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La dérive réformiste de l'antipatriarcat est allée de pair avec l'enterrement de l'idée de révolution par les tenants du système capitaliste. L'effondrement du bloc soviétique leur a permis d'affirmer la fin de la lutte des classes et la suprématie du "libéralisme", présenté comme étape ultime de l'Histoire. À partir de là, la critique du capitalisme et de l'impérialisme par la gauche institutionnelle (et une partie de l'extrême gauche) s'est réduite à celle du "néolibéralisme", avec un recours à l'État comme bouclier pour pallier ses "excès". Et la critique du patriarcat a été tellement repeinte aux couleurs du "politiquement correct" que même une partie de la droite la porte à présent: il ne s'agit en effet plus de détruire le patriarcat, mais de 1`"améliorer" de façon à favoriser l'insertion dans certaines sphères décisionnelles de femmes appartenant aux classes moyennes et supérieures. La parité dans les fonctions publiques votée en 2001 s'est inscrite dans cette logique, les inégalités économiques constatées entre les sexes ayant servi pour l'occasion à appuyer une revendication égalitaire sur le terrain strictement institutionnel.
Deux éléments fondamentaux ont contribué depuis un siècle à la situation actuelle: au niveau global, le système capitaliste a eu besoin des femmes à la fois comme masse salariale et comme consommatrices, et pour utiliser la main d'oeuvre féminine avec un profit maximal il a fallu assouplir quelque peu les rôles sociaux traditionnels; au niveau individuel, un nombre croissant de femmes ont, en acquérant des diplômes de plus en plus élevés; l'ambition de grimper dans l'échelle sociale pour avoir leur part du gâteau.
Nos sociétés modernes se vantent d'une certaine "permissivité": ainsi, les couples vivent sous les liens sacrés du mariage (institution patriarcale et bourgeoise) béni ou non par l'Église, mais aussi sous diverses formes d'union libre; l'homophobie est à l'occasion montrée du doigt par la presse comme un vilain penchant à corriger... Cependant, le PACS vise surtout à assurer la transmission de l'héritage pour celles et ceux qui ont du bien; l'homosexualité masculine, et plus encore féminine, demeure difficile à vivre au grand jour... et les fondements mêmes de la société patriarcale la défense de l'ordre établi et de la propriété restent très solidement établis.
L"'antipatriarcat" démagogique que prône une partie de la classe politique et des médias, en écho à certains courants féministes, présente les femmes comme des "victimes" auxquelles il convient de rendre justice... en facilitant précisément leur recours à la Justice, par exemple en cas de viol ou de harcèlement sexuel. L'État sert de ce fait et là encore, avec ses tribunaux, de bouclier suprême pour garantir la sécurité et les droits des citoyennes, à l'instar des citoyens, entretenant une mentalité d'assisté e s contraire à une véritable autonomie individuelle.
Les beaux discours dont on nous abreuve sur la condition féminine masquent l'acceptation (comme un fait peut être regrettable, mais incontournable) du système d'exploitation et de domination qui impose ses règles à toute la planète, à quelques petits aménagements près (voir en France la vitesse à laquelle le ballon de baudruche paritaire s'est dégonflé). Ce système défend les intérêts et privilèges d'une minorité d'hommes blancs vivant en Occident et appartenant aux classes aisées. Des femmes blanches, occidentales et aisées parviennent peu à peu à les rejoindre ici et là dans les hautes sphères politique et économique. Mais leur présence masque mal la réalité de l'oppression que subit l'immense majorité des autres. En particulier sur le terrain du salariat: les emplois les plus précaires, avec les conditions de travail les plus dures, sont "réservés" à des femmes qui entrent souvent dans la catégorie joliment baptisée "familles monoparentales", et dont le sort est bien moins enviable que celui des femmes travaillant dans l'encadrement. Car même si la rémunération de tels postes, qui se fait à la "tête du client", s'effectue facilement en défaveur des "clientes" quel que soit leur degré d'études, celles ci ne connaissent pas ou connaissent peu la "double journée" qui constitue le lot quotidien des autres salariées: leurs moyens financiers leur permettent de se décharger sur du personnel domestique tant des tâches ménagères que de l'élevage des enfants.
À postes équivalents, les femmes possèdent en moyenne davantage de diplômes que les hommes, et cette réalité rend par avance vaines des mesures comme la non mixité à l'école, prétendument préconisées "pour leur bien". Seuls les changements radicaux que provoqueraient notamment le rejet des rôles sociaux existant aujourd'hui comme hier (nombre de femmes s'appropriant encore trop souvent la sphère du privé) et le partage des tâches ménagères (plutôt que la rémunération des femmes au foyer) pourraient mettre vraiment à mal l'ordre patriarcal et aller dans le sens d'une libération des femmes.
Vanina
Courant alternatif novembre 2003