Serge a 22 ans, il est étudiant... Sa vie sexuelle a commencé vers l'âge de 13-14 ans à peu près, avec des petites copines du lycée... Il avait déjà, depuis qu'il était tout petit, des fantasmes homosexuels mais il pensait que ce n'était pas bien de les exprimer et, dans la mesure où il éprouvait , aussi du désir pour toutes ces petites filles avec qui il pouvait faire l'amour, il se disait qu'il pouvait très bien réprimer ces autres fantasmes.
A l'âge de 16 ans, il a eu sa première expérience homosexuelle, très bien vécue, très tendre et très épanouissante. Là, il a commence a considérer qu'il pouvait vivre les deux sexualités.
Mais, entre 16 et 18 ans, le fait de pouvoir exprimer ses fantasmes homosexuels a complètement masqué l'autre aspect de sa sexualité. Il a découvert le ghetto pédé de Paris, et a vécu uniquement là dedans... Il a eu des dizaines et des dizaines d'aventures les unes à la suite des autres, un peu de façon désordonnée, A partir de 18 ans, il a recommencé à faire l'amour avec des femmes et avec des hommes, alternativement... Il avait un petit ami ou une petite amie... Ça durait quinze jours ou un mois ou une nuit, mais c'était toujours vécu au niveau du désir; c'était pour lui plutôt le prolongement d'une amitié, si c'était possible... Mais une relation avec une femme a toujours besoin pour lui d'être très amoureuse au départ, très tendre, pour le conduire au rapport sexuel.
Il a vécu aussi la sexualité de groupe, et l'analyse qu'il en fait nous a paru aussi intéressante que son témoignage.
Sexpol : Parle-nous de ce que tu as vécu en matière de sexualité de groupe.Serge : J'ai vécu deux aspects très différents. D'une part, l'aspect par touze, où j'ai pu faire l'amour avec beaucoup de gens que je ne connais sais pas, que je n'avais jamais vus el où c'était uniquement un éclat ment des sens... Ce n'est pas un trot très enrichissant, j'avoue, mais enfi9 ça permet de mener à bout cerf ' fantasmes qu'on peut avoir... presque en se cachant...
Par la suite, j'ai eu l'occasion de partir avec des amis, garçons et filles, dans une maison à la campagne: on était un groupe où il y avait vraiment des échanges entre tout le monde et où ces échanges se poursuivaient dans l'amour. Voilà, c'était plus de la partouze, c'était de l'amour, à 4, 5, 6, 8 ou 10 personnes, aussi bien homosexuelles que bisexuelles à l'intérieur du groupe... Je crois que c'est assez inouï parce que ça fait vivre beaucoup de choses en même temps, ça permet à la fois de vivre une hétérosexualité et une homosexualité et c'est pas du tout frustrant parce que ça va plus loin que le désir, ça va plus loin que la génitalité, ce sont des relations amoureuses qu'on peut vivre avec plusieurs personnes à la fois.
La chose la plus épanouissanteCela ne veut pas dire que je n'aie pas eu aussi des expériences de relations privilégiées et uniques :avec une fille, par exemple, qui a duré deux ans ;j'en ai eu une avec un garçon, pendant un an. Mais cette sexualité de groupe, quand elle s'accompagne d'un respect, d'une amitié, d'un amour pour les gens avec qui elle est pratiquée, je crois que c'est la chose la plus épanouissante que j'aie pu connaître.
Une autre expérience un peu analogue a été aussi très marquante pour moi : je vis actuellement, depuis presque un an, avec une fille que j'aime beaucoup ; j'ai rencontré un garçon que j'ai beaucoup désiré et puis que j'ai beaucoup aimé... ce garçon et cette fille se sont connus et ils se sont désirés aussi ; et ça a été inévitable : on a fait l'amour tous les trois pendant assez longtemps. Et, là encore, c'était la coalition de l'hétérosexualité et de l'homosexualité, plus l'amour, et c'était un triangle qui marchait sur toutes ses bases. Ça aussi, ça a été une forme non pas de sexualité de groupe, mais d'amour de groupe très importante.
Sexpol : En quoi la sexualité de groupe telle crue tu l'as vécue te paraît-elle plus épanouissante, comme tu dis, qu'une relation de couple ?Serge : C'est pas la sexualité de groupe que j'ai vécue, c'est l'amour de groupe. Dans un groupe de garçons et de filles, il y a des tensions du fait des désirs qui existent entre eux... Je crois que c'est valable dans n'importe quel groupe... et ces tensions sexuelles ne me paraissent pas bénéfiques pour un très bon épanouissement des relations dans le groupe. Tandis que le fait de vivre ses désirs, jusqu'au bout, mène ces relations à un plus haut niveau. Pour moi, faire l'amour avec quelqu'un, c'est pas de la sexualité, c'est aller au bout d'une relation, d'une amitié... Et ça veut pas dire forcément baiser selon certaines règles... Ça peut aussi vouloir dire se caresser la cuisse ou s'embrasser sur la bouche ou n'importe quoi, tu vois. L'important, c'est qu'on ne se sent pas bloqué au niveau du contact physique, de la main, du corps... C'est toujours accepté.
Par exemple, quand je faisais du théâtre, il y a 3 ans, on était un groupe de garçons et de filles, et c'était évident qu'il y avait des tensions sexuelles entre tout le monde; on se voyait beaucoup, on était tous à peu près du même âge et on était une vingtaine de personnes, mais ça n'a jamais été bien vécu ; c'est-à-dire que, de temps en temps, untel couchait avec unetelle, un couple se formait pour éclater 2 ou 3 semaines après. Il n'y a jamais eu épanouissement d'une espèce de sensualité qui restait sous-jacente : elle n'a jamais pu s'exprimer parce que... l'éducation, les blocages, etc.
Sexpol :A ton avis, justement, qu'est-ce qui a fait qu'il a pu y avoir dans un groupe de l'amour collectif et que cela ne s'est pas reproduit dans l'autre groupe ?Serge : Je crois que c'est vraiment une question de volonté individuelle au départ, peut-être d'avoir fait soi-même un certain chemin, d'avoir eu certaines expériences qui t'amènent à pouvoir mieux en accepter d'autres. Il est certain que, si je n'avais pas eu une vie hétérosexuelle pendant 2 ans puis une vie homosexuelle pendant 2 ans aussi, je n'aurais pas été à même d'accepter de façon décontractée certains rapports de groupe ou certains rapports à la fois homo et hétérosexuels.
Ce groupe dont je parlais, où il y a eu des relations amoureuses entre 10 personnes, c'était des gens qui avaient eu un peu les mêmes expériences que moi, un vécu qui leur a permis d'aller peut-être un peu plus loin.
Même si ça se faisait pas, c'était jamais frustrant
Sexpol : Mais, dans ce groupe, vous faisiez l'amour par couples ou bien, suivant les circonstances, les désirs des gens...Serge : C'est difficile à dire. Tout ce que je peux dire, c'est que c'était toujours très tendre et toujours bien vécu... Enfin, je veux pas faire de l'optimisme à outrance mais je crois que, quand il existait un désir particulier d'untel pour unetelle ou d'unetelle pour unetelle... c'était toujours dit, c'était toujours exprimé et ça se faisait ou ça se faisait pas mais, même si ça se faisait pas, c'était jamais frustrant. Et, si on se retrouvait sur un lit, par exemple,à 5 personnes, il y avait des caresses échangées qui étaient vraiment vécues de façon très naturelle... comme le fait de prendre un bain avec le copain ou la copine qui passait par là et qui avait envie de prendre un bain en même temps que toi, de se savonner, de toucher son corps, d'exprimer comme ça ses sens. Ça faisait partie de notre vie. Mais ça n'a pas duré très longtemps et ça a été très privilégié...
Sexpol : Pourquoi est-ce que ça n'a pas duré longtemps ?Serge : Parce que c'était les vacances, la maison, la campagne et qu'à Paris, on habite tous de façon plus ou moins cloisonnée, on a tous une vie plus ou moins professionnelle et, si on se réunit chez quelqu'un à 10 personnes pour baiser, c'est pas pareil, c'est pas vécu de la même façon, c'est pas vécu comme un prolongement de la vie quotidienne, mais comme une expérience spécifique.
Sexpol : Vous n'avez pas eu envie de prolonger ça dans un mode de vie communautaire, par exemple ?Serge : On y a pensé. C'est certain que ça pourra se faire mais, pour l'instant, on a des obligations plus fortes que ça.
Ce que je reprocherais à la partouze,c'est justement que les gens s'y réunissent pour ça. Pour moi, des personnes ne peuvent pas se réunir pour baiser... enfin, elles peuvent le faire mais je ne crois pas que ce soit très épanouissant si, au départ, elles savent qu'elles se réunissent pour ça. Je crois que les relations sexuelles avec quelqu'un viennent par hasard, par un désir mais pas par quelque chose qu'on peut commander à l'avance. C'est pour ça que je suis un peu contre cette espèce de mode actuelle des partouzes, des couples mariés qui cherchent des couples mariés, d'institutionnalisation de cette sexualité. Je ne crois pas que ça puisse apporter quelque chose aux gens... Si, peut-être, au niveau du fantasme immédiat, s'ils ont trop de choses qui sont contenues en eux, qu'ils n'ont pas pu exprimer, ça apporte peut-être une certaine libération mais je ne crois pas que ce soit là qu'ils s'épanouissent.
Je crois que la sexualité de groupe peut exister, par exemple, dans un bureau, pour des gens qui travaillent ensemble, qui vivent ensemble et qui expriment leurs désirs de façon continue avec leur vie quotidienne.
la sexualité n'est pas un jeu, c'est l'amourSexpol : Les partouzeurs que j'ai rencontrés ne parlaient pas, effectivement, d'épanouissement mais quand même de libération et notamment par rapport aux fantasmes : ça c'est sûr, c'est pour eux la réalisation de fantasmes. Et puis leur leit-motiv, c'est l'idée de jeu, de dérivatif et tout ce qui peut aller contre le jeu est rejeté, systématiquement.Serge : Alors je me demande ce qui peut être important pour ces gens, finalement, parce que s'ils ramènent la sexualité à un jeu, quels vont être les rapports possibles ? Il ne me I semble pas que ça puisse aller de ` pair avec une vie épanouissante. Dans ma conception la sexualité n'est pas un jeu, c'est l'amour. Pour moi, c'est indissociable. Et même une baise d'une nuit, c'est l'amour aussi et ça peut pas se concevoir autrement. Il est dommage qu'ils ne soient pas capables de comprendre ça... ou peut-être répriment-ils ce qui pourrait être des relations amoureuses, uniquement par peur, et transforment-ils ça en i jeu ? Mais je ne crois pas que les gens puissent le ressentir comme un jeu de façon vraie, sincère. A mon avis, ils trichent quelque part.
Sexpol : Ils n'excluent pas la tendresse mais, pour ceux que j'ai rencontrés, ça fait partie de la technique.Serge : Je veux bien mais, s'ils n'excluent pas la tendresse, pourquoi avoir besoin de passer des annonces dans les journaux et se réunir systématiquement pour ça ? Est-ce qu'ils ne sont pas capables d'avoir des relations tendres avec leurs amis intimes et avec les gens avec qui ils sont en rapport tous les jours ? Pourquoi, pour aller jusqu'au bout de ce besoin de tendresse, sont-ils obligés d'avoir une vie à part ?Parce que c'est ce qui se passe dans la bourgeoisie avancée, c'est son dernier argument :cette sexualité de groupe est ressentie comme un truc à part de la vie courante et c'est en ce sens-là que je suis pas d'accord. La sexualité, l'amour, c'est la vie, ça fait partie de l'existence et il n'y a pas besoin de placer ça dans un autre ghetto.
La partouze est le dernier jeu à la mode, elle permet de vaincre l'ennui, comme on fume du hasch... On s'éclate de la façon qu'on peut... maison essaie toujours de se préserver, donc finalement on reste en relation uniquement de jeu avec les gens. Ça ne me paraît pas très intéressant.
sexualité de groupe et homosexualitéSexpol : Un certain nombre de gens disent que la sexualité de groupe leur a facilité le passage à l'acte homosexuel. Tu dis, toi, que ton vécu bisexuel t'a permis de vivre de façon plus épanouissante la, sexualité de groupe.Serge : Je crois très profondément que personne n'est hétérosexuel et que personne n'est homosexuel : on est tous capables d'avoir les deux modes de relations même si un des deux est privilégié par rapport à l'autre. Bon, on ne va pas revenir sur l'éducation judéo-chrétienne et tout ce que ça implique, sur tous les interdits autour de l'homosexualité... il est certain que, pour quelqu'un qui a vécu cette éducation, c'est difficile d'aller au bout d'un fantasme homosexuel. Je suis sûr que tous les mecs ont un fantasme homosexuel, en tout cas j'en ai pas connu un, même les hétéros les plus coincés, qui ne l'avait pas de façon évidente... De même pour les filles. Mais vaincre toutes ces barrières de l'éducation, c'est pas évident... J'en parle d'autant mieux que je suis passé par là.
Alors, effectivement, dans un lieu où il y a beaucoup de gens, où il y a des hommes et des femmes, c'est plus facile, pour un mec en train de baiser sa nana, de foutre la main à côté et de toucher la bite du garçon qui est là. Mais, à ce moment-là, il risque de trop se structurer dans ce mode relationnel et c'est pas ça qui l'aidera à avoir une relation purement homosexuelle avec un garçon. Et, s'il en a le désir, il ne sera quand même pas capable de le mener au bout parce qu'il aura vécu ses expériences comme complètement en dehors de sa vie réelle, comme un éclatement à part. Ces 5 minutes de sa vie où il aura touché la bite d'un mec parce qu'il en a envie depuis très longtemps en fait mais qu'il n'ose pas le faire, il les vivra beaucoup trop en dehors de sa vie pour le faire après de façon épanouissante dans une relation.
Sexpol : Tu penses que c'est systématique ?Serge : Je ne pense pas que ce soit systématique mais je crois que, si des gens structurent trop leurs fantasmes sexuels dans la partouze-jeu, c'est-à-dire accident, en dehors de la vie, ils vont avoir beaucoup de mal à admettre simplement des relations amoureuses homosexuelles, parce que c'est pas ça qui va les « libérer ».
Sexpol : Oui mais des gens qui vivent non pas des partouzes mais l'amour collectif, disent aussi que ces pratiques collectives leur ont permis de vaincre leurs barrières vis-à-vis de l'homosexualité et, surtout, d'y vivre la même tendresse, la même affectivité que dans leurs relations hétérosexuelles.Serge : Oui, on peut arriver dans cette expérience avec, au départ, une pulsion homosexuelle sans doute relativement assumée et consciente. Je crois que les pulsions homosexuelles des petits-bourgeois partouzards sont beaucoup trop enfouies pour pouvoir s'exprimer ou plutôt s'épanouir dans le « jeu ».
Pour prendre un exemple inverse du tien, cette fille avec qui j'ai un rapport privilégié : j'ai ramené un mec un soir chez moi, avec qui j'ai fait l'amour, et le matin elle est arrivée quand je partais travailler et j'ai appris par la suite qu'elle s'était glissée dans le lit et qu'elle avait fait l'amour avec lui. Or ce garçon était uniquement homosexuel et il a eu sa première expérience hétérosexuelle comme ça. A un niveau inverse de celui dont tu parlais, ça peut effectivement débloquer certaines situations, lever certaines barrières mais il faut alors vivre les situations de groupe plus loin qu'au niveau de la partouze, vraiment au niveau affectif.
la jalousie, c'est la peurSexpol : Est-ce que la question de la jalousie s'est posée pour toi ou non ?Serge : Elle s'est posée pour moi dans la partie de mon existence où j'ai eu des relations uniques, d'abord avec des femmes, ensuite avec des hommes, c'est-à-dire des vies de couple. La jalousie se posait de façon évidente comme elle se pose à n'importe quel couple.
Je crois, que la jalousie naît de l'inquiétude qui peut exister entre deux personnes : quand on est sûr de l'amour qu'on porte à quelqu'un, ça ne peut plus être remis en cause, donc je crois que la jalousie n'a plus de raison d'exister.
Sexpol : Est-ce que la jalousie ne porte pas sur l'amour que l'autre vous porte plutôt que sur celui qu'on lui porte ?Serge : Oui, si je suis sûr de l'amour qu'une personne me porte, si c'est pour moi quelque chose d'acquis, de vécu, de prouvé, je crois que toute jalousie s'envole automatiquement.
Sexpol : Est-ce qu'on peut être toujours sûr, installe, dans l'amour... ?Serge : Non, justement, je crois que du manque de sûreté naît la jalousie. C'est-à-dire que, si j'ai une relation avec une personne dont je ne suis pas sûr et que je vois cette personne en relation avec une autre personne, je vais me dire : elle va sûrement trouver avec l'autre quelque chose de mieux qu'avec moi et elle va me laisser tomber. Le mécanisme de la jalousie est très simple c'est une peur, un manque de confiance dans la relation qu'on a avec quelqu'un, je crois que ne pas être jaloux demande de gros efforts au départ parce qu'on a tout un poids... Je crois que c'est plus un fait culturel qu'autre chose, je dirais presque que c'est une invention romanesque. Je crois que, quand on décide - c'est un petit peu la méthode de Coué - de ne pas être jaloux, on finit par ne plus l'être et on se sent très bien après.
Sexpol : Tu penses que ça dépend autant de la volonté ?Serge : Je parle des symptômes et, d'autre part, d'essayer d'analyser ce que peut représenter la jalousie chez soi. A ce moment-là, on se rend compte que c'est pas très beau
on n'est pas du tout jaloux parce qu'on aime quelqu'un mais parce qu'on n'a pas confiance en cette personne.
Sexpol : C'est-à-dire qu'on ne se fait pas confiance à soi-même, qu'on n'est pas bien dans sa peau, dans la relation...Serge : C'est ça. Une fois qu'on a admis ça, la jalousie s'en va, non pas d'elle-même, mais avec un certain...
Sexpol : Effectivement, pour qu'elle puisse partir, il faut déjà avoir admis ça mais il ne me semble pas évident que ça suffise.Serge : Ça ne suffit pas. C'est ce que je disais, il faut presque se forcer au début, analyser au maximum, se poser des questions et... Ça fait des années que j'ai plus été jaloux et pourtant j'ai maintenant des relations amoureuses vraiment profondes et épanouissantes. Pour en revenir à cette fille avec qui je vis depuis quelques mois, je suis absolument sûr d'elle comme je n'ai jamais été sûr de personne et elle aussi est sûre de moi. Et je sais qu'on peut faire n'importe quoi chacun de son côté, la jalousie n'existera jamais parce qu'il y a un sentiment de confiance presque absolu.
Je lisais une interview de Sartre qui parlait de sa relation avec Simone de Beauvoir et il disait la même chose : ils étaient sûrs de leur amour et de la confiance qu'ils avaient l'un pour l'autre et, à partir de ça, tout leur a été possible au long de leur vie pour avoir d'autres relations qui pouvaient être amoureuses, très profondes. Ça ne veut pas dire que ça dure toute la vie, ça peut durer un an ou deux ans... Et je crois qu'il est important d'avoir une relation privilégiée avec quelqu'un.
Sexpol : C'est cette notion de sûreté qui serait à creuser, même si ça nous fait un peu sortir du sujet.Serge : Pour moi, être jaloux, c'est se dire : la personne que j'aime ne pense pas à moi en ce moment. Tu l'imagines avec quelqu'un d'autre et tu te dis : en ce moment, elle m'a oublié, je n'existe plus pour elle. Etre sûr de quelqu'un, c'est se dire au contraire : c'est pas vrai, elle m'a jamais oublié, elle pense toujours à moi, même si dans la minute présente elle y pense pas précisément, mais je veux dire que tu fais partie de sa vie. Et une fois que tu es sûr de cette place importante que tu tiens dans la vie de quelqu'un, je crois que tu peux te permettre toi-même et que tu peux lui permettre tous les types de relations et même des relations amoureuses.
on est trop habitué à se servir de la séductionSexpol : Bon, on va pas s'apesantir sur la jalousie. II y a un autre mythe social que les partouzeurs disent remettre en cause : le mythe beauté-laideur, surtout par les femmes par rapport à la représentation des canons officiels de la beauté. Les femmes qui partouzent s'en trouveraient libérées, même dans la vie quotidienne.Serge : Là, je serai beaucoup plus partagé : paradoxalement, il me semble que ce mythe de la beauté est très profondément ancré en nous et qu'il est très difficile de s'en débarrasser. Je crois que tous les interdits sur l'homosexualité, la jalousie, bien qu'ils aient des conséquences plus importantes, sont plus faciles à dépasser que la beauté.
C'est directement lié aux relations de séduction que l'on a avec les gens : on est trop habitué, trop tôt, à se servir de la séduction pour mener à bien les relations avec les gens, pour pouvoir la dépasser facilement. Je ne crois pas quelqu'un qui me dit qu'il a dépassé cet aspect physique d'une autre personne dans une relation amoureuse.
Sexpol : Oui mais la séduction n'est pas seulement liée à l'aspect physique, la séduction, ça peut être le charme, quelque chose de tout-à-fait abstrait...Serge : Oui, oui, mais à ce moment-là, je ne crois pas que la sexualité de groupe apporte grand chose là dedans. La sexualité, dans notre société judéo-chrétienne, c'est presque seulement des fantasmes, et les fantasmes qu'on peut avoir au sujet d'un corps ou d'une personne, dans un rapport à deux, tu les retrouves au niveau d'un groupe et peut-être encore plus forts parce que tu as une espèce d'éventail de corps devant toi, de têtes, de charmes et que tu peux presque choisir là-dedans. Je ne crois pas que, quand 10 personnes font l'amour, elles le font de façon égale avec
toutes les autres, il y a toujours une personne qui est beaucoup plus proche de leurs fantasmes et avec qui, même au sein du groupe, elles auront une relation privilégiée.
Sexpol : Tu crois que c'est l'aspect physique qui joue uniquement.Serge : Oui mais ça ne veut pas dire que cette personne corresponde à des canons de beauté, aux mannequins des magazines. Ça correspond à un fantasme précis : par exemple, si on aime une peau blanche ou brune, des poils sur la poitrine ou pas de poils, de gros seins ou des petits seins... des goûts qu'on a sans savoir pourquoi ni à quoi ça remonte. Mais je ne crois pas que le fait de faire l'amour avec plusieurs personnes te libère de ces fantasmes-là.
Sexpol : La question ne portait pas tellement sur les relations, mais sur la façon dont une personne se perçoit elle-même par rapport aux canons. Par exemple, le mec qui n'est pas le super-mâle baraqué ou la femme qui n'a pas la taille mannequin s'aperçoivent, grâce à des pratiques sexuelles de groupe, qu'ils peuvent être désirés tels qu'ils sont.Serge : Il ne me semble pas que la sexualité de groupe soit très importante dans cette démarche. Je crois que ça se vit aussi très bien dans une relation à deux : plus ou moins toutes les femmes trouvent des mecs ou tous les mecs trouvent des femmes...
Sexpol : Mais tu peux te dire : oui, je plais à celui-là mais c'est pas forcément un critère, il est peut-être fou ou n'importe - quoi... Tandis que si tu t'aperçois que tu peux plaire à des personnes différentes, à plusieurs reprises, dans des circonstances différentes, tu finis par avoir l'impression de pouvoir plaire à tout le monde.Serge : C'est possible... je t'avoue que je ne me suis pas posé la question, mais, maintenant que tu m'en parles, oui, ça me paraît possible que quelqu'un qui ne soit pas bien dans son corps, qui n'arrivait pas à l'exprimer jusque-là, puisse s'épanouir à partir d'une relation comme ça. Mais enfin, je crois qu'à cause de ces canons de la beauté, qui sont très précis dans nos sociétés, on est tous plus ou moins complexés vis à-vis de son corps, de sa gueule, et qu'il faut de très nombreuses expériences sexuelles pour se rendre compte que c'est pas très important.
Sur tous ces mythes, tout dépend de la façon dont on aborde les choses : la sexualité de groupe vécue comme un jeu, quelque chose d'à part, un moyen de vaincre son ennui, je crois qu'elle n'apporte rien sur le plan de la libération, de la perte des rôles, de la compréhension de ce que peuvent être des relations amoureuses, parce que ce n'est pas vécu comme un type de relation. Par contre, l'amour de groupe dans un sens plus large ne peut être vécu pleinement que si on a fait un certain cheminement, si on est arrivé à un certain état pour ne pas se sentir frustré ou bloqué là-dedans. Ou alors, il faut avoir la chance de le vivre avec des gens qui ont fait ce cheminement si on est soi-même un peu bloqué à certains niveaux : à ce moment- là, je crois que ces gens peuvent t'aider. Il nous est arrivé dans cette maison à la campagne de rencontrer, un soir en se baladant tous les dix dans la rue, un mec que tout le monde trouvait mignon ; on l'a ramené à la maison, c'était un mec qui n'avait jamais eu ce type de relations, qui avait toutes les idées traditionnelles sur l'hétérosexualité, qui n'avait jamais pensé avoir des relations homosexuelles, qui avait ce rôle viril, machiste, etc. Et j'ai l'impression qu'on lui a apporté beaucoup de choses par ce qui s'est passé avec lui.
Recueilli par Jacques ROSSOLIN et Marc ROY
Sexpol #14 avril-mai 1977
à 16:57