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L'En Dehors


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Un exemple d’alternative : les SEL
Lu sur refractions : Inspirés par les LETS (Local Exchange Trade System) anglais, le premier Sel s’est créé en France à l’automne 1994 en Ariège. Leur développement a été rapide, avec des réussites plus ou moins bonnes.

Pour ceux qu’un long voyage interstellaire aurait éloigné des tristes réalités économiques, voici en gros leur fonctionnement : des personnes se regroupent en association (formelle ou non), créent une monnaie locale pour visualiser les échanges entre eux. Monnaie non capitalisable qui n’a de valeur que dans l’échange. Ces échanges sont enregistrés et le compte de chacun est connu de tous par l’édition d’un bulletin mensuel. Un catalogue des offres et des demandes permet de savoir ce que chacun propose ou recherche. Chaque Sel est autonome dans son fonctionnement. Des marchés inter-Sel sont parfois organisés. Une association appelée Sel’Idaire coordonne les Sel (pas tous, tous n’y adhérent pas). Le SEL des Vallées du Jaur et de l’Orb, au nord-ouest de l’Hérault, s’est créé en 1996 à l’initiative de quelques personnes. Touchant principalement, voire uniquement, une population « néo-rurale » importante dans cette région, il s’est rapidement développé pour atteindre une taille respectable. Le manque, localement, de structures sociales ou culturelles fédératives est sûrement l’explication de cette rapide implantation.

Les échanges se font au quotidien par des contacts directs entre membres, ou lors du marché mensuel. Les décisions fondamentales sont prises en assemblée générale une fois par an, assemblée qui élit chaque année un « conseil d’administration » chargé du fonctionnement ordinaire : organisation des marchés, rédaction et édition du catalogue des échanges, comptabilité de ces échanges, contacts avec les autres Sel... Les réunions du conseil d’administration sont mensuelles et ouvertes à l’ensemble des adhérents. Chaque adhérent participe aux frais de fonctionnement par une cotisation en euros pour assurer les différents envois postaux nécessaires, la location de salles, etc. et une cotisation en « galets » (monnaie de ce sel) pour indemniser les administrateurs (trésorier, comptable, etc.).

Une fois fait ce descriptif rapide de ce qu’est pratiquement ce Sel, qui, à quelques détails près, fonctionne comme la quasi-totalité des autres Sel, et pour tenter de répondre à la question posée (SEL, alternative économique?), il n’est peutêtre pas inutile de se remémorer les ambitions que les initiateurs des Sel affichaient en 1994.

François Terris, initiateur du Sel de l’Ariège, présentait dans la préface de SEL, mode d’emploi (deuxième édition janvier 1997 édité par Sel’idaire1) les Sels, comme « une idée originale qui vous proposera de vivre des moments différents, de réaliser une expérience qui vous passionnera, loin des spéculations [...].Vous verrez poindre une nouvelle forme de société où la seule exclusion sera celle de l’enrichissement monétaire pour tendre vers l’enrichissement de tous par les ressources de chacun. [...] Chaque Sel est une source de développement des valeurs individuelles libérant des forces nouvelles qui prépareront une société plus juste, plus fraternelle où chacun trouvera sa place ». Les buts et les moyens étaient et restent clairement définis : changer la société par une pratique différente de l’économie (Pour changer échangeons, titre d’un document édité par la revue Silence 1998)2. Bien sûr, depuis lors, de nombreux débats ont eu lieu, pour savoir si d’un point de vue économique, les Sel étaient réellement une alternative à l’économie de marché, et de nombreuses personnes ont théorisé sur cette question. Dès le départ les avis furent partagés, à gauche comme à droite d’ailleurs, pour et contre se sont expliqués : « Triste palliatif pour chômeurs paumés... remise en cause radicale de l’économie marchande... capitalisme populaire... repli sur soi... libéralisme caché... résistance à la mondialisation... » Dès 1995, Serge Latouche, dans un article intitulé « La monnaie au secours du social ou le social au secours de la monnaie » et publié dans Silence 3, faisait la comparaison entre les Sel et les économies vernaculaires. Il y comparait les Sel à l’expérience d’auto-organisation des exclus de Grand Yoff au Sénégal 4. Il écrivait :

« Les différences sautent aux yeux, au premier abord. Pour le dire de façon caricaturale : dans un cas, on a une société de 100 000 personnes qui vivent largement de leur autoproduction sans création de monnaie, grâce à la densité des réseaux sociaux dit néo-claniques, dans l’autre, on a des micro-associations de quelques dizaines ou centaines d’individus « paumés » qui, pour retrouver du lien social, inventent une monnaie privée. On peut donc dire que là-bas, le social est ce qui permet de résoudre la crise économique et qu’ici, un artifice économique vient au secours du social... »

Sept ans après, je crois que l’on peut dire que la pratique lui donne raison. Souvent présentés comme un palliatif de la crise économique, les Sel sont en fait avant tout, pour ceux qui y adhèrent, un moyen de renouer ou entretenir des liens sociaux inexistants ou en danger. En milieu rural au moins, les adhérents sont essentiellement, voire exclusivement, des néo-ruraux qui rompent ainsi leur isolement ou élargissent leur entourage « affectif ». Le fait économique intervient pour peu de choses dans leur adhésion, même si, ainsi, certains services ou produits deviennent plus facilement accessibles aux plus démunis. Ce fait a pour conséquence que d’un point de vue strictement économique les Sel ne mettent pas en danger l’économie « ordinaire » mais restent sur sa marge. Ceci explique sans doute le peu d’agressivité de l’État vis-à-vis d’eux (un seul procès à ce jour en janvier 1998 en Ariège, avec condamnation des trois adhérents poursuivis pour travail dissimulé, puis relaxe de ceux-ci en appel).

Il n’est pas douteux d’ailleurs que s’ils sortaient de leur marginalité, la justice ne manquerait pas de les sanctionner, et ce avec d’autant plus de facilité que leur statut juridique d’association leur interdit de dépasser la simple « opération d’entremise ». Seul « leur rôle dans l’animation de la vie sociale locale » 5 est reconnu. C’est d’ailleurs bien la volonté de l’État (et son rôle) de les maintenir dans cette marginalité qui explique la tentative, à l’été 2001, de l’ex-gouvernement (socialiste) Jospin et de son ex-secrétaire d’État à l’« économie solidaire » Guy Hascouet (Vert), d’encadrer l’activité des Sel par une « loi cadre sur l’économie citoyenne ». Projet dont je ne résiste pas à vous donner à lire un extrait de l’article 27 concernant les Sel : « Il se produit de telles interférences notamment quand des membres des Sel qui sont chômeurs indemnisés ou ne vivent qu’au moyen de la perception de minima sociaux, produisent dans le cadre des Sel, des biens et services qui pourraient être fournis moyennant paiement par les circuits marchands ordinaires, à qui ils font concurrence. Cette concurrence ne peut logiquement et économiquement être admise que si elle est exceptionnelle ou à tout le moins occasionnelle et rare. Les activités échangées dans le cadre des Sel ne doivent donc qu’être produites à des fins de solidarité et de convivialité analogues, par exemple à celles qui animent ordinairement les conditions du même type que dans le cercle de famille. [...] Il est admissible, à titre exceptionnel, que cette production soit compatible avec le maintien des indemnités de recherche d’emploi ou des minima sociaux » Pas besoin d’en rajouter, sauf que le dernier point aurait nécessité pour les Sel de fournir la liste de leurs adhérents... Rien que cela! Comme toujours, à l’intérieur même des Sel, quelques personnes, peu nombreuses semble-t-il (?), ont soutenu cette initiative. Marginalité voulue par l’État, et marginalité de fait donc, et c’est cela probablement qui fait, je crois, la limite des Sel dans une optique d’alternative au capitalisme.

Contrairement au mouvement coopératif du début du siècle, les Sel n’ont pas passé le pas de la production, et se limitent à un « recyclage » des produits « extérieurs » et à du « coup de main ». Par exemple, dans notre Sel qui pourtant fonctionne bien, jusqu’à ce jour, aucune production agricole ou artisanale n’a été initiée par l’existence du Sel. Seuls, les surplus de produits sont échangés, et le manque de producteurs est permanent et freine le volume des échanges. Les « coups de main » ne sont ni plus ni moins que les échanges naturels « de bons procédés » que la vieille société rurale pratiquait de façon informelle et sûrement que toute « vraie » société humaine pratique.

Il me semble que cette non prise en compte de l’acte de production dans les Sel en limite fortement leur dimension alternative. C’est surtout le consommateur qui est concerné et peu ou pas le producteur. Malheureusement ce n’est pas par manque de volonté théorique que nous ne parvenons pas à dépasser cette limite, mais volonté ou pas, cela ne se concrétise pas. Pourquoi? La réponse ou plutôt les réponses sont peut-être là encore plus sociologiques, voire psychologiques, qu’économiques.

Le minimum vital étant assuré par l’aide institutionnelle, et même si ce minimum ne permet que peu de choses, le désir de « faire », pour retrouver une autonomie, se perd d’autant plus sûrement que l’aide de l’État est conditionnée par l’abandon de cette autonomie. Par exemple, quelqu’un de notre Sel qui refuse de toucher le Revenu minimum d’insertion et ne pouvait justifier d’un revenu quelconque, mais demandait à bénéficier de la Couverture maladie universelle, s’est vu refuser celle-ci.

On comprend mieux alors le projet de loi évoqué plus haut et le rôle que les Sel pourraient se voir attribuer dans le capitalisme moderne où le travail des salariés occidentaux ne génère plus, pour le capital, des profits suffisants. RMI ou Revenu garanti,CMU, Sel (encadré dans une loi) feraient l’affaire de nos « bons maîtres ».

Mais si d’un point de vue économique la réussite n’est pas évidente, par contre, d’un point de vue social il en est tout autrement et, à long terme, on peut espérer que cela pourra modifier réellement les rapports de force sur le terrain. Les Sel se révèlent être une école pratique d’autogestion et de démocratie directe. Hiérarchie et inégalité sociales sont bannies des relations entre membres, et cette particularité, unique dans la vie quotidienne de quasiment tout le monde, place les participants dans l’obligation intellectuelle de mener, par comparaison, une analyse et une critique pragmatique des modèles dominants (argent, échanges marchands, inégalité sociale, représentation politique, etc.).

Cela dit, la réalité rattrape toujours l’expérience, et les inégalités sociales et culturelles du dehors pointent souvent leur nez. Par exemple ce sont souvent les plus « entreprenants » « dehors » qui le sont « dedans », avec le risque réel d’exploitation des uns par les autres, et l’instauration d’un salariat caché. Là encore seule une vigilance critique permet d’éviter ces dérapages. En toute chose il y a souvent matière tant à espérer qu’à douter. Les Sel ne dérogent pas à la règle. Les conditions économiques et sociales ont ancré les Sels dans la réalité, et ce pragmatisme est sûrement un atout majeur. Ce parti pris et cette nécessité d’expérimenter des formes d’organisations économiques ou politiques différentes (libertaires souvent), obligent à théoriser sur ce que sont les modèles dominants dans ces domaines. Mais il faut bien le reconnaître, l’histoire récente nous a un peu rogné les ailes, et nous avons si bien intégré nos défaites qu’une « marginalité conviviale » suffit à beaucoup. Les grandes ambitions ne sont plus de mise, changer radicalement le monde fait (encore) peur à beaucoup. Tout ceci limite la portée des Sel dans la construction d’un autre futur. Leur plus grand mérite, à ce jour, est sûrement d’avoir permis la construction, pour une part non négligeable de la population, d’un tissu social nécessaire à toute velléité de changement. En ce sens,ils ont contribué à l’implantation d’autres mouvements complémentaires (Droit paysan 6 par exemple dans notre vallée), grâce aux réseaux de solidarité qu’ils ont créés. Bien sûr, cela est loin d’être suffisant pour se débarrasser du capitalisme, mais cela n’est-il pas nécessaire à l’émergence d’un désir puissant d’y arriver?

Bernard Gilet

1. Sel’idaire : coordination de Sels français qui a pour tâche d’encourager le développement des Sels et de réfléchir à leurs fonctionnements.

2. Silence, revue mensuelle, écologie, alternatives, non-violence, 9, rue Dumenge, 69004 Lyon.

3. Silence, n° 210, pp. 4-13, décembre 1996.

4. Grand Yoff : banlieue de Dakar où toute une population (100 000 personnes) exclue, s’autoorganise. Sur ce sujet, voir l’article de Serge Latouche « Capitalisme populaire ou survie conviviale », Silence, n° 185-186, janvier 1995.

5. Réponse du ministre de l’Économie de 1998.

6. Mouvement qui se propose de permettre l’auto-organisation des néo-ruraux. Fédéré par une charte. Chaque groupe est autonome, et les assemblées générales sont souveraines. Voir article de Jean-Jacques Gandini sur le sujet paru
Ecrit par rokakpuos, à 04:29 dans la rubrique "Economie".



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