Si la révolte a ses racines dans l’injustice, le vol est à la fois l’amour du défi et le constat d’une société complètement falsifiée. Le voleur court à sa perte en manifestant matériellement son mépris de la propriété, toujours opposé à la société bourgeoise. En homme blessé depuis longtemps, irréductible et prêt à payer, le voleur est un homme qui vit dans un tourbillon de répétitions basées sur l’appropriation – ou pour les plus conscients des enjeux sociaux sur la réappropriation -. Il est habité de sa propre clarté éthique, de sa propre différence et d’une énergie entièrement dédiée à faire des « coups », à recréer l’esprit de l’aventure et le plaisir de la rapine devant la grisaille sociale sans jamais modérer son choix de la clandestinité. La liberté du voleur consiste à peupler chaque horizon, villes, villages, maisons, pays, des conditions et de la pratique de son secret. Le vol est son métier, métier propice à l’exaltation mais aussi objet d’une préparation méticuleuse qui tente de maîtriser le hasard et les coups du sort.
Le
Yegg voit
partout autour de lui les conditions d’une liberté qui n’existe jamais,
qu’il sait toute relative. Le voleur s’insère partout où cela lui est
possible grâce aux trous noirs et aux fissures sociales. Il confirme
par son audacieuse pratique que le fait même de la propriété, se
construit sur une longue pratique du vol, légal et illégal. Il connaît
intimement les raisons de son choix de vie. C’est un choix obstiné qui
refuse en bloc l’intégration à la société « honnête ». Parce qu’il a pu
mesurer la duplicité des lois et de la justice sociale, il lui préfère
la marginalité et l’humanité des « bas fonds ». Dans la défaite, le
Yegg
est noble lorsqu’il trébuche dans l’engrenage social. Le parcours de
Jack Black dans les prisons fait preuve d’un comportement vrai,
totalement absent de toute compromission.
L’histoire du yegg
Jack Black est l’illustration de la longue condamnation à perpétuité -
ou pire - de tout ce qui relève la tête, refuse les règles imposées et
méprise les valeurs édifiées à Wall Street. Mais l’Amérique (et pas
seulement elle) a toujours répondu à la violence par la violence et les
législateurs ont toujours écrit des textes de lois de plus en plus
répressifs pour rassurer les honnêtes gens comme on le faisait déjà du
temps de Jack Black. Celui-ci a payé un lourd tribut à la société :
voleur par hasard puis par goût et par habitude mais aussi criminalisé
par la très ancienne pratique sociale qui consiste à punir sans
comprendre ni écouter, il pouvait écrire, car il avait connu de très
près la répression, que « la société lutte contre les gangsters avec
des méthodes de gangsters, contre les brutes avec des méthodes de
brutes et contre les assassins avec des méthodes d’assassins, sans
jamais se poser la question de savoir si cela ne mène pas à une
escalade de la violence ».
L’Amérique de la fin du XIXe
siècle, les USA et le Canada dont nous avons hérités, s’est édifiée sur
la répression, le pistolet et la matraque. Lorsque le nouveau continent
se peuplait, le flux de la vie aurait pu s’organiser sur les bases du
respect et non du mépris, sur la compréhension, la réflexion et non sur
la violence, et mettre en congé l’injustice et la criminalisation
notamment celle des vagabonds, des marginaux et des laissés pour
compte, sujets de ce livre.
Jack Black raconte la vie des Yeggs, ceux dont le détective Pinkerton
pensait qu’ils formaient une confrérie de criminels casseurs de
coffres-forts qui« forçaient les serrures de toutes les tôles du
pays ». Jack Black fut un yegg avant de raccrocher après 15 ans passés dans diverses prisons. Il raconte avec talent la vie de ces hobos
devenus voleurs de grands chemins, toujours prêts à une forme de
solidarité que n’auraient pas désavouée certains bandits anarchistes
comme Alexandre Jacob en France. Circulant des U.S.A.
au Canada, sa vie de voleur est une quête incessante de butins amassés
et de « coups » réussis et ratés, d’amitiés et de trahisons, de cibles
repérées et de bonne ou de mauvaise étoile.
Mais
si cette autobiographie est une réflexion sur ce qui conduit à la
criminalité, elle est surtout une magnifique réplique à la brutalité de
la société face à la délinquance. Jack Black montre comment et pourquoi
une société entière criminalise des petits voleurs en les privant de
tout respect et en appliquant des lois essentiellement répressives avec
une cruauté implacable en invoquant la justice et l’ordre, l’égalité et
la sécurité. L’injustice appliquée en lieu et place d’une justice déjà
sujette à caution endurcira Jack Black sans jamais lui faire regretter
sa vie de voleur. De petit voleur elle le conduira seulement à
s’endurcir et à pratiquer son art sur une plus vaste échelle.
Ce
livre est une puissante réflexion sur l’injustice instaurée comme
modèle de justice et de gouvernement. Il permet de toucher l’ordinaire
de la prison de cette fin de siècle, l’absolue disproportion et
l’inutilité et la cruauté des châtiments corporels comme le furent la
flagellation utilisée au Canada ou la camisole de force aux USA,
sanctions pratiquées à l’époque de Black et subies par lui.
Cette autobiographie montre les processus qui vident l’individu et son univers social de toute liberté en installant la peur,
la police et les prisons des honnêtes gens.
On y découvre également les magnifiques portraits de marginaux intransigeants.
« Yegg » servit de matrice à « Junky » de William Burroughs.
Le livre est disponible à la librairie L’INSOUMISE, 2003 St Laurent Montréal
Tel : (514) 313-3489
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