LA PERTE POLITIQUE
"Pour beaucoup de gens la véritable perte du sens politique c'est de rejoindre une formation de parti, subir sa règle, sa loi. Pour beaucoup de gens aussi quand ils parlent d'apolitisme, ils parlent avant tout d'une perte ou d,un manque idéologique. Je ne sais pas pour vous ce que vous pensez. Pour moi la perte politique c'est avant tout la perte de soi, la perte de sa colère autant que celle de sa douceur, la perte de sa haine, de sa faculté de haine autant que celle de sa modération, la perte d,un excès autant que la perte d'une mesure, la perte de la folie, de sa naïveté, la perte de son courage comme celle de sa lâcheté, que celle de son épouvante devant toutes choses autant que celle de sa confiance, la perte de ses pleurs comme celle de sa joie. C'est ce que je pense moi."
Marguerite Duras
présentée par Louise-Anne Maher
Depuis Backlash publié en 1991 par Susan Faludi, des groupes masculinistes et antiféministes se sont organisés. La haine envers les féministes et les femmes en général (ce qui n'est pas nouveau mais qui prend de l'ampleur) de ces groupes et l'irrationalité de leurs revendications qui ne sont que les revendications féministes traditionnelles reprises au nom des droits des hommes, créée une atmosphère de méfiance, met les groupes féministes sur la défensive et empêche une vraie discussion sur les fondements du féminisme; celle-ci risquant d'alimenter la propagande haineuse des masculinistes qui vont jusqu'à affirmer que les hommes sont victimes de violence de la part des femmes.
La haine envers les femmes qui tentent de se libérer du contrôle des hommes n'est pas nouvelle mais elle atteint ici des excès pathologiques.
Un débat qui permettrait une ouverture sur les enjeux du féminisme serait bénéfique au mouvement des femmes, lui redonnerait de la vigueur, lui permettrait de prendre en considération l'évolution du mouvement depuis les années soixante et de tenir compte des réalités de 2003.
Le pouvoir de récupération des ces mâles haineux et violents (sinon physiquement à tout le moins psychologiquement) est tellement rapide et de mauvaise foi que les féministes ne pouvent que se battre continuellement pour que leurs vrais propos soient entendus, réhabilités, entendus comme tels.
Cette crainte de toute récupération de leurs propos par les masculinistes enferment les féministes dans un discours parfois dépassé et rigide. Ce qui ne signifie pas que le discours féministe a perdu sa crédibilité, mais qu'il est menacé dans sa liberté d'expression et de discussion.
Le féminisme, menacé par le discours haineux des masculinistes, n'a plus la liberté de se remettre en question, de réfléchir sur lui-même. Le féminisme est dans une impasse pendant que le courant masculiniste se propage à une vitesse folle dans la société tant auprès des hommes que de certaines femmes, dans les médias électroniques aussi bien que dans la presse écrite, ainsi que sur plusieurs sites Internet.
Par exemple, il est impossible de discuter de la violence conjugale qui évacut la dynamique conjugale et la violence des femmes. Tenter de parler de la violence des femmes (cruauté mentale, violence verbale surtout, très rarement violence physique), c'est pour les féministes tomber ipso facto dans le discours masculiniste pour lequel il y a symétrie entre la violence des hommes et la violence des femmes. Les arguments des masculinistes sont de mauvaise foi, vicieux, trompeurs et sèment la confusion. La violence des femmes est asymétrique de celles des hommes, elle est complètement différente, comme les hommes et les femmes sont différents. Compte-tenu de la mauvaise foi, des propos haineux et insensés des masculinistes,la discussion sur la violence des femmes devient impossible, la violence des femmes est niée, ce qui revient à nier la réalité; mais aussi à rater l'occasion de réfléchir sur un "concept" vieux de 30 ans: la violence conjugale où l'homme est le bourreau et la femme la victime sans prendre en considération le contexte, les faits etc. La violence conjugale devient une condamnation sans procès. Ce qui est impossible à accepter et se retourne contre les féministes et les femmes battues et même tuées.
Plus fondamentalement encore la victimisation dépouille les femmes de leur colère, leur colère légitime, comme cela s'est fait depuis des millénaires. Les femmes doivent retrouver leur colère, leur indignation, leur capacité à se défendre. Nous devons travailler à libérer les femmes de leur culpabilité, de leur peur, et leur rendre leur colère et leur capacité à se protéger elles-mêmes. Ce n'est pas en élevant la "victimisation" des femmes en dogme que les femmes pourront se libérer. Au contraire cela les encourage à vivre dans la peur et la soumission, dans l'inquiétude constante d'être agressées, à la maison, dans la rue, au travail.
Ce sont les femmes qui doivent changer, s'affirmer, refuser le mépris et la condescendance. Il est absolument inutile de demander aux hommes de changer, ils changeront s'ils le veulent, s'ils le doivent, car tous ne sont pas violents et agresseurs. Lorsque les femmes se comporteront en égales, affirmeront leur dignité, les hommes devront bien en prendre acte.
Le féminisme, acculé au pied du mur par le discours haineux des masculinistes, se durcit dans ses positions et refuse toute discussion . Toute remise en question est considérée comme une attaque masculiniste et antiféministe. En s'enfermant ainsi dans un discours qui devrait constamment être révisé, repensé à la lumière de la réalitée actuelle, les féministes participent involontairement à leur propre RESSAC. Le féminisme donne prise aux masculinistes en ne prenant pas une attitude pro-active qui les désarçonnerait.
Sans prendre en compte des discours haineux, les féministes doivent remettre en question des "concepts" datant des années 1960-1970. Ce questionnement serait bénéfique au mouvement féministe, lui donnerait un nouvel essor, un vent nouveau et certainement beaucoup plus d'adeptes. Une chose est sûre ce n'est pas en durcissant ses positions que le féministe évitera les attaques et les désertions.
Louise-Anne Maher
à 21:53