Les syndicats appellent à des grèves en ordre dispersé (le 18 janvier à La Poste, le 19 janvier à la SNCF et à EDF-GDF, le 20 à l'Education nationale et pour l'ensemble des fonctionnaires), n'ayant d'autres résultats que de mettre en spectacle l'impuissance ambiante. On frustre la colère, on la contient, on l'empêche de s'exprimer, en organisant des manifestations plan-plan et en lançant des mots d'ordre contradictoires : ils associent délibérément la défense des 35 heures à l'augmentation des salaires... alors qu'un des effets principaux de cette loi a été justement un gel des salaires. En revanche, quand il y a un contenu réel, une hargne d'en découdre qui ne se réduit pas à défendre des "acquis" qui ont cessé d'exister, une envie réelle de trouver d'autres solutions et d'autres moyens pour se sortir de ce malaise, les syndicats sabotent le mouvement social, comme cela a été vu avec les enseignants au printemps 2003 ! Le seul contenu de ces manifestations saucisson qu'ils organisent, est de nous amener aux élections ! le seul échappatoire qu'on nous propose est de voter pour ceux-là même qu'il y a quelques années nous avaient habilement imposé les "35 heures" en échange d'un salaire qui n'évoluerait plus
et d'embauches qui n'ont jamais eu lieu, un partage de la misère en quelque sorte.
"L'exploitation, c'est quand vous voulez, où vous voulez !"Que sont les "35 heures" sinon, pour la plupart d'entre nous, la semaine des 4 jeudis ? Une dégradation accélérée des conditions de travail par son intensification et un appauvrissement réel. L'annualisation du temps de travail, c'est sa flexibilité accrue, c'est l'obligation pour les salariés à travailler au rythme de la production et selon les contraintes de l'entreprise (travail de nuit et le week-end) ; c'est aussi une réorganisation complète et
efficace de l'organisation des tâches pour augmenter la productivité du travail, avec en prime une chasse au temps morts, aux temps de pause, aux postes " doublons", à l'absentéisme et, au final, une pression temporelle
toujours plus forte pour répondre aux délais de production ou aux clients.
Cette loi n'a fait qu'accentuer la multiplication des emplois au rabais, précaires, payés au rendement ou à la tâche dans un contexte de progression constante du nombre d'accidents du travail dans certains secteurs comme le BTP ou les services.
Les "35h de gauche", c'est la combinaison de la flexibilité induite par l'annualisation du temps de travail et du blocage des salaires. Ce "pas de gauche" est suivi du "pas de droite" que dénoncent aujourd'hui les syndicats.
Il n'est pourtant que le prolongement du mouvement que la gauche a initié : un assouplissement encore accru de la gestion de la durée du travail et un asservissement total des salariés aux variations de la production.
Cela a commencé par 35h payées 39 (mais sans augmentation de salaire), puis, très vite pour les nouveaux salariés, cela a été 35h payées 35 ; dans l'avenir, ce sera pour beaucoup 37h payées 35, etc. Et, dans tous les cas, sans augmentation de salaire. Etant donné que cela ne suffit pas, le décret sur le lundi de Pentecôte introduit le travail gratuit d'une journée par an (comme dans les anciens pays dits socialistes). Enfin, la nouvelle loi sur les
retraites, c'est l'injonction et l'obligation de travailler plus longtemps soi-disant pour "sauver les retraites". Notons que nous vivons une époque où faut tout "sauver", les retraites, la sécu, les emplois et même les 35 heures !
De fait, à l'allure où vont les restructurations et les licenciements, on ne nous donnera pas l'occasion (bien qu'on en n'ait franchement pas l'envie) de travailler après 60 ans : on nous montrera la sortie avant en nous disant de
nous débrouiller pour survivre avec une retraite de misère. D'ailleurs, "Pensez à souscrire votre PERP - Plan d'Epargne Retraite Populaire - dès aujourd'hui !", nous dit la Poste, banque nouvelle mode.
Le temps nous échappe de plus en plusSi nous nous abîmons toujours au travail, nous sommes aussi de plus en plus dépossédés de la maîtrise de notre temps, pour le peu qu'il nous reste de temps non déterminé, d'une manière ou d'une autre, par la société capitaliste dans laquelle nous vivons. Avant l'industrialisation, l'activité en général était la mesure du temps ; avec le capitalisme, le rapport s'est inversé : c'est le temps qui devient la mesure du travail. et du non-travail. Nous sommes devenus la "carcasse du temps" industriel. Et ce temps industriel nous marque physiquement, dans notre propre corps : combien sont ceux qui font les "3 / 8" et/ou travaillent de nuit et n'arrivent plus à trouver le sommeil bien avant d'arriver à la retraite ? Combien sont ceux qui "tiennent le coup" pendant des années à des rythmes infernaux et dont le corps lâche une fois "libéré" du travail ?
Et dans le même temps, on ose nous proposer des loisirs, du prétendu "temps libre" parce qu'il serait séparé de l'univers du labeur. Le temps de loisir est depuis toujours un temps de consommation et de défoulement soumis aux mêmes rythmes, aux mêmes principes de rentabilité que celui de la production. L'INSEE ne mesure-t-elle pas les "budgets-temps des ménages" ? Les entreprises ne proposent-elles pas à leurs salariés des "comptes-épargne-temps" pour "capitaliser" du temps libre ? Cette valorisation-dépossession du temps prend
des allures idéologiques quand elle se targue de nous offrir une "autonomie" croissante et des "potentialités de réalisation de soi" au travail et dans la vie. Cette séparation apparente entre le temps de travail et celui dit "libéré" n'a jamais existé depuis la naissance du capitalisme.
De nouveaux acquis sociaux ?...le guichet des réformes est fermé !Le slogan "Travailler moins pour travailler tous et vivre mieux !" est finalement bien plus qu'une mascarade. Le problème n'est plus aujourd'hui de revendiquer une réduction toujours plus grande du temps de travail.
En ce sens, nous avons bel et bien changé d'époque. Les grèves du printemps 2003 ont au moins eu le mérite de nous faire comprendre une chose : nous sommes entrés dans une nouvelle période, où on ne peut plus vraiment obtenir de réformes, de nouvelles protections, de nouveaux droits ; face à cela, les dernières luttes en sont réduites pour le moment à tenter de les conserver.
Nous commençons à nous rendre compte qu'il est plus difficile de récupérer des droits perdus que d'en gagner de nouveaux. Et nous aurions à en récupérer à la pelle vue la succession, concentrée dans le temps, d'attaques sociales que nous subissons depuis quelques années, ici comme ailleurs. Nous sentons tous, même si nous n'arrivons pas toujours à l'exprimer ni encore à en tirer les conséquences, que ce système dans lequel nous vivons n'a plus rien à nous offrir qu'une dégradation de nos conditions d'existence, des guerres, des désastres, une régression sociale généralisée ; qu'il nous divise et nous oppose chaque jour encore plus ici même et avec les travailleurs du monde entier. Face à cela, nous n'avons surtout pas besoin de spécialistes qui décident à notre place ou qui nous exhortent à leur obéir (comme un syndicat départemental d'EDF-GDF qui écrit récemment : "Vous voulez que vos syndicats soient efficaces. Alors comme dans toutes bonnes armées, obéissez à leurs mots d'ordre. Citoyens de la France d'en bas (sic), ne manquez pas l'action du 5 février.").
Par contre, nous avons besoin de comprendre pourquoi, autour de nous, le malaise social grandit, pourquoi nous sommes de plus en plus nombreux à ne plus pouvoir payer notre loyer même en travaillant à temps plein, pourquoi les générations futures n'auront rien à espérer que de survivre dans un monde qui nous dépossède déjà de tout, notamment de notre temps.
Cherchons plutôt de nouvelles perspectives. pour ne plus être "la carcasse du temps", pour nous réapproprier enfin notre mémoire,notre histoire, notre vie !
Oiseau-tempête
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