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L'En Dehors


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Voyage d'un ouvrier au pays de la génétique moléculaire
Lu sur Actualité de l'anarcho-syndicalisme : "Le jour où je suis entré à l’université fut, pour l’ouvrier que j’étais, un moment de joie profond. J’entrais dans le monde du savoir. Tous les gens que j’allais côtoyer avaient fait des études bien plus étendues que je n’espérais jamais en faire. J’avais été embauché comme menuisier. Ma tâche serait d’aménager les laboratoires et les bureaux des chercheurs. Pendant près de trente ans, je me suis consacré à ce travail. Je dois dire qu’à peu d’exceptions près, j’ai rencontré des gens fort agréables avec moi.



J’ai mis du temps à m’apercevoir que cette qualité de relations était due au fait que je ne représentais pas une concurrence pour eux. C’était un laboratoire qui comprenait plusieurs centaines de personnes. De nombreux étrangers étaient présents, la moyenne d’âge générale était très jeune. Par mes fonctions, j’étais l’une des rares personnes à pouvoir circuler dans les labos sans susciter une quelconque suspicion.

Puis, je fus invité un jour à un pot, nom familier de la célébration d’un événement. Content d’être convié par des gens aussi instruits, je suis venu. J’ai demandé entre deux verres ce que l’on fêtait, un mariage, une naissance ou un anniversaire. Surprise, la personne que je questionnais me répondit qu’il s’agissait de l’accord donné pour la publication d’un article scientifique. C’est ainsi que je suis entré doucement dans un drôle de monde, où sous des apparences très policées, une lutte à couteaux tirés se faisait jour. D’un labo à l’autre, d’un étage à l’autre, ou sur le même étage, des rivalités apparaissaient. Tout cela sous les yeux ébahis du naïf que j’étais.

Confronté quotidiennement à cette situation, j’identifiais les divisions en castes de cet étrange rassemblement. Il y avait trois sortes de personnes : les titulaires, dont je fis partie assez vite, les étudiants et les "post-docs" [1].

La première catégorie rassemblait une faune assez disparate, dont le seul commun dénominateur était d’être soit fonctionnaire soit contractuel à vie. Parmi eux on trouvait aussi bien une femme de ménage qu’un professeur. Cette catégorie était divisée en trois sous-parties : les moins que rien, c’est-à-dire tous ceux qui n’avaient pas le grade de techniciens, les techniciens qui formaient un corps particulier comprenant aussi bien celui qui est à la paillasse que l’ingénieur de recherche, qui a un rôle au moins équivalent à celui du grade le plus bas de la corporation des enseignants-chercheurs et, enfin, les chercheurs.

Parmi ces derniers, on trouve les enseignants-chercheurs, aristocratie universitaire désargentée, ainsi que les membres des grandes institutions de la recherche, CNRS ou INSERM ; les trois corps, se soupçonnant mutuellement de ne pas faire de la "vraie" recherche, se partagent en fait le gâteau du pouvoir, celui-ci revenant, pour la plus grosse partie, aux universitaires, obligés par ailleurs de négocier avec leurs collègues l’accès aux financements plus conséquents en provenance des institutions propres de la recherche française.

Une autre catégorie de chercheurs existe ; c’est celle que l’on peut qualifier de "forçats de la recherche". Il s’agit des étudiants en doctorat et des post-docs. Sans eux, il n’y a pas de recherche possible. Il sont "à la paillasse" nuit et jour. Les étudiants sont complètement soumis à leur directeur de thèse qui leur fournit, selon son humeur, sujet de recherche et moyens de travail. Mais ceci dépend aussi de la place de ce chercheur dans l’architecture du labo. Dans cet institut où je me trouvais, moyens financiers comme humains d’une équipe étaient liés à la relation avec le grand patron. Ils pouvaient varier de façon importante en fonction de la compétence ou de la résistance aux pressions patronales. J’étais moi-même tenu de prendre en compte ces paramètres dans mes interventions, même si tout cela relevait du non-dit et était pour partie invérifiable.

En trente années de présence, j’ai vu nombre d’entre eux s’effondrer en pleurs parce qu’au dernier moment soit leur sujet changeait, soit leurs résultats étaient subtilisés et donnés à un autre étudiant plus avancé, soit confisqués par le patron. Ces étudiants sont les vrais prolétaires de la recherche.

Travaillant dans les mêmes conditions matérielles, mais avec plus d’autonomie, il y a les post-docs. Ce sont souvent des gens très intéressants. Ils ne sont pas soumis comme les étudiants, puisqu’ils ont passé leur doctorat. Ils viennent d’autres laboratoires et souvent d’autres pays. Ils sont alors au maximum de leur capacité inventive, ils ont un potentiel de travail énorme. Ils passent plus de temps au labo que chez eux. C’est le fruit de leur recherche qui va déterminer leur avenir.

C’est dans ce cadre que j’ai découvert ce que voulait dire la mondialisation. Les concurrents les plus immédiats de ce laboratoire n’étaient pas dans la même ville, ni dans le même pays mais en Allemagne, ou au Japon, et, bien sûr, aux Etats-Unis. Cette compétition s’incarne dans la publication d’articles dans des revues scientifiques de renommée mondiale.

Ces publications rythment la vie du laboratoire. Dans le monde de la génétique moléculaire, la concurrence est universelle. Les chefs, professeurs ou directeurs de recherche, vont dans des congrès scientifiques, y puisent des idées, reviennent et lancent les manipulations en urgence. Il s’agit de battre les autres labos. Donc, souvent, on abandonne ce qui se faisait avant et qui était pressé, au profit d’une nouvelle idée qui, une fois bien engagée, va déboucher sur une publication. En fonction de la renommée du responsable du laboratoire, elle sera envoyée à telle ou telle revue, chaque discipline scientifique ayant sa revue préférée. Celle qui surpasse toute les autres est "Nature". Y être publié correspond à une reconnaissance mondiale. Quand la rédaction de la revue reçoit le manuscrit, elle l’envoie à plusieurs spécialistes (referees) de la question qui diront si cela est publiable ou pas et, si cela l’est, peut-être faudra-t-il approfondir telle ou telle expérience. Pendant la période qui précède l’éventuelle publication, tout le labo va vivre au rythme des nouvelles concernant le manuscrit, accepté, pas accepté. C’est la période dépressive, il va falloir ne pas baisser les bras et chercher une revue d’un standard inférieur qui acceptera de publier. Elles sont plusieurs qui vivent des articles refusés par les autres revues. Un article refusé ne l’est pas forcément parce que la recherche qui y est exposée est mauvaise, mais il peut arriver qu’un des referees en charge de la lecture travaille sur le même sujet ou approchant et préfère éloigner la concurrence.

Si l’article est accepté, sous condition, c’est l’hystérie dans le laboratoire, tout le monde se met à refaire la manip demandée, à trouver des résultats concordants supplémentaires, puis on rédige de nouveau les parties en cause en espérant que la concurrence n’aura pas pris le pas sur vous. Le jour de l’acceptation de l’article est un jour de fête. Un pot est préparé. La politique intérieure du laboratoire entre en ligne à ce moment-là. La date sera choisie en fonction de la présence ou de l’absence du grand patron, selon que l’on veuille marquer son indépendance ou sa reconnaissance. La présence du "chef" ainsi que la durée de sa participation ou son absence alors qu’il est invité donnent des indications précises sur la place de l’équipe et de son chef dans les changements ou extensions ultérieurs du laboratoire. Car la surface d’occupation au sol d’une équipe indique sa place auprès du décideur ultime.

Quand je me suis penché sur les premiers articles, auxquels par ailleurs je ne comprenais rien, je fus frappé par le fait que la signature de l’article comprenait trois, quatre noms et parfois plus. J’ai demandé des explications. Le dernier nom est celui du grand patron, le responsable du ou des labos, le premier est le nom de celui qui a fait le travail, et entre les deux, de ceux qui ont collaborés de plus ou moins près. Il arrive même que dans certaines équipes on ajoute le nom du ou de la technicienne, ça ne mange pas de pain et ça améliore l’ambiance. De ces publications dépend la suite de la carrière des chercheurs, et de plus en plus souvent l’existence même des laboratoires.

Pour les étudiants, pas de doctorat sans publication, soit en auteur principal soit en associé. Pour les chercheurs, pas de progression de carrière si leur nom n’apparaît pas dans les publications de leur laboratoire. Il en est de même pour les techniciens, s’ils travaillent dans un labo qui ne publie pas, ils peuvent dire adieu à un quelconque changement de grade.

Cela veut dire que le statut de tout le personnel est garanti par la valeur du travail scientifique qui est confirmé par la communauté scientifique mondiale. Pas seulement par l’acceptation de publication, mais encore par un calcul très sophistiqué du nombre de citations de votre publication dans d’autres publications. Un chercheur peut avoir publié un article dans une bonne revue, si cet article n’est pas cité un nombre conséquent de fois dans d’autres publications, c’est comme s’il n’existait pas. Les publications de ce chercheur ont alors un effet quasi nul sur son statut.

Dans ces circonstances, tous les coups sont permis. Si le patron du laboratoire ne tient pas la barre d’une main ferme, les résultats passent d’un étudiant à un post-doc ou à un chercheur. Sans beaucoup de scrupules. On rencontre régulièrement des étudiants, révoltés parce qu’un de leurs résultats se retrouvait dans la publication d’un chercheur du labo, ou abattus parce que leur patron de thèse avait changé leur sujet en cours de route, parce qu’il avait besoin de résultats pour son propre travail. Plongé dans ce monde spécial, j’étais tenté de prendre pour acquis ce qui s’y passait, et de l’étendre aux autre laboratoires soit de la faculté soit de l’université. Mais, très vite, je m’aperçus que le "patron" du laboratoire où je travaillais rassemblait sur sa personne tous les titres, universitaires, CNRS et INSERM. En plus de travailler sur un domaine porteur, la génétique moléculaire, il avait aussi la capacité de lever des fonds français et internationaux. Ce qui lui donnait une indépendance rare vis-à-vis des pouvoirs locaux et une célébrité internationale. En fait, il alliait les avantages du public et ceux du privé. Dans les autres laboratoires où le patron ne jouissait pas des mêmes appuis, ou dont le domaine scientifique était moins à la mode, le manque d’argent se faisait sévèrement sentir. Sous le manteau du service public se cachaient et se cachent toujours des disparités majeures.

Pour moi, ces années passées dans ce milieu ont été extrêmement profitables. J’ai appris qu’instruction ne rimait pas forcément avec éducation. Qu’on pouvait être très "pointu" dans un domaine et totalement ignare dans la vie de tous les jours. Que certains se targuant de leur niveau scientifique se permettaient de juger définitivement d’autre chose. Qu’il ne suffisait pas d’être "chercheur" pour être capable d’avoir une opinion valable sur la Recherche. Qu’il ne fallait pas laisser la Rechercher aux chercheurs.

Pierre Sommermeyer (Revue “Réfraction”, n°13)

P.S Je ne parle ici que de ce que je connais, c’est-à-dire le milieu de la recherche en génétique moléculaire. Le laboratoire auquel je fais allusion comprenait lors de mon départ plus de trois cents personnes et était hébergé dans une université française. De ce nombre important découlent les pratiques que je décris. Ce qui ne veut pas dire pour autant que les laboratoires plus petits soient à l’abri de ce genre de choses. La valeur scientifique de l’unité dans laquelle je travaillais n’a jamais été reconnue ; nobélisable à plusieurs reprises, son patron a vu à chaque fois le titre lui échapper, alors que dans la même ville, le patron d’un petit laboratoire d’une dizaine de chercheurs était primé.

[1] : Jeunes chercheurs qui ont déjà un doctorat.
Ecrit par libertad, à 13:32 dans la rubrique "Pour comprendre".

Commentaires :

  cercamon
26-05-05
à 17:19

On peut difficilement faire plus "vrai" que ce témoignage.
Répondre à ce commentaire

  Anonyme
26-05-05
à 19:44

Il parle drolement bien pour un menuisier. Est-ce un vrai menuisier qui a raté sa vocation d'étudiant en socio, ou un chercheur camouflé ?

 
Répondre à ce commentaire

  Cercamon
26-05-05
à 21:01

Re: Il parle drolement bien pour un menuisier. Est-ce un vrai menuisier qui a raté sa vocation d'étudiant en socio, ou un chercheur camouflé ?

Je ne pense pas que ton intention était de blesser, mais moi-même, "qui suis beaucoup allé à l'école", je suis un peu heurté par ta remarque.

Pourquoi un "menuisier", à qui l'on confie les "basses besognes" d'un laboratoire ne saurait pas s'exprimer convenablement ? Pourquoi ne serait-il pas doué de sensibilité et d'un bon sens de l'observation ? L'intelligence n'est possédé que par ceux qui font des études "longues" ? Quelqu'un qui a "choisi" une voie manuelle ne devrait pas savoir s'exprimer ? Ne pas aimer écrire ?

Le numéro de Réfraction dans lequel figure cet article a été réalisé par des personnes qui ne cachent pas leur qualités universitaires. Je ne vois pas donc pas pourquoi précisément celui-là se serait camouflé.
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