Plus périlleuse pour la paix et la sécurité du monde-, que la crise irakienne, la guerre de
Corée risque de flamber dé nouveau. Rappelons que sa première phase (1950195) s'est terminée par un cessez-le-feu sur, la ligne du front et la création d'une zone dite démilitarisée. Des familles sont séparées depuis 50 ans par ce long « mur de Berlin » qui coupe en deux la nation tout près du 38° parallèle. Sur cette ligne surarmée des deux côtés, les patrouilles n'ont jamais cessé d'avoir des accrochages mortels. On a récemment découvert deux tunnels d'infiltration nord-coréens: 2 m de large, 2 m de haut et 65 m sous terre capables de transporter 10,000 soldats par heure jusqu'aux alentours de Séoul, la capitale sud-coréenne. On soupçonne l'existence de quinze autres tunnels.Or, lé 18 février, 2003 l'armée nord coréenne déclare que si les EU imposaient des sanctions, elle serait obligé d'abroger l'armistice de 1953. L'armée nord-coréenne à 1 .100.000 soldats bien armés et bien nourris, malgré la pénurie générale. Hostile à la politique du rapprochement avec le Sud, l'armée voit son influence s'accroître grâce au bellicisme de Bush : Chercherait-t-elle la guerre comme remède à- la crise intérieure du régime? Une chose et certaine- su contraire de Bush, elle ne bluffe pas.
La Corée est une poudrière. Le dernier régime stalinien du monde joue sa dernière carte et elle est nucléaire. Le gouvernement nord-coréen commence son programme atomique dès les années 1950, construit des réacteurs pendant les années 1960, et réussit à produire des armes atomiques et à tester des missiles pour les lancer. Les experts militaires affirment que le Nord pourra construire 200 ogives nucléaires avant 2010, puis 58 annuellement. Dans une situation où il n'y aura plus grand chose à perdre, le régime nord-coréen n'hésitera pas à les utiliser. Ni à les vendre.
On a cité des généraux nord-coréens qui expliquaient pourquoi Saddam avait perdu la guerre de 1991: « L'Irak a perdu parce qu'il est resté sur la défensive. Il faut prendre l'offensive. L'Irak n'a pas utilisé toutes ses armes. Si nous sommes en guerre, nous les utiliserons toutes. Et s'il y a la guerre, nous devrons attaquer les premiers, prendre l'initiative. »
La Guerre de Corée: défaite américainePrendre l'initiative: ce fut précisément la tactique de l'armée nord-coréenne quand elle attaqua le 25 juin 1950 et réussit en quelques semaines à refouler les forces américaines et sud-coréennes vers la mer du Japon. Dans la bataille célèbre autour du réservoir d'Inchon, les Nord-Coréens ont encerclé tout un bataillon de marines. Ce fut une défaite sanglante qui correspondait.à celle des Français à Dien Bien Phu (Indochine). Les forces de l'ONU mobilisées par les états-Unis avaient déjà dû reconnaître l'impasse militaire. Eisenhower gagna l'élection de 1952 en promettant une armistice au peuple américain, fatigué d'une guerre meurtrière que les américains ne voulaient pas, malgré la forte propagande asti-communiste et le McCarthysme.
Après la guerre, le stalinisme se renforça dans la République démocratique de Corée du Nord. Dans la République non moins démocratique du Sud, les États-Unis soutinrent la dictature meurtrière de l'anti-communiste Rhree, puis celle des généraux qui assassinaient, arrêtaient, massacraient'. les ouvriers, les paysans, les libéraux, les socialistes et les étudiants. Ce-tix-d n'arrêtaient pas pour autant de lutter pour la reconnaissance du droit syndical, le droit à la liberté d'expression et d'association, la démocratie. C'est pendant cette période . que se produit le « miracle » du développement capitaliste de la Corée-du-Sud et le développement d'un prolétariat des plus militants et conscientisé du monde. Ce sont les ouvriers de Daewoo et leurs alliés étudiants et cultivateurs qui viennent depuis deux ans de réaliser une démocratie relative (élections libres) à force de grèves générales et de manifestations massives.
Désir de paix chez les Coréens du Sud et du NordAujourd'hui, ces masses en ont assez de la présence chez eux de 37.000 soldats américains, assez souvent ivres et racistes. L'énorme garnison américaine au milieu de Séoul est une provocation permanente. Des incidents récents ont suscité d'énormes manifs. Encore, tout le peuple soutient la « politique ensoleillée » en faveur d'un rapprochement avec le Nord, lancé par l'ex-président Kim et repris par le nouveau, président Roh. La bourgeoisie sud-coréenne craint avant tout la déstabilisation d'une explosion de réfugiés du Nord. Avec la Chine et le Japon, elle veut aider le Nord à faire une transition vers l'intégration dans la région. Rappelons aussi que les missiles nord-coréens ne pourront sans doute pas atteindre le territoire des états-Unis, mais qu'ils pourront détruire en quelques heures Seoul et Tokyo. Par conséquent, les gouvernements japonais et coréen se séparent aujourd'hui de leur ancien protecteur devenu provocateur et regardent vers la Chine.
Pour sa part, le régime nord-coréen a souvent signalé - malgré sa langue de bois stalinienne à formules belliqueuses qu'il veut un rapprochement avec les États-Unis. Une fois sa sécurité assurée, il est prêt à abandonner ses armes massives. Le gouvernement américain de Clinton, pistonné par les Sud-Coréens et les japonais, avait longuement négocié avec la Corée du Nord. Le traité était prêt à signer en décembre 2000 pendant les derniers jours du mandat Clinton. Mais ce dernier ne signa pas, trop occupé à vendre des pardons présidentiels à des escrocs pour payer ses dettes.
Bush l'idéologue rallume la guerreDès les premières semaines de son mandat 2 001 Bush provoqua la Corée du Nord en déchirant le brouillon de traité, en se retirant des pourparlers, et en refusant d'honorer les Accords de 1984 où,la Corée-du-Nord s'engagea à ne plus développer des armes nucléaires (et accepta les inspecteurs) contre une assurance de sécurité et de l'aide économique. En même temps Bush, l'idéologue de la force fit pression sur les gouvernements sud-coréens et japonais afin d'arrêter leur politique « ensoleillée » et d'isoler la Corée-. du-Nord. Enfin, Bush a désigné la Corée-du-Nord comme« état voyou » et a parlé de « guerre préventive » et de l'axe du mal.
George W Bush aime bien s'inventer des ennemis. Provoquer Saddam, c'est déjà tradition chez les présidents américains en difficulté économique ou sexuel. Que Bush II secoue les barreaux de la cage où papa Bush avait: enfermé ce lion édenté de Saddam, ça va. Mais il fallait que noué bon shérif imagine deux autres méchants pour compléter son axe du mal. En ciblant les Iraniens, le maladroit Texan n'a réussi qu'à saborder l'alliance offerte après le -11 septembre par les Ayatollahs, ennemis mortels de Saddam et d'Osama bin Laden. De plus, Bush a saboté le mouvement iranien vers la démocratie. Mais le chef imbécile de l'impérialisme américain a vraiment disjoncté en déclarant publiquement qu'il « déteste » (loathes) le chef bien-aimé des Coréens du Nord et veut « le voir tomber » (to see him toppled )!
Le chantage nucléaire pacifiste?Kim Jong Il comprit. Au lieu de cacher ses prétendues armes de destructiciri. massive comme ce vieux lion miteux de Saddam, le leader coréen les brandit ouvertement. Accusé par les inspecteurs atomiques d'avoir transporté du matériel interdit; il les a étonnés en ne prenant pas la peine de mentir. Depuis il n'arrête pas de provoquer en se préparant à rallumer ses usines à plutonium, testant ses missiles, et dernièrement (4 mars) en interceptant un avion espion américain en espace aérien international. Ce fils à papa ancien « playboy » est un homme politique rusé qui aime le risque. Il a trouvé le bon moment pouf faire du chantage nucléaire au fils à papa d'en face, et Bush II a eu la bêtise de le provoquer pendant que toutes ses armées sont mobilisées à côté de l'Irak.
Chaque classe dominante a les dirigeants qu'elle mérite. La présence (irrégulière) de l'imbécile Bush à la présidence de l'empire américain est la preuve évidente de la décadence de cet empire.
Paradoxalement, la carte nucléaire que Kim a jetée sur la table du monde joue en faveur de la paix au Moyen Orient. L'axe du mal créé par Bush se retourne. Récapitulons: la guerre de Corée ne s'est jamais terminée et les spécialistes prévoient 80 % de probabilité que Kim attaquera si Bush ne lui fait pas les garanties dont son régime a besoin pour survivre. Le monde tient à un fil, et ce fil ne se trouve pas dans le Golfe, où Chirac-Elf et Bush-Exxon jouent leur fin de partie d'échecs pétroliers.
Richard Greeman
internationaliste new-yorkais
Le Monde libertaire #1451 du 19 au 25 octobre 2006