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Lu sur : Alternative Libertaire (B) « La chute du mur de Berlin en 1989, et la fin apparente de près d'un siècle d'OPA du communisme étatiste totalitaire sur l'espérance révolutionnaire, ont fait croire à de nombreux libertaires que finalement leur heure était venue !
Beaucoup d'entre nous ont alors pensé qu'il devenait urgent d'élaborer et de proposer l'alternative libertaire dont, il faut le dire, ils n'avaient pas une idée très précise... même si ils savaient qu'elle devait nous conduire au-delà de la démocratie formelle et réaliser une synthèse novatrice, exempte tout à la fois d'exploitation économique et de domination politique.
Plus de dix ans après cet événement désormais historique, nous continuons à nous interroger sur les possibilités concrètes que pourrait offrir cette alternative libertaire et sur les agents de la transformation sociale qui s'en feraient les promoteurs.
L'acteur libertaire
En réalité, ces interrogations ne sont pas vraiment neuves. Dès les origines, les pionniers de l'idéal libertaire ont œuvré à la fois pour l'indispensable et rédemptrice révolution sociale et ils étaient présents dans toutes les batailles pour l'amélioration immédiate de la vie des gens (et donc de la leur).
L'acteur libertaire, tout en prônant un changement radical révolutionnaire, a toujours été, parallèlement, un aiguillon permettant à la société de se réformer et à la démocratie de devenir de plus en plus démocratique. Mais, ce fervent partisan d'une société de liberté et de justice, n'a jamais pu se satisfaire des réformes obtenues par ses luttes, et a toujours exprimé son aspiration à un changement radical qui s'attaque aux racines des problèmes. Critiquant avec force la politique politicienne et électoraliste des partis ou même des syndicats, il continue à faire résonner dans les mouvements sociaux l'esprit révolutionnaire qui l'anime. L'acteur libertaire sait pourtant que la Révolution ne se cache pas derrière des slogans, qu'elle n'est pas imminente et que tout en étant probable, elle est problématique. Il sait aussi, que l'on n'a pas encore tiré tous les enseignements pertinents des différentes révolutions qui ont jalonnée l'histoire de l'émancipation sociale de ces deux derniers siècles.
En fait, les anarchistes de ce début de millénaire se retrouvent dans une situation inconfortable. Si l'actualité quotidienne ne cesse de conforter la justesse de leurs critiques, de leurs prévisions, de leurs analyses... dans leurs moments de lucidité, ils se demandent toujours comment déborder, au-delà de la démocratie représentative formelle, vers la démocratie directe effective. Et les rencontres, colloques et autres séminaires sur la question ne produisent guère de réponses, mais toujours plus d'interrogations...
Le municipalisme libertaire
C'est dans ce contexte qu'apparaît Murray Bookchin et son concept de municipalisme libertaire, projet pratique pour une alternative politique dans la vie de la cité.
Bookchin a eu une forte influence au sein du mouvement libertaire et écologiste, aussi bien aux USA que dans les divers pays où l'anarchisme est visible et actif au sein des mouvements sociaux et dans les débats publics. D'abord, avec le concept d'écologie sociale et puis avec celui de municipalisme libertaire.
En ce qui concerne l'écologie sociale (qu'on appelle aussi écologie libertaire), plusieurs textes fondamentaux ont été publiés (1) et ont suscité de nombreux débats dans les milieux écologistes ainsi qu'entre libertaires. Mais il n'en est pas allé de même avec le municipalisme libertaire. Ce concept, en matérialisant des formes locales de démocratie directe, pourrait, selon Murray Bookchin, nous permettre d'apporter une plus concrète contribution à la politique de la cité. Une politique qui, pour Bookchin, devrait être à la fois respectueuse de l'environnement et promouvoir une participation active de tous les citoyens et citoyennes aux affaires qui concernent leur vie quotidienne (notamment via des conseils et des assemblées d'habitants qui exerceraient un contrôle permanent sur les délégués élus).
L'objectif du municipalisme libertaire consisterait en quelque sorte à injecter dans la vie locale (communale, municipale) des pratiques assembléistes et de démocratie directe contribuant à l'émergence d'une autre société, pas à pas, au jour le jour. Ces pratiques autogestionnaires devant nous conduire à réaliser une nouvelle révolution sociale dont les formes et le contenu ne seraient pas ou plus, le simple fait d'une confrontation révolutionnaire violente. Cette stratégie originale en faisant de chacun l'acteur de sa propre vie permettrait la construction d'une foule de contre-pouvoirs locaux décisionnels dont la finalité serait le renversement, par le bas, des structures hiérarchiques et pyramidales de la démocratie représentative.
Ces propositions ont eu un écho certain auprès de nombreux écologistes sociaux, ainsi que dans quelques franges du mouvement libertaire. Des débats, timides, sur le municipalisme libertaire ont été organisés dans certains milieux anarchistes mais, frilosité et/ou peur d'évoluer, ils n'ont pas permis jusqu'à présent d'approfondir la question. Trop souvent, la discussion étant bloquée par l'écueil théorique et pratique que représente la voie électorale (fût-elle locale) pour des "révolutionnaires".
Effectivement, Murray Bookchin, en proposant aux anarchistes de s'investir dans le municipalisme libertaire, les invite à mouiller leur chemise dans les affaires de la cité. Il leur propose, tout à la fois d'œuvrer à l'auto-organisation des habitants en assemblées autogérées et de se battre sur le terrain des élections locales qui désignent les représentants des villes petites ou moyennes (à échelle humaine) et ceux des mairies de quartier des grandes métropoles. Ces représentants n'agissant, une fois élus, que sous le contrôle d'une forte mobilisation des habitants organisés en conseils.
À ce jour, ce modèle libertaire d'une double intervention dans les politiques locales n'a pas vraiment eu de suite dans la pratique. Si quelques libertaires ont participé individuellement à des listes alternatives en franchissant le pas de se présenter en tant que candidats à des élections locales, un vrai courant municipaliste libertaire n'a toujours pas vu le jour.
Par ailleurs, les exemples de libertaires participant activement aux affaires de la cité par le biais de groupes, associations, collectifs ou organisations locales sont toujours trop rares que pour pouvoir les donner comme des exemples à suivre. Ce sont des micro-initiatives développées dans des toutes petites villes ou villages (2), parallèlement à des démarches plus idéologiques organisées dans des grandes villes autour de listes alternatives comprenant des individualités de l'extrême-gauche, des écologistes, des autogestionnaires, des libertaires (3). Ce sont parfois des formes d'organisation de contre-pouvoir actives sur le terrain municipal comme l'est, depuis 1992, la Fédération municipaliste de base de Spezzano-Albanese en Calabre en Italie (4).
Entre pureté et impuissance
Il nous faudra récolter davantage d'éléments sur ces expériences pour pouvoir en tirer des enseignements précis. Cependant, par les quelques échos que nous en avons, on peut se rendre compte des difficultés auxquelles elles doivent faire face pour mettre en place des interventions politiques libertaires obligeant à se frotter aux pratiques décisionnelles des pouvoirs publics et aux besoins réels des gens. L'existence de ces difficultés, de ces contradictions, parfois éclatantes, ne nous semblent pas être une raison suffisante pour justifier un repli sur des postulats théoriques anarchistes plus sûrs (parce que légués par l'histoire ?). La recherche d'une cohérence idéologique nous pousse trop souvent à nous réchauffer le cœur dans nos tours d'ivoire théoriques tandis que l'application de certains de nos principes ne nous offre, comme seule consolation, qu'une sorte de fierté stérile : c'est le cas notamment avec nos immuables appels à la mobilisation abstentionniste.
Pour ceux qui l'ignoreraient, rappelons que les anarchistes ont parfois participé aux élections, en se déplaçant pour aller voter ou en présentant des listes (très rarement il est vrai, et souvent en tant que listes protestataires). Le cas d'école est celui des élections de 1936 en Espagne qui virent la victoire du Front Populaire suite à un "non-appel" à l'abstention de la CNT anarcho-syndicaliste (les termes du contrat étant : nous ne donnons pas de consigne d'abstention à nos affiliés et vous libérez, une fois au gouvernement, les dizaines de milliers de libertaires emprisonnés). Plus près de nous, certains anars sont allés voter, notamment lors d'un hypothétique ou vrai danger constitué par la probable élection d'un candidat d'un parti d'extrême-droite ou lorsqu'ils ont cru que leur bulletin de vote pouvait servir à ce qu'une loi améliorant les conditions de vie des gens soit votée par le Parlement... Certains anars, démystifiant le bulletin de vote (un moyen d'agir parmi d'autres, ni plus ni moins) votent aussi parfois pour des listes pouvant se faire l'écho des luttes de terrain auxquelles ils participent (pour la dépénalisation de l'avortement, contre la peine de mort...). Rappelons-nous qu'en mai 81, quelques drapeaux noirs faisaient la fête le soir de l'élection de Mitterand. Enfin, des débats ont divisé les anarchistes partisans ou non du vote lors de tel ou tel référendum en Italie et en Suisse (5).
Ajoutons que (ce que tout un chacun sait déjà), si les anarchistes sont contre les élections dans le cadre d'une démocratie formelle, dans leurs groupes, organisations et syndicats, ils élisent leurs représentants en leur donnant certes des mandats impératifs et en sachant en plus que ces représentants agissent dans le cadre d'une révocabilité permanente. On peut alors se poser la question suivante : pourquoi ne pas tenter d'exporter et de généraliser notre mode de fonctionnement anti-autoritaire ? Pourquoi ne pas essayer de déborder la démocratie représentative et contribuer au développement d'une démocratie participative proche de l'idéal de la démocratie directe dont les anarchistes sont en général partisans ?
Nous pensons que mouiller sa chemise en s'acheminant vers une pratique municipaliste libertaire, devrait être, naturellement et tout d'abord le fait de cette forme d'anarchisme social qui se veut proche des gens et des mouvements sociaux, mais aussi de tous ceux et celles qui s'investissent quotidiennement dans des actions, initiatives, associations proposant des alternatives quotidiennes concrètes. D'autant plus que, faire cette expérience, ou des expériences politiques de ce genre, n'exclut pas le fait de continuer affirmer la finalité de notre idéal. Nous l'avons dit plus haut, les anarchistes ont depuis toujours fait le va et vient entre l'engagement quotidien améliorant les conditions de vie matérielle des gens (notamment par le syndicalisme) et l'objectif d'une société idéale où tous et toutes deviendraient acteurs et auteurs de leur devenir.
Les anarchistes, par les luttes qu'ils ont menées contre toutes les formes d'injustice sociale, contre toutes les formes d'enfermement idéologique, contre tous les autoritarismes/totalitarismes, l'ont fait à partir de leur propre existence individuelle, puis via le groupe affinitaire avec lequel ils évoluaient, puis avec les proches, le milieu environnant, et enfin par des réseaux/organisations théoriquement horizontaux se développant de région en région, de pays en pays...
Prolongeant cette pratique bien établie, nous pensons qu'il y a place aujourd'hui pour l'élaboration de théories et de pratiques municipalistes libertaires.
La seule ambition de ce texte est de lancer le débat sur la question, nous attendons vos réactions. »
Mimmo Pucciarelli - ACL
Babar - Alternative Libertaire
(1) Notamment : Qu'est-ce que l'écologie sociale, Une société à refaire, Sociobiologie ou écologie sociale, et Quelle écologie radicale ? publiés par l'Atelier de Création Libertaire ces dernières années. Il faut rappeler qu'il existe un réseau qui porte le nom d'Écologie sociale animé par des écologistes ayant rompu avec le Parti des Verts et qui cherchent à reformuler leur participation aux activités politiques par le biais d'un nouveau mouvement écologiste et libertaire... Un de ses membres Philippe Chailan a publié dans le nE66 du journal Rouge et vert un petit texte Pour une nouvelle donne municipale dont la lecture nous permet d'aller plus loin dans cette discussion. On peut aussi se référer à l'article de Michel Bernard paru dans Silence de janvier 2000 (Quelle(s) organisation(s) pour les écologistes), où sont proposées quelques pistes intéressantes à débattre...
(2) Voir l'exemple d'un militantisme communal de camarades de la Fédération Anarchiste Francophone et de réalisation autogestionnaire à Merlieux, un petit village situé entre Soisson et Laon (Des municipalités à la commune libertaire dans Le Monde Libertaire, HS nE12 du 1 juillet au 16 août 1999) [voir le texte de Cerise].
(3) Voir par exemple, l'interview de Manuel Càrdens, avocat, ancien militant de la CNT espagnole, aujourd'hui membre de l'Izquierda unida i Alternativa de Barcelone, dans le numéro 67 de Polémica de décembre 1998.
(4) Voir Le Monde Libertaire, hors série n°13 du 16 décembre 1999 au 10 février 2000.
(5) En Italie, par exemple, il y a eu d'intenses débats entre anarchistes lors des référendums pour choisir entre République et Monarchie après la Libération, ou encore pour qu'une loi sur l'avortement soit adoptée... au Parlement. Dernièrement cela a été le cas en Suisse pour savoir s'il fallait ou non aller voter lors du référendum pour l'abolition du service militaire obligatoire...