Il y a six ans, Nicolas Supiot s'est inventé un nouveau métier, celui de paysan-boulanger. Aujourd'hui, cet « utopiste » diffuse son savoir-faire dans toute la France en démontrant que les semences paysannes sont une réponse aux OGM et à la privatisation du vivant. Nicolas vit toute son enfance dans une banlieue parisienne où il ne se sent pas à sa place. Il éprouve très vite ce besoin de « terre » . Et lorsqu'il arrive au Rocher, en pleine forêt de Brocéliande, son nouveau lieu d'adoption, il recherche des terres où s'installer paysan. Il se heurte alors au problème du foncier mais à force de persévérance, en 1999, il parvient à louer deux hectares (1) dont personne ne veut. Le sol est difficile à travailler, (accès pas pratique, mais peu importe, son rêve peut devenir réalité : être paysan-boulanger.
Débute alors un long parcours de recherche sur les semences de blé qui (amènera bientôt à participer à la création du Réseau semences paysannes.
« La question des semences est des plus inquiétantes :les seules semences autorisées à la vente ou disponibles en quantité suffisante, sont des pseudo "variétés" sélectionnées pour l'agro-industrie, selon des critères strictement contraires à l'agro-écologie, sans aucune préoccupation pour la logique globale que celle-ci implique », constate Nicolas.
Il arrive à se procurer d'anciennes variétés de blés, d'avant 1850. Chaque année, sur quatre hectares, il met en culture et multiplie 150 variétés de blés de pays, 420 lignées de blés du pays de Redon, du froment, du sarrasin et du seigle. Ces semences «oubliées »montrent très rapidement une forte vigueur, une excellente adaptation au terroir ainsi qu'une richesse organoleptique et un intérêt nutritionnels exceptionnels. Un réseau de producteurs locaux se constitue afin d'étendre cette expérience et d'en affirmer les résultats grâce à un travail collectif rigoureux.
Depuis 1994, Nicolas a commencé la boulange et développé peu à peu un savoir-faire du champ au fournil. Les résultats sont étonnants. Pourtant, d'après les instances officielles (2), son blé ne serait pas panifiable car trop pauvre en gluten ! Les procédés industriels visant à obtenir un pain très blanc et très levé maltraitent ces protéines. Les sélectionneurs ont ainsi été amenés à ne conserver que des variétés de blé extrêmement riches en gluten, permettant à la pâte d'en conserver suffisamment après un cycle de transformation destructeur.
Le vivant n'est ni stable, ni homogène« Les critères de valeur agronomique et technologique sont envisagés de façon strictement industrielle (rendement, taux de protéine...) au mépris des conceptions nutritionnelles ou gustatives», souligne le paysan-boulanger.
Le système d'homologation des semences en vigueur aujourd'hui rend la pratique de Nicolas hors-la-loi : la diffusion de semences non inscrites au catalogue est interdite en France. À savoir que le coût d'enregistrement déjà prohibitif d'environ 15 000 euros par semence proposée, s'accompagne d'une évaluation requérant les critères suivants : distinction, homogénéité, stabilité.
« Or, le vivant n'est ni stable, ni homogène. Il a la capacité de se reproduire mais jamais à l'identique, afin d'évoluer. Ces critères imposent de véritables "morts vivants" », s'insurge Nicolas.
Un écosystème sain tient dans sa perpétuelle évolution et le rééquilibrage permanent de chacune de ses composantes. C'est ainsi que depuis des millénaires, les agriculteurs adaptent leurs semences aux spécificités de leurs terroirs et de leurs besoins.
Bref, voilà notre Nicolas en campagne pour permettre aux paysans de semer, d'échanger, de vendre, d'utiliser des semences de variétés anciennes en toute légalité. Partout où il peut, il fait signer la pétition « Sauvons les semences paysannes ». Elle compte à ce jour 50000 signatures.
« C'est à nous paysans de construire les alternatives, avec le concours de chercheurs conscients, engagés vers une sélection participative effectuée in situ, dans nos champs > , affirme cet indomptable qui vend son pain -150 à 200 kg par semaine -, à une soixantaine de familles d'habitués. Ne voulant pas augmenter sa production, Nicolas se consacre de plus en plus à la transmission de son savoir-faire, du champ au fournil.
Cécile Koehler,
d'après le portrait de Nicolas Supiot réalisé par Tifenn Hervouët et Frédéric Gana (3)
(1)Aujourd'hui, il loue 12 hectares.
(2)Officiellement, le blé est considéré comme panifiable à partir de 11 % de protéines. Celui de Nicolas en contenait 9,3 % l'an dernier pour le mélange de blés de pays.
(3)Deux jeunes citadins partis faire un tour de France des producteurs. Vous pouvez retrouver leurs témoignages, percutants et émouvants sur le site www.cheminfaisant2OO5.net.
Campagnes solidaires #200 octobre 2005
à 20:21