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J'observe beaucoup mes contemporains. Cela m'évite le théâtre... Mais quel cinéma ! Je vous dis pas. J'explique. En quelques phrases.
Avez-vous remarqué qu'il n'y a qu'une chose que l'homme, obstinément, ne veut pas voir : c'est les évidences. Ca saute aux yeux. Que l'une d'elles se présente, il secoue la tête et se met en fureur. Il dit : non, non et non, l'homme. Il ne veut rien savoir. Il doit avoir lu Daumal, pas Camus. De toute façon, bien qu'il s'en défende, c'est à Jiji Cricri qu'il carbure et là c'est mal barré. Un de mes amis, qui est alcolo me l'a confirmé : il paraît que c'est une maladie, on s'en sort difficilement. On ne peut même pas leur en vouloir. De toute façon, a-t-il ajouté, c'est les autres qui souffrent.
Il a vu - et souffert - l'Inquisition. Il en a senti les odeurs de chair brûlée. Mais il n'a jamais cessé, et jusqu'à écoeurement, de déguster l'hostie du Pape. Il aime qu'on lui donne du goupillon l'animal. On a beau lui dire que l'on est entré dans l'ère postchrétienne. Il feint de ne pas comprendre. Il ne se sent pas concerné. L'ère post quoi ? Serait-ce que, l'admettant, il se sentirait contraint de faire quelque chose ? Ou, perversion suprême, est-ce parce qu'au fond il a une âme d'esclave et que sa vraie nature est d'en baver ? Bref. De toute façon, la bave du crapaud n'atteint pas les étoiles...
Auschwitz ? Il s'en est rincé l'oeil. Même, il en redemande. Pour y faire de la savonnette arabe ou tzigane. Mais il n'est pas raciste. Bien sûr que non. Simplement, il nourrit la bête, la sienne, une belle bête, qui est au chaud, dans son ventre. Il ne peut quand même pas cogner sa femme tous les jours. Faut pas exagérer, voyons !
Autre exemple de sa mauvaise foi - ah la foi - la pollution ? Ne lui demandez pas de consommer moins : lui sa bagnole elle roule comme celle du curé, à la foi aussi, à l'eau souvent, même pas bénite, par souci d'économie. Non, lui il trie ses plastics, ses verres, ses cartons, les siens... C'est les autres qui polluent. Et j'en passe. Pas envie de recopier l'annuaire téléphonique pour que vous puissiez les appeler et leur passer un cigare : puisque c'est forcément pas eux qui polluent, c'est vous. Et c'est vrai. Vous !
Et encore, je fais attention à ce que je dis? Je pèse mes mots : un sale type, l'homme. Un fieffé hypocrite. Un salaud. Pour tout dire, je ne l'aime pas. C'est simple : je suis un antihumaniste moi. Mais qui se retient. Vous devez la sentir d'ailleurs, ma retenue. Car je ne voudrais pas avoir à le combattre, l'homme : c'est un vicieux. Les coups fourrés, il connaît. Un mec dangereux, je vous dis. Je n'aimerais pas que l'on me retrouve raide, étouffé, un matin, dans la ruelle derrière l'église, ou la mosquée, ou derrière n'importe quel temple, avec une bible, un coran, ou le Popol Vuh, ou l'Avesta, ou le Yi King, un Simenon ou même les aventures de Tintin, voire tout à la fois, enfoncés dans la gorge. Vous ne vous en doutiez pas ? Et bien si ! J'ai peur aussi, moi, parfois.
Et j'en rajoute. Parce que, s'il ne veut pas voir en face les seules choses qui vaillent, les très rares et précaires "évidences" qui se comptent sur les doigts d'une main, c'est qu'il préfère croire, l'homme. C'est plus confortable. C'est qu'il sait, le fûté, que son hominienne espèce elle ne va pas rigoler longtemps encore. Que les carottes sont cuites. Il sait cela, parce qu'il va à l'école l'homme, maintenant. Il n'ignore pas que son espèce, en naissant, était appelée à périr et périra, quoi qu'il fasse. Et que comme tout ce qui ne doit la vie qu'à la mort, tout, elle a entrepris de mourrir, sur le champ, illico presto, l'espèce, à l'état embryonnaire déjà. En quelque sorte elle se réalise par régression, auto-dégénérescence, l'espèce. Dans tout nouveau né il y a du cadavre, is it not ? C'est son destin à l'espèce, le seul et unique sens que l'on puisse lui prêter pour autant qu'il faille lui en trouver un.
Et alors ça lui fout le tournis à mon compagnon de pré carré. Je vois bien qu'il broute. Mais il ne digère pas. Ca le travaille, comme on dit. Il se fait du mouron. Je le sens irrité et prêt à tout casser. Je me méfie car au lieu d'en tirer la plus grande félicité de ce constat (puisqu'il n 'y a plus de soucis à se faire pour l'avenir, allons-y, jouissons plein tube et éprouvettes) ça lui met les chocottes à mon soi-disant frère humain. Il voudrait bien jouir mais il n'ose pas. Il a peur que sa voisine le voie ou l'entende.Ca ne se fait pas. C'est mal vu. Alors, à la carte, il souffre de l'estomac, de l'automobile, du portefeuille, de sa femme, de sa maîtresse, de ses enfants.
Il souffre surtout beaucoup de ce qu'il n'a pas. De frustation comme on dit. Il souffre de tout ce qui peut le faire souffrir, à satiété, goulûment quasi. Le Galiléen, Hanemanien avant l'heure, lui a enseigné que le meilleur remède à la douleur c'est la souffrance. Il a envie de se flinguer. On peut s'attendre à tout. Poussé par le désespoir, il est devenu inventif confirmant ainsi que l'angoisse est la clé du progrès : il a assassiné les dieux qui voulaient qu'il danse "comme dans la folie des bals musette et que son envers soit son véritable endroit" (dixit Artaud, de mémoire) , il a inventé la maladie et les prêtres (la dot et l'antidote), la médecine qui a réduit son corps à une fédération mal ficelée d' organes et la morale qui provoque la constipation. Tout ce qui peut lui permettre de dormir en paix et de ne jamais se remettre en cause.
Même les frileuses étoiles, dans la plus froide des nuits, en rient . Et j'en ris avec elles. Nous nous comprenons. Je ris souvent. Notamment en travaillant. J'ai ri cent fois en écrivant ceci. "Frères humains qui après nous vivez, N'ayez les coeurs contre nous endurcis" ... (L'Epitaphe Villon) - Décidément vous saurez tout.
Charleroi, 23 août 2003.
billet d'humeur n° 2 de C.E. Andersen