASPILLAGE», UNE NOTION TOUTE RELATIVE
Qui gaspille et quoi?
La notion de gaspillage peut se déterminer à partir d’attitudes toutes
simples. Par exemple lorsque «je prend une quantité de biens supérieure
à celle que nécessite mon besoin et que j’en laisse perdre une partie
parce que je ne la consomme pas».
Dans le langage courant le gaspillage est lié à la déperdition d’un
bien ou d’un service produit mais qui ne satisfait finalement aucun
besoin… on dit qu’il a été «fabriqué en pure perte». Pourtant, à y
regarder de près, ce n’est pas cette conception du gaspillage qui est
celle de l’économie de marché.
Lorsque par exemple, un grande quantité de carburant est consommée au
cours d’un bouchon routier, on peut dire, suivant la définition
précédente, qu’il y a eu «consommation de carburant en pure perte», or
pour le producteur de carburant c’est tout à fait le contraire, il a
vendu de grandes quantité de carburant, c’est tout bénéfice pour lui.
D’ailleurs au niveau du système économique ceci correspond à une
production de bien qui a fait tourner l’entreprise, qui a pu verser des
salaires et qui donc a réalisé une valeur qui a rapporté un profit,
profit distribué et/ou réinvesti,…
Autre exemple: la destruction d’une forêt peut-être perçue comme un
gaspillage des ressources naturelles et une atteinte à l’environnement.
Or la destruction de cette forêt permet, de faire fonctionner
l’industrie du bois, du papier et le défrichement, permet de développer
l’agriculture. En terme économique marchand il n’y a pas gaspillage
mais au contraire accroissement de la richesse.
Ces exemples démontrent quoi? Simplement que le «gaspillage» est
fonction de la manière dont on considère l’activité économique, que son
sens est fonction des objectifs que l’on s’est fixé.
«PILLAGE» ET «GASPILLAGE» LES DEUX MAMELLES DU SYSTEME MARCHAND
Comment «fonctionne» la marchandise? La marchandise est produite pour
être achetée et/ou consommée par un consommateur solvable. Autrement
dit, la motivation essentielle de la production de la marchandise est
plus la «réalisation de sa valeur d’échange» que sa «consommation
physique» (voir l’article «
LA MARCHANDISATION DU MONDE»). La production
est faite pour être vendue, ce qui veut dire qu’il est indifférent au
producteur, et de manière générale au système, de savoir à quoi va
servir ce qu’il a produit. Ainsi, deux situations bien singulières
peuvent se présenter:
- soit la marchandise est vendue/achetée dans ce cas qu’elle soit
consommée ou non consommée (perdue) n’a aucune importance pour le
producteur et plus généralement pour le système… il n’y a pas
socialement et économiquement gaspillage puisque l’objectif est
atteint: la vente;
- soit la marchandise n’est pas vendue/achetée dans ce cas il y a
socialement et économiquement gaspillage puisqu’elle n’a pas rempli sa
fonction, celle de valoriser le capital en réalisant sa valeur sur le
marché.
On voit donc que la notion de gaspillage, dans le cas de la marchandise
est liée, plus à la réalisation de la valeur marchande qu’à la
satisfaction d’un besoin.
En effet, le cas qui consisterait à mettre à disposition d’un
consommateur insolvable (qui ne peut pas acheter), un bien ou un
service, est un cas absurde, est un non sens en terme marchand.
Pourquoi? Simplement parce que la marchandise n’a pas pour objectif de
satisfaire un besoin, mais uniquement un besoin solvable.
On imagine sans peine les conséquences d’une telle conception en
général, mais en particulier concernant des biens et services tels que
la santé, l’eau, l’éducation, l’énergie, le transport. C’est quand on a
compris tout cela que prend réellement toute sa signification la
défense du service public qui lui privilégie l’«usage» sur l’«échange»,
la «satisfaction du besoin» sur «ce que ça rapporte financièrement».
Le gaspillage a donc dans le système marchand une définition très
précise. On peut la résumer comme suit: tout ce qui est «valorisé» et
susceptible d’être vendu est utile, tout le reste n’a aucune
importance… D’une certaine manière, au regard de la logique marchande,
le service public est une sorte de gaspillage puisqu’il a pour priorité
l’«usage» et non l’«échange»… c’est exactement le raisonnement que
tiennent les gestionnaires du système marchand.
Ainsi polluer une côte, les mers, les rivières, l’air, détruire une
forêt, faire disparaître des espèces animales ou végétales, laisser
mourir du sida des populations pauvres, laisser à l’abandon des
compétences (chômage) qui n’entrent pas dans le calcul de rentabilité
de l’entreprise,… n’a aucun importance sur un plan marchand. Seul
compte ce qui rapporte.
Par contre extraire sans limites les richesses minières, produire des
gadgets, faire de l’élevage intensif, utiliser massivement des engrais,
des insecticides, des OGM… est de la plus grande importance car… ça
rapporte.
On comprend dès lors que ce qui nous paraît parfois aberrant et
scandaleux (pollution, exclusion,…) et qui est fait sans retenue, n’est
pas une erreur mais la conséquence d’un froid calcul, correspondant
parfaitement à la rationalité du système marchand. Ce n’est pas le
système marchand qui dysfonctionne, au contraire, il développe jusqu’au
bout sa logique.
Le «tout jetable» est pour ainsi dire, le stade ultime de la production
marchande. Il est l’expression la plus parfaite de l’indifférence qu’a
le système marchand pour l’aspect matériel de la marchandise… et pour
tout dire de ce qui constitue la matière première qui a servi à le
fabriquer. Il est, dans la même logique, l’expression de la plus
parfaite indifférence au regard de la «force de travail» qui ne lui est
pas utile. Le chômeur, le retraité est l’expression d’une force de
travail inutile… il est lui aussi en quelque sorte considéré comme
«jetable».(voir l’article «
LA CROISSANCE, QUELLE CROISSANCE?»)
INTERETS ET INDIFFERENCE DU SYSTEME
Le système sort de son indifférence lorsque les conséquences de son
fonctionnement portent atteinte à ses intérêts. La sonnette d’alarme
n’est jamais actionnée par lui mais par celles et ceux qui, conscient
des problèmes d’environnement et d’exclusion, «mettent le doigt» sur
ses contradictions. S’établit alors un rapport de force qui aboutit
soit au «recyclage» dans le cas de la protection de l’environnement,
soit à des «plans sociaux» dans le cas des licenciements,… mais ces
mesures sont toujours prises à contre cœur… en effet, elles coûtent et
sont donc en contradiction avec l’objectif du système qui est et
demeure, faire de l’argent. La lutte contre le gaspillage et la
pollution est assumée par le système quand… elle est rentable pour
l’entreprise qui la prend en charge… ou lorsqu’elle est prise en charge
par la collectivité. C’est généralement le «public», qui prend en
charge les dégâts occasionnés par le «privé».
De plus, le système en place a un argument important, c’est que
justement il est en place, il fonctionne, il a sa rationalité, ses
institutions, son idéologie, ses adeptes qui sont au pouvoir…De temps
en temps il «lâche du lest» pour faire retomber la pression sociale…
C’est celles et ceux qui le contestent qui doivent faire… mais quoi? et
comment?. Ceci aboutit à une sorte d’indifférence généralisée.
Autrefois on disait «La vie n’est qu’un passage, Dieu nous jugera»,
aujourd’hui c’est: «La science trouvera bien une solution».
Cette indifférence, encouragée par le système, formate les esprits à
une démarche mercantile immédiate et non axée sur la prise en
considération du long terme. Si la satisfaction des besoins immédiats,
passe, pour le plus grand nombre, dans nos pays, par l’acceptation de
principes aberrants, eh bien on accepte. Quand on dit à un quelconque
citoyen «Nous consommons des ressources non renouvelables qui
disparaîtront dans cinquante ans», ou «la planète ne sera plus viable
dans un siècle»,… c’est comme quand on dit à un gamin qui fume… «Tu
auras un cancer dans quarante ans»… l’indifférence de la plupart et des
politiciens en particulier (voir l’article «
LES MYTHES ECONOMIQUES»)
Le système se conforte ainsi dans sa propre aberration, conforté par
l’indifférence du plus grand nombre qui se trouve confortée par
l’indifférence des gestionnaires. La boucle est bouclée, le grand
consensus aboutit à… ce que rien ne change et la planète dépérit… et
nous avec.
Rouler à bicyclette, trier les ordures, éviter les emballages
inutiles,…sont des actions utiles mais à elles seules, elles ne
résoudront pas le vrai problème qui est celui des rapports de
production et de distribution des richesses… pire, ne s’en tenir qu’à
ça peut servir d’alibi au système marchand qui sait se donner bonne
conscience au regard de tout ce qu’il détruit… voir l’escroquerie du
«développement durable».
Dire que le système marchand est entrain de détruire la totalité des
ressources, de gaspiller au nom du principe de «rentabilité», de
s’enliser dans ses propres déchets est une autre façon de dire qu’il
succombe, et nous avec, aux conséquences du principe de son
fonctionnement. C’est donc en toute conscience que ce système est
entrain de détruire, à une échelle jamais atteinte dans l’Histoire
humaine, l’éco système de notre planète et de mettre en péril la survie
des générations futures. Ceci montre le caractère historiquement
criminel des politiques de développement basées sur un pillage massif
et un gaspillage illimité des ressources naturelles… pratiques qui ne
sont condamnées par aucun code… et pour cause.
Patrick MIGNARD