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L’analyse de classe de Negri : La théorie autonomiste italienne des années 70
--> Traduction tirée de la revue Reconstruction n°8 (hiver/printemps 1996)

Lu sur : Senonevero « Au cours des dix dernières années, la collaboration de Toni Negri avec Deleuze et Guattari a rendu son nom familier aux lecteurs anglophones de tendance radicale. Mais comme le montre STEVE WRIGHT, les idées spécifiques de Negri furent d’abord débattues au sein du mouvement italien des années 70.

Je ne crois pas que tout ce que je dis soit autre chose que du marxisme orthodoxe. C’est la vérité, de toute façon, fût-elle non orthodoxe ; l’orthodoxie a très peu d’importance pour moi... [1]

A la fin des années 70, le courant qui devait à la fois avoir la plus grande influence politique et susciter le plus de controverses théoriques au sein de l’ultra-gauche italienne fut celui associé à l’analyse de la classe et de l’Etat développée par Antonio Negri. L’hypothèse d’un nouveau prolétariat disséminé dans toute la société, rassemblé à la fois dans les sphères de la production et de la reproduction, un ‘ouvrier social’ dont l’ouvrier masse de la chaîne fordiste n’était au mieux qu’un pauvre prototype, devait être la contribution la plus controversée de Negri à l’exploration de la composition de classe entreprise par la variété italienne du marxisme connue sous le nom d’ ‘opéraïsme’ [operaismo] [2].

Depuis lors, la compréhension du conflit social par Negri a connu une série d’inflexions et de tournants. Dernièrement, son œuvre a énormément insisté sur l’émergence du ‘travail immatériel’ au sein de l’actuelle crise de ce pacte social keynesien qui caractérisait tant de sociétés occidentales après le seconde guerre mondiale. Ce qui est resté constant dans sa pensée, pourtant, c’est l’idée que l’ ‘ouvrier social’ est au cœur de la composition de classe d’aujourd’hui.

Une bourgeoisie multinationale et basée sur la finance ( qui ne voit pas de raison de porter le fardeau d’un système national de protection sociale ) s’affronte à un prolétariat socialisé, intellectuel, qui, d’une part, est riche de nouveaux besoins, et, d’autre part, n’est pas capable de maintenir une continuité avec l’articulation du compromis fordiste. [3]

Une telle description de la dynamique sociale contemporaine continue d’alimenter le débat au sein de la gauche radicale italienne [4]. Dans le texte qui suit, je veux tenter quelque chose d’assez différent : à savoir, explorer les origines du concept d’ ‘ouvrier social’ de Negri dans les circonstances spécifiques qui l’ont d’abord inspiré, afin d’évaluer dans quelle mesure il a pu représenter un outil pour comprendre les péripéties du conflit de classe.

Le dernier tango à Mirafiori

Depuis le début, le développement des analyses de Negri sur l’‘ouvrier social’ devait était inséparable de celui d’une tendance politique nouvelle : Autonomia Operaia. Comprendre l’Autonomia dans son ensemble n’est pas une chose simple.

Idéologiquement hétérogène, territorialement dispersée, organisationnellement fluide, politiquement marginalisée : La comparaison de Giorgio Bocca avec un archipel est juste. Jamais organisation unique, encore moins aile de masse des groupes armés, l’ ‘Aire’ des organisations et collecifs autonomistes devait commencer à se désintégrer juste après être devenue hégémonique au sein de l’extrême gauche italienne. [5]

L’autonomie s’était d’abord cristallisée comme entité politique distincte en mars 1973, quand quelques cent militants venus de tout le pays se rassemblèrent à Bologne pour prendre les premières mesures en vue de constituer une nouvelle organisation nationale de la gauche révolutionnaire [6]. Un certain nombre des gens rassemblés à Bologne étaient, comme Negri lui-même, membres de l’aile vénitienne de Potere Operaio (Potop) ; mais la majorité avait déjà abandonné les groupes d’extrême-gauche, irritée par leur engagement croissant dans les syndicats et la politique institutionnelle. Les termes du rapport introductif de la conférence résumaient clairement l’orientation stratégique qui unissait les participants : ‘ le seul chemin possible est celui de l’attaque’. En outre, une telle offensive ne pouvait se fonder que sur ces besoins de classe que les divisions idéologiques artificielles introduites à la fois par la gauche traditionnelle et la nouvelle gauche tendaient à obscurcir. Pour articuler de tels besoins, il fallait que l’organisation soit enracinée directement dans les usines et leurs alentours, dans des corps capables à la fois de promouvoir les luttes gérées directement par la classe elle-même, et de restituer à celle-ci cette ‘conscience du pouvoir prolétarien que les organisations traditionnelles ont détruit’ [7]

Pendant les dix-huit mois suivants, le programme de l’Autonomie devait toucher une corde sensible parmi un nombre réduit - mais croissant - de gauchistes italiens. A la fin de 1973, la majorité des membres de Potere Operaio choisirent de ‘se dissoudre’ dans l’Aire, exemple bientôt suivi par quelques groupes plus petits. Le plus important de ceux-ci devait être le Gruppo Gramsci, lui-même une organisation mineure avec une certaine influence dans la gauche du mouvement syndical à Milan. Reconstitué en tant que Collettivi Politici Operai, le groupe devait produire la plus profonde auto-critique de tous les courants léninistes qui entrèrent dans l’Autonomie. Selon les termes du numéro de décembre 1973 du journal Rosso, ce dont on avait maintenant besoin, ce n’était rien d’autre qu’une nouvelle forme de pratique politique, qui rompît avec la ‘logique’ des groupes d’extrême gauche et le langage provincial des ‘experts’ politiques, qui savent l’ABC - et même le L et le M - du marxisme-léninisme, sans être capables de parler concrètement de nous-mêmes et de nos expériences.

Plutôt qu’une politique qui s’occupe d’un ouvrier abstrait, Mâle, adulte, normal, pas encombré par les sentiments et les émotions, rationnel, démocrate ou révolutionnaire, toujours prêt à assister à un meeting sur l’histoire ou les tendances du capitalisme, Rosso cherchait une perspective nouvelle qui aborde les questions de la domination sexuelle et émotionnelle, de la nature de la famille et de la marginalisation des gens considérés comme ‘anormaux’, à travers lesquelles ‘se manifeste l’esclavage imposé par le capital à l’usine et dans la vie’ . C’est cette tendance, la plus libertaire des tendances majeures de l’Aire, que Negri et les gens les plus proches de lui devaient rejoindre l’année suivante, contribuant à en faire la plus puissante formation autonomiste au Nord. [8]

A la différence de Rosso, néanmoins, la majorité des collectifs autonomes devaient garder les yeux solidement fixés sur les vicissitudes de la force de travail industrielle durant les années 1973 et 1974. Tout comme Negri lui-même, dont l’essai majeur de la période était centré sur l’usine en tant que ‘site privilégié à la fois du refus du travail et de l’attaque contre le taux de profit’ [9]. A cet égard, l’aspect le plus intéressant de l’essai devait être son effort pour clarifier la relation souvent posée par l’ouvriérisme entre la lutte de la classe ouvrière et le procès d’accumulation. Tandis que Potop avait conçu la relation entre composition de classe et crise économique dans les termes émoussés et mécaniques d’un jeu à somme zéro entre salaires et profits, dans ’Partito operaio contro il lavoro’ , Negri traçait en détail la voie ‘longue’ mais ‘qualitativement homogène’ reliant les conflits sur le terrain de la production aux problèmes de la reproduction du capital. [10]

La possibilité de l’effondrement capitaliste, et le rôle de la lutte de la classe ouvrière par rapport à celle-ci, avait d’abord été soulevée de manière systématique parmi les opéraïstes avec l’exploration de Negri dans ’Marx sur le Cycle et la Crise’. Bien qu’écrit avant les troubles dans l’industrie de l’ ‘Automne Chaud’ de 1969, cet essai préfigurait certains des thèmes centraux abordés plus tard par la tendance. Il représentait de la sorte la première tentative de l’operaismo d’offrir une lecture politique de cette partie de la critique de l’économie politique de Marx qui est traditionnellement la plus exposée au reproche d’objectivisme. Mais son aspect le plus intéressant était son examen des efforts de John Maynard Keynes et Joseph Schumpeter pour offrir une solution aux difficultés rencontrées par le capital pour garantir sa propre reproduction en tant que rapport social. Suivant Mario Tronti contre Lukacs, Negri ne croyait pas qu’une telle entreprise fût inaccessible à la ‘conscience critique’ du capital ; certes, Schumpeter et Keynes étaient tous deux capables de percevoir que le développement capitaliste était un processus sans limites préétablies menacé par ses contradictions internes. [11]

Negri affichait une admiration particulière pour Schumpeter, qui ne se cachait pas que l’économie capitaliste était dépourvue de toute tendance interne à l’équilibre. Mieux, en saisissant le moment de la crise non seulement comme inévitable, mais encore comme ‘un stimulant fondamental du système’ qui était ‘productif de profit’, Schumpeter avait aperçu les rapports de force entre classes qui sont sous-jacents au mouvement apparemment autonome des catégories économiques. [12]

Negri développa son approche du problème de la crise dans ’Partito operaio contro il lavoro’, une œuvre qui faisait ressortir les profonds changements dans l’accumulaton et de la lutte de classe apportés par le passage à la subsomption réelle du travail sous le capital. S’appuyant à la fois sur les Grundrisse et sur les ‘Résultats du Procès immédiat de Production’ de Marx, Negri s’attaquait à la tendance centrale du développement capitaliste, c’est à dire ‘le raccourcissement de cette partie de la journée de travail qui est nécessaire à la reproduction de la valeur de la force de travail’ [13]. La division de la journée de travail entre travail nécessaire et surtravail, insistait-il, était devenue une lutte entre deux variables indépendantes : non seulement le mécanisme disciplinaire traditionnel de l’armée de réserve industrielle ne fonctionnait plus, avec un nombre croissant de jeunes refusant le travail d’usine, mais le salaire revêtait de plus en plus une rigidité indifférente aux besoins de l’accumulation. [14]

Une telle analyse, comme tant d’autres avancées par l’opéraïsme, avait peu de choses à voir avec les préceptes marxistes conventionnels. D’autre part, avec son concept du travail comme variable indépendante dans le rapport de classe, Negri était clairement en contradiction avec la lettre du livre I du Capital, mais il pouvait invoquer le livre III du même magnum opus de Marx. [15] Mais plus important que la confirmation par les textes sacrés, il y avait le témoignage éloquent des problèmes de productivité et de rentabilité de plus en plus graves de l’économie italienne. Plus tard, dans Marx au-delà de Marx, Negri devait mettre en lumière le caractère nodal du rapport travail nécessaire - surtravail dans la lutte de classe, montrant qu’à travers la rigidité du procès de travail, la classe ouvrière pouvait entamer le potentiel de profit du capital [16]. Dans ’Partito operaio contro il lavoro’, cette tendance restait implicite, avec la description de la journée de travail comme terrain d’une guerre civile permanente entre les deux classes principales [17]. Plutôt que de développer ce point, l’essai choisissait de poursuivre sur la base de l’analyse mise en place par Negri dans l’ouvrage Crisi dello Stato-piano : l’entreprise restait le cœur de son procès de valorisation, mais le capital exerçait une pression continuelle pour une plus grande socialisation du travail, allant au-delà d’une simple extension du procès de production immédiat, vers une redéfinition complète de la catégorie travail productif. Les limites de cette catégorie, concluait-il, ne pouvaient être appréhendées que dans un sens spécifiquement historique, car elles étaient liées au niveau atteint par le procès de subsomption du travail sous le capital...nous pouvons maintenant dire que le concept de salarié et le concept de travaileur productif tendent à devenir homogènes, ce qui a pour résultat la constitution de ‘la nouvelle figure d’un prolétariat unifié’ [18]

’Partito operaio contro il lavoro’ était donc clairement une étape transitoire de la compréhension du capital et de la classe par Negri : En introduisant les formules opéraïstes classiques dans un discours fondé sur la tendance dégagée dans les Grundrisse, il avançait déjà vers l’hypohèse de l’‘ouvrier social’ [operaio sociale]. Comme dans la plupart des œuvres de transition, l’auteur ne semblait pas du tout conscient des contradictions que recelait son texte. Negri fit peu de choses, par exemple, pour justifier sa définition du travail productif par la dynamique de l’histoire ; ce qui l’intéressait, c’était plutôt l’idée que, dans la conjoncture actuelle, l’attaque de l’ouvrier masse contre le taux de profit restait le point de ralliement du prolétariat dans son ensemble. Negri concluait donc avec satisfaction que l’usine et la société, la production et la reproduction, n’étaient pas encore identiques, mais continuaient à exister dans une relation ‘dialectique - une relation que le capital lui-même cherchait à maintenir en tentant d’isoler la chute du taux de profit dans l’usine (et ses agents) du procès de socialisation du travail productif qui se déployait sur toute la société’ - les ouvriers des grandes usines, comme ‘sujet privilégié de l’exploitation’, restaient ‘absolument hégémoniques’ politiquement et théoriquement par rapport au reste de la classe. [19]

La grève massive avec piquet et occupation à l’usine FIAT de Mirafiori en mars 1973 devait apporter un signal encourageant aux vues de Negri. Au même moment, sa discussion du ‘Parti de Mirafiori’ offrait effectivement un aperçu sur cette notion d’un prolétariat socialement homogène, qui, écartée dans les derniers jours de Potere Operaio, devait bientôt redevenir pré-éminente dans sa pensée. S’il existait une limite pour l’avant-garde de masse formée pendant les années écoulées depuis l’Automne chaud, elle résidait selon lui, dans la répugnance à s’aventurer au-delà des portes de l’usine et se joindre à la lutte pour l’appropriation dans la sphère sociale. Cherchant à surmonter cette faiblesse, Negri devait préconiser une forme radicale de réduction à la valeur qui effaçait toutes les spécificités de ceux qui n’ont que leur force de travail à vendre. Reprenant le thème de Potop de la crise de la loi de la valeur comme crise du commandement sur le travail, Negri affirma que la base commune pour la recomposition de classe se trouvait dans une ’‘unité du travail social abstrait’ qui avait la priorité sur les problèmes ‘spécifiques’ des divers secteurs de la sphère sociale ( jeunes, femmes, éléments marginalisés, etc )’ et de l’usine [20]. Le terrain de la valeur, comme Crisi dello Stato-piano l’avait déjà affirmé, ne pouvait plus être interprété qu’en termes de pouvoir. On ne pouvait donc subsumer les particularités des espaces où surgissait une telle organisation, et le contenu des besoins dont la non-satisfaction poussait à sa formation, que sous un projet de ‘contre-pouvoir’ contre l’Etat. De cette manière, le nœud gordien de l’unité de classe, qui ne pouvait être démêlé qu’en identifiant lentement et avec précautions les éléments communs aux secteurs souvent divergents de la lutte, devait en fait être tranché avec l’arme de la lutte armée de masse. Dans un essai de 1974 consacré à la stratégie de classe dans un contexte global, Negri assurait le lecteur que la lutte armée représente le seul moment stratégique fondamental - c.à.d. la seule possibilité pour parvenir à une recomposition du prolétariat et à une consolidation des luttes, et pour détruire, du même coup, les armes capitalistes de la provocation et de la répression destinées à isoler et à re-compartimenter les divers secteurs de la classe . [21]

Et pourtant, quand Negri n’était pas en train de fondre la complexité du conflit social dans une thématique uni-dimensionnelle du pouvoir, il lui arrivait de poursuivre la démarche de l’enquête qui met l’accent sur les contenus matériels de la lutte. Dans ’Partito operaio contro il lavoro’, par exemple, il devait affirmer que la libération des besoins individuels doit maintenant être considérée comme partie intégrante de la lutte de classe : Pour la première fois peut-être, en dehors de l’utopie et de ces moments formidables d’enthousiasme que sont les insurrections, l’objectif que propose la classe dans son intensité, dans sa totalité - inclut les besoins individuels.

On ne peut remettre la libération au communisme. Les nouveaux besoins introduits dans les dernières générations de la classe ouvrière sont des besoins de libération. Il n’y a rien de plus riche et de plus magnifique que la capacité à relier les besoins immédiats des individus aux besoins politiques de la classe. [22]

La position de Negri est ici fort éloignée de ses vues de 1971, quand il prêchait qu’ ‘Aujourd’hui, le seul plaisir de la classe réside dans sa relation à l’organisation de classe et sa confrontation au dispositif de haine du pouvoir capitaliste’ [23].Par ailleurs, la nouvelle vision de Negri restait enveloppée dans le vieux bagage théorique, puisqu’il continuait à tenter de coincer toute sa thématique des besoins dans le modèle du salaire, posant ‘la structure historique du salaire’ comme expression privilégiée ‘du niveau objectif des besoins’ au travers duquel il faut passer au crible les luttes dans et hors de l’usine. [24]

‘Nous paierons ce que paye Agnelli’

Durant l’année 1974, alors que la crise de l’énergie en Occident exacerbait l’inflation intérieure, la société italienne explosait sous l’effet de nouvelles luttes qui poussèrent ces tendances ‘sociales’ déjà en action dans la pensée de Negri au centre de sa conscience. Le thème commun de la nouvelle agitation était la pratique de l’ ‘auto-réduction’, à travers laquelle les travailleurs s’organisaient pour se protéger contre l’augmentation des prix des services déclenchée par le gouvernement Rumour. Partie de Turin, où les ouvriers de l’usine FIAT de Rivalta refusèrent de payer une augmentation des tarifs de bus, l’auto-réduction des prix se répandit bientôt dans toute les villes du Nord et à Rome, où elle devint particulièrement populaire comme moyen de combattre les augmentations des tarifs de l’électricité et du téléphone.

Alors que de telles activités prenaient rapidement les dimensions d’un mouvement de masse capable de mobiliser 180.000 familles dans le seul Piémont, le mouvement ouvrier se trouva divisé sur la question . Tandis que de nombreux permanents syndicaux communistes ( PCI ) mettaient en cause l’efficacité et la valeur de cette nouvelle forme de lutte, d’autres considérèrent sa défense comme cruciale pour le maintien de leur légitimité. ‘Ces derniers mois, la crédibilité des syndicats a atteint son niveau le plus bas’, affirmait le secrétaire du Conseil du Travail de Turin. ‘Ce qui est en jeu ici, c’est notre rapport avec le peuple ; ce qui est remis en cause, c’est notre capacité à construire une alternative’. La pratique de l’auto-réduction s’avéra aussi un terrain fertile pour les collectifs autonomes. Avec suffisamment de membres à la commission de l’électricité ENEL contrôlée par l’Etat pour rétablir le courant à ceux à qui on l’avait coupée pour avoir défié les nouveaux tarifs, il n’était pas difficile pour les romains des Comitati Operai Autonomi -- connus communément comme les ’Volsci’ - de convaincre beaucoup de gens de la population locale de payer le tarif industriel (environ un quart du prix domestique ) au lieu des 50% de réduction proposés le plus souvent par les syndicats. Même sans une telle carte dans leur jeu, les groupes autonomistes en Vénétie et partout ailleurs étaient pourtant au premier rang dans la lutte, bien que par force plus prudents que leurs collègues romains. [25]

Et ce n’étaient pas non plus les seules luttes se déroulant hors de l’usine. A la menace de coupes dans les dépenses et les effectifs de l’éducation, un nouveau mouvement parmi les lycéens répondit par des manifestations et des occupations. A Turin, les lycéens organisèrent une marche sur Mirafiori pour assister à la première assemblée ouverte de l’usine. Une nouvelle vague d’occupations de logements commença également au début de l’année, partant de Rome et se s’étendant à Turin dès octobre.

Les squats de Rome furent dominés par les membres du groupe Lotta Continua, mais il y avait aussi place pour la participation des autonomistes romains, et l’un d’entre eux devint en septembre le premier de l’Aire à être tué dans des heurts avec la police. A Turin, par ailleurs, les occupations se firent remarquer par la présence numériquement importante d’ouvriers d’usine engagés dans une activité qui par le passé avait principalement impliqué des gens marginaux par rapport à la production et des ‘pauvres’ [26]. Enfin, le 12 octobre vit les premiers exemples de ‘shopping politique’, où des manifestants entrèrent dans un supermarché de Milan et forcèrent le directeur à vendre à des prix réduits. [27]

Des changements avaient lieu aussi dans l’Autonomie elle-même. Au milieu de l’année 1974, un débat sur le salaire garanti révéla des différences majeures de perspective. La cassure centrale passait entre ceux qui privilégiaient le refus du travail comme base de la stratégie révolutionnaire, et l’Assemblea Autonoma dell’Alfa Romeo, pour qui le développement de la conscience de classe - et des potentialités humaines - était inséparable de l’expérience du travail.

Par salaire garanti, nous entendons le droit à la vie conquis par la garantie d’un emploi. Parce que dans une société communiste, chacun doit contribuer selon ses capacités et recevoir de la société selon ses besoins... Les camarades de Marghera disent : quand les hommes seront libérés de la nécessité du travail, parce qu’ils n’auront plus besoin de travailler pour manger ou s’habiller ou satisfaire leurs désirs, alors nous aurons la vraie liberté ! A ceci nous répondons que nous ne sommes pas contre le travail, mais contre l’organisation capitaliste du travail dont la fin n’est pas le progrès social mais le profit.... [dans le Sud] les masses prolétariennes cherchent à résoudre leurs problèmes par des emplois. [28]

Se trouvant isolés sur ce sujet, les militants d’Alfa devaient quitter l’Autonomie quelques mois plus tard. Mais les différences au sein de l’Aire ne disparurent pas avec leur départ. Tout en étant sensibilisés au concept du communisme comme libération des individus du travail, les autres participants au débat étaient de plus en plus inquiets du poids politique des opéraïstes et de leurs alliés au sein de l’ Aire. Pour les romains en particulier, ni les anciens membres de Potere Operaio ni ceux du Gruppo Gramsci n’avaient semblé établir ‘un nouveau rapport avec le mouvement’. Au contraire, prétendirent les Volsci, ces militants restaient particulièrement sujets à la ‘tentation’ de reconstruire l’Autonomie selon la ligne désuète et bureaucratique des groupes formés à partir du mouvement étudiant de la fin des années 60. [29]

Ces craintes devaient rapidement se révéler prophétiques. Dès 1975, les composantes ‘organisées’ de l’Autonomie, allant du groupe autour de Negri et des vestiges de la minorité de gauche d’Oreste Scalzone au sein de Potop à un certain nombre d’organisations marxistes-léninistes et aux romains eux-mêmes, avaient déjà commencé à se transformer en un ensemble de ’micro-fractions’ politiques [30].Tandis que leur mépris pour la politique institutionnelle les amenait à travailler sur un terrain différent de celui choisi par les principaux groupes en-dehors du PCI (Lotta Continua, Avanguardia Operaia et le PDUP), le style politique des autonomistes s’alourdit de plus en plus, ce qui contribua à leur aliéner de nombreux sympathisants déjà désillusionnés par les ‘Trois grands’ (triplice) de l’extrême-gauche italienne. [31]

Il serait facile, avec le recul, de voir dans ce processus quelque chose d’inévitable, étant données les faiblesses inhérentes à cette culture ‘anti-révisionniste’ que les autonomistes partageaient avec la majorité des marxistes à gauche du PCI : en particulier le fait de greffer régulièrement les nouveaux aperçus sur le corpus marxiste-léniniste existant, au lieu de les utiliser pour remettre en question la prétention de celui-ci à être toujours la vérité révolutionnaire. Pourtant, ce serait une erreur de voiler quels étaient, particulièrement dans sa première période, les éléments absolument distinctifs que l’Autonomie apporta à la culture de l’extrême-gauche italienne. En refusant de séparer les sphères politiques et économiques de la lutte, et en choisissant au contraire de renverser la dichotomie traditionnelle parti-syndicat qui avait été la norme organisationnelle de la gauche depuis l’époque de la Seconde Internationale, l’Aire devait aller beaucoup plus loin que n’importe lequel de ses principaux rivaux en Italie dans la contestation de la sensibilité pragmatique de la politique communiste traditionnelle. Sous sa forme initiale de réseau essentiellement basé sur l’usine, l’Autonomia avait représenté une expérience limitée mais significative de politique révolutionnaire fondée sur l’auto-organisation de cette génération de militants sur le lieu de travail révélés par les luttes des années 60. Que la poursuite d’un tel projet ait immédiatement échoué au sein de l’Aire témoigne à la fois du poids mort des idéologies passées et du changement de plus en plus profond dans les forces sociales attirées sous la bannière de l’Autonomie. Ainsi, malgré la critique des préceptes léninistes traditionnels exprimée dans leurs premières années par les formations autonomistes les plus diverses, aucune ne devait tenter une critique aussi fondamentale que celle qui émergea de certains cercles féministes [32].

Au contraire, en opposition à la politique de plus en plus conformiste de la triplice, la plupart des tendances de l’Autonomie devaient formuler une version du léninisme qui, tout en critiquant souvent durement la compréhension de la tactique chez les groupes armés, sanctifiait néanmoins la lutte armée comme le couronnement de la lutte de classe. Confronté avec l’apparente détermination de l’Etat italien à criminaliser la protestation sociale, qui au milieu de l’année 1975 vit les fascistes et la police tuer six manifestants gauchistes en autant de semaines, un tel ‘léninisme en armes’ acquérait une certaine pertinence pratique aux yeux de nombreux jeunes lycéens activistes formés dans la nouvelle période des auto-réductions et des batailles de rue. Alors que l’Autonomie commençait, à travers la désaffection politique ou les licenciements, à perdre une bonne partie de sa base dans les grandes usines italiennes, c’est parmi cette nouvelle génération, impressionnée par l’état de préparation des autonomistes à affronter physiquement les attaques des carabinieri et des fascistes, que l’Aire devait recruter le plus fortement. [33]

Ecrivant début 1976, Negri avait identifié une des contradictions fondamentales auxquelles faisaient face l’Aire et les forces sociales qu’elle cherchait à organiser : entre ceux qui privilégiaient ‘le mouvement’ et les champions d’ ‘une conception « léniniste » de l’organisation’ [34]. Malheureusement, la confiance qu’il avait placée dans la capacité de l’Autonomie à surmonter ce problème devait bientôt se révéler injustifiée. Choisissant au contraire d’ ‘agir come un parti’ dans la tradition de Potere Operaio et Lotta Continua, les forces dominantes de l’Autonomie devaient se condamner sans le savoir à répéter la trajectoire de ces groupes dont elle avait autrefois si violemment critiqué les échecs. [35]

Adieu à l’ouvrier masse

’Gasparazzo n’est pas éternel . . . ’ [36]

C’est dans ce contexte que Proletari e Stato de Negri parut au milieu de l’année 1975. Œuvre courte, la brochure débordait d’hypothéses sur le changement de nature de la lutte de classe. Toute hésitation à évoquer la nouvelle composition de classe étant finalement abandonnée, le thème dominant était le renouvellement dans la crise, la continuité dans la rupture à la fois pour la critique de l’économie politique et pour le processus d’antagonisme social. Pour Negri, les tentatives du capital, à la suite de l’Automne chaud, de diviser la classe par une altération de sa composition technique et la socialisation plus poussée du rapport salarial, avait gravement échoué. Comme un moderne apprenti sorcier, les efforts du capital pour reprendre le contrôle avaient seulement multiplié ses difficultés , car, tandis que l’offensive de l’ouvrier masse était stoppée, de nouvelles couches prolétatiennes - une nouvelle figure de classe sans aucun doute - étaient entrées dans la bagarre à sa place. SI cette nouvelle figure de classe était le rejeton du précédent cycle de lutttes, c’est la crise du développement capitaliste qui était son accoucheuse. Comme ’Partito operaio contro il lavoro’, Proletari e Stato cherchait à situer son analyse de la composition de classe dans le cadre d’une discussion sur la baisse tendancielle du taux de profit. Mais, tout en reprenant les arguments du journal opéraïste Primo Maggio, Negri appelait maintenant à une modification substantielle de la théorie des crises. Certes, admettait-il, la ‘tendance marxiste’ s’était vérifiée, et les problèmes associés au taux de profit étaient exacerbés par la lutte de la classe ouvrière. Mais précisément pour cela, jusqu’ici, les classiques contre-tendances du capital n’avaient pas agi : malgré la plus grande flexibilité imposée à la force de travail, malgré les tentatives de désarticulation territoriale de la production ( à tous les niveaux : local, régional, national, multinational ), malgré la nouvelle mobilité du capital sur le marché mondial, malgré les effets déconcertants du processus d’inflation, malgré tout cela et de nombreuses autres tentatives, la rigidité globale du rapport entre plus-value et capital total - c’est à dire le taux de profit - n’avait pas été dissoute...Le profit ‘stagne’ ...même avec l’inflation et toutes les autre interventions antagonistes [37].

A la place de ces contre-tendances, le capital était forcé de compter de plus en plus sur les propriétés spécifiques offertes par la forme monnaie pour rétablir une proportion correcte entre masse et taux de profit. En conséquence, la critique de l’économie politique devait maintenant s’élargir pour appréhender la nouvelle fonction de l’argent. en tant que commandement. Au même moment, les difficultés du capital ne l’avaient pas empêché de réorganiser sa composition organique et avec elle, la composition technique de la classe ouvrière. Mais si la restructuration avait ‘dévasté’ l’ouvrier masse, elle avait aussi entraîné une plus grande socialisation du capital, avec une ‘massification accrue ’ consécutive ‘ du travail abstrait, et donc du travail socialement diffus prédisposé à la lutte’. Alors que ‘la catégorie « classe ouvrière » est entrée en crise’, concluait Negri, ‘elle continue à produire tous ses effets propres sur l’ensemble du terrain social, en tant que prolétariat’ [38]

C’est l’opéraïste non-conformiste Roman Alquati qui avait, un an auparavant, créé le terme d‘ ‘ouvrier social’ entendant par là un nouveau sujet politique dépassant l’ouvrier masse, et lié en tant que tel à la prolétarisation et à la massification du travail intellectuel [39]. La définition de Negri, au contraire, à la fois englobait cette strate et s’étendait bien au-delà. Dans son esprit, comme il devait le dire en 1978, ‘la thèse fondamentale sous-jacente à la théorie de l’opéraïsme est précisément celle d’une abstraction consécutive du travail parallèle à sa socialisation’ [40]. Si l’ouvrier masse était la ‘première concrétisation massive’ de cela, [41] sa figure était pourtant liée à des secteurs déterminés de la classe, en particulier à ceux produisant des biens de consommation durables. Ce n’était pas le classe ouvrière mais son avant-garde : ‘l’ouvrier masse, et même auparavant, l’ouvrier qualifié par rapport aux paysans’ , dirait plus tard Alquati, ‘nous a appris que l’hégémonie ne réside pas dans le nombre, mais dans le rapport qualitatif à l’accumulation’ [42].

Comme conclusion logique de l’orientation initialement postulée par Negri dans Crisi dello Stato-piano, sa théorie de l’ouvrier social représentait donc une rupture radicale dans la généalogie des figures de classe inventoriées par l’opéraïsme italien, celle de l’ouvrier social étant la première à n’avoir pas été forgée par un remodelage qualitatif du procès immédiat de production. L’ operaio sociale était encore moins lié à un secteur industriel particulier : c’était plutôt le prolétariat dans son ensemble, sujet en tant que travail abstrait, constitué à travers tout l’arc du procès de valorisation. Pour la première fois, insistait Negri, c’etait la continuité et la généralisation de la lutte se développant de pair avec la socialisation du rapport capital, plutôt qu’une défaite technologique, qui avaient produit une nouvelle composition de classe [43].

Proletari e Stato abordait son sujet d’une façon très générale, générique même ; après avoir affirmé sa nature profondément sociale, le texte devait dire très peu de choses sur les changements de configuration de l’ouvrier masse qui ont conduit à la formation de la nouvelle figure de classe. Pour Negri, les questions les plus importantes tournaient autour de ce qu’il voyait comme le ‘potentiel révolutionnaire massif’ de l’ouvrier social, et un processus de recomposition se déployant avec ‘un souffle et une intensité extraordinaires’. Le projet capitaliste de restructuration n’avait pas détruit, mais plutôt vivifié la composition politique du prolétariat, unifiant les diverses strates qu’il avait cherché à diviser. Il y avait maintenant, expliquait Proletari e Stato aux lecteurs, ‘une unique loi d’exploitation présente sur tous le procès de planification de la société capitaliste’, qui obligeait ‘à lire dans la restructuration la formation d’un potentiel de luttes unitaire de plus en plus vaste’ [44].

Les pages de Rosso aident à concrétiser les éléments constitutifs de la nouvelle figure de classe un peu mieux que Proletari e Stato lui-même : En 1975, un nouveau cycle de conflits s’était ouvert dans l’industrie pour le renouvellement des contrats ; comme en 1972-1973, les autonomistes mirent l’accent sur la nécessité pour les ouvriers de prendre l’offensive sur le prix de la force de travail. Ainsi, espéraient-ils, la lutte de classe aggraverait ce que de nombreux hommes d’affaire et dirigeants politiques continuaient à voir comme le problème principal de l’économie italienne : le gonflement de sa facture salariale. Sur le terrain fondamental de la division entre travail nécessaire et surtravail, affirmait le journal, la seule réponse possible pour la classe ouvrière était une campagne pour une nouvelle réduction de la journée de travail sans perte de salaire, revendication que l’organisation de Negri entreprit de propager parmi les chauffeurs de car milanais [45].

Tandis que les grandes usines étaient restées le sommet de la pyramide industrielle italienne, la large dispersion territoriale de nombreux procès de travail, en même temps que l’importance traditionnelle des petites entreprises produisant des composants, donna de plus en plus de poids aux ouvriers des lieux de travail de petite taille. Dans la ligne de ce changement, Rosso commença à publier des informations sur les premiers efforts d’auto-organisation parmi les jeunes ouvriers dans les petits ateliers de Milan et de Turin. Connus sous le nom de ‘cercles de jeunes prolétariens’, ces groupes locaux tentaient de coordonner les conflits dans différentes entreprises, tout en s’engageant aussi dans de nouvelles formes d’auto-réduction comme l’occupation de cinémas pour des concerts ou d’autres activités culturelles [46].

Sortant du lieu de travail, le journal gardait un œil vigilant sur le mouvement des ‘chômeurs organisés’ de Naples. Combinant l’action directe et le lobbying dans une ville synonyme à la fois de conditions de vie sordides et de clientélisme, le mouvement napolitain mobilisa des milliers de chômeurs, devanant le point de référence central de la région pour l’activité militante [47]. Ailleurs, le mouvement féministe qui était en train d’éclore commença à passer du problème du divorce, sur lequel il fit tomber le gouvernement en 1974, à la contestation de tous les aspects de la domination. Comme les chômeurs, les féministes étaient considérées par Rosso comme une composante à part entière du nouveau sujet social, et le journal commençait à présent à parler de l’émergence d’ ‘un nouveau prolétariat féminin’ [48]. Finalement, Negri voyait dans la poursuite de la pratique de l’auto-réduction, et en particulier les exemples de plus en plus nombreux de pillage organisé, un des fils rouges reliant ces couches dans un processus de recomposition unificateur [49].

Toutes ces luttes, selon Negri, cherchaient à satisfaire les besoins de leurs protagonistes en dehors de la logique des rapports sociaux capitalistes. Puisque les besoins sont par nature historiquement déterminés, ceux de l’ operaio sociale ne pouvaient être constitués, selon lui, qu’à l’intérieur de l’univers du capital. Encore une fois, et sans surprise, sa lecture portait la marque des Grundrisse. Une seule valeur d’usage pouvait éventuellement briser le cercle vicieux de la reproduction du capital : le travail vivant. C’est lui, sa substance vitale même, qui serait capable de subvertir le rapport de classe quand il deviendrait refus du travail, créativité dirigée vers la reproduction du prolétariat comme sujet antagoniste. Ce qui était urgent, par conséquent, c’etait de substituer au système existant des besoins un ‘systême de luttes’, dont la mise en avant restait la justification majeure d’un parti révolutionnaire [50]. Là encore, comme les Grundrisse, Negri insistait sur le fait de formuler ce débat en termes de dialectique entre les forces productives et les rapports de production. Au moment même où ‘la vieille contradition’ semblait s’être apaisée, et le travail vivant s’être subsumé sous le capital, toute la force d’insubordination se coagule dans ce front final qu’est le caractère antagoniste et constamment général du travail social. A partir de là, la force productive - la seule force productive qui est le travail social vivant - s’oppose en tant que lutte aux ‘rapports de production’ et aux ‘forces productives’ incorporées dans ceux-ci. De cette manière, la formule classique de Marx se trouvait reprise comme antagonisme direct entre prolétaires et Etat [51].

Si Proletari e Stato donnait ici une simple inflexion, typiquement ‘à la Negri’ , au schéma de Marx, ailleurs l’essai subvertissait une des catégories centrales de l’ opéraïsme [ ? ? ] - le salaire. Alors que celui-ci avait été longtemps le moment privilégié de la recomposition de classe, Negri critiquait à présent le mouvement ouvrier officiel pour avoir compris uniquement en ces termes les rapports de classe. Pendant toute une période, affirmait-il, le salaire dans le procès immédiat de production, et l’appropriation dans la sphère sociale avaient marché séparément mais frappé ensemble ; mais aujourd’hui, le premier tendait à devenir le second, quand la classe ouvrière visait ‘l’appropriation directe des forces productives de la richesse sociale’. Certes, pour Negri, la réappropriation directe n’était plus ‘un vague appendice du programme communiste , mais son essence’. La lutte pour le salaire avait autrefois subordonné toutes les autres luttes à sa logique ; maintenant, elle ne gardait un sens que comme partie de l’attaque contre l’Etat à l’échelle de la société. A la lutte contre la division entre travail nécessaire et surtravail, était venue s’ajouter la lutte pour réduire le travail nécessaire lui-même, le prolétariat s’efforçant d’accélérer la tendance du capital et ainsi de hâter la chute du règne tyrannique de l’économie [52].

Selon Proletari e Stato, l’hypothèse de l’operaio sociale ne pouvait être confirmée ou infirmée que dans la pratique. Dans quelle mesure, alors, sa description d’un processus massif de recomposition - un saut qualitatif dans l’unité de la classe - concordait-elle effectivement avec l’expérience italienne de cette époque ? Dans la brochure elle-même, Negri ne proposait qu’une très bref examen du problème de la ‘désarticulation marginale’, terme sous lequel il désignait les idiosyncrasies associées aux nouvelles couches socialement ‘marginalisées’. Même ici, les besoins de sujets comme les femmes ou les chômeurs ne semblaient avoir une signification politique que dans la mesure où ils ne pouvaient être réduits à ‘ la revendication d’un salaire’ [53]. Pourtant, alors qu’il n’est vraiment pas difficile de mettre en évidence la continuité temporelle dans les luttes depuis l’ouvrier masse de l’Automne chaud jusqu’au nouveau sujet social du milieu des années 70, il est bien plus ardu de trouver des traces de cette unification concrète entre secteurs sur laquelle reposait toute l’argumentation de Negri. Au contraire, dans la plupart des cas, malheureusement, cette potentialité ne devait pas tenir ses promesses, le front des luttes les plus acharnées dans l’industrie - celui des petites usines du Nord - se trouvant lui-même presque hermétiquement isolé des autres secteurs de la classe. Si plus tard, en 1977, on put trouver un exemple d’un tel moment d’agrégation dans le rôle de l’université. en 1975 -76, seule la pratique des auto-réductions - spécialement celle mise en avant par les ‘cercles de jeunes prolétarien’ - pouvait fournir un lien entre les couches de plus en plus diversifiées de la classe ouvrière italienne. [54]

Les divisions les plus dramatiques et les plus significatives de cette période servirent à la fois à isoler les ouvriers des grandes usines du Nord des autres sujets reproupés dans la figure de classe de Negri, et à imposer une cassure de plus en plus large à l’intérieur de l’ouvrier masse lui-même. Après une demi-décade de lutte, les principaux protagonistes de l’Automne chaud se trouvaient au mieux dans le monde incertain d’une ‘trêve productive’ dans l’usine, au pire engagés dans des conflits industriels à la fois défensifs et subordonnés aux ambitions institutionnelles du mouvement ouvrier officiel. Principalement du fait de leur capacité à garantir la rigidité de la force de travail dans une arène contractuelle de plus en plus centralisée, les confédérations syndicales avaient réussi après 1973 à gagner le soutien de la grande majorité des comités d’usine, tout en les bureaucratisant dans le même processus. En pratique, cela avait signifié deux choses : premièrement, la reprise, sous une nouvelle forme, du discours syndical traditionnel pour une hiérarchie des salaires fondée sur la qualification, parmi des ouvriers qui exerçaient une forte pression contre l’esprit égalitaire des années récentes ; deuxièmement, un engagement explicite des syndicats dans le sens de l’ajustement des revendications des travailleurs aux exigences de l’accumulation [55]. Le centre-gauche des années 60 ayant été évincé par des gouvernements de plus en plus autoritaires, et compte-tenu de l’expérience chilienne, les dirigeants du PCI s’engageaient maintenant sur la voie du ‘compromis historique’ avec le parti dominant des Chrétiens-démocrates, un objectif que les succès du parti aux élections régionales de 1975 semblaient rendre encore plus proche. Même s’il utilisait la confédération syndicale de gauche (CGIL) pour se reconstruire une présence sur les lieux de travail perdue au cours des années précédentes, ces projets politiques ne faisaient que renforcer l’hostilité traditionnelle du Parti Communiste vis-à-vis de ce qu’il considérait comme des luttes ‘corporatistes’ contre la nécessaire restructuration de l’économie. [56]

Sur le front industriel lui-même, il y avait des signes que beaucoup d’employeurs, loin d’être effarouchés par les luttes de l’ouvrier masse, avaient seulement intensifié leur quête de moyens pour subjuguer le ‘facteur travail’.

A la FIAT, par exemple, la direction avait entamé une guerre de manœuvre élaborée visant à saper le pouvoir sur la production qu’avaient acquis les ouvriers dans les luttes de l’Automne chaud. Utilisant le fonds national d’aide au chômage de la Cassa Integrazione pour réorganiser tout le cycle de production, la direction réduisit la production dans certains ateliers, tout en la poussant dans d’autres par l’utilisation extensive des heures supplémentaires. En même temps, de plus en plus de composants étaient confiés à des usines plus petites du conglomérat, y compris celles récemment installées hors d’Italie. Une telle désarticulation du cycle de production mina fortement la capacité de perturbation et de communication que les ateliers les plus militants de Mirafiori avaient utilisée à leur avantage les années précédentes, tout en permettant simultanément à la direction d’expérimenter de nouveaux processus de production basés sur la robotique. Tandis que les départs naturels et les mises à la porte pour absentéisme se combinaient pour réduire la force de travail totale de la FIAT de 13% au cours des deux années jusqu’à Septembre 1975, de plus en plus d’employés de FIAT furent contraints par l’inflation montante de se tourner vers le travail au noir, une pratique qui devait par la suite bloquer la transmission du militantisme. Comme si tout cela ne suffisait pas, en juillet 1975 la direction de FIAT devait obtenir l’accord des syndicats quant à son droit de contrôler la mobilité à l’intérieur de la firme, une victoire qui provoqua une orgie de transferts entre ses divers sites, et réduisit par la suite la rigidité des employés. Comme Marco Revelli devait plus tard l’indiquer.

Ce fut une période où la FIAT fut utilisée par les employeurs plus comme un moyen de reproduction élargie de la médiation politique ( et du consensus social ) que comme un moyen de production de marchandises, et il était clair que le syndicat était capable de survivre, comme une ombre, une forme fétichisée d’un ‘pouvoir ouvrier’ hypostasié. Mais il était également clair que, à mesure que la composition de classe qui avait constitué la base matérielle et sociale de ce modèle syndical se brisait, le moment approchait où le patron chercherait à régler ses comptes. [57]

Quels que fussent les autres problèmes auxquels ils faisaient face, le noyau de l’ouvrier masse formé à la FIAT restait encore suffisamment fort ces années-là pour conserver son emploi.Mais ailleurs, les ouvriers dans la production ne devaient pas être autant en sécurité. En Lombardie, par exemple, des centaines de firmes commençaient maintenant à décentraliser et rationaliser leur processus de production. Le cas le plus emblématique - celui de l’usine Innocenti propriété de British Leyland - offre aussi un aperçu des divisions qui traversaient le corps de la classe ouvrière dans l’industrie. Le premier cycle de troubles à Innocenti s’était ouvert en Avril 1975, quand la direction mit à la Cassa Integrazione certains ouvriers et introduisit des augmentations de cadence pour les autres. La situation empira fin Aoùt, quand les employés se trouvèrent affrontés à la perspective de licenciements pour un tiers d’entre eux, et à une augmentation permanente des temps de travail et des rythmes de production pour ceux qui restaient. L’opposition la plus intransigeante à ces attaques devait venir d’un petit nombre de militants qui, ayant pris leurs distances par rapport aux groupes d’extrême-gauche, avaient formé une organisation de base possédant un certain nombre de partisans dans les ateliers clés de l’usine. Face à une majorité hostile dans le comité d’entreprise dominé par le PCI, de plus en plus pris de vitesse à mesure que la lutte se déplaçait de l’atelier vers le terrain des négociations entre syndicat et entreprise, le Coordinamento Operaio Innocenti se trouva bientôt, selon les termes d’un ancienmembre, ‘dans l’œil du cyclone’ . Les chosesenarrivèrent à un point critique fin Octobre, quand des délégués PCI et CGIL en vinrent aux mains avec le groupe et ses partisans. Le jour suivant, six de ses membres furent virés, ce qui détruisit effectivement la Coordinamento en tant que force dans l’usine, et avec elle, toute possibilité d’une lutte qui ne fut pas hypothéquée par la participation de la gauche historique à la ‘gestion’ des difficultés économiques de la nation. [58]

Salué comme le nouveau programme de l’Autonomia dans certains cercles, Proletari e Stato devait recevoir un accueil orageux dans d’autres pour son désintérêt vis-à-vis de semblables revers de l’ouvrier masse. Si certains opposants d’autrefois à Negri adoptaient maintenant beaucoup de ses préceptes [59], la brochure ne devait guère satisfaire ceux de ses associés de toujours qui étaient restés à l’écart de l’aile ‘organisée’ de l’Autonomia. Sergio Bologna, un éditeur de Primo Maggio qui avait continué à collaborer avec Negri dans un certain nombre de projets de recherche, fut particulièrement déçu. Avec Proletari e Stato, disait Bologna, Negri avait saisi certains des ‘mécanismes objectifs de la composition politique’ présents dans la société italienne, mais complétement négligé les non moins substantielles tendances qui allaient à leur encontre : Combien d’ouvriers, combien d’usines, se sont trouvés dans les deux dernières années affrontés au problème de la fermeture, et combien de luttes se sont épuisées dans le choix entre la défense d’un salaire indépendant de l’échange de la force de travail, et les coopératives de production ? Entre salaire garanti et auto-gestion, fermeture de l’usine et acceptation de la restructuration ? Dans de telles circonstances, la gauche révolutionnaire soit n’a pas su comment offrir d’autre alternative, soit, dans le meilleur des cas, s’est contentée de dire que le problème était mal posé et devait être rejeté en tant que tel. Quand elle était la plus cohérente, la gauche révolutionnaire a dit que la destruction de l’ouvrier en tant que force de travail était une bonne chose qui ne pouvait qu’aider au recrutement et à la sélection de l’avant-garde. Il y a eu de nombreuses petites (ou grandes) batailles, mais pendant qu’elles se déroulaient, la composition politique de la classe a substantiellement changé dans les usines, et certainement pas dans le sens indiqué par Negri. Non seulement c’est cela, mais aussi l’opposé de l’unité plus grande dont il parle, qui a eu lieu. Au contraire, une plus grande division s’est produite : non pas entre usine et société, mais à l’intérieur de l’usine elle-même, entre la droite et la gauche de la classe ouvrière. En somme, il y a eu une réaffirmation de l’hégémonie réformiste sur les usines, brutale et implacable dans ses efforts pour démembrer la gauche de la classe et l’expulser de l’usine. [60]

Plutôt que de se confronter à un tel désarroi et une telle confusion, déplorait Bologna, Negri avait préféré se livrer à l’activité traditionnelle du théoricien en possession de quelque grandiose synthèse. En réalité, en choisissant d’inventer ‘une figure sociale à laquelle imputer le processus de libération de l’exploitation’, Negri s’était tout simplement lavé les mains devant les difficultés récentes de l’ouvrier masse, et l’incapacité de sa propre organisation à s’y développer. Loin d’en être au début d’une nouvelle ère, concluait Bologna, Nous n’en sommes pas à l’an I , nous ne sommes pas revenus au réveil de la ‘nouvelle gauche’ des années 60, nous n’en sommes même pas à la redéfinition d’une figure différente de l’ouvrier masse. Même s’il était vrai que la relation entre operaio sociale et parti est différente, que la société civile n’existe plus, que la théorie de la conscience de classe a aussi changé, pourquoi continuer à exercer le métier consommé de théoricien et d’idéologue ? La forme du discours politique est obsolète, le langage milénariste n’est qu’un ‘casse-couilles’, et cette forme de théorie mérite d’être rejetée comme toute autre ‘théorie générale’...pour conclure, disons que sur ce terrain le débat n’est plus possible, il est assommant. Mieux vaut trouver un nouveau terrain. Assurément, ‘grand est le désordre sous le soleil, la situation est donc excellente’ [61]

L’aile romaine de l’Autonomie fut tout aussi acerbe dans sa critique. Après un an de participation à la production de Rosso, les Comitati Autonomi Operai en avaient finalement eu assez fin 1976. D’accord avec Bologna sur le fait que l’abandon de la sphère de la production directe comme terrain central de la lutte de classe ne pouvait avoir que des conséquences ‘désastreuses’ [62], les romains pensaient que de telles oppositions étaient sous-tendues par une divergence - plus profonde - de méthode.

Déplorant que la contribution milanaise à l’analyse de la composition de classe de l’Autonomie fût de plus en plus caractérisée par des affirmations ‘aussi catégoriques que peu convaincantes’, ils reconnaissaient que Nous avons toujours partagé et nous partageons encore votre intérêt pour les ‘couches émergentes’ (jeunes prolétaires, féministes, homosexuels ) et pour des sujets politiques ( l’ ‘operaio sociale’ ) nouveaux et reconceptualisés. Mais précisément l’indéniable importance politique de ces phénomènes exige une extrême rigueur analytique, une grande prudence dans l’investigation, une approche soldement empirique ( des faits, des données, des observations et encore d’autres faits, d’autres données et d’autres observations ) .... [63]

Tournant le dos à cette recommandation, Negri devait dès lors consacrer la plus grande partie de son énergie au développement d’un nouveau ‘mode d’enquête’ approprié à l’ouvrier social.

Negri au-delà de Marx

Si, à la fin des années 60, Negri, comme les autres opéraïstes de l’époque, avait couru le risque de subsumer la spécificité des différentes strates de la classe ouvrière sous celles de l’ouvrier masse, dans la seconde moitié des années 70, ses oeuvres menacèrent de dissoudre jusqu’à cette compréhension partiellement concrète de la classe dans un prolétariat générique. A mesure que le débat sur l’ operaio sociale se déployait, le caractère indéterminé de l’abstraction de Negri devait devenir de plus en plus clair. Alquati fut peut-être le critique le plus modéré : pour lui, l’ operaio sociale restait une catégorie ‘suggestive’ ; même lui, pourtant, mettait en garde contre le danger de construire une idéologie autour d’une figure de classe qui avait encore besoin d’apparaître comme un sujet politique mature. [64] Pour Roberto Battagia, écrivant dans les colonnes de Primo Maggio , le nouveau sujet de Negri était une catégorie dérivée par simple analogie de celle d’ouvrier masse, mais privée de l’aspect ‘le plus caractéristique’ de cette dernière : un lien étroit entre ‘les conditions matérielles d’exploitation’ et ‘les comportements politiques’. Dans la réalité, par conséquent, la notion d’ouvrier social, pot-pourri de différents sujets ‘aux motivations totalement autonomes’, n’avait qu’une valeur heuristique limitée [65]. Vittorio Dini devait enfoncer le même clou, considérant que la façon dont Negri avait évacué tout contenu de son appareil conceptuel était tout particulièrement fautive. Auparavant, Negri avait parlé de façon suggestive de la nature historiquement déterminée de cette catégorie ; maintenant, en considérant comme productifs de plus-value tous les moments du procès de circulation, il résolvait la tension existant depuis longtemps dans l’opéraïsme autour de la relation usine-société par un tour de passe-passe théorique. De la même façon, la définition d’une nouvelle figure de classe, projet qui exigeait beaucoup de temps et de précautions, avait été réalisée en fusionnant purement et simplement tendance et actualité. [66]

Un autre aspect décevant de la nouvelle analyse de la composition de classe de Negri était la partie relative au PCI. Tout en mettant à juste titre l’accent sur la nature souvent agressive des efforts du parti communiste pour gagner la bataille des esprits sur le lieu de travail, Negri choisissait de ne pas explorer ce que Lapo Berti devait appeler la disjonction croissante entre les ‘comportements de lutte et les ‘attitudes’ ‘ de nombreux ouvriers formés au cours de l’Automne Chaud : entre la critique en actes persistante de l’organisation du travail, évidente dans de nombreuses usines, et le soutien de la classe ouvrière à une direction du parti qui considérait les rapports de production existants comme l’ordre des choses naturel. [67] Insistant, au contraire, sur le fait que le projet réformiste n’avait plus aucune base matérielle dans une période de crise capitaliste, Negri se contentait de peindre le rapport entre les ouvriers et le PCI comme une relation de pure répression, ou sinon de faire des allusions énigmatiques à la nature parasitaire de la force de travail dans les grandes usines. [68]

Une des contributions à l’édition spéciale de Rosso de juin 1976 consacrée au PCI se tenait plus près de la vérité : elle analysait le portrait de son parti par l’intellectuel communiste Badaloni comme représentatif d’une facette de l’existence de la classe ouvrière : celle de la force de travail ‘marchandise organisée’ préparée à accepter sa place subordonnée dans la société. Mais même dans ce cas, comme les romains des Comitati Autonomi Operai devaient le faire remarquer, leurs contributions au même numéro étaient les seules à proposer une discussion concrète de la politique communiste et de son implantation, particulièrement dans ce secteur où le PCI fonctionnait déjà comme un parti de gouvernement - l’administration municipale de certaines des principales villes d’Italie. [69]

Ainsi, malgré la complexité croissante de la politique de classe en Italie à la fin des années 70, la simplification du schéma d’analyse de Negri allait se poursuivre à un rythme soutenu. Alors qu’il continuait de rejeter les conceptions marxistes classiques de la crise, sa perspective générale ne devenait pas moins catastrophiste. ‘L’équilibre du pouvoir a été inversé’, écrivait-il dans une brochure de 1977 qui se vendit à 20 000 exemplaires : la classe ouvrière, son sabotage, sont le pouvoir le plus fort - par dessus tout, la seule source de rationalité et de valeur. A partir de maintenant, il devient impossible, même en théorie, d’oublier ce paradoxe produit par les luttes : plus la forme de domination se perfectionne, plus elle devient vide, plus le refus de la classe ouvrière s’accroît, plus il est empli de rationalité et de valeur.... Nous sommes là ; on ne peut pas nous écraser ; et nous sommes dans la majorité. [70]

Du fait de ce millénarisme, les éléments les plus créatifs de la lecture subjectiviste de Marx par Negri devaient être réduits à néant. Privé des déterminations contradictoires de la réalité italienne, le concept prometteur - emprunté lui aussi à Alquati - d’une classe ouvrière ‘auto-valorisant’ ses propres besoins à l’intérieur de et contre le rapport capital perdait toute substance. De la même façon, la dénonciation par Negri du capitalisme d’Etat dans le bloc de l’Est, sa recherche d’une nouvelle mesure de la production au-delà de la valeur, et sa description limpide du processus révolutionnaire comme processus fondé sur le pluralisme des organes de masse de l’autonomie du prolétariat, tout cela était perpétuellement neutralisé par une perspective générale décrivant la lutte de classe comme le combat mortel de deux Titans. [71] Bien que Negri reconnût le concept de différence comme un attribut positif au sein des mouvements de changement social, sa propre conception de l’operaio sociale continuait à s’imposer, à travers tous les discriminants spécifiques et contradictoires qu’elle contenait, ne conservant que leur attribut commun : être des incarnations du travail abstrait. Comme ce dernier , à son tour, n’était compris que comme une forme de pur commandement, la saisie du problème de la recomposition politique chez Negri finissait par être surdéterminée par une mise au premier plan de la violence qui, comme le démontrait maintenant la pratique d’une grande partie de l’Autonomie, n’était pas moins pauvre que celle des Brigate Rosse - même si elle en était profondément éloignée par la culture et par la forme. [72]

On pourrait supposer raisonnablement que pour une vision aussi inspirée par le triomphalisme, la relative facilité avec laquelle l’Autonomie devait être écrasée par les arrestations en masse de 1979 - 80 ne pouvait être vécue que comme un choc immense. Mais loin de réintroduire un peu de prudence dans la pensée de Negri, la défaite politique de l’Aire de l’Autonomie ne devait servir qu’à exacerber l’aplatissement de son cadre conceptuel. Rompant en 1981 avec le groupe dominant de l’Autonomie dans le nord-est de l’Italie, Negri devait accuser ses représentants de s’accrocher à la fois à ‘un modèle bolchevique d’organisation en dehors du temps et de l’espace’ et à un sujet - l’ouvrier masse - qui était, ‘sinon anachronique, du moins partiel et corporatiste’. Ce faisant, affirmait-il, ils avaient choisi d’ignorer une nouvelle génération politique ( pas seulement les enfants ) qui se situe dans les grandes luttes pour la communauté, pour la paix , pour une nouvelle façon d’être heureux. Une génération sans mémoire et donc plus révolutionnaire. [73]

 Développant plus complètement cette ligne d’argumentation dans les colonnes du journal Metropoli la même année, Negri insista encore sur le fait que la mémoire ne pouvait être comprise que comme un moment de la logique de la domination capitaliste : La composition de classe du sujet métropolitain contemporain n’a pas de mémoire parce que seul le travail peut construire pour le prolétariat un rapport à l’histoire passée....la mémoire prolétarienne n’est que la mémoire d’une séparation passée.... La mémoire existante de 1968 et de la décade qui a suivi n’est plus maintenant que celle du fossoyeur....les jeunes de Zurich, les prolétaires napolitains et les ouvriers de Gdansk n’ont pas besoin de mémoire....la transition communiste est absence de mémoire. [74]

‘Votre mémoire est devenue votre prison’, avait dit Negri à ses anciens camarades de façon accusatrice. [75] Mais dans son propre cas, cette étreinte d’un éternel présent n’était qu’un refus de ses responsabilités passées. La même année, tirant un bilan de la défaite de la tendance opéraîste - une défaite qui avait jeté Negri et des milliers d’autres activistes en prison en tant que ‘terroristes’ - Sergio Bologna devait identifier clairement la nature du problème : J’ai à la fois un sentiment de crainte et de dégoût quand je vois des camarades qui haïssent leur passé, ou pire encore, qui le mystifient. Je ne renie pas mon passé, par exemple mon passé opéraïste ; au contraire, je le proclame. Si nous jettons tout par-dessus bord, nous vivrons dans un état de schizophrénie permanente. [76]

Retracer l’itinéraire de Negri jusqu’à ce point désespérant au-delà de l’opéraïsme aussi bien que du marxisme est une tâche déprimante. Derrière la hâte évidente qui a caractérisé une grande partie de son œuvre, il y a ce qu’il devait plus tard lui-même reconnaître comme ce damné faux-semblant, qui parcourt tous nos écrits ; c’est le langage de la tradition marxiste, mais cela comporte un reste de simulation qui engendre une tendance à la déformation et à la redondance. [77]

Une telle aberration était le résultat de ce mode de pensée particulier dont Negri avait hérité des mains du père de l’opéraïsme italien, Mario Tronti, et qu’il avait porté à la perfection, un mode de pensée qui ne partait des processus sociaux réels que pour se replier rapidement sur lui-même. Cherchant pour sa part à éviter un tel destin, Marx avait abandonné les hauteurs éblouissantes de l’envolée conceptuelle déployée dans les Grundrisse pour les passages sombres, mais historiquement spécifiques, de Das Kapital. Ne croyant pas à la nécessité d’un tel choix, Negri aurait gagné à tenir compte du conseil de Tronti lui-même, dont l’ouvrage sur la composition de classe, tout autant que celui de Negri, est devenu une preuve vibrante de la pertinence de cette mise en garde d’Operai e capitale : ‘Un discours qui se développe sur lui-même court le danger mortel de se vérifier toujours et seulement à travers les cheminements successifs de sa propre logique formelle’. [78] »

Steve Wright

[1] H. Partridge, ’Interview with Toni Negri. November 1980’, Capital & Class 13, Printemps 1981, p.136.

[2] Pour une brêve introduction à l’operaïsme et à des concepts tels que celui de ’travail immatériel’, voir S. Wright, ’Confronting the Crisis of Fordism : The Italian debates’, Reconstruction 6, Eté 1995/96.

[3] A. Negri, ’Constituent Republic’, Common Sense 16, Décembre 1994, p.89.

[4] Voir M. Melotti, ’Al tramonto del secolo’, vis-a-vis 4, Hiver 1996.

[5] Voir G. Bocca, Il caso 7 aprile : Toni Negri e la grande inquisizione, Feltrinelli, Milan, 1979, Ch.5.

[6] Le nombre de participants à la conférence de Bologne donné par l’organisation romaine est ’plus de 400’ [Comitati Autonomi Operai (eds), Autonomia Operaia, Savelli, Rome, 1976, p.33], et celui donné par Negri est ’trois cents personnes au maximum’ ( dans G. Soulier, ’AUTONOMIE-AUTONOMIES’, Recherches 30, Novembre 1977, p.88).

[7] ’Dalla relazione introduttiva’, Autonomia Operaia, pp.40, 43. On trouvera un aperçu des premiers collectifs d’usines autonomes en même temps que des débuts du mouvement féministe italien dans E. Cantarow, ’Women’s Liberation and Workers’ Autonomy in Turin and Milan’, Liberation, Octobre 1972 and Juin 1973.

[8] ’Una proposta per un diverso modo di fare politica’, Rosso 7, Décembre 1973, maintenant dans L. Castellano (ed) Aut.Op. La storia e i documenti, Savelli, Milan, 1979, pp.96, 92.

[9] A. Negri, ’Partito operaio contro il lavoro’, dans S. Bologna, P. Carpignano, A. Negri, Crisi e organizzazione operaia, Feltrinelli, Milan, 1974, p.126.

[10] A. Negri, ’Marx au sujet du Cycle et de la Crise’, maintenant dans son Revolution Retrieved, Red Notes, Londres, 1988, p.65.

[11] A. Negri, ’ Marx au sujet du Cycle...’, p.57.

[12] A. Negri, ’Marx au sujet du Cycle...’, p.54.

[13] A. Negri, ’Partito operaio...’, p.109.

[14] A. Negri, ’Partito operaio...’, pp.123-4.

[15] Comparer K. Marx, Le Capital, Volume I, Penguin, Harmondsworth, 1976, p.770 et Le Capital, Volume III, Penguin, Harmondsworth, 1981, p.486.

[16] A. Negri, Marx au-delà de Marx, Bergin & Harvey, South Hadley, 1984, pp.100-1.

[17] A. Negri, ’Partito operaio...’, pp.114-5.

[18] A. Negri, ’Partito operaio...’, pp.126, 127, 129.

[19] A. Negri, ’Partito operaio...’, pp.126, 128.

[20] A. Negri, ’Le parti de Mirafiori’, maintenant dans Red Notes (eds), Working Class Autonomy and the Crisis : Italian Marxist Texts of the Theory and Practice of a Class Movement. 1964-1979, CSE Books, London 1979, p.64.

[21] A. Negri, ’Thèses sur la Crise’, dans Red Notes (eds), p.53.

[22] A. Negri, ’Partito operaio...’, p.159.

[23] A. Negri, ’Crise de l’Etat-Plan’, now in Revolution Retrieved, p.138.

[24] A. Negri, ’Partito operaio...’, p.143.

[25] B. Ramirez, ’Self-reduction of prices in Italy’, maintenant dans Midnight Notes (eds) Midnight Oil, Autonomedia, New York, 1992, p.190.

[26] Les occupations centrées sur les logements privés de San Basilio, un des pires quartiers de taudis de Rome. Les divisions dans l’extrême-gauche étaient telles que des squats séparés furent organisés par les différents groupes. On trouvera des descriptions dans Autonomia Operaia, pp.205-11, 214-9, et à travers les numéros de Septembre du journal Lotta Continua.

[27] ’Milano : la spesa politica’, Controinformazione 5-6, 1974, pp.12-3.

[28] ) A.A. Alfa Romeo, ’Rivoluzione e lavoro’, Rosso 11, Juin 1974, p.15.

[29] Comitato Politico ENEL & Collettivo Policlinico, ’Centralizzazione e responsabilita ’ delle avanguardie’, Rosso 11, p. ll , et ’Autonomia operaia organizzata : rapporto da Milano’, Autonomia Operaia, pp.71-4.

[30] 0. Scalzone et G. Vignale, ’la congiuntura del movimento e i malanni della soggettività’, Pre-print 1, Décembre 1978.

[31] Un premier exemple des rapports difficiles de l’Autonomia avec les autres activistes aliénés par la triplice fut la participation de certains de ses représentants romains aux efforts des militants mâles de Lotta Continua pour s’introduire de force dans une manifestation nationale réservée aux femmes en Decembre 1975. On trouvera la description par Franco Berardi de cet incident, qui poussa son groupe de Bologne à couper tous liens formels avec l’ ‘aile organisée’ de l’Autonomie, dans ’AUTONOMIE-AUTONOMIES’, p.93.

[32] Sur la signification des critiques féministes du léninisme, voir C. Bermani et B. Cartosio, ’Dieci anni di "Primo Maggio"’, Primo Maggio 19-20, Hiver 1983-84, p.5.

[33] Voir M. Lombardo-Radice et M. Sinibaldi, ’"C’e’ un clima di guerra..." Intervista sul terrorismo diffuso’, dans L. Manconi (ed), La violenza e la politica, Savelli, Rome, 1979.

[34] Documento Politico della Segretaria dei Collettivi politici di Milano’, Rosso 7 (13.3.76), maintenant dans G. Martignoni et S. Morandilli (eds), Il diritto all’odio : dentro/fuori/ai bordi dell’area dell’autonomia, Bertani, Verona, 1977, p.229.

[35] Comme cela avait été prédit dans ’Organismi autonomi e "area dell’autonomia"’, Collegamenti 6, Décembre 1974, maintenant dans Martignoni et Morandilli, p.262.

[36] B. Longo, ’Meno salario, piu’ reddito : la Cassa integrazione’, Primo Maggio 5, Printemps 1975, p.30. Gasparazzo était un personnage d’une bande dessinée du journal Lotta Continua qui incarnait les ‘ouvriers masse’ masculins formés durant l’Automne Chaud.

[37] A. Negri, Proletari e Stato : Per una discussione su autonomia operaia e compromesso storico, Feltrinelli, Milan, Deuxième édition, 1976, pp.12-3.

[38] A. Negri, Proletari e Stato, pp.14, 15. Au delà de ses propres œuvres comme Crisi dello Stato-piano, on peut trouver une anticipation des thèses de Negri dans les réflexions d’un autre ancien membre de Potop, Franco ’Bifo’ Berardi. Pour ce militant Bolognais, écrivant en Avril 1973, l’occupation de la FIAT de cette année était un signe de la crise à la fois du léninisme et de l’ouvrier masse, qui était maintenant supplanté par une nouvelle composition de classe au sein de laquelle ’le travail intellectuel et technique, l’intelligence productive (wissenschaft-tecknische-intelligenz) tend à devenir déterminante - Mirafiori e’ rossa’, maintenant dans F. Berardi, Scrittura e Movimento, Marsilio, Venise 1974, p.8.

[39] La version d’Alquati’s de l’ hypothèse de l’operaio sociale et son rapport avec les autres figures de classe de l’operaismo est présenté dans R. Alquati, N. Negri et A. Sormano, Universita’ di ceto medio e proletariato intellettuale, Stampatori, Turin n.d ., pp.90-3 .

[40] A. Negri, Dall’operaio massa all’operaio sociale : Intervista sull’operaismo, Multhipla, Milan 1979, p.11.

[41] A. Negri, Proletari e Stato, p.15.

[42] R. Alquati, ’Universita’, formazione della forza lavoro intellettuale, terziarizzazione’, dans R. Tomassini (ed ), Studenti e composizione di classe, Edizioni aut aut, Milan, 1977, pp.75-6.

[43] A. Negri, Proletari e Stato, p.36.

[44] A. Negri, Proletari e Stato, pp.36-7, 37.

[45] ’Alfa Romeo 35 X 40’ et ’La proposta operaia’, Rosso III/l, 9 Octobre 1975.

[46] Pour un aperçu de ces expériences, voir le roman de Nanni Balestrini The Unseen, Verso, Londres, 1989.

[47] Autonomia Operaia, pp.156-8.

[48] ’Un diverso 8 marzo’ et ’Note del sesto anno’, Rosso III/8, 24 Avril 1976.

[49] Autonomia Operaia, pp.246-8, 364-5.

[50] A. Negri, Proletari e Stato, pp.45, 46.

[51] A. Negri, Proletari e Stato, pp.45, 37, 32, 31, 6.

[52] A. Negri, Proletari e Stato, pp.51, 47-8.

[53] A. Negri, Proletari e Stato, pp.9, 64.

[54] Les luttes dans les petites entreprise au cours de l’année 1975 sont bien documentées dans les pages de Lotta Continua. Selon un rapport à la conférence ouvrière de cette organisation de Juillet 1975,, rien qu’à Milan 116 usines avaient été touchées par des licenciements, avec 3 000 à 5 000 ouvriers en Cassa Integrazione, et 7 000 de plus ( y compris 1,500 chez Innocenti) destinés à les rejoindre en Septembre. Entre cinquante et soixante de ces lieux de travail avaient été occupés par leurs employés - ’La lotta politica delle piccole fabbriche’, Lotta Continua, 24 Juillet 1975, p.3.

[55] Voir P. Lange, G. Ross et M. Vannicelli, Unions, Change and Crisis : French and Italian Union Strategy and the Political Economy, 1945-1980, George Allen & Unwin, Londres, 1982, p.155 ; A. Graziosi, La ristrutturazione nelle grande fabbriche 1973-1976, Feltrinelli, Milan, 1979, Chapitre 1 ; M. Regini, ’Labour Unions, Industrial Action and Politics’, dans P. Lange et S. Tarrow (eds), Italy in Transition : Conflict and Consensus, Frank Cass, Londres, 1980 ; G. De Masi et. al., Consigli operai e consigli di fabbrica : L’esperienza consiliare dalle origini a oggi, Savelli, Rome, Deuxième édition ,1978.

[56] Voir S. Hellman, ’Il Pci e l’ambigua eredita’ dell’autunno caldo’, il Mulino 268, Mars-Avril 1980 ; Redazione romana di Rosso (eds), Compromesso senza operai, Librirossi, Milan, 1976.

[57] M. Revelli, ’Défaite à la Fiat’, Capital & Class 16, Printemps 1982, p.99.

[58] ’Lotta all’Innocenti’, Primo Maggio 7, n.d.

[59] ’Nelle lotte vive gia’ una cooperazione antagonistica al processo di valorizzazione : occore trasformarla in cooperazione comunista’, Chiamiamo comunismo O, Mars 1977.

[60] S. Bologna, ’"Proletari e Stato" di Antonio Negri : una recesione’, Primo Maggio 7, p.27. On peut trouver une traduction partielle de ce texte et la citation qui suit dans B. Lumley, ’Review Article : Working Class Autonomy and the Crisis : Italian Texts of the Theory and Practice of a Class Movement. 1964-79’, Capital & Class 12, Hiver 1980/81, pp.132, 133.

[61] S. Bologna, ’"Proletari e Stato"...’, p.28. La réponse plutôt vicieuse de Negri au scepticisme de Bologna se trouve dans l’éditorial ’Dopo il 20 giugno autonomia per il partito. Spariamo sui corvi’, Rosso III/10-11, p.2.

[62] Comme deux autonomistes romains le dirent alors dans une lettre aux éditeurs de Primo Maggio, ’A chaque fois que l’usine a été abandonnée dans l’histoire du mouvement ouvrier, les défaites les plus désastreuses ont suivi...’ - cité dans Bermani et Cartosio, , p.11.

[63] ’Letter aperta alla redazione milanese di "Rosso"’, Rivolta di classe 1, Octobre 1976, maintenant dans Castellano, pp.135, 136.

[64] R. Alquati, Universita’ di ceto medio, pp.90-1.

[65] R. Battaggia, ’Operaio massa e operaio sociale : alcune considerazioni sulla "nuova composizione di classe"’, Primo Maggio 14, Hiver 1980-81, pp.75, 74.

[66] V. Dini, ’A proposito di Toni Negri : note sull’operaio sociale’, Ombre Rosse 24, Mars 1978, pp.7, 5 ; cf. A. Negri, Dall’operaio massa, p.149.

[67] L. Berti, ’Tra crisi e compromesso storico’, Primo Maggio 7, p.8.

[68] A. Negri, ’Le sabotage de la classe ouvrière et la domination capitaliste’, maintenant dans Red Notes (eds), pp.110, 117.

[69] ’Il partito della merce organizzata per una nuova etica del lavoro’ and ’Inchiesta sul P.C.I.’, Rosso III/10-11 ; ’Lettera aperta...’, p.137.

[70] A. Negri, ’ Le sabotage de la classe ouvrière...’, pp.137, 118. Les chiffres de vente de la brochure sont dans C. Mariolti, ’Caso Negri, Scalzone, Piperno’, L’Espresso 22 Avril 1979, p.11.

[71] A. Negri, ’ Le sabotage de la classe ouvrière...’. La description de la vision de la lutte de classe chez Negri comme un combat entre ’deux Titans’ est celle de A. Lipietz, ’Crise et inflation : Pourquoi ?’, Communisme 2 (n.d.), cité dans le compte-rendu de lecture par G. Boismenu de A. Negri, La classe ouvrière contre l’Etat, Galilée Paris 1978, dans le Canadian Journal of Political Science 13/1, Mars 1980, p.192.

[72] Un passage parmi tant d’autres de ’Le sabotage de la classe ouvrière...’ (p.134) : ’Nous ne pouvons rien imaginer de plus totalement déterminé et empli de satisfaction que la violence de la classe ouvrière’.

[73] A. Negri, ’Cari compagni di Autonomia’, Autonomia 26, Novembre 1981, p.8.

[74] A. Negri, ’Elogia dell’assenza di memoria’, Metropoli 5, 1981.

[75] A. Negri, ’Cari compagni di Autonomia’.

[76] S. Bologna, ’Per una "societa’" degli storici militanti’, dans S. Bologna et al., Dieci interventi sulla storia sociale, Rosenberg & Sellier, Turin, 1981, p.17.

[77] Cité dans A. Portelli, ’Oral Testimony, the Law and the Making of History : the "April 7" Murder Trial’, History Workshop Journal 20, Automne 1985, p.12.

[78] M. Tronti, Operai e capitale, Einaudi, Turin, Deuxième édition, 1971, p.16.

Ecrit par Mirobir, à 04:53 dans la rubrique "Pour comprendre".



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